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Les chasseurs de chevelures

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LIII
RENCONTRE INESPEREE

Quand je quittai le pied de la montagne, le pic blanc se montrait devant moi a la distance de trente milles. Jusque-la on ne voyait pas une colline, pas un buisson, sauf quelques arbrisseaux nains l'artemisia. Il n'etait pas encore midi. Pourrais-je atteindre la montagne Neigeuse avant le coucher du soleil? Dans ce cas, je me proposais de prendre notre ancienne route vers la mine. De la, je gagnerais le Del-Norte en suivant une branche du Paloma ou quelque autre cours d'eau lateral. Tel etait a peu pres mon plan.

Je devais m'attendre a etre poursuivi jusqu'aux portes d'El Paso; quand j'eus fait un mille environ, un coup d'oeil en arriere me fit voir les Indiens debouchant dans la plaine et galopant apres moi.

Ce n'etait plus une question de vitesse. Pas un de leurs chevaux ne pouvait lutter avec le mien. Mais Moro aurait-il le meme fond que leurs mustangs? Je connaissais la nature nerveuse, infatigable de cette race espagnole; je les savais capables de galoper sans interruption pendant une journee entiere, et je n'etais pas sans inquietude sur le resultat d'une lutte prolongee. Pour l'instant, il m'etait facile de garder mon avance sans presser mon cheval, dont je tenais a menager les forces. Tant qu'il ne serait pas rendu, je ne risquais pas d'etre atteint; je galopais donc posement, observant les mouvements des Indiens et me bornant a conserver ma distance. De temps en temps je sautais a terre pour soulager Moro, et je courais cote a cote avec lui.

Mon chien suivait, jetant parfois un regard intelligent sur moi et semblant avoir conscience du motif qui me faisait voyager avec une telle hate. Pendant tout le jour je restai en vue des Indiens; je pouvais distinguer leurs armes et les compter; ils etaient environ une vingtaine en tout. Les trainards avaient tourne bride, et les hommes bien montes continuaient seuls la poursuite. En approchant du pied de la montagne Neigeuse, je me rappelai qu'il y avait de l'eau a notre ancien campement dans le defile. Je pressai mon cheval pour gagner le temps de nous rafraichir tous les deux. J'avais l'intention de faire une courte halte, de laisser le noble animal reprendre haleine et se refaire un peu aux depens de l'herbe grasse qui entourait le ruisseau. Mon salut dependait de la conservation de ses forces, et c'etait le moyen de les lui conserver.

Le soleil etait pres de se coucher quand j'atteignis le defile. Avant de m'engager au milieu des rochers, je jetai un coup d'oeil en arriere. J'avais gagne du terrain pendant la derniere heure. Ils etaient au moins a trois milles derriere, et leurs chevaux paraissaient fatigues. Tout en continuant ma course, je me mis a reflechir. J'etais maintenant sur une route connue; mon courage se ranimait, mes esperances, si longtemps obscurcies, renaissaient brillantes et vivaces. Toute mon energie, toute ma fortune, toute ma vie, allaient etre consacrees a un seul but. Je leverais une troupe plus nombreuse que toutes celles qu'avait commandees Seguin. Je trouverais des hommes parmi les employes de la caravane, a son retour; j'irais fouiller tous les postes de trappeurs et de chasseurs dans la montagne; j'invoquerais l'appui du gouvernement mexicain; je lui demanderais des subsides, des troupes. J'en appellerais aux citoyens d'El Paso, de Chihuahua, de Durango, je…

– Par Josaphat! voila un camarade qui galope sans selle et sans bride!

Cinq ou six hommes armes de rifles sortirent des rochers et m'entourerent.

– Que je sois mange par un Indien si ce n'est pas le jeune homme qui m'a pris pour un ours gris! Billye! regarde donc! Le voila, c'est lui, c'est lui-meme! Hi! hi! hi! ho! ho!

– Rube! Garey!

– Eh quoi! par Jupiter! c'est mon ami Haller! hourrah! Mon vieux camarade! est-ce que vous ne me reconnaissez pas?

– Saint-Vrain!

– Lui-meme, parbleu! Est-ce que je suis change? Quant a vous, il m'eut ete difficile de vous reconnaitre, si le vieux trappeur ne nous avait pas instruit de tout ce qui vous est arrive. Mais, dites-moi donc, comment avez-vous pu vous tirer des mains des Philistins?

– D'abord, dites-moi ce que vous etes ici, et pourquoi vous y etes?

– Oh! nous sommes un poste d'avant-garde! l'armee est la-bas.

– L'armee?

-Oui; nous l'appelons ainsi. Il y a la six cents hommes: et c'est une veritable armee pour ce pays-ci.

– Mais, qui? Quels sont ces hommes?

– Il y en a de toutes les sortes et de toutes les couleurs. Il y a des habitants de Chihuahua et d'El Paso, des negres, des chasseurs, des trappeurs, des voituriers; votre humble serviteur commande la troupe de ces derniers. Et puis, il y a la bande de notre ami Seguin.

– Seguin! est-il…

-Quoi? C'est notre general en chef. Mais venez: le camp est etabli pres de la fontaine. Allons-y. Vous paraissez affame, et j'ai dans mes bagages une provision de paso premiere qualite. Venez!

– Attendez un instant, je suis poursuivi!

-Poursuivi! s'ecrierent les chasseurs levant tous en meme temps leurs rifles et regardant vers l'entree de la ravine. Combien?

-Une vingtaine environ.

– Sont-ils sur vos talons?

– Non.

– Dans combien de temps pourront-ils arriver?

– Ils sont a trois milles, avec des chevaux fatigues, comme vous pouvez l'imaginer.

– Trois quarts d'heure, une demi-heure, tout au moins. Venez! nous avons le temps d'aller la-bas et de tout preparer pour les bien recevoir. Rube! restez-la avec les autres; nous serons revenus avant qu'ils arrivent, Venez, Haller! venez!

Je suivis mon excellent ami, qui me conduisit a la source. La, je trouvai l'armee; elle en avait bien la physionomie, car deux ou trois cents hommes etaient en uniforme; c'etaient les volontaires de Chihuahua et d'El Paso. La derniere incursion des Indiens avait porte au comble l'exasperation des habitants, et cet armement inaccoutume en etait la consequence. Seguin, avec le reste de sa bande, avait rencontre les volontaires a El Paso, et les avait conduits en toute hate sur les traces des Navajoes. C'est par lui que Saint-Vrain avait su que j'etais prisonnier, et celui-ci, dans l'espoir de me delivrer, s'etait joint a l'expedition avec environ quarante ou cinquante des employes de la caravane. La plupart des hommes de la bande de Seguin avaient echappe au combat de la barranca; j'appris avec plaisir qu'El Sol et la Luna etaient du nombre. Ils accompagnaient Seguin, et je les trouvai dans sa tente.

Seguin m'accueillit comme on accueille le porteur d'heureuses nouvelles. Elles etaient sauves encore. Ce fut tout ce que je pus lui dire, et tout ce qu'il voulait savoir. Nous n'avions pas de temps a perdre en vaines paroles.

Cent hommes monterent immediatement a cheval et se dirigerent vers la ravine. En arrivant a l'avant-poste, ils conduisirent leurs chevaux derriere les rochers et se mirent en embuscade.

L'ordre etait de prendre tous les Indiens, morts ou vifs. On avait pour instructions de laisser l'ennemi s'engager dans la ravine jusqu'au dela de l'embuscade, de le suivre jusqu'en vue du corps d'armee et de le prendre ainsi entre deux feux.

Au-dessus du cours d'eau, la ravine, etait rocheuse et les chevaux n'y laissaient pas de traces. De plus, les Indiens, acharnes a ma poursuite, ne s'inquieteraient pas de chercher des traces jusqu'a ce qu'ils fussent arrives pres de l'eau. Du moment qu'ils auraient eu depasse l'embuscade, pas un ne pourrait s'echapper, car le defile etait borde de chaque cote par des rochers a pic. Quand les cent hommes furent partis, cent autres monterent a cheval et se placerent en observation devant le passage. L'attente ne fut pas longue. Nos arrangements etaient a peine termines, qu'un Indien se montra a l'angle du rocher, a peu pres a deux cents yards de la source. C'etait le premier de la bande des Indiens. Ceux-ci avaient deja depasse l'embuscade, immobile et silencieuse. Le sauvage, voyant des hommes armes, s'arreta brusquement; puis il poussa un cri, et courut en arriere vers ses camarades. Ceux-ci suivirent son exemple, firent volte-face; mais avant qu'ils eussent regagner la ravine, les cavaliers caches, sortant du milieu des rochers, arrivaient sur eux au galop. Les Indiens se voyant pris et reconnaissant la superiorite du nombre, jeterent leurs lances et demanderent merci. Un instant apres, ils etaient tous prisonniers. Tout cela n'avait pas pris une demi-heure, et nous retournames vers la source avec nos captifs solidement garrottes.

Les chefs se reunirent autour de Seguin pour deliberer sur un plan d'attaque contre la ville. Devions-nous partir cette nuit meme? On me demanda mon avis; je repondis naturellement que le plus tot serait le mieux pour le salut des captifs. Mes sentiments, partages par Seguin, etaient opposes a tout delai. Nos camarades prisonniers devaient mourir le lendemain; nous pouvions encore arriver a temps pour les sauver. Comment nous y prendrions-nous pour aborder la vallee? C'etait la la premiere question a discuter. Incontestablement, l'ennemi avait place des postes aux deux extremites.

Un corps aussi important que le notre ne pouvait s'approcher par la plaine sans etre immediatement signale. C'etait une grave difficulte.

– Divisons-nous, dit un des nommes de la vieille bande de Seguin; attaquons par les deux bouts, nous les prendrons dans la trappe.

– Wagh! repondit un autre, ca ne se peut pas. Il y a dix milles de forts la-dedans. Si nous nous montrons ainsi a ces moricauds, ils gagneront les bois avec les femmes et tout le reste, et nous aurons toutes les peines du monde a les retrouver.

Celui-ci avait evidemment raison. Nous ne devions pas attaquer ouvertement. Il fallait user de stratageme. On appela au conseil un homme qui devait bientot lever la difficulte: c'etait le vieux trappeur sans oreilles et sans chevelure, Rube.

– Cap'n, dit-il apres un moment de reflexion, nous n'avons pas besoin de nous montrer avant de nous etre rendus maitres du canon.

 

– Comment nous en rendrons-nous maitres? demanda Seguin.

– Deshabillez ces vingt moricauds, repondit Rube, montrant les prisonniers; que vingt de nous mettent leurs habits. Nous conduirons avec nous le jeune camarade, celui qui m'a pris pour un ours gris! Hi! hi! hi! Le vieux Rube pris pour un ours gris! Nous le conduirons comme prisonnier. Maintenant, cap'n, vous comprenez?

– Ces vingt hommes iront en avant, prendront le poste et attendront le corps d'armee.

– Voila la chose, c'est justement mon idee.

– C'est ce qu'il y a de mieux, c'est la seule chose a faire; nous agirons ainsi.

Seguin donna immediatement l'ordre de depouiller les Indiens de leurs vetements. La plupart etaient revetus d'habits pilles sur les Mexicains. Il y en avait de toutes les formes et de toutes les couleurs.

– Je vous engage, cap'n, dit Rube voyant. Seguin se preparer a choisir les hommes de cette avant-garde, je vous engage a prendre principalement des Delawares. Ces Navaghs sont tres-ruses, et on ne les attrape pas facilement. Ils pourraient reconnaitre une peau blanche au clair de la lune. Ceux de nous qui iront avec eux devront se peindre en Indien, autrement nous serons eventes; nous le serons surement.

Seguin, suivant cet avis, choisit le plus de Delawares et de Chawnies qu'il put, et leur fit revetir les costumes des Navajoes. Lui-meme. Rube, Garey et quelques autres, completerent le nombre. Quant a moi, je devais naturellement jouer le role de prisonnier. Les blancs changerent d'habits et se peignirent en Indiens, genre de toilette fort usite dans la prairie, et auquel ils etaient tous habitues. Pour Rube, la chose ne fut pas difficile. Sa couleur naturelle suffisait presque pour ce deguisement. Il ne se donna pas la peine d'oter sa blouse et son pantalon. Il aurait fallu les couper, et il ne se souciait pas de sacrifier ainsi son vetement favori. Il passa les autres habits par dessus, et, peu d'instants apres, se montra revetu de calzoneros taillades, ornes de boutons brillants depuis la hanche jusqu'a la cheville; d'une jaquette justaucorps, qui lui etait echue en partage. Un elegant sombrero pose coquettement sur sa tete acheva de le transformer en un dandy des plus grotesques. Tous ses camarades accueillirent cette metamorphose par de bruyants eclats de rire, et Rube lui-meme eprouvait un singulier plaisir a se sentir aussi gracieusement harnache. Avant que le soleil eut disparu, tout etait pret, et l'avant-garde se mettait en route. Le corps d'armee, sous la conduite de Saint-Vrain, devait suivre a une heure de distance. Quelques hommes seulement, des Mexicains, restaient a la source, pour garder les prisonniers navajoes.

LIV
LA DELIVRANCE

Nous coupames la plaine droit dans la direction de l'entree orientale de la vallee. Nous atteignimes le canon a peu pres deux heures avant le jour. Tout se passa comme nous le desirions. Il y avait un poste de cinq Indiens a l'extremite du defile; ils se laisserent approcher sans defiance et nous les primes sans coup ferir. Le corps d'armee arriva bientot apres, et toujours precede de l'avant-garde, traversa le canon. Arrives a la lisiere des bois situes pres de la ville, nous fimes halte et nous nous couchames au milieu des arbres.

La ville etait eclairee par la lune, un profond silence regnait dans la vallee. Rien ne remuait a une heure aussi matinale; mais nous apercevions deux ou trois formes noires, debout pres de la riviere. C'etaient les sentinelles qui gardaient nos camarades prisonniers. Cela nous rassura; ils etaient donc encore vivants. En ce moment ils ne se doutaient guere, les pauvres diables, que l'heure de la delivrance fut si pres d'eux. Pour les memes raisons que la premiere fois, nous retardions l'attaque jusqu'a ce qu'il fit jour; nous attendions comme alors, mais la perspective n'etait plus la meme. La ville etait defendue maintenant par six cents guerriers, nombre a peu pres egal au notre; et nous devions compter sur un combat a outrance. Nous ne redoutions pas le resultat, mais nous avions a craindre que les sauvages, par esprit de vengeance, ne missent a mort les prisonniers pendant la bataille. Ils savaient que notre principal but etait de les delivrer, et, s'ils etaient vaincus, ils pouvaient se donner l'horrible satisfaction de ce massacre. Tout cela n'etait que trop probable, et nous dumes prendre toutes les mesures possibles pour empecher un pareil resultat. Nous etions satisfaits de penser que les femmes captives etaient toujours dans le temple. Rube nous assura que c'etait leur habitude constante d'y tenir renfermees les nouvelles prisonnieres pendant plusieurs jours, avant de les distribuer entre les guerriers. La reine, aussi, demeurait dans ce batiment.

Il fut donc decide que la troupe travestie se porterait en avant, me conduisant comme prisonnier, aux premieres lueurs du jour, et irait entourer le temple; par ce coup hardi, on mettait les captives blanches en surete. A un signal du clairon ou au premier coup de feu, l'armee entiere devait s'elancer au galop. C'etait le meilleur plan et apres en avoir arrete tous les details, nous attendimes l'aube. Elle arriva bientot. Les rayons de l'aurore se melerent a la lumiere de la lune. Les objets devinrent plus distincts. Au moment ou le quartz laiteux des rochers revetit ses nuances matinales, nous sortimes de notre couvert et nous nous dirigeames vers la ville. J'etais en apparence lie sur mon cheval, et garde entre deux Delawares.

En approchant des maisons, nous vimes plusieurs hommes sur les toits. Ils se mirent a courir ca et la, appelant les autres; des groupes nombreux garnirent les terrasses, et nous fumes accueillis par des cris de felicitations. Evitant les rues, nous primes, au grand trot, la direction du temple. Des que nous eumes atteint la base des murs, nous sautames en bas de nos chevaux et grimpames aux echelles. Les parapets des terrasses etaient garnis d'un certain nombre de femmes. Parmi elles, Seguin reconnut sa fille, la reine. En un clin d'oeil elle fut emmenee et mise en surete dans l'interieur. Un instant apres je retrouvais ma bien-aimee aupres de sa mere et je la serrais dans mes bras. Les autres captives etaient la; sans perdre de temps en explications, nous les fimes rentrer dans les chambres et nous gardames les portes, le pistolet au poing. Tout cela s'etait fait en moins de deux minutes; mais avant que nous eussions fini, un cri sauvage annoncait que la ruse etait decouverte. Des hurlements de rage eclaterent dans toute la ville, et les guerriers, s'elancant de leurs maisons, accoururent; vers le temple. Les fleches commencerent a siffler autour de nous; mais a travers tous les bruits, les sons du clairon, qui donnaient le signal de l'attaque, se firent entendre.

Nos camarades sortirent du bois et; accoururent au galop. A deux cents yards de la ville, les cavaliers se diviserent en deux colonnes, qui decrivirent, chacune, un quart de cercle pour attaquer par les deux bouts a la fois. Les Indiens se porterent a la defense des abords du village; mais, en depit d'une grele de fleches qui abattit plusieurs hommes, les cavaliers penetrerent dans les rues, et, mettant pied a terre, combattirent les Indiens corps a corps, dans leurs murailles. Les cris, les coups de fusil, les detonations sourdes des escopettes, annoncerent bientot que la bataille etait engagee partout. Une forte troupe, commandee par El Sol et Saint-Vrain, etait venue au galop jusqu'au temple. Voyant que nous avions mis les captives en surete, ces hommes mirent pied a terre a leur tour et attaquerent la ville de ce cote, penetrant dans les maisons et forcant a sortir les guerriers qui les defendaient. Le combat devint general. L'air etait ebranle par les cris et les coups de feu. Chaque terrasse etait une arene ou se livraient des luttes mortelles. Des femmes en foule, poussant des cris d'epouvante, couraient le long des parapets, ou gagnaient le dehors, s'enfuyant vers les bois. Des chevaux effrayes, soufflant, hennissant, galopaient a travers les rues et se sauvaient dans la prairie, la bride trainante; d'autres, enfermes dans des parcs, se precipitaient sur les barrieres et les brisaient. C'etait une scene d'effroyable confusion, un terrible spectacle.

Au milieu de tout cela, j'etais simple spectateur. Je gardais la porte d'une chambre ou etaient enfermees celles qui nous etaient cheres. De mon poste eleve, je decouvrais tout le village, et je pouvais suivre les progres de la bataille sur tous les points. Beaucoup tombaient de part et d'autre, car les sauvages combattaient avec le courage du desespoir. Je ne redoutais pas l'issue de la lutte; les blancs avaient trop d'injures a laver, et le souvenir de tous les maux qu'ils avaient soufferts doublait leur force et leur ardeur. Ils avaient l'avantage des armes pour ce genre de combat, les sauvages etant principalement redoutables en plaine, avec leurs longues lances. Au moment ou mes yeux se portaient sur les terrasses superieures, une scene terrible attira mon attention et me fit oublier toutes les autres. Sur un toit eleve, deux hommes etaient engages dans un combat terrible et mortel. A leurs brillants vetements, je reconnus les combattants. C'etaient Dacoma et le Maricopa! Le Navajo avait une lance; l'autre tenait un rifle dont il se servait en guise de massue. Quand mes yeux tomberent sur eux, ce dernier venait de parer et portait un coup que son antagoniste evita. Dacoma, se retournant subitement, revint a la charge avec sa lance, et avant qu'El Sol put se retirer, le coup etait porte et la lance lui traversait le corps. Involontairement je poussai un cri; je m'attendais a voir le noble Indien tomber. Quel fut mon etonnement en le voyant brandir son tomahawk au-dessus de sa tete, se porter en avant sur la lance, et abattre le Navajo a ses pieds! Attire lui-meme par l'arme qui le percait d'outre en outre, il tomba sur son ennemi; mais, se relevant bientot, il retira la lance de son corps, et, se penchant au-dessus du parapet, il s'ecria:

– Viens, Luna! viens ici! Notre mere est vengee.

Je vis la jeune fille s'elancer vers le toit, suivie de Garey, et un moment apres, le Maricopa tombait, sans connaissance, entre les bras du trappeur. Rube, Saint-Vrain et quelques autres arriverent a leur tour et examinerent la blessure. Je les observais avec une anxiete profonde, car le caractere de cet homme singulier m'avait inspire une vive affection. Quelques instants apres, Saint-Vrain venait me rejoindre, et j'apprenais que la blessure n'etait pas mortelle. On pouvait repondre de la vie d'El Sol.

* * * * *

La bataille etait finie. Les guerriers survivants avaient fui vers la foret. On entendait encore par-ci, par-la, un coup de feu isole et le cri d'un sauvage qu'on decouvrait cache dans quelque coin. Beaucoup de captives blanches avaient ete trouvees dans la ville, et on les amenait devant la facade du temple, gardee par un poste de Mexicains. Les femmes indiennes s'etaient refugiees dans les bois. C'etait heureux; car les chasseurs et beaucoup de volontaires, exasperes par leurs blessures, echauffes par le combat, couraient partout comme des furieux. La fumee s'echappait de plus d'une maison, les flammes suivaient, et la plus grande partie de la ville ne montra bientot plus que des monceaux de ruines fumantes. Nous passames la journee entiere a la ville des Navajoes pour refaire nos chevaux et nous preparer a la traversee du desert. Les troupeaux pilles furent rassembles. On tua la quantite de bestiaux necessaire pour les besoins immediats. Le reste fut remis en garde aux vaqueros pour etre emmene. La plupart des chevaux des Indiens furent pris au lasso; les uns servirent aux captives delivrees, les autres furent emmenes comme butin. Mais il n'aurait pas ete prudent de rester longtemps dans la vallee. Il y avait d'autres tribus de Navajoes vers le nord, qui pouvaient bientot etre sur notre dos. Il y avait aussi leurs allies: la grande nation des Apaches au sud, et celle des Nijoras a l'ouest.

Nous savions que tous ces Indiens s'uniraient pour se mettre a notre poursuite. Le but de notre expedition etait atteint: l'intention du chef au moins etait entierement remplie; un grand nombre de captives que leurs proches avaient crues perdues pour toujours etaient delivrees. Il se passerait quelque temps avant que les Indiens tentassent de renouveler les excursions par lesquelles ils avaient coutume de porter chaque annee la desolation dans les pueblos de la frontiere. Le lendemain, au lever du soleil, nous avions repasse le canon et nous nous dirigions vers la montagne Neigeuse.