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Les chasseurs de chevelures

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LI
LA COURSE AUX MASSUES

Le lendemain arriva. C'etait le jour ou nous devions entrer en scene. Nos ennemis procederent aux preparatifs. Ils allerent au bois, en revinrent avec des branches en forme de massues, fraichement coupees, et s'habillerent comme pour une course ou une partie de paume. Des le matin, on nous conduisit devant la facade du temple. En arrivant, mes yeux se porterent sur la terrasse. Ma bien-aimee etait la; elle m'avait reconnu. Mes vetements en lambeaux etaient souilles de sang et de boue; mes cheveux pleins de terre; mes bras, couverts de cicatrices; ma figure et mon cou, noirs de poudre; malgre tout cela, elle m'avait reconnu. Les yeux de l'amour penetrent tous les voiles.

Je n'essayerai pas de decrire la scene qui suivit. Y eut-il jamais situation plus terrible, emotions plus poignantes, coeurs plus brises! Un amour comme le notre, tantalise par la proximite! Nous etions presque a portee de nous embrasser, et cependant le sort elevait entre nous une infranchissable barriere; nous nous sentions separes pour jamais; nous connaissions mutuellement le sort qui nous etait reserve; elle etait sure de ma mort; et moi… Des milliers de pensees, toutes plus affreuses les unes que les autres, nous remplissaient le coeur. Pourrais-je les enumerer ou les dire? Les mots sont impuissants a rendre de pareilles emotions. L'imagination du lecteur y suppleera. Ses cris, son desespoir, ses sanglots dechirants me brisaient le coeur. Pale et defaite, ses beaux cheveux en desordre, elle se precipitait avec frenesie vers le parapet comme si elle eut voulu le franchir. Elle se debattait entre les bras de ses compagnes qui cherchaient a la retenir; puis l'immobilite succedait aux transports. Elle avait perdu connaissance, on l'entrainait hors de ma vue.

J'avais les pieds et les poings lies. Deux fois pendant cette scene j'avais voulu me dresser, ne pouvant maitriser mon emotion: deux fois j'etais retombe. Je cessai mes efforts et restai couche sur le sol dans l'agonie de mon impuissance. Tout cela n'avait pas dure dix secondes; mais que de souffrances accumulees dans un seul instant! C'etait la condensation des miseres de toute une vie.

Pendant pres d'une demi-heure je ne vis rien de ce qui se passait autour de moi. Mon esprit n'etait point absorbe, mais paralyse, mais tout a fait mort. Je n'avais plus de pensee. Enfin, je sortis de ma stupeur. Les sauvages avaient acheve de tout preparer pour leur jeu cruel. Deux rangees d'hommes se deployaient parallelement sur une longueur de plusieurs centaines de yards. Ils etaient armes de massues et places en face les uns des autres a une distance de trois a quatre pas. Nous devions traverser en courant l'espace compris entre les deux lignes, recevant les coups de ceux qui pouvaient nous atteindre au passage. Celui qui aurait reussi a franchir toute la ligne et a atteindre le pied de la montagne avant d'etre repris, devait avoir la vie sauve. Telle etait du moins la promesse!

– Est-ce vrai, Sanchez! demandai-je tout bas au torero qui etait pres de moi.

– Non, me repondit-il sur le meme ton. C'est un moyen de vous exciter a mieux courir, afin d'animer le jeu. Vous devez mourir dans tous les cas. Je les ai entendus causer de cela.

En bonne conscience. C'eut ete une mince faveur que de nous accorder la vie a de telles conditions; car l'homme le plus vigoureux et le plus agile n'aurait pu les remplir.

– Sanchez, dis-je encore au torero, Seguin etait votre ami. Vous ferez tout ce que vous pourrez pour elle.

Sanchez savait bien de qui je voulais parler.

– Je le ferai, je le ferai! repondit-il paraissant profondement emu.

– Brave Sanchez! Dites-lui tout ce que j'ai souffert pour elle… Non, non; ne lui parlez pas de cela!

Je ne savais vraiment plus ce que je disais.

– Sanchez, ajoutai-je encore, une idee qui m'avait deja traverse l'esprit me revenant, ne pourriez-vous pas… un couteau, une arme… n'importe quoi… ne pourriez-vous pas me procurer une arme quand on me deliera?

– Cela ne vous servirait a rien. Vous n'echapperiez pas quand vous en auriez cinquante.

– Cela se peut. Mais j'essayerai. Le pire qui puisse m'arriver, c'est de mourir; et j'aime mieux mourir au milieu d'une lutte.

– Ca vaudrait mieux, en effet, murmura le torero. J'essayerai de vous procurer une arme; mais je pourrai bien le payer de… Il fit une pause. Regardez derriere vous, continua-t-il d'un ton significatif, tout en levant les yeux comme pour examiner le profil des montagnes, vous apercevrez un tomahawk. Je crois qu'il est assez mal garde, et que vous pourrez facilement vous en emparer.

Je compris et je regardai autour de moi.

Dacoma etait a quelques pas, surveillant le depart des coureurs.

Je vis l'arme a sa ceinture: elle pendait negligemment. On pouvait l'arracher.

Je tiens beaucoup a la vie, et je suis capable de deployer une grande energie pour la defendre. Je n'avais pas encore eu occasion de faire preuve de cette energie dans les aventures que nous avions traversees. J'etais reste jusque-la spectateur presque passif des scenes qui avaient eu lieu, et generalement, je les avais contemplees avec un certain degout. Mais, dans d'autres circonstances, j'ai pu verifier ce trait distinctif de mon caractere. Sur le champ de bataille, a ma connaissance, il m'est arrive trois fois de devoir mon salut a ma vive perception du danger et a ma promptitude pour y echapper. Un peu plus on un peu moins brave, j'eusse ete perdu: cela peut sembler obscur, enigmatique; mais c'est un fait d'experience.

Quand j'etais jeune, j'etais renomme pour ma rapidite a la course. Pour sauter et pour courir, je n'avais jamais rencontre mon superieur; et mes anciens camarades de college se rappellent encore les prouesses de mes jambes. Ne croyez pas que je cite ces particularites pour m'enorgueillir. La premiere est un simple detail de mon caractere, les autres sont des facultes physiques dont aujourd'hui, parvenu a l'age mur, je me sens trop peu fier. Je les rappelle uniquement pour expliquer ce qui va suivre.

Depuis le moment ou j'avais ete pris, j'avais constamment rumine des plans d'evasion. Mais je n'avais pas trouve la plus petite occasion favorable. Tout le long de la route, nous avions ete surveilles avec la plus stricte vigilance. J'avais passe la derniere nuit a combiner un nouveau plan qui m'etait venu en tete en voyant Sanchez sur son cheval. Ce plan, je l'avais completement muri, et il n'y manquait que la possession d'une arme. J'avais bon espoir d'echapper; je n'avais eu ni le temps, ni l'occasion de parler de mon projet au torero, et, d'ailleurs, il ne m'eut servi de rien de le lui raconter. Meme sans arme, j'entrevoyais la chance de me sauver; mais, j'avais besoin d'en avoir une pour le cas ou il se trouverait parmi les sauvages un meilleur coureur que moi. Je pouvais etre tue; c'etait meme assez vraisemblable; mais cette mort etait moins affreuse que celle qui m'etait reservee pour le lendemain. Avec ou sans arme, j'etais decide a tenter l'aventure, au risque d'y perir.

On deliait O'Cork. C'etait lui qui devait courir le premier. Il y avait un cercle de sauvages autour du point de depart: les vieillards et les infirmes du village qui se tenaient la pour jouir du spectacle. On n'avait pas peur que nous prissions la fuite; on n'y pensait meme pas; une vallee fermee avec un poste a chaque issue; des chevaux en quantite tout pres de la, et qu'on pouvait monter en un instant. Il etait impossible de s'echapper, du moins le pensaient-ils.

O'Cork partit. Pauvre Barnay; c'etait un triste coureur! Il n'avait pas fait dix pas dans l'avenue vivante, qu'il recevait un coup de massue, et on l'emportait sanglant et inanime, au milieu des rires de la foule enchantee. Un second subit le meme sort, puis un troisieme: c'etait mon tour; on me delia. Je me dressai sur mes pieds, j'employai le peu d'instants qui m'etaient accordes a me detirer les membres, a concentrer dans mon ame et dans mon corps toute l'energie dont j'etais capable pour faire face a une circonstance aussi desesperee. Le signal de se tenir pret fut donne aux Indiens. Ils reprirent leurs places, brandissant leurs massues, et impatients de me voir partir.

Dacoma etait derriere moi. D'un regard de cote, j'avais mesure l'espace qui me separait de lui. Je reculai de quelques pas, feignant de vouloir me donner un peu plus d'elan; quand je fus sur le point de le toucher, je fis brusquement volte-face; avec l'agilite d'un chat et la dexterite d'un voleur, je saisis le tomahawk et l'arrachai de sa ceinture. J'essayai de le frapper, mais, dans ma precipitation, je le manquai; je n'avais pas le temps de recommencer; je me retournai et pris ma course. Dacoma etait immobile de surprise, et j'etais hors de son atteinte avant qu'il eut fait un mouvement pour me suivre.

Je courais, non vers l'avenue formee par les guerriers, mais vers un cote du cercle des spectateurs qui, je l'ai dit, etait forme de vieillards et d'infirmes. Ceux-ci avaient tire leurs couteaux et leurs rangs serres me barraient le chemin. Au lieu d'essayer de me frayer une voie au milieu d'eux, ce a quoi j'aurais pu ne pas reussir, je m'elancai d'un bond terrible et sautai par-dessus leurs epaules. Deux ou trois de ceux qui etaient en arriere chercherent a m'arreter au moment ou je passai pres d'eux; mais je les evitai, et, un instant apres, j'etais au milieu de la plaine; le village entier etait lance sur mes traces.

Ma direction etait determinee d'avance dans mon esprit, et sans la ressource que j'avais en vue, je n'aurais pas tente l'aventure: je courais vers l'endroit ou etaient les chevaux. Il s'agissait de ma vie, et je n'avais pas besoin d'etre autrement encourage a faire de mon mieux. J'eus bientot distance ceux qui etaient le plus pres de moi au depart. Mais les meilleurs coureurs se trouvaient parmi les guerriers qui avaient forme la haie, et ceux-la commencaient a depasser les autres. Neanmoins, ils ne gagnaient pas sur moi. J'avais encore mes jambes de collegien. Apres un mille de chasse, je vis que j'etais a moins de la moitie de cette distance de la caballada, et a plus de trois cents yards de ceux qui me poursuivaient; mais, a ma grande terreur, en jetant un regard en arriere, je vis des hommes a cheval. Ils etaient encore bien loin; mais ils ne tarderaient pas a m'atteindre. Etais-je assez pres pour qu'il put m'entendre? Je criai de toute ma force, et sans ralentir ma course: "Moro, Moro!"

 

Il se fit un mouvement parmi les chevaux, qui se mirent a secouer leurs tetes, puis, j'en vis un sortir des rangs et se diriger vers moi au galop. Je le reconnus a son large poitrail noir et a son museau roux: c'etait Moro, mon brave et fidele Moro! Les autres suivaient en foule, mais, avant qu'ils fussent arrives sur moi, j'avais atteint mon cheval, et, tout pantelant, je m'etais elance sur son dos! Je n'avais pas de bride, mais ma bonne bete etait habituee a obeir a la voix, a la main et aux genoux; je la dirigeai a travers le troupeau, vers l'extremite occidentale de la vallee. J'entendais les hurlements des chasseurs a cheval, pendant que je traversais la caballada; je jetai un regard en arriere; une bande de vingt hommes environ courait apres moi au triple galop. Mais je ne les craignais plus maintenant. Je connaissais trop bien Moro. Quand j'eus franchi les douze milles de la vallee et gravi la pente de la Sierra, j'apercus ceux qui me poursuivaient loin derriere, dans la plaine, a cinq ou six milles pour le moins.

LII
COMBAT AU BORD D'UN PRECIPICE

Un repos de plusieurs jours avait rendu a mon cheval toute son energie, et il gravit la pente rocailleuse d'un pas rapide. Il me communiquait une partie de sa vigueur, et je sentais mes forces revenir. C'etait heureux, car j'allais avoir bientot a m'en servir. J'approchais de l'endroit ou le poste etait etabli. Au moment ou je m'etais echappe de la ville, tout entier au peril immediat, je ne m'etais plus preoccupe de ce dernier danger. La pensee m'en revint tout a coup, et je commencai a faire provision de courage pour l'affronter. Je savais qu'il y avait un poste sur la montagne: Sanchez me l'avait appris, et il le tenait de la bouche des Indiens.

Combien d'hommes allais-je rencontrer la? Deux etaient bien suffisants, plus que suffisants pour moi, affaibli que j'etais et n'ayant d'autre arme qu'un tomahawk dont j'etais fort peu habile a me servir. Sans aucun doute, ces hommes auraient leurs arcs, leurs lances, leurs tomahawks et leurs couteaux. Toutes les chances etaient contre moi. A quel endroit les trouverais-je? En qualite de vedettes, leur principal devoir etait de surveiller le dehors. Ils devaient donc etre a une place d'ou on put decouvrir cette plaine. Je me rappelais parfaitement bien la route: c'etait celle par laquelle nous avions penetre dans la vallee. Il y avait une plate-forme sur le sommet occidental de la Sierra. Le souvenir m'en etait reste parce que nous y avions fait halte pendant que notre guide allait en reconnaissance en avant.

Un rocher surplombait cette plate-forme; je me souvenais aussi de cela; car, pendant l'absence du guide, Seguin et moi nous avions mis pied a terre et nous l'avions gravi. De ce rocher, on decouvrait tout le pays exterieur au nord et a l'ouest. Sans aucun doute, les vedettes avaient choisi ce point. Seraient-elles sur le sommet? Dans ce cas, le meilleur parti a prendre etait de passer au galop, de maniere a ne pas leur donner de temps de descendre, et a courir seulement le risque des fleches et des lances. Passer au galop! Non, cela etait impossible; aux deux extremites de la plate-forme la route se retrecissait jusqu'a n'avoir pas deux pieds de largeur, bordee d'un cote par un rocher a pic, et de l'autre par le precipice du canon. C'etait une simple saillie de rocher qu'il etait dangereux de traverser, meme a pied et a pas comptes. De plus, mon cheval avait ete referre a la Mission. Les fers etaient polis par la marche, et la roche etait glissante comme du verre.

Pendant que toutes ces pensees roulaient dans mon esprit, j'approchais du sommet de la Sierra. La perspective etait redoutable; le peril que j'allais affronter etait extreme, et dans toute autre circonstance, il m'aurait fait reculer. Mais le danger qui etait derriere moi ne me permettait pas d'hesiter; et sans savoir au juste comment je m'y prendrais, je poursuivais mon chemin. Je m'avancais avec precaution, dirigeant mon cheval sur les parties les plus molles de la route, pour amortir le bruit de ses pas. A chaque detour, je m'arretais et sondais du regard; mais je n'avais pas de temps a perdre, et mes haltes etaient courtes. Le sentier s'elevait a travers un bois epais de cedres et de pins rabougris. Il decrivait un zigzag sur le penchant de la montagne. Pres du sommet, il tournait brusquement vers la droite et entrait dans le canon. La commencait la saillie de roc qui continuait la route et regnait tout le long du precipice. En atteignant ce point, je decouvris le rocher ou je m'attendais a voir la sentinelle.

Je ne m'etais point trompe; elle etait la; et je fus agreablement surpris de voir qu'il n'y avait qu'un seul homme. Il etait assis sur la cime du rocher le plus eleve, et son corps brun se detachait distinctement sur le bleu pale du ciel. La distance qui me separait de lui etait de trois cents yards au plus, et il me fallait. Suivre la saillie qui me rapprochait de lui jusqu'au tiers environ de cette distance. Au moment ou je l'apercus, je m'arretai pour me reconnaitre. Il ne m'avait encore ni vu ni entendu; il me tournait le dos et paraissait observer attentivement la plaine du cote de l'ouest. A cote de la roche sur laquelle il etait assis, sa lance etait plantee dans le sol; son bouclier, son arc et son carquois, appuyes contre. Je voyais sur lui le manche d'un couteau et un tomahawk.

Mes instants etaient comptes; en un clin d'oeil j'eus je pris ma resolution. C'etait d'atteindre le defile, et de tacher de le traverser avant que l'Indien eut le temps de descendre pour me couper le chemin. Je pressai les flancs de mon cheval. J'avancai, avec lenteur et prudence, pour deux raisons: d'abord parce que Moro n'osait pas aller plus vite, et puis, parce que j'esperais ainsi passer sans attirer l'attention de la sentinelle. Le torrent mugissait au-dessous; le bruit pouvait etouffer celui des sabots sur le roc. J'allais donc, soutenu par cet espoir. Mon oeil passait du perilleux sentier au sauvage, et du sauvage au sentier que mon cheval suivait, frissonnant de terreur. Quand j'eus marche environ vingt pas le long de la saillie, j'arrivai en vue de la plate-forme; la, j'apercus un groupe qui me fit saisir en tremblant la criniere de Moro: c'etait un signe par lequel je m'arretais toujours quand je ne voulais pas me servir du mors. Il demeura immobile, et je considerai ce que j'avais devant moi.

Deux chevaux, deux mustangs, et un homme, un Indien! Les mustangs, selles et brides, se tenaient tranquillement sur la plate-forme, et un lasso, attache a la selle de l'un, etait enroule au poignet de l'Indien. Celui-ci, accroupi, le dos appuye a un rocher, les bras sur les genoux et la tete sur les bras, paraissait endormi. Pres de lui, son arc, ses fleches, sa lance et son bouclier. La situation etait terrible. Je ne pouvais plus passer sans etre entendu par celui-la, et il fallait absolument passer. Quand meme je n'aurais pas ete poursuivi, il ne m'etait plus possible de reculer, car le passage etait trop etroit pour que mon cheval put se retourner. Je pensai a me laisser glisser a terre, a m'avancer a pas de loup, et d'un coup de tomahawk… Le moyen etait cruel; mais je n'avais pas le choix et l'instinct de la conservation parlait plus haut que tous les sentiments. Mais il etait ecrit que je n'aurais pas recours a cette terrible extremite. Moro, impatient de sortir d'une position aussi dangereuse, renifla et frappa le roc de son sabot. A ce bruit les chevaux espagnols repondirent par un hennissement. Les sauvages furent aussitot sur leurs pieds, et leurs cris simultanes m'apprirent que tous deux m'avaient apercu. La sentinelle du haut rocher saisit sa lance et se precipita en avant; mais je m'occupais exclusivement, pour le moment, de son camarade. Celui-ci, en me voyant, avait saisi son arc, et, machinalement, avait saute sur son cheval; puis, avec un cri sauvage, il s'etait avance a ma rencontre sur l'etroit sentier. Une fleche siffla a mes oreilles; dans sa precipitation, il avait mal vise.

Les tetes de nos chevaux se rencontrerent. Ils resterent ainsi, les yeux dilates, soufflant de leurs naseaux. Tous les deux semblaient partager la fureur de leurs cavaliers et comprendre qu'il s'agissait d'un combat mortel. Ils s'etaient rencontres dans l'endroit le plus resserre du passage. Ni l'un ni l'autre ne pouvait retourner sur ses pas; il fallait que l'un des deux fut precipite dans l'abime: une chute de plus de mille pieds, et le torrent au fond! Je m'arretai avec un sentiment profond de desespoir. Pas une arme avec laquelle je pusse atteindre mon ennemi; lui, il avait son arc, et je le voyais ajuster une seconde fleche sur la corde. Au milieu de cette crise, trois idees se croiserent dans mon cerveau se suivant comme trois eclairs. Mon premier mouvement fut de pousser Moro en avant, comptant sur sa force superieure pour precipiter l'autre. Si j'avais eu une bride et des eperons, je n'aurais pas hesite; mais je n'avais ni l'une ni les autres; la chance etait trop redoutable; puis, je pensai a lancer mon tomahawk a la tete de mon antagoniste. Enfin, je m'arretai a ceci: mettre pied a terre et m'attaquer au cheval de l'Indien. C'etait evidemment le meilleur parti: en un instant je me laissai glisser du cote du rocher. Au moment ou je descendais, une fleche me frola la joue; j'avais ete preserve par la promptitude de mon mouvement.

Je rampai le long des flancs de mon cheval et me placai devant le nez du mustang. L'animal, semblant deviner mon intention, se cabra en renaclant; mais il lui fallut bien retomber a la meme place. L'Indien preparait une troisieme fleche, mais celle-ci ne devait jamais partir. Au moment ou les sabots du mustang refrappaient le rocher, mon tomahawk s'abattait entre ses deux yeux. Je sentis le craquement de l'os sous le fer de la hachette. Immediatement je vis disparaitre dans l'abime cheval et cavalier, celui-ci poussant un cri terrible et cherchant vainement a s'elancer de la selle. Il y eut un moment de silence, un long moment; – ils tombaient, ils tombaient… Enfin, on entendit un bruit sourd, – le choc de leurs corps rencontrant la surface de l'eau! Je n'eus pas la curiosite de regarder au fond, et d'ailleurs je n'en aurais pas eu le temps. Quand je me relevai (car je m'etais mis a genoux pour frapper), je vis l'autre sauvage atteignant la plateforme. Il ne s'arreta pas un instant, mais vint en courant sur moi et la lance en arret. J'allais etre traverse d'outre en outre, si je ne reussissais pas a parer le coup. Heureusement la pointe rencontra le fer de ma hache; la lance detournee passa derriere moi, et nos corps se rencontrerent avec une violence qui nous fit rouler tous deux au bord du precipice.

Aussitot que j'eus repris mon equilibre, je recommencai l'attaque, serrant mon adversaire de pres, afin qu'il ne put pas se servir de sa lance. Voyant cela, il abandonna cette arme et saisit son tomahawk. Nous combattions corps a corps, hache contre hache! Tour a tour nous avancions ou nous reculions, suivant que nous avions a parer ou a frapper. Plusieurs fois nous nous saisimes en tachant de nous precipiter l'un l'autre dans l'abime; mais la crainte d'etre entraines retenait nos efforts; nous nous lachions et recommencions la lutte au tomahawk. Pas un mot n'etait echange entre nous. Nous n'avions rien a nous dire; nous ne pouvions d'ailleurs nous comprendre. Notre seule pensee, notre seul but etait de nous debarrasser l'un de l'autre, et il fallait absolument, pour cela, que l'un de nous deux fut tue. Des que nous avions ete aux prises, l'Indien avait interrompu ses cris; nous nous battions en silence et avec acharnement. De temps en temps une exclamation sourde, le sifflement de nos respirations, le choc de nos tomahawks, le hennissement de nos chevaux et le mugissement continuel du torrent: tels etaient les seuls bruits de la lutte. Pendant quelques minutes nous combattimes sur l'etroit sentier; nous nous etions fait plusieurs blessures, mais ni l'un ni l'autre n'etait grievement atteint. Enfin je reussis a faire reculer mon adversaire jusqu'a la plate-forme. La nous avions du champ, et nous nous attaquames avec plus d'energie que jamais. Apres quelques coups echanges, nos tomahawks se rencontrerent avec une telle violence, qu'ils nous echapperent des mains a tous deux. Sans chercher a recouvrer nos armes, nous nous precipitames l'un sur l'autre, et apres une courte lutte corps a corps, nous roulames a terre. Je croyais que mon adversaire avait un couteau, mais je m'etais sans doute trompe, car il s'en serait certainement servi. Je reconnus bientot qu'il etait plus vigoureux que moi. Ses bras musculeux me serraient a me faire craquer les cotes. Nous roulions ensemble, tantot dessus tantot dessous. Chaque mouvement nous rapprochait du precipice! Je ne pouvais me debarrasser de son etreinte. Ses doigts nerveux etaient serres autour de mon cou; il m'etranglait… Mes forces m'abandonnerent; je ne pus resister plus longtemps; je me sentis mourir. J'etais… je… O Dieu! Pardon! – Oh!

 

Mon evanouissement ne dut pas etre long, car, quand la conscience me revint, je sentis encore la sueur de mes efforts precedents, et mes blessures etaient toutes saignantes, la vie reprenait possession de mon etre; j'etais toujours sur la plate-forme; mais qu'etait donc devenu mon adversaire? Comment ne m'avait-il pas acheve? Pourquoi ne m'avait-il pas jete dans l'abime? Je me soulevai sur un bras et regardai autour de moi. Je ne vis d'autre etre vivant que mon cheval et celui de l'Indien galopant sur la plate-forme et se livrant un combat a coups de tete et a coups de pieds. Mais j'entendais un bruit, le bruit d'une lutte terrible: les rugissements rauques et entrecoupes d'un chien devorant un ennemi, meles aux cris d'une voix humaine, d'une voix agonisante! Que signifiait cela? Il y avait une crevasse sur la plate-forme, une crevasse assez profonde, et le bruit paraissait sortir de la. Je me dirigeai de ce cote. C'etait un affreux spectacle. La ravine avait environ dix pieds de profondeur, et, tout au fond, parmi les epines et les cactus, un chien enorme etait en train de dechirer quelque chose qui criait et se debattait. C'etait un homme, un Indien. Tout me fut explique. Le chien, c'etait Alp; l'homme, c'etait mon dernier adversaire.

Au moment ou j'arrivai sur le bord de la crevasse, le chien tenait son ennemi sous lui et le renversait a chaque nouvel effort que celui-ci faisait pour se relever. Le sauvage criait comme un desespere. Il me sembla voir l'animal enfoncant ses crocs dans la gorge de l'Indien; mais d'autres preoccupations m'empecherent de regarder plus longtemps. J'entendis des voix derriere moi. Les sauvages lances a ma poursuite atteignaient le canon et pressaient leurs chevaux vers la saillie.

M'elancer sur mon cheval, le diriger vers la sortie, tourner le rocher et descendre la montagne, fut l'affaire d'un moment. En approchant du pied, j'entendis du bruit dans les buissons qui bordaient la route, un animal en sortait a quelques pas derriere moi: c'etait mon Saint-Bernard. En venant aupres de moi, il poussa un long hurlement et se mit a remuer la queue. Je ne comprenais pas comment il avait pu s'echapper, car les Indiens avaient du atteindre la plate-forme avant qu'il eut pu sortir de la ravine; mais le sang frais lui souillait ses babines et le poil de sa poitrine, montrait qu'il en avait mis un, tout au moins, hors d'etat de le retenir. En arrivant sur la plaine, je jetai un coup d'oeil en arriere. Les Indiens descendaient la pente de la Sierra. J'avais pres d'un demi-mille d'avance, et, prenant la montagne Neigeuse pour guide, je me lancai dans la prairie ouverte devant moi.