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Les chasseurs de chevelures

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XLVIII

UN NOUVEAU MODE D'EQUITATION

Quand je revins a moi, j'etais etendu a terre, et mon chien, la cause innocente de ma captivite, me lechait la figure. Je n'avais pas du rester longtemps sans connaissance, car les sauvages etaient encore autour de moi, gesticulant avec violence. L'un d'eux repoussait les autres en arriere. Je le reconnus, c'etait Dacoma. Le chef prononca une courte harangue qui parut apaiser les guerriers. Je ne comprenais pas ce qu'il disait, mais j'entendis plusieurs fois le nom de Quetzalcoatl. C'etait le nom de leur dieu; je ne l'ignorais pas, mais je ne m'expliquais pas dans le moment quel rapport il pouvait y avoir entre ce Dieu et la conservation de ma vie. Je crus que Dacoma, en me protegeant, obeissait a quelque sentiment de pitie ou de reconnaissance, et je cherchais a me rappeler quel genre de service j'avais pu lui rendre pendant qu'il etait prisonnier. Je me trompais grossierement sur les intentions de l'orgueilleux sauvage.



Une vive douleur que je ressentais a la tete m'inquietait. Avais-je donc ete scalpe? Je portai la main a mes cheveux pour m'en assurer; mes boucles brunes etaient a leur place; mais j'avais eu le derriere de la tete fendu par un coup de tomahawk. J'avais ete frappe au moment ou je sortais et avant d'avoir pu faire feu. Qu'etait devenu Rube? Je me soulevai un peu et regardai autour de moi. Je ne le vis nulle part. S'etait-il echappe, comme il en avait annonce l'intention? Cela n'etait pas possible; aucun homme n'eut ete capable, sans autre arme qu'un couteau, de se frayer passage au milieu de tant d'ennemis. De plus, je ne voyais parmi les sauvages aucun symptome de l'agitation qu'aurait immanquablement provoque la fuite d'un ennemi. Nul n'avait quitte la place. Qu'etait-il donc devenu? Ha! je compris alors le sens de sa plaisanterie relativement a un scalp. Ce mot n'avait pas ete, comme a l'ordinaire, a double mais bien a triple entente. Le trappeur, au lieu de me suivre, etait reste tranquillement dans le trou, d'ou il m'observait sans aucun doute, sain et sauf, et se felicitant de l'avoir ainsi echappe. Les Indiens ne s'imaginant pas que nous fussions deux dans la cave, et satisfaits d'en avoir fait sortir un, n'essayerent plus de l'enfumer. Je n'avais pas envie de les detromper. La mort ou la capture de Rube ne m'aurait ete d'aucun soulagement; mais je ne pus m'empecher de faire quelques reflexions assez maussades sur le stratageme employe par le vieux renard pour se tirer d'affaire.



On ne me laissa pas le temps de m'appesantir beaucoup sur ce detail: deux des sauvages me saisirent par les bras et m'entrainerent vers les ruines encore en feu. Grand Dieu! etait-ce pour me reserver a ce genre de mort, le plus cruel de tous, que Dacoma m'avait sauve de leurs tomahawks! Ils me lierent les pieds et les mains. Plusieurs de mes compagnons etaient autour de moi et subissaient le meme traitement. Je reconnus Sanchez, le toreador, et l'Irlandais aux cheveux rouges. Il y en avait encore trois autres dont je n'ai jamais su les noms. Nous etions sur la place ouverte devant la masure brulee. Nous pouvions voir tout ce qui se passait alentour. Les Indiens cherchaient a degager les cadavres de leurs amis du milieu des poutres embrasees. Quand j'eus verifie que Seguin n'etait ni parmi les prisonniers ni parmi les morts, je les observai avec moins d'inquietude. Le sol de la cabane, deblaye des ruines, presentait un horrible spectacle. Plus de douze cadavres etaient etendus la, a moitie brules et calcines. Leurs vetements etaient consumes; mais aux lambeaux qui en restaient encore, on pouvait reconnaitre a quel parti chacun avait appartenu. Le plus grand nombre etaient des Navajoes. Il y avait aussi plusieurs cadavres de chasseurs fumant sous leurs blouses racornies. Je pensai a Garey; mais autant que j'en pus juger, a l'aspect de ces restes informes, il n'etait point parmi les morts.



Il n'y avait point de scalps a prendre pour les Indiens. Le feu n'avait pas laisse un cheveu sur la tete de leurs ennemis. Cette circonstance parut leur causer une vive contrariete, et ils rejeterent les corps des chasseurs au milieu des flammes, qui s'echappaient encore du milieu des chevrons empiles. Puis, formant un cercle autour, ils entonnerent, a plein gosier, un choeur de vengeance. Pendant tout ce temps, nous restions etendus ou l'on nous avait mis, gardes par une douzaine de sauvages, et en proie a de terribles apprehensions. Nous voyions le feu encore brulant au milieu duquel on avait jete les cadavres a demi consumes de nos camarades. Nous redoutions un sort pareil. Mais nous reconnumes bientot que nous etions reserves pour d'autres desseins. Six mules furent amenees, et nous y fumes installes d'une facon toute particuliere. On nous fit asseoir le visage tourne vers la queue; puis nos pieds furent solidement lies sous le cou des animaux; ensuite on nous forca a nous etendre sur le dos des mules, le menton reposant sur leur croupe; dans cette position, nos bras furent places de sorte que nos mains vinssent se reunir par dessous le ventre, et nos poignets furent attaches a leur tour comme l'avaient ete nos pieds. La position etait fort incommode, et, pour surcroit, les mules, non habituees a des fardeaux de ce genre, se cabraient et ruaient, a la grande joie de nos vainqueurs. Ce jeu cruel se prolongea longtemps apres que les mules elles-memes en etaient fatiguees, car les sauvages s'amusaient a les exciter avec le fer de leur lance, et en leur placant des branches de cactus sous la queue. Nous avions presque perdu connaissance.



Les Indiens se diviserent alors en deux bandes qui remonterent la barranca, chacune d'un cote. Les uns emmenerent les captives mexicaines avec les filles et les enfants de la tribu. La troupe la plus nombreuse, sous les ordres de Dacoma, devenu principal chef par la mort de l'autre, tue dans le dernier combat, nous prit avec elle. On nous conduisit vers l'endroit ou se trouvait la source, et arrive au bord de l'eau, on fit halte pour la nuit. On nous detacha de dessus les mules; on nous garrotta solidement les uns aux autres, et nous fumes surveilles, sans interruption, jusqu'au lendemain matin. Puis on nous

paqueta

 de nouveau comme la veille, et nous fumes emmenes a l'ouest, a travers le desert.



XLIX

UNE NUANCE BON TEINT

Apres quatre jours de voyage, quatre jours de tortures, nous rentrames dans la vallee de Navajo. Les captives, emmenees par le premier detachement avec tout le butin, etaient arrivees avant nous, et nous vimes tout le betail provenant de l'expedition epars dans la plaine. En approchant de la ville nous rencontrames une foule de femmes et d'enfants, beaucoup plus que nous n'en avions vu lors de notre premiere visite. Il en etait venu des autres villages des Navajoes, situes plus au nord. Tous accouraient pour assister a la rentree triomphale des guerriers, et prendre part aux rejouissances qui suivent toujours le retour d'une expedition heureuse.



Je remarquai parmi ces femmes beaucoup de figures du type espagnol. C'etaient des prisonnieres qui avaient fini par epouser des guerriers indiens. Elles etaient vetues comme les autres, et semblaient participer a la joie generale. Ainsi que la fille de Seguin, elles s'etaient indianisees. Il y avait beaucoup de metis, sang mele, descendant des Indiens et des captives mexicaines, enfants de ces Sabines americaines. On nous fit traverser les rues et sortir du village par l'extremite ouest. La foule nous suivait en poussant des exclamations de triomphe, de haine et de curiosite. On nous conduisit pres des bords de la riviere, a environ cent yards des maisons. En vain j'avais promene mes regards do cote et d'autre, autant que ma position incommode me le permettait, je n'avais apercu ni

elle

, ni les autres captives. Ou pouvaient-elles etre? Probablement dans le temple. Ce temple, situe de l'autre cote de la ville, etait masque par des maisons. De la place ou nous etions, je n'en pouvais apercevoir que le sommet. On nous detacha, et on nous mit a terre. Ce changement de position nous procura un grand soulagement. C'etait un grand bonheur pour nous de pouvoir nous tenir assis; mais ce bonheur ne dura pas longtemps. Nous nous apercumes bientot qu'on ne nous avait tire de la glace que pour nous mettre dans le feu. Il s'agissait simplement de nous retourner. Jusque-la, nous avions ete couches sur le ventre; nous allions etre couches sur le dos. En peu d'instants le changement fut accompli.



Les sauvages nous traitaient avec aussi peu de ceremonie que s'il se fut agi de choses inanimees. Et, en verite, nous ne valions guere mieux. On nous etendit sur le gazon. Autour de chacun de nous, quatre longs piquets formant un parallelogramme etaient enfonces dans le sol. On nous attacha les quatre membres avec des courroies qui furent passees autour des piquets, et tendues de telle sorte que nos jointures en craquaient. Nous etions ainsi, gisant la face en l'air, comme des peaux mises au soleil pour secher. On nous avait disposes sur deux rangs, bout a bout, de telle sorte que la tete de ceux qui etaient en avant se trouvait entre les jambes de ceux qui etaient sur la meme file en arriere. Nous etions six en tout, formant trois couples un peu espaces. Dans cette position, et attaches ainsi, nous ne pouvions faire aucun mouvement. La tete seule jouissait d'un peu de liberte; grace a la flexibilite du cou, nous pouvions voir ce qui se passait a droite, a gauche et devant nous.



Aussitot que notre installation fut terminee, la curiosite me porta a regarder tout autour de moi. Je reconnus que j'occupais l'arriere de la file de droite, et que mon chef de file etait le ci-devant soldat O'Cork. Les Indiens charges de nous garder commencerent par nous depouiller de presque tous nos vetements, puis ils s'eloignerent. Les squaws et les jeunes filles nous entourerent alors. Je remarquai qu'elles se rassemblaient en foule devant moi et formaient un cercle epais autour de l'Irlandais. Leurs gestes grotesques, leurs exclamations etranges et l'expression d'etonnement de leur physionomie me frapperent.

 



-

Ta-yah! Ta-yah!

– criaient-elles, accompagnant ces exclamations debruyants eclats de rire.



Qu'est-ce que cela pouvait signifier! Barney etait evidemment le sujet de leur gaiete. Mais qu'y avait-il de si extraordinaire en lui de plus qu'en nous autres? Je levai la tete pour savoir de qui il s'agissait; je compris tout immediatement. Un des Indiens, avant de partir, avait pris le bonnet de l'Irlandais, dont la petite tete rouge restait exposee a tous les yeux. C'etait cette tete, placee entre mes deux pieds, qui, semblable a une boule lumineuse, avait attire l'attention de toutes les femmes. Peu a peu les squaws s'approcherent jusqu'a ce qu'elles fussent entassees en cercle epais autour du corps de mon camarade. Enfin, l'une d'elles se baissa et toucha la tete, puis retira brusquement sa main, comme si elle se fut brulee. Ce geste provoqua de nouveaux eclats de rire, et bientot toutes les femmes du village furent reunies autour de l'Irlandais, se poussant, se bousculant, pour voir de plus pres.



On ne s'occupa d'aucun de nous; seulement on nous foulait aux pieds sans aucun egard. Une demi-douzaine de squaws fort lourdes se servaient de mes jambes comme de marchepied, pour mieux voir par-dessus les epaules des autres. Comme la vue n'etait pas interceptee par un grand nombre de jupes, j'apercevais encore la tete de l'Irlandais qui brillait comme un meteore au milieu d'une foret de jambes. Les Squaws devinrent de moins en moins reservees dans leurs attouchements, et, prenant des cheveux brin a brin, elles cherchaient a les arracher en riant comme des folles. Je n'etais a coup sur ni en position, ni en disposition de m'egayer, mais il y avait dans le derriere de la tete de Barney une telle expression de resignation patiente, qu'elle eut deride un fossoyeur. Sanchez et les autres riaient aux larmes. Pendant assez longtemps notre camarade endura le traitement en silence, mais enfin la douleur l'emporta sur la patience, et il commenca a parler tout haut.



– Allons, allons, les filles, dit-il d'un ton de priere peu degage, ca vous amuse, n'est-ce pas? Est-ce que vous n'aviez jamais vu des cheveux rouges auparavant?



Les squaws, en entendant ces mots, qu'elles ne comprirent naturellement pas, se mirent a rire de plus belle, decouvrant leurs dents blanches.



– Vraiment, si je vous avais avec moi dans mon vieux manoir d'O'Cork, je pourrais vous en montrer des quantites a vous rendre contentes pour toute votre vie. Allons donc, otez-vous de dessus moi! vous me trepignez les jambes a me broyer les os! Aie! Ne me tirez pas comme ca! Sainte Mere! voulez-vous me laisser tranquille? Que le diable vous envoie toutes ses… Aie!



Le ton duquel furent prononces ces derniers mots montrait que O'Cork etait sorti de son caractere, mais cela ne fit qu'augmenter l'activite de celles qui le tourmentaient, et leur gaiete ne connut plus de bornes. Elles se mirent a l'epiler avec plus d'acharnement que jamais, criant toujours; de telle sorte que les maledictions incessantes de O'Cork n'arrivaient plus a mes oreilles que par bouffees:



-Mere de Moise!.. Seigneur mon Dieu!.. Sainte Vierge!.. et autres exclamations.



La scene dura ainsi pendant quelques minutes; puis, tout a coup, il y eut un arret; les femmes se consulterent, preparant sans doute quelque nouveau tour. Plusieurs jeunes filles furent envoyees vers les maisons, et revinrent avec une large olla et un autre vase plus petit. Que pretendaient-elles faire? Nous ne fumes pas longtemps sans le savoir. L'olla fut remplie d'eau a la riviere, et l'autre vase place pres de la tete de Barney. Ce dernier contenait du savon de yucca, en usage parmi les Mexicains du Nord. Les femmes se proposaient de laver a fond les cheveux pour en faire partir le rouge.



Les lanieres qui attachaient les bras de l'Irlandais furent relachees, afin qu'il put etre mis sur son seant; on lui couvrit les cheveux d'un emplatre de savon: deux squaws robustes le prirent chacun par une epaule, puis, imbibant d'eau des bouchons de fibres d'ecorce, elles se mirent a frotter vigoureusement. Cette operation parut etre tres-peu du gout de Barney, qui se prit a hurler et a remuer la tete dans tous les sens, pour y echapper. Vains efforts. Une des squaws lui saisit la tete entre ses deux mains et la tint ferme, tandis que l'autre, puisant de l'eau fraiche, le savonna plus energiquement que jamais. Les Indiennes hurlaient et dansaient tout autour; au milieu de tout ce bruit, j'entendais Barney eternuer et crier d'une voix etouffee:



– Sainte mere de Dieu!.. htch-tch! vous frotterez bien… tch-itch!.. jusqu'a, enlever la… p-tch! peau, sans que… tch-iteh! Ca s'en aille. Je vous dis… itch-tch! que c'est leur couleur!.. ca n… ich-tch! ca ne s'en ira p… itch-tch! pas… atch-itch hitch!



Mais les protestations du pauvre diable ne servaient a rien. Le frottage et le savonnage allerent leur train pendant dix minutes au moins. Puis on souleva la grande olla, et on en versa tout le contenu sur la tete et sur les epaules du patient.



Quel fut l'etonnement des femmes, lorsqu'elles s'apercurent qu'au lieu de disparaitre, la couleur rouge etait devenue, s'il etait possible, plus eclatante et plus vive que jamais. Une autre olla pleine d'eau fut videe en maniere de douche sur les oreilles du pauvre Irlandais; mais rien n'y faisait. Barney n'avait pas ete si bien debarbouille depuis longtemps, et il ne serait pas sorti mieux lave des mains d'un regiment de barbiers.



Quand les squaws virent que la teinture resistait a tous leurs efforts, elles abandonnerent la partie, et notre camarade fut replace sur le dos. Son lit n'etait plus aussi sec qu'auparavant, ni le mien non plus, car l'eau avait imbibe la terre tout autour, et nous etions tous couches dans la boue. Mais c'etait un leger inconvenient au milieu de tout ce que nous avions a supporter. Longtemps encore les femmes et les enfants des Indiens resterent autour de nous, chacun d'eux examinant curieusement la tete de notre camarade. Nous eumes notre part de leur curiosite; mais O'Cork etait l'

elephant

 de la menagerie. Les Indiennes avaient vu des cheveux semblables aux notres sur la tete de leurs captives mexicaines; mais, sans aucun doute, Barney etait le premier rouge qui eut penetre jusque-la dans la vallee des Navajoes. La nuit vint enfin; les squaws retournerent au village, nous laissant a la garde de sentinelles qui ne nous quitterent pas de l'oeil jusqu'au lendemain matin.



L

EMERVEILLEMENT DES NATURELS

Jusque-la nous etions demeures dans une complete ignorance du sort qui nous etait reserve. Mais d'apres tout ce que nous avions entendu dire des sauvages, et d'apres notre propre experience, nous nous attendions a de cruelles tortures. Sanchez, qui connaissait un peu la langue, ne nous laissa, au surplus, aucun doute a cet egard. Au milieu des conversations des femmes, il avait saisi quelques mots qui l'avaient instruit de ce qu'on nous destinait. Quand elles furent parties, il nous fit part du programme, d'apres ce qu'il avait pu comprendre.



– Demain, dit-il, ils vont danser la

mamanchic

, la grande danse de Moctezuma. C'est la fete des femmes et des enfants. Apres-demain, il y aura un grand tournoi dans lequel les guerriers montreront leur adresse a l'arc, a la lutte et a l'equitation. S'ils veulent me laisser faire, je leur montrerai quelque chose en fait de voltige.



Sanchez n'etait pas seulement un torero de premiere force, il avait passe ses jeunes annees dans un cirque, et, nous le savions tous, c'etait un admirable ecuyer.



– Le troisieme jour, continua-t-il, nous ferons la course des massues; vous savez ce que c'est?



Nous en avions tous entendu parler.



– Et le quatrieme?



– Oui, le quatrieme!



– 

On nous fera rotir

.



Cette brusque declaration nous aurait emus davantage si l'idee eut ete nouvelle pour nous. Mais, depuis notre capture, nous avions considere ce denoument comme un des plus probables. Nous savions bien que si l'on nous avait laisse la vie sauve a la mine, ce n'etait pas pour nous reserver une mort plus douce; nous savions aussi que les sauvages ne faisaient jamais des hommes prisonniers pour les garder vivants. Rube constituait une rare exception, son histoire etait des plus extraordinaire, et il n'avait echappe qu'a force de ruse.



– Leur dieu, continua Sanchez, est celui des Mexicains Azteques; ces tribus sont de la meme race, croit-on; je suis assez ignorant sur ces matieres, mais j'ai entendu des gens dire cela. Ce dieu porte un nom diablement dur a prononcer.

Carrai!

 je ne m'en souviens plus.



– Quetzalcoatl?



– 

Caval!

 c'est bien ca.

Pues, senores

, c'est un dieu du feu, tres-grand amateur de chair humaine, qu'il prefere rotie, a ce que disent ses adorateurs. C'est pour ca qu'on nous fera rotir. Ca sera pour lui etre agreable, et en meme temps pour se faire plaisir a eux-memes.

Dos pajaros a un golpe

 (deux oiseaux avec une seule pierre).

19

19



Two birds with one stone

, proverbe anglais qui correspond a:

d'une pierre deux coup

.





Il n'etait pas seulement probable, mais tout a fait certain que nous serions traites ainsi; et la-dessus, nous nous endormimes n'ayant rien de mieux a faire. Le lendemain matin, nous vimes tous les Indiens occupes a se peindre le corps et a faire leur toilette. Puis la fameuse danse, la

mamanchic

 commenca.



Cette ceremonie eut lieu sur la prairie, a quelque distance en avant de la facade du temple. Prealablement on nous avait detaches de nos piquets et on nous avait conduits sur le theatre de la fete, afin que nous pussions voir la nation dans toute sa gloire. Nous etions toujours garrottes, mais nos liens nous laissaient la liberte de nous tenir assis. C'etait un grand adoucissement, et ce changement de position nous causa plus de plaisir que la vue du spectacle.



C'est a peine si je pourrais decrire cette danse quand bien meme je l'aurais regardee, et je ne la regardai point. Comme Sanchez nous l'avait dit, elle etait executee par les femmes de la tribu seulement. Des processions de jeunes filles, dans des costumes gais et fantastiques, portant des guirlandes de fleurs, marchaient en rond et dessinaient toutes sortes de figures. Un guerrier et une jeune fille places sur une plate-forme elevee representaient Moctezuma et la reine; autour d'eux s'executaient les danses et les chants. La ceremonie se terminait par une prosternation en demi-cercle devant le trone qui etait occupe, a ce que je vis, par Dacoma et Adele. Celle-ei me parut triste.



– Pauvre Seguin! pensai-je; elle n'a plus personne pour la proteger a present. Son pretendu pere, le chef-medecin, lui etait peut-etre attache; il n'est plus la non plus, et…



Je cessai bientot de penser a Adele; d'autres sujets d'alarmes plus vives vinrent m'assaillir. Mon ame, aussi bien que mes yeux, se portait du cote du temple que nous pouvions apercevoir de l'endroit ou on nous avait places. Nous en etions trop loin pour reconnaitre les traits de femmes blanches qui garnissaient les terrasses.

Elle

 etait la sans doute, mais je ne pouvais la distinguer des autres. Peut-etre valait-il mieux qu'il en fut ainsi. C'est ce que je pensai alors.



Un Indien etait au milieu d'elles. J'avais deja vu Dacoma, avant le commencement de la danse, paradant fierement devant elles dans tout l'eclat de sa robe royale. Ce chef, au dire de Rube, etait brave, mais brutal et licencieux; mon coeur etait douloureusement oppresse, quand on nous reconduisit a la place que nous occupions auparavant. Les sauvages passerent en festins la plus grande partie de la nuit suivante; il n'en fut pas de meme pour nous. On nous fournissait a peine la nourriture suffisante, nous souffrions beaucoup de la soif; nos gardiens se decidaient difficilement a se deranger pour nous donner de l'eau, bien que la riviere coulat a nos pieds.



Le jour revint et le festin recommenca. De nouveaux bestiaux furent sacrifies et d'enormes quartiers de viandes accroches au-dessus des flammes. Des le matin, les guerriers s'equiperent, sans revetir cependant le costume de guerre, et le tournoi commenca. On nous conduisit encore sur le theatre des jeux, mais on nous placa plus loin dans la prairie. Je voyais distinctement sur la terrasse du temple les blancs vetements des captives. Le temple etait leur demeure. Sanchez l'avait entendu dire par les Indiens qui causaient entre eux: et il me l'avait repete. Elles devaient y rester jusqu'au cinquieme jour, lendemain de notre sacrifice. Puis le chef en choisirait une pour lui, et les autres devraient etre tirees au sort par les guerriers! Oh! ces heures furent cruelles a passer.

 



Quelquefois, je desirais la revoir une fois encore avant de mourir; puis la reflexion me soufflait qu'il vaudrait mieux ne plus nous rencontrer. La connaissance de mon malheureux destin ne pourrait qu'augmenter l'amertume de ses douleurs. Oh! ces heures furent cruelles! Je me mis a regarder le carrousel des sauvages. Il y avait des passes d'armes et des exercices d'equitation. Des hommes couraient au galop avec un seul pied sur le cheval, et dans cette position lancaient la javeline ou la fleche droit au but. D'autres executaient la voltige sur des chevaux lances a fond de train, et sautaient de l'un sur l'autre. Ceux-ci sautaient a bas de la selle au milieu d'une course rapid