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Les chasseurs de chevelures

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– Vous n'etes qu'une brute sans courage, avec tous vos airs matamores, continua-t-il se tournant vers Kirker et le regardant dans le blanc des yeux. Remettez ce couteau tout de suite! Ou, par le Dieu vivant! je vous envoie la balle de ce pistolet a travers le coeur!

Seguin avait tire son pistolet, se tenant pret a executer sa menace. Il semblait qu'il eut grandi; son oeil dilate, brillant et terrible, fit reculer cet homme qui se vit mort, s'il desobeissait; et, avec un sourd rugissement, il remit son couteau dans la gaine.

Mais la revolte n'etait pas encore apaisee. Ces hommes ne se laissaient pas dompter si facilement. Des exclamations furieuses se firent entendre, et les mutins chercherent a s'encourager l'un l'autre par leurs cris.

Je m'etais place a cote du chef avec mes revolvers armes, pret a faire feu et resolu a le soutenir jusqu'a la mort. Beaucoup d'autres avaient fait comme moi, et, parmi eux, Rube, Garey, Sanchez le torero et le Maricopa. Les deux partis en presence etaient a peu pres egaux en nombre, et si nous en etions venus aux mains, le combat eut ete terrible; mais, juste a ce moment, quelque chose apparut dans le lointain qui calma nos fureurs intestines: c'etait l'ennemi commun. Tout a l'extremite occidentale de la vallee, nous apercumes des formes noires, par centaines, accourant a travers la plaine. Bien qu'elles fussent encore a une grande distance, les yeux exerces des chasseurs les reconnurent au premier regard; c'etaient des cavaliers; c'etaient des Indiens; c'etaient les Navajoes lances a notre poursuite. Ils arrivaient a plein galop, et se precipitaient a travers la prairie comme des chiens de chasse lances sur une piste. En un instant, ils allaient etre sur nous.

– La-bas! cria Seguin: la-bas, voila des scalps de quoi vous satisfaire; mais prenez garde aux votres. Allons, a cheval! En avant l'atajo! je vous tiendrai parole. A cheval, braves compagnons! a cheval!

Les derniers mots furent prononces d'un ton conciliant. Mais il n'y avait pas besoin de cela pour activer les mouvements des chasseurs. L'imminence du danger suffisait. Ils auraient pu sans doute soutenir l'attaque a l'abri des maisons, mais seulement jusqu'au retour du gros de la tribu, et ils sentaient bien que c'en etait fait de leur vie, s'ils etaient atteints. Rester dans la ville eut ete folie et personne n'y pensa. En un clin d'oeil nous etions tous en selle; l'atajo, charge des captifs et des provisions, se dirigeait en toute hate vers les bois. Nous nous proposions de traverser le defile qui ouvrait du cote de l'est, puisque notre retraite etait coupee par les cavaliers, venant de l'autre cote. Seguin avait pris la tete et conduisait la mule sur laquelle sa fille etait montee. Les autres suivaient, galopant a travers la plaine sans rang et sans ordre. Je fus des derniers a quitter la ville. J'etais reste en arriere avec intention, craignant quelque mauvais coup et determine a l'empecher si je pouvais.

– Enfin, pensai-je, ils sont tous partis!

Et enfoncant mes eperons dans les flancs de mon cheval, je m'elancai apres les autres.

Quand j'eus galope jusqu'a environ cent yards des murs, un cri terrible retentit derriere moi; j'arretai mon cheval et me retournai sur ma selle pour voir ce que c'etait. Un autre cri plus terrible et plus sauvage encore m'indiqua l'endroit d'ou etait parti le premier. Sur le toit le plus eleve du temple, deux hommes se debattaient. Je les reconnus au premier coup d'oeil; je vis aussi que c'etait une lutte a mort. L'un des deux hommes etait le chef-medecin que je reconnus a ses cheveux blancs; la blouse etroite, les jambieres, les chevilles nues, le bonnet enfonce de son antagoniste me le firent facilement reconnaitre. C'etait le trappeur essorille. Le combat fut court. Je ne l'avais pas vu commencer, mais je vis le denoument. Au moment ou je me retournais, le trappeur avait accule son adversaire contre le parapet et de son bras long et musculeux il le forcait a se pencher par-dessus le bord; de l'autre main, il brandissait son couteau. La lame brilla et disparut dans le corps; un flot rouge coula sur les vetements de l'Indien; ses bras se detendirent; son corps, plie en deux sur le bord du parapet, se balanca un moment et tomba avec un bruit sourd sur la terrasse au-dessous. Le meme hurlement sauvage retentit encore une fois a mes oreilles, et le chasseur disparut du toit. Je me retournai pour reprendre ma route. Je pensai qu'il s'agissait du payement de quelque dette ancienne, de quelque terrible revanche. Le bruit d'un cheval lance au galop se fit entendre derriere moi, un cavalier me suivait. Je n'eus pas besoin de me retourner pour comprendre que c'etait le trappeur.

– Prete rendu, c'est legitime, dit-on. C'est, ma foi, une belle chevelure tout de meme. – Wagh! ca ne peut pas me payer ni me remplacer la mienne; mais c'est egal, ca fait toujours plaisir.

Je me retournai pour comprendre la signification de ce discours. Ce que je vis suffit pour m'eclairer. Quelque chose pendait a la ceinture du vieux trappeur: on eut dit un echeveau de lin blanc comme la neige, mais ce n'etait pas cela; c'etait une chevelure, c'etait un scalp. Des gouttes de sang coulaient le long des fils argentes et, en travers, au milieu, on voyait une large bande rouge. C'etait la place ou le trappeur avait essuye son couteau!

XXXIX
COMBAT DANS LE DEFILE

Arrives au bois, nous suivimes le chemin des Indiens, en remontant le courant. Nous allions aussi vite que l'atajo le permettait. Apres une course de cinq milles, nous atteignimes l'extremite orientale de la vallee. La les sierras se rapprochent, entrent dans la riviere et forment un canon. C'est une porte gigantesque semblable a celle que nous avions traversee en entrant dans la vallee par l'ouest, et d'un aspect plus effrayant encore. Il n'y avait de route ni d'un cote ni de l'autre de la riviere; en cela ce canon differait du premier. La vallee etait encaissee par des rochers a pic, et il n'y avait pas d'autre chemin que le lit meme de la riviere. Celle-ci etait peu profonde; mais dans les moments de grandes eaux, elle se transformait en torrent, et alors la vallee devenait inaccessible par l'est. Cela arrivait rarement dans ces regions sans pluies.

Nous penetrames dans le canon sans nous arreter, galopant sur les cailloux, contournant les roches enormes qui gisaient au milieu. Au-dessus de nous s'elevaient a plus de mille pieds de hauteur, des rochers menacants qui, parfois, s'avancaient jusqu'au-dessus du courant; des pins noueux, qui avaient pris racine dans les fentes, pendaient en dessous; des masses informes de cactus et de mezcals grimpaient le long des fissures, et ajoutaient a l'aspect sauvage du site par leur feuillage sombre, mais pittoresque. L'ombre projetee des roches surplombantes rendait le defile tres-sombre. L'obscurite etait augmentee encore par les nuages orageux qui descendaient jusqu'au-dessous des cimes. De temps en temps, un eclair dechirait la nue et se reflechissait dans l'eau a nos pieds. Les coups de tonnerre, brefs, secs, retentissaient dans la ravine, mais il ne pleuvait pas encore. Nous avancions en toute hate a travers l'eau peu profonde, suivant notre guide. Quelques endroits n'etaient pas sans dangers, car le courant avait une tres-grande force aux angles des rochers, et son impetuosite faisait perdre pied a nos chevaux; mais nous n'avions pas le choix de la route, et nous traversions pressant nos animaux de la voix et de l'eperon. Apres avoir marche ainsi pendant plusieurs centaines de yards, nous atteignimes l'entree du canon et gravimes les bords.

– Maintenant, cap'n, cria le guide, retenant les renes, et montrant l'entree, voila la place ou nous devons faire halte. Nous pouvons les retenir ici assez longtemps pour les degouter du passage: voila ce que nous pouvons faire.

– Vous etes sur qu'il n'y a point d'autre passage que celui-ci pour sortir?

– Pas meme un trou a faire passer un chat; a moins qu'ils ne fassent le tour par l'autre bout; et ca leur prendrait, pour sur, au moins deux jours.

– Il faut defendre ce passage, alors. Pied a terre, compagnons!

Placez-vous derriere les rochers.

– Si vous voulez m'en croire, cap'n, vous enverrez les mules et les femmes en avant avec un detachement pour les garder; ca ne galope pas bien, ces betes-la. Et il faudra se demener de la tete et de la queue quand nous aurons a deguerpir d'ici; s'ils partent maintenant nous les rattraperons aisement de l'autre cote sur la prairie.

– Vous avez raison, Rube; nous ne pourrons pas tenir bien longtemps ici: nos munitions s'epuiseront. Il faut qu'ils aillent en avant. Cette montagne est-elle dans la direction de notre route, pensez-vous?

Seguin, en disant cela, montrait un pic couvert de neiges, qui dominait la plaine au loin a l'est.

– Le chemin que nous devons suivre pour gagner la vieille Mine passe tout aupres, cap'n. Au sud-est de cette neige, il y a un passage; c'est par la que je me suis sauve.

– Tres-bien; le detachement se dirigera sur cette montagne. Je vais donner l'ordre du depart tout de suite.

Vingt hommes environ, ceux qui avaient les plus mauvais chevaux, furent choisis dans la troupe. On leur confia la garde de l'atajo et des captifs, et ils se dirigerent immediatement vers la montagne neigeuse. El-Sol s'en alla avec ce detachement, se chargeant particulierement de eiller sur Dacoma et sur la fille de notre chef. Nous autres tous, nous nous preparames a defendre le defile. Les chevaux furent attaches dans une gorge, et nous primes position de maniere a commander l'embouchure du canon avec nos fusils. Nous attendions en silence l'approche de l'ennemi.

Nous n'avions encore entendu aucun cri de guerre; mais nous savions que ceux qui nous poursuivaient ne devaient pas etre loin, et, agenouilles derriere les rochers, nous tendions nos regards a travers les tenebres de la sombre ravine. Il est difficile de donner avec la plume une idee plus exacte de notre position. Le lieu que nous avions choisi pour etablir notre ligne de defense etait unique dans sa disposition, et il n'est pas aise de le decrire. Cependant je ne puis me dispenser de faire connaitre quelques-uns des caracteres particuliers du site, pour l'intelligence de ce qui va suivre.

 

La riviere, apres avoir decrit de nombreux detours en suivant un canal sinueux et peu profond, entrait dans le canon par une vaste ouverture semblable a une porte bordee de deux piliers gigantesques. L'un de ces piliers etait forme par l'extremite escarpee de la chaine granitique; l'autre etait une masse detachee de roches stratifiees. Apres cette ouverture, le canal s'elargissait jusqu'a environ cent yards; son lit etait seme de roches enormes et de monceaux d'arbres a demi submerges. Un peu plus loin, les montagnes se rapprochaient si pres, que deux cavaliers de front, pouvaient a peine passer; plus loin, le canal s'elargissait de nouveau, et le lit de la riviere etait encore rempli de rochers, enormes fragments qui s'etaient detaches des montagnes et avaient roule la. La place que nous avions choisie etait au milieu des rochers et des troncs d'arbres, en dedans du canon, et au-dessous de la grande ouverture qui en fermait l'entree en venant du dehors. La necessite nous avait fait prendre cette position; c'etait la seule ou la rive presentat une pente et un chemin en communication avec le pays ouvert, par ou nos ennemis pouvaient nous prendre en flanc si nous les laissions arriver jusque-la. Il fallait, a tout prix, empecher cela; nous nous placames donc de maniere a defendre l'etroit passage qui formait le second etranglement du canal. Nous savions que, au dela de ce point, les rochers a pic arrivaient des deux cotes jusque dans l'eau, et qu'il etait impossible de les gravir. Si nous pouvions leur interdire l'acces du bord incline, il ne leur serait pas possible d'avancer plus loin. Ils n'auraient plus des lors d'autre ressource que de nous prendre en flanc, en retournant par la vallee et en faisant le tour par le defile de l'ouest, ce qui necessitait une course de cinquante milles au moins. En tout cas, nous pouvions les tenir en echec jusqu'a ce que l'atajo eut gagne une bonne avance; et alors, montant a cheval, forcer de vitesse pour les rattraper pendant la nuit. Nous savions bien qu'il nous faudrait, a la fin, abandonner la defense, faute de munitions, et nous n'en avions pas pour bien longtemps.

Au commandement de notre chef, nous nous etions jetes au milieu des rochers. Le tonnerre grondait au-dessus de nos tetes et le bruit se repercutait dans le canon. De noirs nuages roulaient sur le precipice, dechires de temps en temps par les eclairs. De larges gouttes commencaient a tomber sur les pierres. Comme Seguin me l'avait dit, la pluie, le tonnerre et les eclairs sont des phenomenes rares dans ces regions; mais, lorsqu'ils s'y produisent, c'est avec la violence qui caracterise les tempetes des tropiques. Les elements, sortant de leur tranquillite ordinaire, se livrent a de terribles batailles. L'electricite longtemps amassee, rompt son equilibre, semble vouloir tout ravager et substituer un nouveau chaos aux harmonies de la nature. L'oeil du geognosiste, en observant les traits de cette terre elevee, ne peut se tromper sur les caracteres de ses variations atmospheriques. Les effrayants canons, les profondes ravines, les rives irregulieres des cours d'eau, leurs lits creuses a pic, tout demontre que c'est un pays a inondations subites. Au loin, a l'est, en amont de la riviere, nous voyions le tempete dechainee dans toute sa fureur. Les montagnes, de ce cote, etaient completement voilees; d'epais nuages de pluie les couvraient, et nous entendions le bruit sourd de l'eau tombant a flots. Nous ne pouvions manquer d'etre bientot atteints.

– Qu'est-ce qui les arrete donc? demanda une voix.

Ceux qui nous poursuivaient avaient eu le temps d'arriver. Ce retard etait inexplicable.

– Dieu seul le sait! repondit un autre. Je suppose qu'ils ont fait halte a la ville pour se badigeonner a neuf.

– Eh bien, leurs peintures seront lavees, c'est sur. Prenez garde a vos amorces, vous autres, entendez-vous?

– Par le diable! il va en tomber une, d'ondee!

– C'est ce qu'il nous faut, garcons! Hourra pour la pluie! cria le vieux

Rube.

– Pourquoi? Est-ce que tu eprouves le besoin d'etre trempe, vieux fourreau de cuir?

– C'est justement ce que l'Enfant desire.

– Eh bien, pas moi. Je voudrais bien savoir quel tant besoin tu as d'etre mouille. Est-ce que tu veux mettre ta vieille carcasse a la lessive?

– S'il pleut pendant deux heures, voyez-vous, continua Rube sans prendre garde a cette plaisanterie, nous n'aurons plus besoin de rester ici, voyez-vous!

– Et pourquoi cela, Rube? demanda Seguin avec interet.

– Pourquoi, cap'n? repondit le guide: J'ai vu un orage faire de cette gorge un endroit dans lequel ni vous ni personne n'auriez voulu vous aventurer. Hourra! le voici qui vient pour sur, le voici! hourra!

Comme le trappeur prononcait ces derniers mots, un gros nuage noir arrivait de l'est en roulant et enveloppait de ses replis gigantesques tout le defile; les eclairs dechiraient ses flancs et le tonnerre retentissait avec violence. La pluie, des lors, se mit a tomber, non pas en gouttes, mais selon les voeux du chasseur, a pleins torrents. Les hommes s'empresserent de couvrir les batteries de leurs fusils avec le pan de leurs blouses, et resterent silencieux sous les assauts de la tempete. Un autre bruit, que nous entendimes entre les piliers, attira notre attention. Ce bruit ressemblait a celui d'un train de voitures passant sur une route de gravier. C'etait le pietinement des chevaux sur le lit de galets du canon. Les Navajoes approchaient. Tout a coup le bruit cessa. Ils avaient fait halte. Dans quel dessein? Sans doute pour reconnaitre. Cette hypothese se verifia: peu d'instants apres, quelque chose de rouge se montra au-dessus d'une roche eloignee. C'etait le front d'un Indien, recouvert de sa couche de vermillon. Il etait hors de portee du fusil, et les chasseurs le suivirent de l'oeil sans bouger. Bientot un autre parut, puis un autre, puis, enfin, un grand nombre de formes noires se glisserent de roche en roche, s'avancant ainsi a travers le canon. Ils avaient mis pied a terre et s'approchaient silencieusement.

Nos figures etaient cachees par le varech qui couvrait les rochers, et les Indiens ne nous avaient pas encore apercus. Il etait evident qu'ils etaient dans le doute sur la question de savoir si nous avions marche en avant, et leur avant-garde poussait une reconnaissance. En peu de temps, le plus avance, tantot sautant, tantot courant, etait arrive a la place ou le canon se resserrait le plus. Il y avait un gros rocher pres de ce point, et le haut de la tete de l'Indien se montra un instant au-dessus. Au meme moment, une demi-douzaine de coups de feu partirent: la tete disparut, et, l'instant d'apres, nous vimes le bras brun du sauvage etendu la paume en l'air. Les messagers de mort etaient alles a leur adresse. Nos ennemis avaient des lors, en perdant un des leurs, il est vrai, acquis la certitude de notre presence et decouvert notre position. L'avant-garde battit en retraite avec les memes precautions qu'elle avait prises pour s'avancer. Les hommes qui avaient tire rechargerent leurs armes, et se remettant a genoux, se tinrent l'oeil en arret et le fusil arme. Un long intervalle de temps s'ecoula avant que nous entendissions rien du cote de l'ennemi, qui, sans doute, etait en train de debattre un plan d'attaque. Il n'y avait pour eux qu'un moyen de venir a bout de nous, c'etait d'executer une charge par le canon, et de nous attaquer corps a corps. En faisant ainsi, ils avaient la chance de n'essuyer que la premiere decharge et d'arriver sur nous avant que nous eussions le temps de recharger nos armes. Comme ils avaient de beaucoup l'avantage du nombre, il leur deviendrait facile de gagner la bataille au moyen de leurs longues lances.

Nous comprenions fort bien tout cela, mais nous savions aussi qu'une premiere decharge, quand elle est bien dirigee, a pour effet certain d'arreter court une troupe d'Indiens, et nous comptions la-dessus pour notre salut. Nous etions convenus de tirer par pelotons, afin de nous menager une seconde volee si les Indiens ne battaient pas en retraite a la premiere. Pendant pres d'une heure, les chasseurs resterent accroupis sous une pluie battante, ne s'occupant que de tenir a l'abri les batteries de leurs fusils. L'eau commencait a couler en ruisseaux plus rapides entre les galets et a tourbillonner autour des roches. Elle remplissait le large canal dans lequel nous etions et nous montait jusqu'a la cheville. Au-dessus et au-dessous, le courant resserre dans les etranglements du canal courait avec une impetuosite croissante. Le soleil s'etait couche, ou du moins avait disparu, et la ravine ou nous nous trouvions etait completement obscure. Nous attendions avec impatience que l'ennemi se montrat de nouveau.

– Ils sont peut-etre partis pour faire le tour? suggera un des hommes.

– Non! ils attendront jusqu'a la nuit; alors seulement ils attaqueront.

– Laissez-les attendre, alors, si ca leur plait, murmura Rube. Encore une demi-heure et ca ira bien; ou c'est que l'Enfant ne comprend plus rien aux apparences du temps.

– St! st! firent plusieurs hommes, les voici! ils viennent!

Tous les regards se tendirent vers le passage. Des formes noires, en foule, se montraient a distance, remplissant tout le lit de la riviere. C'etaient les Indiens a cheval. Nous comprimes qu'ils voulaient executer une charge. Leurs mouvements nous confirmerent dans cette idee. Ils s'etaient formes en deux corps, et tenaient leurs arcs prets a lancer une grele de fleches au moment ou ils prendraient le galop.

– Garde a vous, garcons! cria Rube, voila le moment de bien se tenir; attention a viser juste, et a taper dur, entendez-vous!

Le trappeur n'avait pas acheve de parler qu'un hurlement terrible eclata, pousse par deux cents voix reunies. C'etait le cri de guerre des Navajoes. A ces cris menacants, les chasseurs repondirent par de retentissantes acclamations, au milieu desquelles se faisaient entendre les sauvages hurlements de leurs allies Delawares et Shawnies. Les Indiens s'arreterent un moment derriere l'etranglement du canon, jusqu'a ce que ceux qui etaient en arriere les eussent rejoints. Puis, poussant de nouveau leur cri de guerre, ils se precipiterent en avant vers l'etroite ouverture. Leur charge fut si soudaine, que plusieurs l'avaient depassee avant qu'un coup de feu eut ete tire. Puis on entendit le bruit des coups de fusil, la petarade des rifles et les detonations plus fortes des tromblons espagnols, meles aux sifflements des fleches indiennes. Les clameurs d'encouragement et de defi se croisaient; au milieu du bruit l'on distinguait les sourdes imprecations de ceux qu'avait atteints la balle ou la fleche empoisonnee.

Plusieurs Indiens etaient tombes a notre premiere volee, d'autres s'etaient avances jusqu'au lieu de notre embuscade et nous lancaient leurs fleches a la figure. Mais tous nos fusils n'etaient pas decharges, et a chaque detonation nouvelle, nous voyions tomber de sa selle un de nos audacieux ennemis. Le gros de la troupe, retourne derriere les rochers, se reformait pour une nouvelle charge. C'etait le moment le plus dangereux. Nos fusils etaient vides; nous ne pouvions plus les empecher de forcer le passage et d'arriver jusqu'a la plaine ouverte. Je vis Seguin tirer son pistolet et se porter en avant, invitant tous ceux qui avaient une arme semblable a suivre son exemple. Nous nous precipitames sur les traces de notre chef jusqu'a l'embouchure du canon, et la nous attendimes la charge. Notre attente ne fut pas longue; l'ennemi, exaspere par toutes sortes de raisons, etait decide a nous exterminer coute que coute. Nous entendimes encore le terrible cri de guerre, et pendant qu'il resonnait, repercute par mille echos, les sauvages s'elancerent au galop vers l'ouverture.

– Maintenant, a nous! cria une voix. Feu! hourra!

La detonation des cinquante pistolets n'en fit qu'une. Les chevaux qui etaient en avant reculerent et s'abattirent en arriere, se debattant des quatre pieds dans l'etroit passage. Ils tomberent tous a la fois, et barrerent entierement le chenal. D'autres cavaliers arrivaient derriere excitant leurs montures. Plusieurs furent renverses sur les corps amonceles. Leurs chevaux se relevaient pour retomber encore, foulant aux pieds les morts et les vivants. Quelques-uns parvinrent a se frayer un passage et nous attaquerent avec leurs lances. Nous les repoussames a coups de crosses et en vinmes aux mains avec les couteaux et les tomahawks. Le courant refoule par le barrage des cadavres d'hommes et de chevaux, se brisait en ecumant contre les rochers. Nous nous battions dans l'eau jusqu'aux cuisses. Le tonnerre grondait sur nos tetes, et nous etions aveugles par les eclairs. Il semblait que les elements prissent part au combat. Les cris continuaient plus sauvages et plus furieux que jamais. Les jurements sortaient des bouches ecumantes, et les hommes s'etouffaient dans des embrassements qui ne se terminaient que par la mort d'un des combattants. Mais l'eau, en montant, soulevait les corps des chevaux qui, jusque-la, avaient obstrue le passage, et les entrainait au-dela de l'ouverture. Toutes les forces des Indiens allaient nous ecraser. Grand Dieu! ils se reunissent pour une nouvelle charge, et nos fusils sont vides!

 

A ce moment un nouveau bruit frappe nos oreilles. Ce ne sont pas les cris des hommes, ce ne sont pas les detonations des armes a feu; ce ne sont pas les eclats du tonnerre. C'est le mugissement terrible du torrent. Un cri d'alarme se fait entendre derriere nous. Une voix nous appelle: Fuyez, sur votre vie! Au rivage! au rivage! Je me retourne: je vois mes compagnons se precipiter vers la pente abordable, en poussant des cris de terreur. Au meme instant, mes yeux sont attires par une masse qui s'approche. A moins de vingt yards de la place ou je suis, et entrant dans le canon, je vois une montagne noire et ecumante: c'est l'eau, portant sur la crete de ses vagues des arbres deracines et des branches tordues. Il semble que les portes de quelque ecluse gigantesque ont ete brusquement ouvertes, et que le premier flot s'en echappe. Au moment ou mes yeux l'apercoivent, elle se heurte contre les piliers de l'entree du canon avec un bruit semblable a celui du tonnerre; puis recule en mugissant et s'eleve a une hauteur de vingt pieds. Un instant apres, l'eau se precipite a travers l'ouverture. J'entends les cris d'epouvante des Indiens qui font faire volte-face a leurs chevaux et prennent la fuite. Je cours vers le bord, a la suite de mes compagnons. Je suis arrete par le flot qui me monte deja jusqu'aux cuisses; mais, par un effort desespere, je plonge et fends la vague, jusqu'a ce que j'aie atteint un lieu de surete. A peine suis-je parvenu a grimper sur la rive que le torrent passe, roulant, sifflant et bouillonnant. Je m'arrete pour le regarder. D'ou je suis, je puis apercevoir la ravine dans presque toute sa longueur. Les Indiens fuient au grand galop, et je vois les queues des derniers chevaux disparaitre a l'angle du rocher. Les corps des morts et des blesses gisent encore dans le chenal. Il y a parmi eux des chasseurs et des Indiens. Les blesses poussent des clameurs terribles en voyant le flot qui s'avance. Nos camarades nous appellent a leur secours. Mais nous ne pouvons rien faire pour les sauver! Le courant les saisit dans son irresistible tourbillon; ils sont enleves comme des plumes, et emportes avec la rapidite d'un boulet de canon.

– Il y a trois bons compagnons de moins! Wagh!

– Qui sont-ils? demande Seguin; les hommes regardent autour d'eux avec anxiete.

– Il y a un Delaware et le gros Jim Harris. puis…

– Quel est le troisieme qui manque? Personne ne peut-il me le dire?

– Je crois, capitaine, que c'est Kirker.

– C'est Kirker, par l'Eternel! Je l'ai vu tomber, wagh! Ils auront son scalp, c'est certain.

– S'ils peuvent le repecher, ca ne fait pas de doute.

– Ils auront a en repecher plus d'un des leurs, j'ose le dire. C'est un furieux coup de maree, sacr…! Je les ai bien vus courir comme le tonnerre; mais l'eau court vite et ces moricauds passeront un mauvais quart d'heure si elle leur arrive sur le corps avant qu'ils aient gagne l'autre bout!

Pendant que le trappeur parlait, les corps de ses camarades qui se debattaient encore au milieu du flot, etaient emportes a un detour du canon et tourbillonnaient hors de notre vue. Le chenal etait alors rempli par l'eau ecumante et jaunatre qui battait les flancs du rocher et se precipitait en avant. Nous etions pour le moment hors de danger. Le canon etait devenu impraticable, et apres avoir considere quelques instants le torrent, en proie, pour la plupart, a une profonde angoisse, nous fimes volte-face et gagnames l'endroit ou nous avions laisse nos chevaux.