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Les chasseurs de chevelures

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Pendant quelque temps, nous demeurames immobiles sur nos selles, en proie a de singulieres emotions. Pousserions-nous en avant? Sans doute. Il nous fallait arriver a l'eau. Nous mourions de soif. Aiguillonnes par ce besoin, nous partimes a toute bride. A peine avions-nous couru quelques pas, qu'un cri simultane fut pousse par tous les chasseurs. Quelque chose de nouveau, – quelque chose de terrible, – etait devant nous. Pres du pied de la montagne se montrait une ligne de formes sombres, en mouvement: c'etaient des hommes a cheval! Nous arretames court nos chevaux; notre troupe entiere fit halte au meme instant.

– Des Indiens! telle fut l'exclamation generale.

– Il faut que ce soient des Indiens murmura Seguin: il n'y a pas d'autres creatures humaines par ici. Des Indiens! mais non. Jamais il n'y eut d'Indiens semblables a cela. Voyez! ce ne sont pas des hommes! Regardez leurs chevaux monstrueux, leurs enormes fusils: ce sont des geants! Par le ciel! continua-t-il apres un moment d'arret, ils sont sans corps, ce sont des fantomes!

Il y eut des exclamations de terreur parmi les chasseurs places en arriere. Etaient-ce la les habitants de la cite? Il y avait une proportion parfaite entre la taille colossale des chevaux et celle des cavaliers. Pendant un moment, la terreur m'envahit comme les autres; mais cela ne dura qu'un instant. Un souvenir soudain me vint a l'esprit; je me rappelai les montagnes du Hartz et ses demons. Je reconnus que le phenomene que nous avions devant nous devait etre le meme, une illusion d'optique, un effet de mirage. Je levai la main au-dessus de ma tete. Le geant qui etait devant les autres imita le mouvement. Je piquai de l'eperon les flancs de mon cheval et galopai en avant. Il fit de meme, comme s'il fut venu a ma rencontre. Apres quelque temps de galop, j'avais depasse l'angle reflecteur, et l'ombre du geant disparut instantanement dans l'air. La ville aussi avait disparu; mais nous retrouvames les contours de plus d'une forme singuliere dans les grandes roches stratifiees qui bordaient la vallee. Nous ne fumes pas longtemps sans perdre de vue, egalement, les bouquets d'arbres gigantesques. En revanche, nous vimes distinctement au pied de la montagne, non loin de l'ouverture, une ceinture de saules verts et peu eleves, mais des saules reels. Sous leur feuillage, on voyait quelque chose qui brillait au soleil comme des paillettes d'argent, c'etait de l'eau! C'etait un bras du Prieto. Nos chevaux hennirent a cet aspect; un instant apres, nous avions mis pied a terre sur le rivage, et nous etions tous agenouilles aupres du courant.

XXXIV
LA MONTAGNE D'OR

Apres une marche si penible, il etait necessaire de faire une halte plus longue que d'habitude. Nous restames pres de l'arroyo tout le jour et toute la nuit suivante. Mais les chasseurs avaient hate de boire les eaux du Prieto lui-meme; le lendemain matin, nous levames le camp et primes notre direction vers cette riviere. A midi, nous etions sur ses bords. C'etait une singuliere riviere, traversant une region de montagnes mornes, arides et desolees. Le courant s'etait fraye son chemin a travers ces montagnes, y creusant plusieurs canons, et roulait ses flots dans un lit presque partout inaccessible. Elle paraissait noire et sombre. Ou donc etaient les sables d'or? Apres avoir suivi ses bords pendant quelque temps, nous nous arretames a un endroit ou l'on pouvait gagner la rive. Les chasseurs, sans s'occuper d'autre chose, franchirent promptement les rochers et descendirent vers l'eau. C'est a peine s'ils prirent le temps de boire. Ils fouillerent dans les interstices des rochers tombes des hauteurs; ils ramasserent le sable avec leurs mains et se mirent a le laver dans leurs tasses; ils attaquerent les roches quartzeuses a coups de tomahawk et en ecraserent les fragments entre deux grosses pierres. Ils ne trouverent pas une parcelle d'or. Ils avaient pris la riviere trop haut, ou bien l'Eldorado se trouvait encore plus au nord.

Harasses, baignes de sueur, furieux, jurant et grognant, ils obeirent a l'ordre de marcher en avant. Nous suivimes le cours du fleuve et nous nous arretames, pour la nuit, a une autre place ou l'eau etait accessible pour nos animaux. La, les chasseurs chercherent encore de l'or, et n'en trouverent pas plus qu'auparavant. La contree aurifere etait au-dessous, ils n'en doutaient plus. Le chef les avait conduits par le San-Carlos pour les en detourner, craignant que la recherche de l'or ne retardat la marche. Il n'avait nul souci de leurs interets. Il ne pensait qu'au but Particulier qu'il voulait atteindre. Ils s'en retourneraient aussi pauvres qu'ils etaient venus, ca lui etait bien egal. Jamais ils ne retrouveraient une occasion pareille. Tels etaient les murmures entremeles de jurements. Seguin n'entendait rien, ou feignait de ne pas entendre. Il avait un de ces caracteres qui savent tout supporter, jusqu'a ce que le moment favorable pour agir se presente. Il etait naturellement emporte, comme tous les creoles; mais le temps et l'adversite avaient amene son caractere a un calme et a un sang-froid qui convenaient admirablement au chef d'une semblable troupe. Quand il se decidait a agir, il devenait, comme on dit dans l'Ouest, un homme dangereux, et les chasseurs de scalps savaient cela. Pour l'instant, il ne prenait pas garde a leurs murmures.

Longtemps avant le point du jour, nous nous etions remis en selle, et nous nous dirigions vers le haut Prieto. Nous avions remarque des feux a une certaine distance pendant la nuit et nous savions que c'etaient ceux des villages des Apaches. Notre intention etait de traverser leur pays sans etre apercus, et nous devions, quand le jour aurait paru, nous cacher parmi les rochers jusqu'a la nuit suivante. Quand l'aube devint claire, nous fimes halte dans une profonde ravine, et quelques-uns de nous grimperent sur la hauteur pour reconnaitre. Nous vimes la fumee s'elever au-dessus des villages, au loin; mais nous les avions depasses pendant l'obscurite, et, au lieu de rester dans notre cachette, nous continuames notre route a travers une large plaine couverte de sauges et de cactus. De chaque cote les montagnes se dressaient, s'elevant rapidement a partir de la plaine, et affectant ces formes fantastiques qui caracterisent les pics de ces regions. En haut des roches a pic, formant d'effrayants abimes, on decouvrait des plateaux mornes, arides, silencieux. La plaine arrivait jusqu'a la base meme des rochers qui avaient du necessairement etre baignes par les eaux autrefois. C'etait evidemment le lit d'un ancien ocean. Je me rappelai la theorie de Seguin sur les mers interieures. Peu apres le lever du soleil, la direction que nous suivions nous conduisit a une route indienne. La nous traversames la riviere avec l'intention de nous en separer et de marcher a l'est. Nous arretames nos chevaux au milieu de l'eau et les laissames boire a discretion. Quelques-uns des chasseurs qui etaient portes en avant avaient gravi le bord escarpe. Nous fumes attires par des exclamations d'une nature inaccoutumee. En levant les yeux, nous vimes que plusieurs d'entre eux, sur le haut de la cote, montraient le nord avec des gestes tres-animes. Voyaient-ils les Indiens?

– Qu'y a-t-il? cria Seguin, pendant que nous avancions.

– Une montagne d'or; une montagne d'or! Telle fut la reponse.

Nous pressames nos chevaux vers le sommet. Au loin vers le nord, aussi loin que l'oeil pouvait s'etendre, une masse brillante reflechissait les rayons du soleil. C'etait une montagne, et le long de ses flancs, de la base au sommet, la roche avait l'eclat et la couleur de l'or! La reverberation des rayons du soleil sur cette surface nous eblouissait. Etait-ce donc une montagne d'or?

Les chasseurs etaient fous de bonheur! C'etait la montagne dont il avait ete si souvent question autour des feux des bivouacs. Lequel d'entre eux n'en avait pas entendu parler, qu'il y eut cru ou non? Ce n'etait donc pas une fable. La montagne etait la devant eux, dans toute son eclatante splendeur! Je me retournai et regardai Seguin. Il se tenait les yeux baisses; sa physionomie exprimait une vive inquietude. Il comprenait la cause de l'illusion; le Maricopa, Reichter et moi la comprenions aussi. Au Premier coup d'oeil, nous avions reconnu les ecailles brillantes de la selenite. Seguin vit qu'il y avait la une grande difficulte a surmonter. Cette eblouissante hallucination etait tres-loin de notre direction; mais il etait evident que ni menaces ni prieres ne seraient ecoutees. Les hommes etaient tous resolus a aller vers cette montagne. Quelques-uns avaient deja tourne la tete de leurs chevaux de ce cote, et s'avancaient dans cette direction. Seguin leur ordonna de revenir. Une dispute terrible s'ensuivit, et peu apres ce fut une veritable revolte. En vain Seguin fit valoir la necessite d'arriver le plus promptement possible a la ville; en vain il representa le danger que nous courions d'etre surpris par la bande de Dacoma, qui pendant ce temps serait sur nos traces; en vain le chef Coco, le docteur et moi-meme, affirmames a nos compagnons ignorants que ce qu'ils voyaient n'etait que la surface d'un rocher sans valeur. Les hommes s'obstinaient. Cette vue, qui repondait a leurs esperances longtemps caressees, les avait enivres. Ils avaient perdu la raison; ils etaient fous.

– En avant donc! cria Seguin, faisant un effort desespere pour contenir sa fureur. En avant, insenses, suivez votre aveugle passion. Vous payerez cette folie de votre vie!

En disant ces mots, il retourna son cheval et prit sa course vers le phare brillant. Les hommes le suivirent en poussant de joyeuses et sonores acclamations. Apres un long jour de course nous atteignimes la base de la montagne. Les chasseurs se jeterent en bas de cheval et grimperent vers les roches brillantes. Ils les atteignirent; les attaquerent avec leurs tomahawks, leurs crosses de pistolets; les gratterent avec leurs couteaux; enleverent des feuilles de mica et de selenite transparente… puis les jeterent a leurs pieds, honteux et mortifies; l'un apres l'autre ils revinrent dans la plaine, l'air triste et profondement abattus; pas un ne dit mot; ils remonterent a cheval et suivirent leur chef.

 

Nous avions perdu un jour a ce voyage sans profit; mais nous nous consolions en pensant que les Indiens, suivant nos traces, feraient le meme detour. Nous courions maintenant au sud-ouest; mais ayant trouve une source non loin du pied de la montagne, nous y restames toute la nuit. Apres une autre journee de marche au sud-est, Rube reconnut le profil des montagnes. Nous approchions de la grande ville des Navajoes. Cette nuit-la, nous campames pres d'un cours d'eau, un bras du Prieto, qui se dirige vers l'est. Un grand abime entre deux rochers marquait le cours de la riviere au-dessus de nous. Le guide montra cette ouverture, pendant que nous nous avancions vers le lieu de notre halte.

– Qu'est-ce, Rube? demanda Seguin.

– Vous voyez cette gorge en face de vous?

– Oui; qu'est-ce que c'est?

– La ville est la.

XXXV
NAVAJOA

La soiree du jour suivant etait avancee quand nous atteignimes le pied de la sierra, a l'embouchure du canon. Nous ne pouvions pas suivre le bord de l'eau plus loin, car il n'y avait dans le chenal ni sentier ni endroit gueable. Il fallait necessairement franchir l'escarpement qui formait la joue meridionale de l'ouverture. Un chemin fraye a travers des pins chetifs s'offrait a nous, et, sur les pas de notre guide, nous commencames l'ascension de la montagne. Apres avoir gravi pendant une heure environ, en suivant une route effrayante au bord de l'abime. Nous parvinmes a la crete; nos yeux se porterent vers l'est. Nous avions atteint le but de notre voyage. La ville des Navajoes etait devant nous!

– Voila! Mira el pueblo! That's the town! Hourra! S'ecrierent les chasseurs, chacun dans sa langue.

– Oh Dieu! enfin, la voila! murmura Seguin dont les traits exprimaient une emotion profonde; soyez beni! mon Dieu! Halte! camarades, halte!

Nous retinmes les renes, et, immobiles sur nos chevaux fatigues, nous demeurames les yeux tournes vers la plaine. Un magnifique panorama, magnifique sous tous les rapports, s'etalait devant nous; l'interet avec lequel nous le considerions etait encore redouble par les circonstances particulieres qui nous avaient amenes a en jouir. Places a l'extremite occidentale d'une vallee oblongue, nous la voyons se derouler dans toute sa longueur. C'est, non pas une vallee proprement dite, bien qu'elle fut ainsi appelee par les Americains espagnols, mais plutot une plaine entouree de tout cotes par des montagnes. Sa forme est elliptique. Le grand axe, ou diametre des foyers de cette ellipse, peut avoir dix ou douze milles de longueur; le petit axe en a cinq ou six. La surface entiere presente un champ de verdure dont le plan n'est coupe ni de buissons, ni de haies, ni de collines. C'est comme un lac tranquille transforme en emeraude. Une ligne d'argent la traverse dans toute son etendue, en courbes gracieuses, et marque le cours d'une riviere cristalline. Mais les montagnes! Quelles sauvages montagnes! surtout celles qui bordent la vallee au nord. Ce sont des masses de granit amoncelees. Quelles convulsions de la nature doivent avoir preside a leur naissance! Leur aspect presente l'idee d'une planete en proie aux douleurs de l'enfantement. Des rochers enormes sont suspendus, a peine en equilibre, au-dessus de precipices affreux. Il semble que le choc d'une plume suffirait pour occasionner la chute de ces masses gigantesques. D'effrayants abimes montrent dans leurs profondeurs de sombres defiles qu'aucun bruit ne trouble. Ca et la, des arbres noueux, des pins et des cedres, croissent horizontalement et pendent le long des rochers. Les branches hideuses des cactus, le feuillage maladif des buissons de creosote, se montrent dans les fissures, et ajoutent un trait de plus au caractere apre et morne du paysage. Telle est la barriere septentrionale de la vallee. La sierra du midi presente un contraste geologique complet. Pas une roche de granit ne se montre de ce cote. On y voit aussi des rochers amonceles, mais blancs comme la neige. Ce sont des montagnes de quartz laiteux. Elles sont dominees par des pics de formes diverses, nus et brillants; d'enormes masses pendent sur les profonds abimes: les ravins, comme les hauteurs, sont depourvus d'arbres. La vegetation qui s'y montre a tous les caracteres de la desolation. Les deux sierras convergent vers l'extremite orientale de la vallee. Du sommet que nous occupons, et qui se trouve a l'ouest, nous decouvrons tout le tableau. A l'autre bout de la vallee, nous apercevons une place noire au pied de la montagne. Nous reconnaissons une foret de pins, mais elle est trop eloignee pour que nous puissions distinguer les arbres. La riviere semble sortir de cette foret, et, sur ses bords, pres de la lisiere du bois, nous apercevons un ensemble de constructions pyramidales etranges. Ce sont des maisons. C'est la ville de Navajoa!

Nos yeux s'arretent sur cette ville avec une vive curiosite. Nous distinguons le profil des maisons, bien qu'elles soient a pres de dix milles de distance. C'est une etrange architecture. Quelques-unes sont separees des autres, et ont des toits en terrasse, au-dessus desquels nous voyons flotter des bannieres. L'une, grande entre toutes, presente l'apparence d'un temple. Elle est dans la plaine ouverte, hors de la ville, et, au moyen de la lunette, nous apercevons de nombreuses formes qui se meuvent sur son sommet. Ces formes sont des etres humains. Il y en a aussi sur les toits et les parapets des maisons plus petites; nous en voyons beaucoup d'autres, sur la plaine, entre la ville et nous, chassant devant eux des troupes de bestiaux, de mules et de mustangs. Quelques-uns sont sur les bords de la riviere, et nous en apercevons qui plongent dans l'eau. Plusieurs groupes de chevaux, dont les flancs arrondis accusent le bon etat d'entretien, paturent tranquillement dans la prairie. Des troupes de cygnes sauvages, d'oies et de grues bleues suivent en nageant et en voltigeant le courant sinueux de la riviere. Le soleil baisse; les montagnes reflechissent des teintes d'ambre, et les cristaux quartzeux resplendissent sur les pics de la sierra meridionale. La scene est imposante par sa beaute et le silence qui l'environne. Combien de temps s'ecoulera-t-il, pensais-je, avant que ce tableau si calme soit rempli de meurtre et de pillage?

Nous demeurons quelque temps absorbes dans la contemplation de la vallee sans proferer un seul mot. C'est le silence qui precede les resolutions terribles. L'esprit de mes compagnons est agite de pensees et d'emotions diverses, diverses par leur nature et par leur degre de vivacite, et differant autant les unes des autres, que le ciel differe de l'enfer. Quelques-unes de ces emotions sont saintes. Des hommes ont le regard tendu sur la plaine, croyant ou s'imaginant distinguer, a cette distance, les traits d'un etre aime, d'une epouse, d'une soeur, d'une fille, ou peut-etre d'une personne plus tendrement cherie encore. Non; cela ne pouvait etre; nul n'etait plus profondement affecte que le pere cherchant son enfant. De tous les sentiments mis en jeu la, l'amour paternel etait le plus fort. Helas! il y avait des emotions d'une autre nature dans le coeur de ceux qui m'entouraient, des passions terribles et impitoyables. Des regards feroces etaient lances sur la ville; les uns respiraient la vengeance, les autres l'amour du pillage; d'autres encore, vrais regards de demons, la soif du meurtre. On en avait cause a voix basse tout le long de la route, et les hommes decus dans leurs esperances au sujet de l'or, s'entretenaient du prix des chevelures.

Sur l'ordre de Seguin, les chasseurs se retirerent sous les arbres et tinrent precipitamment conseil. Comment devait-on s'y prendre pour s'emparer de la ville? Nous ne pouvions pas approcher en plein jour. Les habitants nous auraient vus longtemps avant que nous eussions franchi la distance, et ils fuiraient vers la foret. Nous perdrions ainsi tout le fruit de notre expedition. Pouvions-nous envoyer un detachement a l'extremite orientale de la vallee pour empecher la fuite? Non pas a travers la plaine du moins, car les montagnes arrivaient jusqu'a son niveau, sans hauteurs intermediaires, et sans defile pres de leurs flancs. A quelques endroits, le rocher s'elevait verticalement a une hauteur de Mille pieds environ. Cette idee fut abandonnee. Pouvions-nous tourner la sierra du sud, et arriver par la foret elle-meme? De cette maniere, nous marchions a couvert jusqu'aupres des maisons. Le guide, interroge, repondit que cela etait possible; mais il fallait faire un detour d'environ 50 milles. Nous n'avions pas le temps, et nous y renoncames.

Le seul plan praticable etait donc de nous approcher de la ville pendant la nuit, ou, du moins, c'etait celui qui presentait le plus de chances de succes. On s'y arreta. Seguin ne voulait pas faire une attaque de nuit, mais seulement entourer les maisons en restant a une certaine distance, et se tenir en embuscade jusqu'au matin. La retraite serait ainsi coupee, et nous serions surs de retrouver nos prisonniers a la lumiere du jour. Les hommes s'etendirent sur le sol, et, le bras passe dans la bride de leurs chevaux, attendirent le coucher du soleil.

XXXVI
L'EMBUSCADE NOCTURNE

Une petite heure se passa ainsi. Le globe brillant disparut derriere nous, et les roches de quartz revetirent une teinte sombre. Les derniers rayons du soleil illuminerent un moment les pics les plus eleves, puis s'eclipserent. La nuit etait venue. Nous descendimes la pente rapide en une longue file et atteignimes la plaine; puis, tournant a gauche, nous suivimes le pied de la montagne. Les rochers nous servaient de guides. Nous avancions avec prudence et parlions a voix basse. La route que nous suivions etait semee de roches detachees, tombees du haut de la montagne. Nous etions obliges de contourner des contre-forts qui s'avancaient jusque dans la plaine. De temps en temps, nous nous arretions pour tenir conseil.

Apres avoir marche ainsi pendant dix a douze milles, nous nous trouvames de l'autre cote de la ville. Nous n'en etions pas a plus d'un mille. Nous apercevions les feux allumes sur la plaine, et nous entendions les voix de ceux qui etaient autour. La, nous divisames la troupe en deux parts. Un petit detachement resta cache dans un defile au milieu des rochers. Ce detachement fut charge de la garde du chef captif et des mules de bagages. Le corps principal se porta en avant, sous la conduite de Rube, et suivit la lisiere de la foret, laissant un poste de distance en distance. Ces postes se cacherent a leurs stations respectives, gardant un profond silence et attendant le signal du clairon, qui devait etre donne au point du jour.

* * * * *

La nuit s'ecoule lente et silencieuse. Les feux s'eteignent l'un apres l'autre, et la plaine reste enveloppee des ombres d'une nuit sans lune. De sombres nuages flottent dans l'air, la pluie menace, phenomene rare dans cette region. Le cygne fait entendre son cri discordant, le gruya pousse sa note cuivree au-dessus de la riviere, le loup hurle sur la lisiere du village endormi. La voix de la chauve-souris geante traverse les airs. On entend le flap-flap de ses grandes ailes quand elle descend en le sol de la prairie resonne sourdement sous les sabots des chevaux, le craquement de l'herbe se mele au tink-ling des anneaux des mors, car les chevaux mangent tout brides. Par moments, un chasseur endormi murmure quelques mots, se debattant en reve contre quelque terrible ennemi. Ainsi la nuit se passe, traversant les groupes de lumineux cucujos16

Tout se tait au moment ou le jour approche. Les loups cessent de hurler; le cygne et la grue bleue font silence; l'oiseau de proie nocturne a garni sa panse vorace, et s'est perche sur un pin de la montagne; les mouches phosphorescentes disparaissent sous l'influence des heures plus froides; et les chevaux, ayant pature toute l'herbe qui se trouvait a leur portee, sont couches et endormis.

Une lumiere grise commence a se repandre sur la vallee; elle glisse le long des blancs rochers de la montagne de quartz. L'air frais du matin reveille les chasseurs. L'un apres l'autre ils se levent. Ils frissonnent en se redressant, et ramassent autour d'eux les plis de leurs manteaux. Ils paraissent fatigues; leurs figures sont pales et blafardes. L'aube grise donne un air de fantome a leurs faces barbues et non lavees. Un instant apres, ils rassemblent les longes et les attachent aux anneaux; visitent les chiens et les amorces de leurs fusils, et rebouclent leurs ceintures; tirent de leurs havre-sacs des morceaux de tasajo et les mangent crus. Debout aupres de leurs chevaux, ils se tiennent prets a se mettre en selle. Le moment n'est pas encore venu. La lumiere gagne la vallee. Le brouillard bleu qui couvrait la riviere pendant la nuit s'eleve. Nous distinguons tous les details des maisons. Quelles singulieres constructions! Les plus elevees ont un, deux, et jusqu'a quatre etages. Toutes affectent la forme d'une pyramide tronquee. Chaque etage est en retraite sur celui qui est au-dessous, d'ou resulte une serie de terrasses superposees. Les maisons sont d'un blanc jaunatre, couleur de la terre qui a servi a les construire. On n'y voit pas de fenetres; des portes ouvertes a chaque etage sur le dehors donnent acces dans l'interieur; des echelles dressees de terrasse en terrasse sont appuyees contre les murs. Sur le sommet de quelques-unes, il y a des perches portant des bannieres, ce sont les demeures des principaux chefs et des grands guerriers de la nation. Nous voyons le temple distinctement. Il a la meme forme que les maisons, mais il est plus large et plus eleve. De son toit s'elance un grand mat portant une banniere avec un etrange ecusson. Pres des maisons sont des enclos remplis de mules et de mustangs: c'est le betail de la ville.

 

Le jour devient plus clair. Nous voyons des formes apparaitre sur les toits et se mouvoir le long des terrasses. Ce sont des figures humaines enveloppees de vetements flottant comme des robes, en etoffes rayees. Nous reconnaissons la couverture des Navajoes, avec ses raies alternees, noires et blanches. Avec la lunette, nous apercevons les formes plus distinctes et nous pouvons reconnaitre les sexes. Les cheveux pendent negligemment sur les epaules et descendent jusqu'au bas des reins. La plupart sont des femmes de differents ages. On apercoit beaucoup d'enfants. Il y a des hommes, des vieillards a cheveux blancs; d'autres plus jeunes, en petit nombre, mais ce ne sont pas des guerriers; tous les guerriers sont absents. Au moyen des echelles, ils descendent de terrasse en terrasse, se dirigent vers la plaine et vont rallumer les feux. Quelques-uns portent des vases de terre, des ollas sur leur tete, et vont a la riviere puiser de l'eau. Ils sont a peu pres nus. Nous voyons leurs corps bruns et leurs poitrines decouvertes. Ce sont des esclaves. Ah! les vieillards se dirigent vers le sommet du temple. Des femmes et des enfants les suivent; les uns en blanc, les autres vetus de couleurs variees. Il y a des jeunes filles et des jeunes garcons; ce sont les enfants des chefs. Une centaine environ sont reunis sur le toit le plus eleve. Un autel est dresse pres de la hampe du drapeau. La fumee s'eleve, la flamme brille: ils ont allume du feu sur l'autel. Ecoutez les chants et les sons du tambour indien! Le bruit cesse; tous restent immobiles et silencieux, la face tournee vers l'est.

– Qu'est-ce que cela signifie?

– Ils attendent que le soleil paraisse. Ces peuples adorent le soleil.

Les chasseurs, dont la curiosite est excitee, restent le regard tendu, observant la ceremonie. Le sommet le plus eleve de la montagne quartzeuse s'allume. C'est le premier signe de l'arrivee du soleil. La teinte doree descend le long du pic. D'autres points s'illuminent. Les rayons viennent frapper les figures des adorateurs. Voyez! il y a des blancs parmi eux! Un, deux, plusieurs blancs: ce sont des femmes et des jeunes filles.

– Oh! Dieu, faites qu'elle soit la! s'ecrie Seguin prenant sa lunette avec empressement, et portant le clairon a ses levres.

Quelques notes eclatantes resonnent dans la vallee. Les cavaliers entendent le signal. Ils debouchent des bois et des defiles. Ils galopent a travers la plaine, et se deploient en avancant. En peu de minutes nous avons forme un grand arc de cercle autour de la ville. Nos chevaux nous menent vers le pied des murailles. L'atajo et le chef captif, confies a la garde d'un petit nombre d'hommes, sont restes dans le defile. Les sons du clairon ont attire l'attention des habitants. Ils s'arretent un moment, frappes d'immobilite par la surprise. Ils voient la ligne qui les enveloppe. Ils apercoivent les cavaliers qui s'avancent. Serait-ce un jeu de la part de quelque tribu amie? Non. Ces voix etrangeres, ce clairon, tout cela est nouveau pour les oreilles des Indiens. Quelques-uns cependant ont deja entendu ces sons, ils reconnaissent la trompette de guerre des visages pales! Pendant un moment la consternation les prive de la faculte d'agir. Ils nous regardent jusqu'a ce que nous soyons tout pres. Ils voient les visages pales, les armes etranges, les chevaux singulierement harnaches. C'est l'ennemi! ce sont les blancs! Ils courent d'une place a l'autre, de rue en rue. Ceux qui portaient de l'eau jettent leurs ollas et prennent leur course, en criant, vers les maisons. Ils montent sur les toits et retirent les echelles apres eux. Des exclamations sont echangees; les hommes, les femmes et les enfants poussent des cris affreux. La terreur est peinte sur toutes les figures; l'epouvante se lit dans tous leurs mouvements. Pendant ce temps, notre ligne s'est resserree, et nous ne sommes plus qu'a deux cents yards des murs. Nous faisons halte un moment. Vingt hommes sont laisses pour former une arriere-garde. Les autres se reunissent en corps et se portent en avant sur les pas de leurs chefs.

16Coleopteres phosphorescents.