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Les chasseurs de chevelures

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XXX
UN TROUPEAU CERNE

Une marche de vingt milles nous conduisit a la place ou nous devions etre rejoints par le gros de la bande. Nous fimes halte pres d'un petit cours d'eau qui prenait sa source dans le Pinon et courait a l'ouest vers le San-Pedro. Il y avait la du bois pour nous et de l'herbe en abondance pour nos chevaux. Nos camarades arriverent le lendemain matin, ayant voyage toute la nuit. Leurs provisions etaient epuisees aussi bien que les notres, et, au lieu de nous arreter pour reposer nos betes fatiguees, nous dumes pousser en avant, a travers un defile de la sierra, dans l'espoir de trouver du gibier de l'autre cote. Vers midi, nous debouchions dans un pays coupe de clairieres, de petites prairies entourees de forets touffues, et semees d'ilots de bois. Ces prairies etaient couvertes d'un epais gazon, et les traces des buffalos se montraient tout autour de nous. Nous voyions leurs sentiers, leurs debris de cornes et leurs lits. Nous voyions aussi le bois de vache du betail sauvage. Nous ne pouvions pas manquer de rencontrer bientot des uns ou des autres.

Nous etions encore sur le cours d'eau, pres duquel nous avions campe la nuit precedente et nous fimes une halte meridienne pour rafraichir nos chevaux. Autour de nous, des cactus de toutes formes nous fournissent en abondance des fruits rouges et jaunes. Nous cueillons des poires de pitahaya, et nous les mangeons avec delices; nous trouvons des baies de cormier, des yampas et des racines de pomme blanche. Nous composons un excellent diner avec des fruits et des legumes de toutes sortes qu'on ne rencontre a l'etat indigene que dans ces regions sauvages. Mais les estomacs des chasseurs aspirent a leur refection favorite, les bosses et les boudins de buffalo; apres une halte de deux heures, nous nous dirigions vers les clairieres. Il y avait une heure environ que nous marchions entre les chapparals, quand Rube, qui etait de quelques pas en avant, nous servant de guide, se retourna sur sa selle, et indiqua quelque chose derriere lui.

– Qu'est-ce qu'il y a, Rube? demanda Seguin a voix basse.

– Piste fraiche, cap'n; bisons!

– Combien? pouvez-vous dire?

– Un troupeau d'une cinquantaine: Ils ont traverse le fourre la-bas. Je vois le ciel. Il y a une clairiere pas loin de nous, et je parierais qu'il y en a un tas dedans. Je crois que c'est une petite prairie, cap'n.

– Halte! messieurs, dit Seguin, halte! et faites silence. Va en avant, Rube. Venez, monsieur Haller; vous etes un amateur de chasse; venez avec nous!

Je suivis le guide et Seguin a travers les buissons, m'avancant tout doucement et silencieusement, comme eux. Au bout de quelques minutes, nous atteignions le bord d'une prairie remplie de hautes herbes. En regardant avec precaution a travers les feuilles d'un prosopis, nous decouvrimes toute la clairiere. Les buffalos etaient au milieu. C'etait, comme Rube l'avait bien conjecture, une petite prairie, large d'un mille et demi environ, et fermee de tous cotes par un epais rideau de forets. Pres du centre il y avait un bouquet d'arbres vigoureux qui s'elancait du milieu d'un fourre touffu. Un groupe de saules, en saillie sur ce petit bois, indiquait la presence de l'eau.

– Il y a une source la-bas, murmura Rube; ils sont justement en train d'y rafraichir leurs mufles.

Cela etait assez visible; quelques-uns des animaux sortaient en ce moment du milieu des saules, et nous pouvions distinguer leurs flancs humides et la salive qui degouttait de leurs babines.

– Comment les prendrons-nous, Rube? demanda Seguin; pensez-vous que nous puissions les approcher?

– Je n'en doute pas, cap'n. L'herbe peut nous cacher facilement, et nous pouvons nous glisser a l'abri des buissons.

– Mais comment? Nous ne pourrions pas les poursuivre; il n'y a pas assez de champ libre. Ils seront dans la foret au premier bruit. Nous les perdrons tous.

– C'est aussi vrai que l'Ecriture.

– Que faut-il faire alors?

– Le vieux negre ne voit qu'un moyen a prendre.

– Lequel?

– Les entourer.

– C'est juste; si nous pouvons. Comment est le vent?

– Mort comme un Indien a qui on a coupe la tete, repondit le trappeur, prenant une legere plume de son bonnet et la lancant en l'air. Voyez, cap'n, elle retombe d'aplomb!

– Oui, c'est vrai!

– Nous pouvons entourer les buffles avant qu'ils ne nous eventent, et nous avons assez de monde pour leur faire une bonne haie. Mettons-nous vite a la besogne, cap'n; il y a a marcher d'ici au bout la-bas.

– Divisons nos hommes, alors, dit Seguin, retournant son cheval. Vous en conduirez la moitie a leur poste, je me chargerai des autres. Monsieur Haller, restez ou vous etes: c'est une place aussi bonne que n'importe quelle autre. Quand vous entendrez le clairon, vous pourrez galoper en avant, et vous ferez de votre mieux. Si nous reussissons, nous aurons du plaisir et un bon souper; et je suppose que vous devez en avoir besoin.

Ce disant, Seguin me quitta et retourna vers ses hommes, suivi du vieux Rube. Leur intention etait de partager la bande en deux parts, d'en conduire une par la gauche, l'autre par la droite, et de placer les hommes de distance en distance tout autour de la prairie. Ils devaient marcher a couvert sous le bois et ne se montrer qu'au signal convenu. De cette maniere, si les buffalos voulaient nous donner le temps d'executer la manoeuvre, nous etions surs de prendre tout le troupeau.

Aussitot que Seguin m'eut quitte, j'examinai mon rifle, mes pistolets, et renouvelai les capsules. Apres cela n'ayant plus rien a faire, je me mis a considerer les animaux qui paissaient, insouciants du danger. Un moment apres, je vis les oiseaux s'envoler dans le bois; et les cris du geai bleu m'indiquaient les progres de la battue. De temps a autre, un vieux buffle, sur les flancs du troupeau, secouait sa criniere herissee, reniflait le vent et frappait vigoureusement le sol de son sabot; il avait evidemment un soupcon que tout n'allait pas bien autour de lui. Les autres semblaient ne pas remarquer ces demonstrations, et continuaient a brouter tranquillement l'herbe luxuriante. Je pensais au beau coup de filet que nous allions faire, lorsque mes yeux furent attires par un objet qui sortait de l'ilot de bois. C'etait un jeune buffalo qui se rapprochait du troupeau. Je trouvais quelque peu etrange qu'il se fut ainsi separe du reste de la bande, car les jeunes veaux, eleves par leurs meres dans la crainte du loup, ont l'habitude de rester au milieu des troupeaux.

– Il sera reste en arriere a la source, pensai-je. Peut-etre les autres l'ont-ils repousse du bord et n'a-t-il pu boire que quand ils ont ete partis.

Il me sembla qu'il marchait difficilement, comme s'il eut ete blesse; mais, comme il s'avancait au milieu des hautes herbes, je ne le voyais qu'imparfaitement. Il y avait la une bande de coyotes (il y en a toujours) guettant le troupeau. Ceux-ci, apercevant le veau qui sortait du bois, dirigerent une attaque simultanee contre lui. Je les vis qui l'entouraient, et il me sembla que j'entendais leurs hurlements feroces; mais le veau paraissait se frayer chemin, en se defendant, a travers le plus epais de cette bande, et, au bout de peu d'instants, je l'apercus pres de ses compagnons et je le perdis de vue au milieu de tous les autres.

– C'est un bon gibier que le jeune bison, me dis-je a moi-meme; et je portai mes yeux autour de la ceinture du bois pour reconnaitre ou les chasseurs en etaient de la battue. Je voyais les ailes brillantes des geais miroiter a travers les branches, et j'entendais leurs cris percants. Jugeant d'apres ces signes, je reconnus que les hommes s'avancaient assez lentement. Il y avait une demi-heure que Seguin m'avait quitte, et ils n'avaient pas encore fait la moitie du tour. Je me mis alors a calculer combien de temps j'avais encore a attendre, et me livrai au monologue suivant:

– La prairie a un mille et demi de diametre; le cercle fait trois fois autant, soit quatre milles et demi. Bah! le signal ne sera pas donne avant une heure. Prenons donc patience, et mais qu'est-ce? les betes se couchent! Bon. Il n'y a pas de danger qu'elles se sauvent. Nous allons faire une fameuse chasse? Une, deux, trois… en voila six de couchees. C'est probablement la chaleur et l'eau. Elles auront trop bu. Encore une! Heureuses betes! Rien autre chose a faire qu'a manger et a dormir, tandis que moi… Et de huit. Cela va bien. Je vais bientot me trouver en face d'un bon repas. Elles s'y prennent d'une drole de maniere pour se coucher. On dirait qu'elles tombent comme blessees. Deux de plus! Elles y seront bientot toutes. Tant mieux. Nous serons arrives dessus avant qu'elles n'aient eu le temps de se relever. Oh! je voudrais bien entendre le clairon!

Et tout en roulant ces pensees, j'ecoutais si je n'entendais pas le signal, quoique sachant fort bien qu'il ne pouvait pas etre donne de quelque temps encore. Les buffalos s'avancaient lentement, broutant tout en marchant, et continuant de se coucher l'un apres l'autre. Je trouvais assez etrange de les voir ainsi s'affaisser successivement, mais j'avais vu des troupeaux de betail, pres des fermes, en faire autant, et j'etais a cette epoque peu familiarise avec les moeurs des buffalos. Quelques-uns semblaient s'agiter violemment sur le sol et le frapper avec force de leurs pieds. J'avais entendu parler de la maniere toute particuliere dont ces animaux ont l'habitude de se vautrer, et je pensai qu'ils etaient en train de se livrer a cet exercice. J'aurais voulu mieux jouir de la vue de ce curieux spectacle; mais les hautes herbes m'en empechaient. Je n'apercevais que les epaules velues et, de temps en temps, quelque sabot qui se levait au-dessus de l'herbe. Je suivais ces mouvements avec un grand interet, et j'etais certain maintenant que l'enveloppement serait complet avant qu'il ne leur prit fantaisie de se lever. Enfin, le dernier de la bande suivit l'exemple de ses compagnons et disparut. Ils etaient alors tous sur le flanc, a moitie ensevelis dans l'herbe. Il me sembla que je voyais le veau encore sur ses pieds; mais a ce moment le clairon retentit, et des cris partirent de tous les cotes de la prairie. J'appuyai l'eperon sur les flancs de mon cheval et m'elancai dans la plaine. Cinquante autres avaient fait comme moi, poussant des cris en sortant du bois. La bride dans la main gauche, et mon rifle pose en travers devant moi, je galopais avec toute l'ardeur que pouvait inspirer une pareille chasse. Mon fusil etait arme, je me tenais pret, et je tenais a honneur de tirer le premier coup. Il n'y avait pas loin du poste que j'avais occupe au buffalo le plus rapproche. Mon cheval allait comme une fleche, et je fus bientot a portee.

 

– Est-ce que la bete est endormie? Je n'en suis plus qu'a dix pas et elle ne bouge pas! Ma foi, je vais tirer dessus pendant qu'elle est couchee.

Je levai mon fusil, je mis en joue, et j'appuyai le doigt sur la detente, lorsque quelque chose de rouge frappa mes yeux, c'etait du sang! J'abaissai mon fusil avec un sentiment de terreur et retins les renes. Mais, avant que j'eusse pu ralentir ma course, je fus porte au milieu du troupeau abattu. La, mon cheval s'arreta court, et je restai cloue sur ma selle comme sous l'empire d'un charme. Je me sentais saisi d'une superstitieuse terreur. Devant moi, autour de moi, du sang! De quelque cote que mes yeux se portassent, du sang, toujours du sang!

Mes camarades se rapprochaient, criant tout en courant; mais leurs cris cesserent, et, l'un apres l'autre, ils tirerent la bride, comme j'avais fait, et demeurerent confondus et consternes. Un pareil spectacle etait fait pour etonner, en effet. Devant nous gisaient les cadavres des buffalos, tous morts ou dans les dernieres convulsions de l'agonie. Chacun d'eux portait sous la gorge une blessure d'ou le sang coulait a gros bouillons, et se repandait sur leurs flancs encore pantelants. Il y en avait des flaques sur le sol de la prairie, et les eclaboussures des coups de pieds convulsifs tachaient le gazon tout autour.

– Mon Dieu! qu'est-ce que cela veut dire?

– Whagh! —Santissima!– Sacrr… s'ecrierent les chasseurs.

– Ce n'est bien sur pas la main d'un homme qui a fait cela!

– Eh! ce n'est pas autre chose, cria une voix bien connue, si toutefois vous appelez un Indien un homme. C'est un tour de Peau-Rouge, et l'Enfant… Tenez! tenez!

En meme temps que cette exclamation, j'entendis le craquement d'un fusil que l'on arme. Je me retournai; Rube mettait en joue. Je suivis machinalement la direction du canon, j'apercus quelque chose qui se remuait dans l'herbe.

– C'est un buffalo qui se debat encore! pensai-je, voyant une masse velue d'un gris brun, il veut l'achever… tiens, c'est le veau!

J'avais a peine fait cette remarque, que je vis l'animal se dresser sur ses deux jambes de derriere en poussant un cri sauvage, mais humain. L'enveloppe herissee tomba, et un sauvage tout nu se montra, tendant ses bras, dans une attitude suppliante. Je n'aurais pu le sauver. Le chien s'etait abattu et la balle etait partie; elle avait perce la brune poitrine; le sang jaillit et la victime tomba en avant sur le corps d'un des buffles.

– Whagh! Rube! s'ecria un des hommes; pourquoi ne lui as-tu pas laisse le temps d'ecorcher ce gibier? Il s'en serait si bien acquitte pendant qu'il etait en train…

Et le chasseur eclata de rire apres cette sanglante plaisanterie.

– Cherchez la, garcons! dit Rube montrant l'ilot. Si vous cherchez bien, vous ferez partir un autre veau! Je vais m'occuper de la chevelure de celui-ci.

Les chasseurs, sur cet avis, se dirigerent au galop vers l'ilot avec l'intention de l'entourer. Je ne pus reprimer un sentiment de degout en assistant a cette froide effusion du sang. Je tirai ma bride par un mouvement involontaire, et m'eloignai de la place ou le sauvage etait tombe. Il etait couche sur le ventre nu jusqu'a la ceinture. Le trou par lequel la balle etait sortie se trouvait place sous l'epaule gauche. Les membres s'agitaient encore, mais c'etaient les dernieres convulsions de l'agonie. La peau qui avait servi a son deguisement etait en paquet a la place ou il l'avait jetee. Pres de cette peau se trouvait un arc et plusieurs fleches: celles-ci etaient rouges jusqu'a l'encoche. Les plumes, pleines de sang, etaient collees au bois. Ces fleches avaient perce d'outre en outre les corps monstrueux des animaux. Chacune d'elles avait fait plusieurs victimes. Le vieux trappeur se dirigea vers le cadavre, et descendit posement de cheval.

– Cinquante dollars par chevelure! murmura-t-il, degainant son couteau, et se baissant vers le corps: c'est plus que je n'aurais pu tirer de la mienne. Ca vaut mieux qu'une peau de castor! Au diable les castors! dit l'Enfant. Tendre des trappes pour ramasser des peaux, c'est un fichu metier, quand bien meme le gibier donnerait comme des mangeurs d'herbe dans la saison des veaux. Allons, toi, negre! continua-t-il en saisissant la longue chevelure du sauvage, et retournant sa figure en l'air: je vais te gater un peu le visage. Hourra; coyote de Pache! hourra!

Un eclair de triomphe et de vengeance illumina la figure de l'etrange vieillard pendant qu'il poussait ce dernier cri.

– Est-ce que c'est un Apache? demanda un des chasseurs, qui etait reste pres de Rube.

– C'en est un, un coyote de Pache, un de ces gredins qui ont coupe les oreilles de l'Enfant! que l'enfer les prenne tous! Je jure bien d'arranger de la meme facon tous ceux qui me tomberont dans les griffes. Wou-wough vilain loup! tu y es, toi! te v'la propre, hein! En parlant ainsi, il rassemblait les longues boucles de cheveux dans sa main gauche, et en deux coups de couteau, l'un en quarte, et l'autre en tierce, il decrivit autour du crane un cercle aussi parfait que s'il eut ete trace au compas. Puis la lame brillante passa sous la peau et le scalp fut enleve.

– Et de six, continua-t-il, se parlant a lui-meme en placant le scalp dans sa ceinture. – Six a cinquante la piece. Trois cents dollars de chevelures paches. Au diable, ma foi, les trappes et les castors.

Apres avoir mis en surete le trophee sanglant, il essuya son couteau sur la criniere des buffalos, et se mit en devoir de faire, sur la crosse de son fusil, une nouvelle entaille a la suite des cinq qui y etaient deja marquees. Ces six coches indiquaient seulement les Apaches; car, en regardant le long du bois de l'arme, je vis qu'il y avait plusieurs colonnes a ce terrible registre.

XXXI
UN AUTRE COUP

La detonation d'un fusil frappa mes oreilles et detourna mon attention des faits et gestes du vieux trappeur. En me retournant, je vis un leger nuage bleu flottant sur la prairie; mais il me fut impossible de deviner sur quoi le coup avait ete tire. Trente ou quarante chasseurs avaient entoure l'ilot et restaient immobiles sur leurs selles, formant une sorte de cercle irregulier. Ils etaient encore a quelque distance du petit bois, et hors de portee des fleches. Ils tenaient leurs fusils en travers et echangeaient des cris. Evidemment, le sauvage n'etait pas seul. Il devait avoir un ou plusieurs compagnons dans le fourre. Toutefois, il ne pouvait pas y en avoir en grand nombre; car les broussailles inferieures n'etaient pas capables de receler plus d'une douzaine de corps, et les yeux percants des chasseurs fouillaient dans toutes les directions. Il me semblait voir une compagnie de chasseurs dans une bruyere, attendant que le gibier partit; mais ici, Dieu puissant! le gibier etait de la race humaine! C'etait un terrible spectacle. Je tournai les yeux du cote de Seguin pensant qu'il interviendrait peut-etre pour arreter cette atroce battue. Il vit mon regard interrogateur et detourna la tete. Je crus apercevoir qu'il etait honteux de l'oeuvre a laquelle ses compagnons travaillaient; mais la necessite commandait de tuer ou de prendre tous les Indiens qui pouvaient se trouver dans l'ilot; je compris que toute observation de ma part serait absolument inutile. Quant aux chasseurs eux-memes, ils n'auraient fait qu'en rire. C'etait leur plaisir et leur profession; et je suis certain que, dans ce moment, leurs sentiments etaient exactement de la meme nature que ceux qui agitent les chasseurs en train de debusquer un ours de sa taniere. L'interet etait peut-etre plus vivement excite encore; mais a coup sur il n'y avait pas plus de disposition a la merci. Je retins mon cheval, et attendis, plein d'emotions penibles, le denoument de ce drame sauvage.

– Vaya! Irlandes! qu'est-ce que vous avez vu? demanda un des Mexicains s'adressant a Barney. Je reconnus par la que c'etait l'Irlandais qui avait fait feu.

– Une Peau-Rouge, par le diable! repondit celui-ci.

– N'est-ce pas ta propre tete que tu auras vue dans l'eau? cria un chasseur d'un ton moqueur.

– C'etait peut-etre le diable, Barney!

– Vraiment, camarades, j'ai vu quelque chose qui lui ressemblait fort, et je l'ai tue tout de meme.

– Ha! ha! Barney a tue le diable! Ha! ha!

– Vaya! s'ecria un trappeur, poussant son cheval vers le fourre; l'imbecile n'a rien vu du tout. Je parie tout ce qu'on voudra…

– Arretez, camarade, cria Garey, prenons des precautions, mefions-nous des Peaux-Rouges. Il y a des Indiens la-dedans, qu'il en ait vu ou non; ce gredin-la n'etait pas seul bien sur, essayons de voir comme ca…

Le jeune chasseur mit pied a terre, tourna son cheval le flanc vers le bois, et, se mettant du cote oppose, il fit marcher l'animal en suivant une spirale qui se rapprochait de plus en plus du fourre. De cette maniere, son corps etait cache, et sa tete seule pouvait etre apercue derriere le pommeau de la selle, sur laquelle etait appuye son fusil arme et en joue. Plusieurs autres, voyant faire Garey, descendirent de cheval et suivirent son exemple. Le silence se fit de plus en plus profond, a mesure que le diametre de leur course se resserrait. En peu de temps, ils furent tout pres de l'ilot. Pas une fleche n'avait siffle encore. N'y avait-il donc personne la? On aurait pu le croire, et les hommes penetrerent hardiment dans le fourre. J'observais tout cela avec un interet palpitant. Je commencais a esperer que les buissons etaient vides. Je pretais l'oreille a tous les sons; j'entendis le craquement des branches et les murmures des hommes. Il y eut un moment de silence, quand ils penetrerent plus avant. Puis une exclamation soudaine, et une voix cria:

– Une peau rouge morte! Hourra pour Barney!

– La balle de Barney l'a traverse, par tous les diables! Cria un autre.

Hilloa! vieux bleu de ciel! Viens ici voir ce que tu as fait!

Les autres chasseurs et le ci-devant soldat se dirigerent vers le couvert. Je m'avancai lentement apres eux. En arrivant, je les vis trainant le corps d'un Indien hors du petit bois: un sauvage nu comme l'autre. Il etait mort, et on se preparait a le scalper.

– Allons, Barney? dit un des hommes d'un ton plaisant, la chevelure est a toi. Pourquoi ne la prends-tu pas, gaillard?

– Elle est a moi, dites-vous! demanda Barney s'adressant a celui qui venait de parler, et avec un fort accent irlandais.

– Certainement: tu as tue l'homme; c'est ton droit.

– Est-ce que ca vaut vraiment cinquante dollars?

– Ca se paie comme du froment.

– Auriez-vous la complaisance de l'enlever pour moi?

– Oh! certainement, avec beaucoup de plaisir, reprit le chasseur, imitant l'accent de Barney, separant en meme temps le scalp et le lui presentant.

Barney prit le hideux trophee, et je parierais qu'il n'en ressentit pas beaucoup de fierte. Pauvre Celte! Il pouvait bien s'etre rendu coupable de plus d'un accroc a la discipline, dans sa vie de garnison, mais evidemment c'etait son premier pas dans le commerce du sang humain.

Les chasseurs descendirent tous de cheval et se mirent a fouiller le fourre dans tous les sens. La recherche fut tres-minutieuse, car il y avait encore un mystere. Un arc de plus, c'est-a-dire un troisieme arc, avait ete trouve avec son carquois et ses fleches. Ou etait le proprietaire? S'etait-il echappe du fourre pendant que les hommes etaient occupes aupres des buffalos morts? C'etait peu probable, mais ce n'etait pas impossible. Les chasseurs connaissaient l'agilite extreme des sauvages, et nul n'osait affirmer que celui-ci n'eut pas gagne la foret, inapercu.

– Si cet Indien s'est echappe, dit Garey, nous n'avons pas meme le temps d'ecorcher ces buffles. Il y a pour sur une troupe de sa tribu a moins de vingt milles d'ici.

– Cherchez au pied des saules, cria la voix du chef, tout pres de l'eau.

 

Il y avait la une mare. L'eau en etait troublee et les bords avaient ete trepignes par les buffalos. D'un cote, elle etait profonde, et les saules penches laissaient pendre leurs branches jusque sur la surface de l'eau. Plusieurs hommes se dirigerent de ce cote et sonderent le fourre avec leurs lances et le canon de leurs fusils. Le vieux Rube etait venu avec les autres, et otait le bouchon de sa corne a poudre avec ses dents, se disposant a recharger. Son petit oeil noir lancait des flammes dans toutes les directions, devant, autour de lui et jusque dans l'eau. Une pensee subite lui traversa le cerveau. Il repoussa le bouchon de sa corne, prit l'Irlandais, qui etait le plus pres de lui, par le bras, et lui glissa dans l'oreille d'un ton pressant:

– Paddy! Barney! donnez-moi votre fusil, vite, mon ami, vite!

Sur cette invitation pressante, Barney lui passa immediatement son arme, et prit le fusil que le trappeur lui tendait. Rube saisit vivement le mousquet, et se tint un moment comme s'il allait tirer sur quelque objet du cote de la mare. Tout a coup, il fit un demi-tour sans bouger les pieds de place, et, dirigeant le canon de son fusil en l'air, il tira au milieu du feuillage. Un cri aigu suivit le coup; un corps pesant degringola a travers les branches qui se rompaient, et tomba sur le sol a mes pieds. Je sentis sur mes yeux des gouttes chaudes qui m'occasionnaient un fremissement: c'etait du sang! J'en etais aveugle. J'entendis les hommes accourir de tous les points du fourre. Quand j'eus recouvre la vue, j'apercus un sauvage nu qui disparaissait a travers le feuillage.

– Manque, s… mille tonnerres! cria le trappeur. Au diable soit le fusil de munition! ajouta-t-il, jetant a terre le mousquet et s'elancant le couteau a la main.

Je suivis comme les autres. Plusieurs coups de feu partirent du milieu des buissons. Quand nous atteignimes le bord de l'ilot, je vis l'Indien, toujours debout, et courant avec l'agilite d'une antilope. Il ne suivait pas une ligne droite, mais sautait de cote et d'autre, en zigzag, de maniere a ne pouvoir etre vise par ceux qui le poursuivaient. Aucune balle ne l'avait encore atteint, assez grievement du moins pour ralentir sa course. On pouvait voir une trainee de sang sur son corps brun; mais la blessure, quelle qu'elle fut, ne semblait pas le gener dans sa fuite. Pensant qu'il n'avait aucune chance de s'echapper, je n'avais pas l'intention de decharger mon fusil dans cette circonstance. Je demeurai donc pres du buisson, cache derriere les feuilles, et suivant les peripeties de la chasse. Quelques chasseurs continuaient a le poursuivre a pied, tandis que les plus avises couraient a leurs chevaux. Ceux-ci se trouvaient tous du cote oppose du petit bois, un seul excepte, la jument du trappeur Rube, qui broutait a la place ou Rube avait mis pied a terre, au milieu des buffalos morts, precisement dans la direction de l'homme que l'on poursuivait. Le sauvage, en s'approchant d'elle, parut etre saisi d'une idee soudaine, et deviant legerement de sa course, il arracha le piquet, ramassa le lasso avec toute la dexterite d'un Gaucho, et sauta sur le dos de la bete.

C'etait une idee fort ingenieuse, mais elle tourna bien mal pour l'Indien. A peine etait-il en selle qu'un cri particulier se fit entendre, dominant tous les autres bruits; c'etait un appel pousse par le trappeur essorille. La vieille jument reconnut ce signal, et, au lieu de courir dans la direction imprimee par son cavalier, elle fit demi-tour immediatement et revint en arriere au galop. A ce moment, une balle tiree sur le sauvage ecorcha la hanche du mustang qui, baissant les oreilles, commenca a se cabrer et a ruer avec une telle violence que ses quatre pieds semblaient detaches du sol en meme temps. L'Indien cherchait a se jeter en bas de la selle; mais le mouvement de l'avant a l'arriere lui imprimait des secousses terribles. Enfin, il fut desarconne et tomba par terre sur le dos. Avant qu'il eut pu se remettre du coup, un Mexicain etait arrive au galop, et avec sa longue lance l'avait cloue sur le sol.

Une scene de jurements, dans laquelle Rube jouait le principal role, suivit cet incident. Sa colere etait doublement motivee. Les fusils de munition furent voues a tous les diables, et comme le vieux trappeur etait inquiet de la blessure recue par sa jument, les fichues ganaches a l'oeil de travers recurent une large part de ses anathemes. Le mustang cependant n'avait pas essuye de dommage serieux, et, quand Rube eut verifie le fait, le bouillonnement sonore de sa colere s'apaisa dans un sourd grognement et finit par cesser tout a fait. Aucun symptome ne donnait a croire qu'il y eut encore d'autres sauvages dans les environs, les chasseurs s'occuperent immediatement de satisfaire leur faim. Les feux furent allumes, et un plantureux repas de viande de buffalo permit a tout le monde de se refaire. Apres le repas, on tint conseil. Il fut convenu qn'on se dirigerait vers la vieille Mission que l'on savait etre a dix milles tout au plus de distance. La, nous pourrions tenir facilement en cas d'attaque de la part de la tribu des Coyoteros, a laquelle les trois sauvages tues appartenaient. Au dire de presque tous, nous devions nous attendre a etre suivis par cette tribu, et a l'avoir sur notre dos avant que nous eussions pu quitter les ruines. Les buffalos furent lestement depouilles, la chair empaquetee, et, prenant notre course a l'ouest, nous nous dirigeames vers la Mission.