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Les chasseurs de chevelures

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– Je me mis a l'eau et gagnai le milieu a la nage. Je n'avais pas fait la moitie du chemin que je sentais la chose a plein nez. En me voyant approcher, les oiseaux s'envolerent. Je fus bientot pres de la carcasse, mais je vis d'un coup d'oeil qu'elle etait trop avancee tout de meme.

– Quel malheur! s'ecria un des chasseurs.

– Je n'etais pas d'humeur a avoir pris un bain pour rien: je saisis la queue entre mes dents et me mis a nager vers le bord. Au bout de trois brasses la queue se detacha! Je poussai la charogne, en nageant derriere jusqu'a un banc de sable decouvert. Elle manqua tomber en pieces quand je la tirai de l'eau. Ca n'etait vraiment pas mangeable!

Ici Rube prit une nouvelle bouchee de mouton-loup et garda le silence jusqu'a ce qu'il l'eut avalee. Les chasseurs, vivement interesses par ce recit, en attendaient la suite avec impatience. Enfin il reprit:

– Les deux oiseaux de proie voltigeaient alentour, et d'autres arrivaient aussi. Je pensai que je pourrais bien me faire un bon repas avec un d'entre eux. Je me couchai donc aupres de la carcasse et ne bougeai pas plus qu'un opossum. Au bout de quelques instants, les oiseaux arriverent se poser sur le banc de sable, et un gros male vint se percher sur la bete morte. Avant qu'il n'eut le temps de reprendre son vol, je l'avais agrippe par les pattes.

– Hourra! bien fait, nom d'un chien!

– L'odeur de la satanee bete n'etait guere plus appetissante que celle de la charogne; mais je m'inquietais peu que ce fut du chien mort, du vautour ou du veau; je plumai et je depouillai l'oiseau.

– Et tu l'as mange?

– Non-on, repondit en trainant Rube, vexe sans doute d'etre ainsi interrompu, c'est lui qui m'a mange.

– L'as-tu mange cru, Rube? demanda un des chasseurs.

– Et comment aurait-il fait autrement? il n'avait pas un brin de feu, et rien pour en allumer…

– Animal bete! s'ecria Rube se retournant brusquement vers celui qui venait de parler; je ferais du feu, quand il n'y en aurait pas un brin plus pres de moi que l'enfer!

Un bruyant eclat de rire suivit cette furieuse apostrophe, et il se passa quelques minutes avant que le trappeur se calmat assez pour reprendre sa narration.

– Les autres oiseaux, continua-t-il enfin, voyant le vieux male empoigne, devinrent sauvages, et s'en allerent de l'autre cote de la riviere. Il n'y avait plus moyen de recommencer le meme jeu. Justement alors, j'apercus un coyote qui venait en rampant le long du bord, puis un autre sur ses talons, puis deux ou trois encore qui suivaient. Je savais bien que ce ne serait pas une plaisanterie commode que d'en empoigner un par la jambe; mais je resolus pourtant d'essayer, et je me recouchai comme auparavant pres de la carcasse. Mais je vis que ca ne prenait pas. Les betes madrees se doutaient du tour et se tenaient a distance. J'aurais bien pu me cacher sous quelques broussailles qui etaient pres de la, et je commencais a y tirer l'appat; mais une autre idee me vint. Il y avait un amas de bois sur le bord; j'en ramassai et construisis une trappe tout autour du cadavre. En un clin d'oeil de chevre, j'avais six betes prises au piege.

– Hourra! tu etais sauve alors, vieux troubadour.

– Je ramassai des pierres, j'en mis un tas sur la trappe. Et laissai tomber tout sur eux, et moi par-dessus. Seigneur mon Dieu! camarades, vous n'avez jamais vu ni entendu pareil vacarme, pareils aboiements, hurlements, grognements, remuements: c'etait comme si je les avais mis dans un bain de poivre. He! he! He! ho! ho! ho!

Et le vieux trappeur enfume riait avec delices au souvenir de cette aventure.

– Et tu parvins jusqu'au fort de Bent, sain et sauf, j'imagine?

– Ou-ou-i. J'ecorchai les betes avec une pierre tranchante, et je me fis une espece de chemise et une sorte de pantalon. Le vieux negre ne se souciait pas de donner a rire a ceux du fort en y arrivant tout nu. Je fis provision de viande de loup pour ma route, et j'arrivai en moins d'une semaine. Bill se trouvait la en personne; vous connaissez tous Bill Bent? Ce n'etait pas la premiere fois que nous nous voyions. Une demi-heure apres mon arrivee au fort, j'etais equipe, tout flambant neuf et pourvu d'un nouveau rifle; ce rifle, c'etait Tar-guts, celui que voila.

– Ah! c'est la que tu as eu Tar-guts, alors?

– C'est la que j'ai eu Tar-guts, et c'est un bon fusil. Hi! Hi! hi! Je ne l'ai pas garde longtemps a rien faire. Hi! hi! hi! Ho! ho! ho!

Et Rube s'abandonna a un nouvel acces d'hilarite.

– A propos de quoi ris-tu maintenant, Rube? demanda un de ses camarades.

– Hi! hi! hi! de quoi je ris? hi! hi! hi! ho! ho! C'est le meilleur de la farce. Hi! hi! hi! de quoi je ris?

– Oui, dis-nous ca, l'ami.

– Voila de quoi je ris, reprit Rube en s'apaisant un peu. Il n'y avait pas trois jours que j'etais au fort de Bent, quand… Devinez qui arriva au fort?

– Qui? les Rapahoes, peut-etre?

– Juste, les memes Indiens, les memes gredins qui m'avaient fichu a pied. Ils venaient au fort pour faire du commerce avec Bill, et, avec eux, ma vieille jument et mon fusil.

– Tu les as repris, alors?

– Na-tu-relle-ment. Il y avait la des montagnards qui n'etaient pas gens a souffrir que l'Enfant eut ete plante la au milieu de la prairie pour rien. La voila, la vieille bete! et Rube montrait sa jument. – Pour le rifle, je le laissai a Bill, et je gardai en echange, Tar-guts, voyant qu'il etait le meilleur.

– Ainsi, tu etais quitte avec les Rapahoes?

– Quant a ca, mon garcon, ca depend de ce que tu appelles quitte. Vois-tu ces marques-la, ces coches qui sont a part?

Le trappeur montrait une rangee de petites coches faite sur la crosse de son rifle.

– Oui! oui! crierent plusieurs voix.

– Il y en a cinq, n'est-ce pas?

– Une, deux, trois… Oui, cinq.

– Autant de Rapahoes!

L'histoire de Rube etait finie.

XXIX
LES FAUSSES PISTES. – UNE RUSE DE TRAPPEUR

Pendant ce temps, les hommes avaient termine leur repas et commencaient a se reunir autour de Seguin dans le but de deliberer sur ce qu'il y avait a faire. On avait deja envoye une sentinelle sur les rochers pour surveiller les alentours, et nous avertir au cas ou les Indiens se montreraient de nouveau sur la prairie. Nous comprenions tous que notre position etait des plus critiques. Le Navajo, notre prisonnier, etait un personnage trop important (c'etait le second chef de la nation) pour etre abandonne ainsi; les hommes places directement sous ses ordres, la moitie de la tribu environ, reviendraient certainement a sa recherche. Ne le trouvant pas a la source, en supposant meme qu'ils ne decouvrissent pas nos traces, ils retourneraient dans leur pays par le sentier de la guerre. Ceci devait rendre notre expedition impraticable, car la bande de Dacoma seule etait plus nombreuse que la notre; et si nous rencontrions ces Indiens dans les defiles de leurs montagnes, nous n'aurions aucune chance de leur echapper. Pendant quelque temps, Seguin garda le silence, et demeura les yeux fixes sur la terre. Il elaborait evidemment quelque plan d'action. Aucun des chasseurs ne voulut l'interrompre.

– Camarades, dit-il enfin, c'est un coup malheureux; mais nous ne pouvions pas faire autrement. Cela aurait pu tourner plus mal. Au point ou en sont les choses, il faut modifier nos plans. Ils vont, pour sur, se mettre a la recherche de leur chef, et remonter jusqu'aux villes des Navajoes. Que faire, alors? Notre bande ne peut ni escalader le Pinon ni traverser le sentier de guerre en aucun point. Ils ne manqueraient pas de decouvrir nos traces.

– Pourquoi n'irions-nous pas tout droit rejoindre notre troupe ou elle est cachee, et ne ferions-nous pas le tour par la vieille mine? Nous n'aurons pas a traverser le sentier de la guerre.

Cette proposition etait faite par un des chasseurs.

-Vaya! objecta un Mexicain; nous nous trouverions nez a nez avec les Navajoes en arrivant a leur ville! Carrai! ca ne peut pas aller, amigo! La plupart d'entre nous n'en reviendraient pas. Santissima! Non!

-Rien ne prouve que nous les rencontrerons, fit observer celui qui avait parle le premier; ils ne vont pas rester dans leur ville, quand ils verront que celui qu'ils cherchent n'y est pas revenu.

– C'est juste, dit Seguin; ils n'y resteront pas. Sans aucun doute, ils reprendront le sentier de la guerre; mais je connais le pays du cote de la vieille mine…

– Allons par la! allons par la! crierent plusieurs voix.

– Il n'y a pas de gibier de ce cote, continua Seguin. Nous n'avons pas de provisions; il nous est impossible de prendre cette route.

– Pas moyen d'aller par la.

– Nous serions morts de faim avant d'avoir traverse les Mimbres.

– Et il n'y a pas d'eau non plus, sur cette route.

– Non, ma foi; pas de quoi faire boire un rat des sables.

-Il faut chercher autre chose, dit Seguin.

Apres une pause de reflexion, il ajouta d'un air sombre:

– Il nous faut traverser le sentier, et aller par le Prieto, ou renoncer a l'expedition.

Le mot Prieto, place en regard de cette phrase: renoncer a l'expedition, excita au plus haut degre l'esprit d'invention chez les chasseurs. On proposa plan sur plan; mais tous avaient pour defaut d'offrir la probabilite sinon la certitude, que nos traces seraient decouvertes par l'ennemi et que nous serions rejoints avant d'avoir pu regagner le Del-Norte. Tous furent rejetes les uns apres les autres. Pendant toute cette discussion, le vieux Rube n'avait pas souffle mot. Le trappeur essorille etait assis sur l'herbe, accroupi sur ses jarrets, tracant des lignes avec son couteau, et paraissant occupe a tresser le plan de quelque fortification.

– Qu'est-ce que tu fais la, vieux fourreau de cuir? Demanda un de ses camarades.

 

– Je n'ai plus l'oreille aussi fine qu'avant de venir dans ce maudit pays; mais il me semble avoir entendu quelques-uns dire que nous ne pouvions pas traverser le sentier des Paches sans qu'on fut sur nos talons au bout de deux jours. Ca n'est pourtant pas malin.

– Comment vas-tu nous prouver ca, vieux…

– Tais-toi, imbecile! ta langue remue comme la queue d'un castor quand le flot monte.

– Pouvez-vous nous indiquer un moyen de nous tirer de cette difficulte,

Rube! J'avoue que je n'en vois aucun.

A cet appel de Seguin, tous les yeux se tournerent vers le trappeur.

– Eh bien, capitaine, je vas vous dire comment je comprends la chose. Vous en prendrez ce que vous voudrez; mais si vous faites ce que je vas vous dire, il n'y a ni Pache ni Navagh qui puisse flairer d'ici a une semaine par ou nous serons passes. S'ils s'y reconnaissent, je veux que l'on me coupe les oreilles. C'etait la plaisanterie favorite de Rube, et elle ne manquait jamais d'egayer les chasseurs. Seguin lui-meme ne put reprimer un sourire et pria le trappeur de continuer.

– D'abord et avant tout, donc, dit Rube, il n'y a pas de danger qu'on se mette a courir apres ce mal blanchi avant deux jours au plus tot.

– Comment cela?

– Voici pourquoi: vous savez que ce n'est qu'un second chef, et ils peuvent tres-bien se passer de lui. Mais ce n'est pas tout. Cet Indien a oublie son arc, cette machine blanche. Maintenant, vous savez tous aussi bien que l'Enfant, qu'un pareil oubli est une mauvaise recommandation aux yeux des Indiens.

– Tu as raison en cela, vieux, remarqua un chasseur.

– Eh bien, le gredin sait bien ca. Vous comprenez maintenant, et c'est aussi clair que le pic du Pike, qu'il est revenu sur ses pas sans dire aux autres une syllabe de pourquoi; il ne le leur a bien sur pas laisse savoir s'il a pu faire autrement.

– Cela est vraisemblable, dit Seguin; continuez, Rube.

– Bien plus encore, continua le trappeur, je parierais gros qu'il leur a defendu de le suivre, afin que personne ne put voir ce qu'il venait faire. S'il avait eu la pensee qu'on le soupconnat, il aurait envoye quelque autre, et ne serait pas venu lui-meme: voila ca qu'il aurait fait.

Cela etait assez vraisemblable, et la connaissance que les chasseurs de scalps avaient du caractere des Navajoes les confirma tous dans la meme pensee.

– Je suis sur qu'ils reviendront en arriere, continua Rube, du moins la moitie de la tribu, celle qu'il commande. Mais il se passera trois jours et peut-etre quatre avant qu'ils ne boivent l'eau de Pignion.

– Mais ils seront sur nos traces le jour d'apres.

– Si nous sommes assez fous pour laisser des traces, ils les suivront, c'est clair.

– Et comment ne pas en laisser? demanda Seguin.

– Ca n'est pas plus difficile que d'abattre un arbre.

– Comment? Comment cela? demanda tout le monde a la fois.

– Sans doute, mais quel moyen employer? demanda Seguin.

– Vraiment, cap'n, il faut que votre chute vous ait brouille les idees. Je croyais qu'il n'y avait que ces autres brutes capables de ne pas trouver le moyen du premier coup.

– J'avoue, Rube, repondit Seguin en souriant, que je ne vois pas comment vous pouvez les mettre sur une fausse voie.

– Eh bien donc, continua le trappeur, quelque peu flatte de montrer sa superiorite dans les ruses de la prairie, l'Enfant est capable de vous dire comment il peut les mettre sur une voie qui les conduira tout droit a tous les diables.

– Hourra pour toi, vieux sac de cuir!

– Vous voyez ce carquois sur l'epaule de cet Indien?

– Oui, oui!

– Il est plein de fleches ou peu s'en faut, n'est-ce pas?

– Il l'est. Eh bien?

– Eh bien donc, qu'un de nous enfourche le mustang de l'Indien; n'importe qui peut faire ca aussi bien que moi; qu'il traverse le sentier des Paches, et qu'il jette ces fleches la pointe tournee vers le sud, et si les Navaghs ne suivent pas cette direction jusqu'a ce qu'ils aient rejoint les Paches, l'Enfant vous abandonne sa chevelure pour une pipe du plus mauvais tabac de Kentucky.

– Viva! Il a raison! il a raison! Hourra pour le Vieux Rube! s'ecrierent tous les chasseurs en meme temps.

– Ils ne comprendront pas trop pourquoi il a pris ce chemin, mais ca ne fait rien. Ils reconnaitront les fleches, ca suffit. Pendant qu'ils s'en retourneront par la-bas, nous irons fouiller dans leur garde-manger; nous aurons tout le temps necessaire pour nous tirer tranquillement du guepier, et revenir chez nous.

– Oui, c'est cela, par le diable!

– Notre bande, continua Rube, n'a pas besoin de venir jusqu'a la source du Pignion, ni a present ni apres. Elle peut traverser le sentier de la guerre, plus haut, vers le Heely, et nous rejoindre de l'autre cote de la montagne, ou il y a en masse du gibier, des buffalos et du betail de toute espece. La vieille terre de la Mission en est pleine. Il faut absolument que nous passions par la; il n'y a aucune chance de trouver des bisons par ici, apres la chasse que les Indiens viennent de leur donner.

– Tout cela est juste, dit Seguin. i1 faut que nous fassions le tour de la montagne avant de rencontrer des buffalos. Les chasseurs indiens les ont fait disparaitre des Llanos. Ainsi donc, en route! mettons-nous tout de suite a l'ouvrage. Nous avons encore deux heures avant le coucher du soleil. Par quoi devons-nous commencer, Rube? Vous avez fourni l'ensemble du plan; je me fie a vous pour les details.

– Eh bien, dans mon opinion, cap'n, la premiere chose que nous ayons a faire, c'est d'envoyer un homme, au grandissime galop, a la place ou la bande est cachee; il leur fera traverser le sentier.

– Ou pensez-vous qu'ils devront le traverser?

– A peu pres a vingt milles au nord d'ici, il y a une place seche et dure, une bonne place pour ne pas laisser de traces. S'ils savent s'y prendre, ils ne feront pas d'empreintes qu'on puisse voir. Je me chargerais d'y faire passer un convoi de wagons de la compagnie Bent sans que le plus madre des Indiens soit capable d'en reconnaitre la piste; je m'en chargerais.

– Je vais envoyer immediatement un homme. Ici, Sanchez! vous avez un bon cheval, et vous connaissez le terrain. Nos amis sont caches a vingt milles d'ici, tout au plus; conduisez-les le long du bord et avec precaution, comme on l'a dit. Vous nous trouverez au nord de la montagne. Vous pouvez courir toute la nuit, et nous avoir rejoints demain de bonne heure. Allez!

Le torero, sans faire aucune reponse, detacha son cheval du piquet, sauta en selle, et prit au galop la direction du nord-ouest.

– Heureusement, dit Seguin, le suivant de l'oeil pendant quelques instants, ils ont pietine le sol tout autour; autrement, les empreintes de notre derniere lutte en auraient raconte long sur notre compte.

– Il n'y a pas de danger de ce cote, repliqua Rube; mais quand nous aurons quitte d'ici, cap'n, nous ne suivrons plus leur route. Ils decouvriraient bientot notre piste. Il faut que nous prenions un chemin qui ne garde pas de traces. Et Rube montrait le sentier pierreux qui s'etendait au nord et au sud, contournant le pied de la montagne.

– Oui, nous suivrons ce chemin; nous n'y laisserons aucune empreinte. Et puis, apres?

– Ma seconde idee est de nous debarrasser de cette machine qui est la-bas.

Et le trappeur, en disant ces mots, indiquait d'un geste de tete le squelette du Yamporica.

– C'est vrai, j'avais oublie cela. Qu'allons-nous en faire?

– Enterrons-le, dit un des hommes.

– Ouais! Non pas. Brulons-le! conseilla un autre.

– Oui, ca vaut mieux, fit un troisieme.

On s'arreta a ce dernier parti. Le squelette fut amene en bas; les taches de sang soigneusement effacees des rochers; le crane brise d'un coup de tomahawk; les ossements mis en pieces; puis le tout fut jete dans le feu mele avec un tas d'os de buffalos deja carbonises sous les cendres. Un anatomiste seul aurait pu trouver la les vestiges d'un squelette humain.

– A present, Rube, les fleches?

– Si vous voulez me laisser faire avec Billy Garey, je crois qu'a nous deux nous arrangerons ca de maniere a mettre dedans tous les Indiens du pays. Nous aurons a peu pres trois milles a faire, mais nous serons revenus avant que vous ayez fini de remplir les gourdes, les outres, et tout prepare pour le depart.

– Tres-bien! prenez les fleches.

– C'est assez de quatre attrapes, dit Rube, tirant quatre fleches du carquois. Gardez le reste. Nous aurons besoin de viande de loup avant de nous en aller. Nous ne trouverons pas la queue d'une autre bete, tant que nous n'aurons pas fait le tour de lamontagne. Billy! enfourche-moi le mustang de ce Navagh. C'est un beau cheval; mais je ne donnerais pas ma vieille jument pour tout un escadron de ses pareils. Prends une de ces plumes noires.

Le vieux trappeur arracha une des plumes d'autruche du casque de Dacoma, et continua:

– Garcons! veillez sur la vieille jument jusqu'a ce que je revienne; ne la laissez pas echapper. Il me faut une couverture. Allons! ne parlez pas tous a la fois.

– Voila, Rube, voila! crierent tous les chasseurs, offrant chacun sa couverture.

– J'en aurai assez d'une. Il ne nous en faut que trois; celle de Bill, la mienne et une autre. La, Billy, mets ca devant toi. Maintenant suis le sentier des Paches pendant trois cents yards a peu pres, et ensuite tu traverseras; ne marche pas dans le fraye; tiens-toi a mes cotes, et marque bien tes empreintes. Au galop, animal!

Le jeune chasseur appuya ses talons contre les flancs du mustang, et partit au grand galop en suivant le sentier des Apaches. Quand il eut couru environ trois cents yards, il s'arreta, attendant de nouvelles instructions de son camarade. Pendant ce temps, le vieux Rube prenait une fleche, et, attachant quelques brins de plumes d'autruche a l'extremite barbelee, il la fichait dans la plus elevee des perches que les Indiens avaient laissees debout sur le terrain du camp. La pointe etait tournee vers le sud du sentier des Apaches, et la fleche etait si bien en vue, avec sa plume noire, qu'elle ne pouvait manquer de frapper les yeux de quiconque viendrait du cote des Llanos. Cela fait, il suivit son camarade a pied, se tenant a distance du sentier et marchant avec precaution. En arrivant pres de Garey, il posa une seconde fleche par terre, la pointe tournee aussi vers le sud, et de facon a ce qu'elle put etre apercue de l'endroit ou etait la premiere. Garey galopa encore en avant, en suivant le sentier, tandis que Rube marchait, dans la prairie, sur une ligne parallele au sentier.

Apres avoir fait ainsi deux ou trois milles, Garey ralentit son allure, et mit le mustang au pas. Un peu plus loin, il s'arreta de nouveau, et mit le cheval au repos dans la partie battue du chemin. La, Rube le rejoignit, et etendit les trois couvertures sur la terre, bout a bout, dans la direction de l'ouest, en travers du chemin. Garey mit pied a terre et conduisit le cheval tout doucement en le faisant marcher sur les couvertures. Comme ses pieds ne portaient que sur deux a la fois, a mesure que celle de derriere devenait libre, elle etait enlevee et replacee en avant. Ce manege fut repete jusqu'a ce que le mustang fut arrive a environ cinquante fois sa longueur dans le milieu de la prairie. Tout cela fut execute avec une adresse et une elegance egales a celles que deploya sir Walter Raleigh dans le trait de galanterie qui lui a valu sa reputation. Garey alors ramassa les couvertures, remonta a cheval et revint sur ses pas en suivant le pied de la montagne; Rube etait retourne aupres du sentier et avait place une fleche a l'endroit ou le mustang l'avait quitte; et il continuait a marcher vers le sud avec la quatrieme. Quand il eut fait pres d'un demi-mille, nous le vimes se baisser au-dessus du sentier, se relever, traverser vers le pied de la montagne et suivre la route qu'avait pris son compagnon. Les fausses pistes etaient posees; la ruse etait complete.

El-Sol, de son cote, n'etait pas reste inactif. Plus d'un loup avait ete tue et depouille, et la viande avait ete empaquetee dans les peaux. Les gourdes etaient pleines, notre prisonnier solidement garrotte sur une mule, et nous attendions le retour de nos compagnons. Seguin avait resolu de laisser deux hommes en vedette a la source. Ils avaient pour instructions de tenir leurs chevaux au milieu des rochers et de leur porter a boire avec un seau, de maniere a ne pas faire d'empreintes fraiches aupres de l'eau. L'un d'eux devait rester constamment sur une eminence, et observer la prairie avec la lunette. Des que le retour des Navajoes serait signale, leur consigne etait de se retirer, sans etre vus, en suivant le pied de la montagne; puis de s'arreter dix milles plus loin au nord, a une place d'ou l'on decouvrait encore la plaine. La, ils devaient demeurer jusqu'a ce qu'ils eussent pu s'assurer de la direction prise par les Indiens en quittant la source, et alors seulement, venir en toute hate rejoindre la bande avec leurs nouvelles. Tous ces arrangements etaient pris, lorsque Rube et Garey revinrent; nous montames a cheval et nous nous dirigeames, par un long circuit, vers le pied de la montagne. Quand nous l'eumes atteint, nous trouvames un chemin pierreux sur lequel les sabots de nos chevaux ne laissaient aucune empreinte. Nous marchions vers le nord, en suivant une ligne presque parallele au Sentier de la guerre.