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Les chasseurs de chevelures

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XXV
TROIS JOURS DANS LA TRAPPE

Nous dumes nous preoccuper alors de notre propre situation. Les dangers et les difficultes dont nous etions entoures apparurent a nos yeux.

– Est-ce que les sauvages vont rester ici pour chasser?

Cette pensee sembla nous venir a tous au meme instant, et nous echangeames des regards inquiets et consternes.

– Cela n'est pas improbable, dit Seguin a voix basse, et d'un ton grave; il est evident qu'ils ne sont pas approvisionnes de viande; et comment pourraient-ils sans cela entreprendre la traversee du desert? Ils chasseront ici ou plus loin. Pourquoi pas ici?

– S'il en est ainsi, nous sommes dans une jolie trappe! Interrompit un chasseur montrant successivement l'entree de la gorge d'un cote et la montagne de l'autre. – Comment sortirons-nous d'ici? Je serais vraiment curieux de le savoir.

Nos yeux suivirent les gestes de celui qui parlait. En face de l'ouverture de la ravine, a moins de cent yards de distance des rochers qui en obstruaient l'entree, nous apercevions la ligne du camp des Indiens. Plus pres encore, il y avait une sentinelle. On n'aurait pu s'aventurer a sortir, la sentinelle fut-elle endormie, sans s'exposer a rencontrer les chiens qui rodaient en foule dans le camp. Derriere nous, la montagne se dressait verticalement comme un mur. Elle etait inaccessible. Nous etions positivement dans une trappe.

– Carrai! s'ecria un des hommes, nous allons crever de faim et de soif s'ils restent ici pour chasser!

– Ca sera encore plus tot fait de nous, reprit un autre, s'il leur prend fantaisie de penetrer dans la gorge!

Cette hypothese pouvait se realiser, bien qu'il y eut peu d'apparence. Le ravin formait une espece de cul-de-sac qui entrait de biais dans la montagne et se terminait a un mur de rochers. Rien ne pouvait attirer nos ennemis dans cette direction, a moins, toutefois, qu'ils ne vinssent y chercher des noix du Pinon. Quelques-uns de leurs chiens aussi ne pouvaient-ils pas venir de ce cote, en quete de gibier, ou attires par l'odeur de nos chevaux? Tout cela etait possible, et chacune de ces probabilites nous faisait frissonner.

– S'ils ne nous decouvrent pas, dit Seguin, cherchant a nous rassurer, nous pourrons vivre un jour ou deux avec des noix de pin. Quand les noix nous feront defaut, nous tuerons un de nos chevaux. Quelle quantite d'eau avons-nous?

– Nous avons de la chance, capitaine, nos outres sont presque pleines.

– Mais nos pauvres betes? Il n'y aura pas de quoi les abreuver.

– Il n'y a pas a craindre la soif tant que nous aurons de cela, dit El-Sol, regardant a terre et indiquant du pied une grosse masse arrondie qui croissait parmi les rochers: c'etait un cactus spheroidal. Voyez, continua-t-il, il y en a par centaines.

Tout le monde comprit ce qu'El-Sol voulait dire, et les regards se reposerent avec satisfaction sur les cactus.

– Camarades, reprit Seguin, il ne sert a rien de nous desoler. Que ceux qui peuvent dormir dorment. Il suffit de poser une sentinelle la-bas et une autre ici. Allez, Sanchez! Et le chef indiqua en bas de la ravine un poste d'ou on pouvait surveiller l'entree.

La sentinelle s'eloigna, et prit son poste en silence. Les autres descendirent, et, apres avoir visite les muselieres des chevaux, retournerent a la station de la vedette placee sur la crete. La, nous nous roulames dans nos couvertures, et, nous etendant sur les rochers, nous nous endormimes pour le reste de la nuit.

Avant le jour, nous sommes tous sur pied, et nous guettons a travers le feuillage avec un vif sentiment d'inquietude. Le camp des Indiens est plonge dans le calme le plus profond. C'est mauvais signe! S'ils avaient du partir, ils auraient ete debout plus tot. Ils ont l'habitude de se mettre en route avant l'aube. Ces symptomes augmentent nos alarmes. Une lueur grise commence a se repandre sur la prairie. Une bande blanche se montre a l'horizon, du cote de l'Orient. Le camp se reveille. Nous entendons des voix. Des formes noires s'agitent au milieu des lances plantees verticalement dans le sol. Des sauvages gigantesques traversent la plaine. Des peaux de betes couvrent leurs epaules et les protegent contre l'air vif du matin. Ils portent des fagots. Ils rallument les feux. Nos hommes causent a voix basse, etendus sur les rochers et suivant de l'oeil tous leurs mouvements.

– Il est evident qu'ils ont l'intention de faire sejour ici.

– Oui, ca y est; c'est sur et certain! Fichtre! je voudrais bien savoir combien de temps ils vont y rester.

– Trois jours au moins; peut-etre cinq ou six.

– B…igre de chien! nous serons flambes avant qu'il n'en soit passe la moitie!

– Que diable auraient-ils a faire ici si longtemps? Je parie, moi, qu'ils vont filer aussitot qu'ils pourront.

– Sans doute; mais pourront-ils partir plus tot?

– Ils ont bien assez d'un jour pour ramasser toute la viande dont ils ont besoin. Voyez! il y a la-bas des buffalos en masse. Regardez! la-bas, tout la-bas!

Et celui qui parlait montrait des silhouettes noires qui se detachaient sur le ciel brillant. C'etait un troupeau de buffalos.

– C'est juste. En moins d'une demi-journee, ils auront abattu autant de viande qu'ils en veulent. Mais comment la feront-ils secher en moins de trois jours. C'est la ce que je serais bien aise de savoir.

– Es verdad! dit un des Mexicains, un cibolero; tres dias, al menos!

– Oui, messieurs! Et gare si le soleil nous joue le mauvais tour de ne pas se montrer.

Ces propos sont echanges entre deux ou trois hommes qui parlent a voix basse, mais assez haut cependant pour que nous les entendions. Ils nous revelent une nouvelle face de la question, que nous n'avions pas encore envisagee. Si les Indiens restent la jusqu'a ce que leurs viandes soient sechees, nous sommes grandement exposes a mourir de soif ou a etre decouverts dans notre cachette. Nous savons que l'operation du dessechement de la viande de buffalo demande trois jours, avec un bon soleil, comme un chasseur l'a insinue. Cela, joint a une premiere journee employee a la chasse, nous fait quatre jours d'emprisonnement dans le ravin! La perspective est redoutable. Nous pressentons les atroces et mortelles tortures de la soif. La famine n'est pas a craindre; nos chevaux sont la et nous avons nos couteaux. Ils nous fourniront de la viande, au besoin, pour plusieurs semaines. Mais les cactus suffiront-ils a calmer la soif des hommes et des betes pendant trois ou quatre jours? C'est la une question que personne ne peut resoudre. Le cactus a souvent soulage un chasseur pendant quelque temps; il lui a rendu les forces necessaires pour gagner un cours d'eau, mais plusieurs jours! L'epreuve ne tarde pas a commencer. Le jour s'est leve; les Indiens sont sur pied. La moitie d'entre eux detachent les chevaux de leurs piquets et les conduisent a l'eau. Ils ajustent les brides, prennent leurs lances, bandent leurs arcs, mettent le carquois sur leurs epaules et sautent a cheval. Apres une courte consultation, ils se dirigent au galop vers l'est. Une demi-heure apres, nous les voyons poursuivant les buffalos a travers la prairie, les percant de leurs fleches et les traversant de leurs longues lances. Ceux qui sont restent au camp menent leurs chevaux a la source, et les reconduisent dans la prairie. Puis ils abattent de jeunes arbres, pour alimenter les feux. Voyez! les voila qui enfoncent de longues perches dans la terre, et qui tendent des cordes de l'une a l'autre. Dans quel but? Nous ne le savons que trop.

– Ah! regardez la-bas! murmure un des chasseurs en voyant ces preparatifs; la-bas, les cordes a secher la viande! Maintenant, il n'y a pas a dire, nous voila en cage pour tout de bon.

– Por todos los santos, es verdad!

– Caramba! carajo! chingaro! grommelle le cibolero qui voit parfaitement ce que signifient ces perches et ces cordes.

Nous observons avec un interet fievreux tous les mouvements des sauvages. Le doute ne nous est plus permis. Ils se disposent a rester la plusieurs jours. Les perches dressees presentent un developpement de plus de cent yards, devant le front du campement. Les sauvages attendent le retour de leurs chasseurs. Quelques-uns montent a cheval et se dirigent au galop vers la battue des buffalos qui fuient au loin dans la plaine. Nous regardons a travers les feuilles en redoublant de precautions, car le jour est eclatant, et les yeux percants de nos ennemis interrogent tous les objets qui les entourent. Nous parlons a voix basse, bien que la distance rende, a la rigueur, cette precaution superflue; mais, dans notre terreur, il nous semble que l'on peut nous entendre. L'absence des chasseurs indiens a dure environ deux heures. Nous les voyons maintenant revenir a travers la prairie, par groupes separes. Ils s'avancent lentement. Chacun d'eux porte une charge devant lui, sur le garrot de son cheval. Ce sont de larges masses de chair rouge, fraichement depouillee et fumante. Les uns portent les cotes et les quartiers, les autres les bosses, ceux-ci les langues, les coeurs, les foies, les petits morceaux, enveloppes dans les peaux des animaux tues. Ils arrivent au camp et jettent leurs chargements sur le sol. Alors commence une scene de bruit et de confusion. Les sauvages courent ca et la, criant, bavardant, riant et sautant. Avec leurs longs couteaux a scalper, ils coupent de larges tranches et les placent sur les braises ardentes, ils decoupent les bosses, et enlevent la graisse blanche et remplissent des boudins. Ils deploient les foies bruns qu'ils mangent crus. Ils brisent les os avec leurs tomahawks, et avalent la moelle savoureuse. Tout cela est accompagne de cris, d'exclamations, de rires bruyants et de folles gambades. Cette scene se prolonge pendant plus d'une heure. Une troupe fraiche de chasseurs monte a cheval et part. Ceux qui restent decoupent la viande en longues bandes qu'ils accrochent aux cordes preparees dans ce but. Ils la laissent ainsi pour etre transformee en tasajo par l'action du soleil. Nous savons ce qui nous attend; le peril est extreme; mais des hommes comme ceux qui composent la bande de Seguin ne sont pas gens a abandonner la partie tant qu'il reste une ombre d'espoir. Il faut qu'un cas soit bien desespere pour qu'ils se sentent a bout de ressources.

 

– Il n'y a pas besoin de nous tourmenter tant que nous ne sommes pas atteints dans nos oeuvres vives, dit un des chasseurs.

– Si c'est etre atteint dans ses oeuvres vives que d'avoir le ventre creux, replique un autre, je le suis, et ferme. Je mangerais un ane tout cru, sans lui oter la peau.

– Allons, garcons, replique un troisieme, ramassons des noix de pin et regalons-nous.

Nous suivons cet avis et nous nous mettons a la recherche des noix. A notre grand desappointement, nous decouvrons que ce precieux fruit est assez rare. Il n'y a pas sur la terre ou sur les arbres de quoi nous soutenir pendant deux jours.

– Par le diable! s'ecrie un des hommes, nous serons forces de nous en prendre a nos betes.

– Soit, mais nous avons encore le temps, nous attendrons que nous nous soyons un peu ronge les poings avant d'en venir la.

On procede a la distribution de l'eau qui se fait dans une petite tasse. Il n'en reste plus guere dans les outres, et nos pauvres chevaux souffrent.

– Occupons-nous d'eux, dit Seguin, se mettant en devoir d'eplucher un cactus avec son couteau.

Chacun de nous en fait autant et enleve soigneusement les cotes et les piquants. Un liquide frais et gommeux coule des tissus ouverts. Nous arrachons, en brisant leurs courtes queues, les boules vertes des cactus, nous les portons dans le fourre et les placons devant nos animaux. Ceux-ci s'emparent avidement de ces plantes succulentes, les broient entre les dents et avalent le jus et les fibres. Ils y trouvent a boire et a manger. Dieu merci! nous pouvons esperer de les sauver. Nous renouvelons la provision devant eux jusqu'a ce qu'ils en aient assez. Deux sentinelles sont entretenues en permanence, l'une sur la crete de la colline, l'autre en vue de l'ouverture du defile. Les autres restent dans le ravin, et cherchent, sur les flancs, les fruits coniques du Pinon. C'est ainsi que se passe notre premiere journee. Jusqu'a une heure tres-avancee de la soiree, nous voyons les chasseurs Indiens rentrer dans le camp apportant leur charge de chair de buffalo. Les feux sont partout allumes, et les sauvages, assis autour, passent presque toute la nuit a faire des grillades et a manger. Le lendemain, ils ne se levent que tres-tard. C'est un jour de repos et de paresse; la viande pend aux cordes, et ils ne peuvent qu'attendre la fin de l'operation. Ils flanent dans le camp; ils arrangent leurs brides et leurs lassos, ou passent la visite de leurs armes. Ils menent boire leurs chevaux et les reconduisent au milieu de l'herbe fraiche. Plus de cent d'entre eux sont incessamment occupes a faire griller de larges tranches de viandes, et a les manger. C'est un festin perpetuel. Leurs chiens sont fort affaires aussi, apres les os depouilles. Ils ne quitteront probablement pas cette curee, et nous n'avons pas a craindre qu'ils viennent roder du cote de la ravine tant qu'ils seront ainsi attables. Cela nous rassure un peu. Le soleil est chaud pendant toute la seconde journee, et nous rotit dans notre ravin desseche. Cette chaleur redouble notre soif; mais nous sommes loin de nous en plaindre, car elle hatera le depart des sauvages. Vers le soir, le tasajo commence a prendre une teinte brune et a se racornir. Encore un jour comme cela, et il sera bon a empaqueter. Notre eau est epuisee; nous sucons les feuilles succulentes du cactus, dont l'humidite trompe notre soif, sans pourtant l'apaiser. La faim se fait sentir de plus en plus vive. Nous avons mange toutes les noix de pin, et il ne nous reste plus qu'a tuer un de nos chevaux.

– Attendons jusqu'a demain, propose-t-on. Laissons encore une chance aux pauvres betes. Qui sait ce qui peut arriver demain matin?

Cette proposition est acceptee. Il n'y a pas un chasseur qui ne regarde la perte de son cheval comme un des plus grands malheurs qui puisse l'atteindre dans la prairie. Devores par la faim, nous nous couchons, attendant la venue du troisieme jour. Le matin arrive, et nous grimpons comme d'habitude a notre observatoire.

Les sauvages dorment tard comme la veille; mais ils se levent enfin, et, apres avoir fait boire leurs chevaux, recommencent a faire cuire de la viande. L'aspect des tranches saignantes, des cotes juteuses fumant sur la braise, l'odeur savoureuse que nous apporte la brise surexcitent notre faim jusqu'a la rendre intolerable. Nous ne pouvons pas resister plus longtemps. Il faut qu'un cheval meure! Lequel? La loi de la montagne en decidera. Onze cailloux blancs et un noir sont places dans un seau vide; l'un apres l'autre nous sommes conduits aupres, les yeux bandes. Je tremble, en mettant la main dans le vase autant que s'il s'agissait de ma propre vie.

– Grace soit rendue au ciel! mon brave Moro est sauve!..

Un des Mexicains a pris la pierre noire.

– Nous avons de la chance! s'ecria un chasseur, un bon mustang bien gras vaut mieux qu'un boeuf maigre.

En effet, le cheval designe par le sort est tres-bien en chair. Les sentinelles sont replacees, et nous nous dirigeons vers le fourre pour executer la sentence. On s'approche de la victime avec precaution; on l'attache a un arbre, et on lui met des entraves aux quatre jambes pour qu'elle ne puisse se debattre. On se propose de la saigner a blanc. Le cibolero a degaine son long couteau; un homme se tient pret a recevoir dans un seau le precieux liquide, le sang. Quelques-uns, munis de tasses, se preparent a boire aussitot que le sang coulera. Un bruit inusite nous arrete court. Nous regardons a travers les feuilles. Un gros animal gris, ressemblant a un loup, est sur la lisiere du fourre et nous regarde. Est-ce un loup? Non; c'est un chien indien. L'execution est suspendue, chacun de nous s'arme de son couteau. Nous nous approchons doucement de l'animal; mais il se doute de nos intentions, pousse un sourd grognement, et court vers l'extremite du defile. Nous le suivons des yeux. L'homme en faction est precisement le proprietaire du cheval voue a la mort. Le chien ne peut regagner la plaine qu'en passant pres de lui, et le Mexicain se tient, la lance en arret, pret a le recevoir. L'animal se voit coupe, il se retourne et court en arriere; puis, prenant un elan desespere, il essaie de franchir la vedette. Au meme moment il pousse un hurlement terrible. Il est empale sur la lance. Nous nous elancons vers la crete pour voir si le hurlement a attire l'attention des sauvages. Aucun mouvement inusite ne se manifeste parmi eux; ils n'ont rien entendu. Le chien est depece et devore avant que la chair palpitante ait eu le temps de se refroidir! Le cheval est preserve. La recolte des cactus rafraichissants pour nos betes nous occupe pendant quelque temps. Quand nous retournons a notre observatoire, un joyeux spectacle s'offre a nos yeux. Les guerriers assis autour des feux renouvellent les peintures de leurs corps. Nous savons ce que cela veut dire. Le tasajo est devenu noir. Grace au soleil brulant il sera bientot bon a empaqueter. Quelques-uns des Indiens s'occupent a empoisonner les pointes de leurs fleches. Ces symptomes raniment notre courage. Ils se mettront bientot en marche, sinon cette nuit, demain au point du jour. Nous nous felicitons reciproquement, et suivons de l'oeil tous les mouvements du camp. Nos esperances s'accroissent a la chute du jour. Ah! voici un mouvement inaccoutume. Un ordre a ete donne. Voila!

– Mira! Mira! – See! – Look! look!– Tous les chasseurs s'exclament a la fois, mais a voix basse.

– Par le grand diable vivant! ils vont partir a la brune.

Les sauvages detachent le tasajo et le mettent en rouleaux. Puis, chaque homme se dirige vers son cheval, les piquets sont arraches: les betes menees a l'eau; on les bride, on les harnache et on les sangle. Les guerriers prennent leurs lances, endossent leur carquois, ramassent leurs boucliers et leurs arcs, et sautent legerement a cheval. Un moment apres, leur file est formee avec la rapidite de la pensee, et, reprenant leur sentier, ils se dirigent, un par un, vers le sud. La troupe la plus nombreuse est passee. La plus petite, celle des Navajoes, suit la meme route. Non, cependant! cette derniere oblique soudainement vers la gauche et traverse la prairie, se dirigeant a l'est, vers la source de l'Ojo de Vaca.

XXVI
LES DIGGERS.14

Notre premier mouvement fut de nous precipiter au bas de la cote, vers la source, pour y satisfaire notre soif, et vers la plaine pour apaiser notre faim avec les os depouilles de viandes dont le camp etait jonche. Neanmoins, la prudence nous retint.

– Attendez qu'ils aient disparu, dit Garey. Ils seront hors de vue en trois sauts de chevre.

– Oui, restons ici un instant encore, ajoute un autre; quelques-uns peuvent avoir oublie quelque chose et revenir sur leurs pas.

Cela n'etait pas impossible, et, bien qu'il nous en coutat, nous nous resignames a rester quelque temps encore dans le defile. Nous descendimes au fourre pour faire nos preparatifs de depart: seller nos chevaux et les debarrasser des couvertures dont leurs tetes etaient emmaillotees. Pauvres betes! Elles semblaient comprendre que nous allions les delivrer. Pendant ce temps, notre sentinelle avait gagne le sommet de la colline pour surveiller les deux troupes, et nous avertir aussitot que les Indiens auraient disparu.

– Je voudrais bien savoir pourquoi les Navajoes vont par l'Ojo de Vaca, dit notre chef d'un air inquiet; il est heureux que nos camarades ne soient pas restes la.

– Ils doivent s'ennuyer de nous attendre ou ils sont, ajouta Garey, a moins qu'ils n'aient trouve dans les mesquites plus de queues noires que je ne me l'imagine..

– Vaya! s'ecria Sanchez, ils peuvent rendre grace a la Santissima de ne pas etre restes avec nous. Je suis reduit a l'etat de squelette Mira! Carrai!

Nos chevaux etaient selles et brides nos lassos accroches; la sentinelle ne nous avait point encore avertis. Notre patience etait a bout.

– Allons! dit l'un de nous, avancons: ils sont assez loin maintenant. Ils ne vont pas s'amuser a revenir en arriere tout le long de la route. Ce qu'ils cherchent est devant eux, je suppose. Par le diable! le butin qui les tente est assez beau!

Nous ne pumes y tenir plus longtemps. Nous helames la sentinelle. Elle n'apercevait plus que les tetes dans le lointain.

– Cela suffit, dit Seguin, venez; emmenez les chevaux!

Les hommes s'empresserent d'obeir, et nous courumes vers le fond de la ravine, avec nos betes. Un jeune homme, le pueblo domestique de Seguin, etait a quelques pas devant. Il avait hate d'arriver a la source. Au moment ou il atteignit l'ouverture de la gorge, nous le vimes se jeter a terre avec toutes les apparences de l'effroi, tirant son cheval en arriere et s'ecriant:

– Mi amo! mi amo! todavia son! (Monsieur! monsieur! Ils sont encore la!)

– Qui? demande Seguin, se portant rapidement en avant.

– Les Indiens! monsieur! les Indiens!

– Vous etes fou! Ou les voyez-vous?

– Dans le camp, monsieur. Regardez la-bas!

Je suivis Seguin vers les rochers qui masquaient l'entree du defile. Nous regardames avec precaution par-dessus. Un singulier tableau s'offrit a nos yeux. Le camp etait dans l'etat ou les Indiens l'avaient laisse, les perches encore debout. Les peaux velues de buffalos, les os empiles, couvraient la plaine; des centaines de coyotes rodaient ca et la, grondant l'un apres l'autre, ou s'acharnant a poursuivre tel d'entre eux qui avait trouve un meilleur morceau que ses compagnons. Les feux continuaient a bruler, et les loups, galopant a travers les cendres, soulevaient des nuages jaunes. Mais il y avait quelque chose de plus extraordinaire que tout cela, quelque chose qui me frappa d'epouvante. Cinq ou six formes quasi humaines s'agitaient aupres des feux, ramassant les debris de peaux et d'os, et les disputant aux loups qui hurlaient en foule tout autour d'eux. Cinq ou six autres figures semblables, assises autour d'un monceau de bois allume, rongeaient silencieusement des cotes a moitie grillees! Etaient-ce donc des… en verite, c'etaient bien des etres humains! Ce ne fut pas sans une profonde stupefaction que je considerai ces corps rabougris et rides, ces bras longs comme ceux d'un singe, ces tetes monstrueuses et disproportionnees d'ou pendaient des cheveux noirs et sales, tortilles comme des serpents. Un ou deux paraissaient avoir un lambeau de vetement, quelque vieux haillon dechire. Les autres etaient aussi nus que les betes fauves qui les entouraient; nus de la tete aux pieds. C'etait un spectacle hideux que celui de ces especes de demons noirs accroupis autour des feux, tenant au bout de leurs longs bras rides des os a moitie decharnes dont ils arrachaient la viande avec leurs dents brillantes. C'etait horrible a voir, et il se passa quelques instants avant que l'etonnement me permit de demander, qui ou quoi ils pouvaient etre. Je pus enfin articuler ma question.

 

– Los Yamparicos, repondit le cibolero.

– Les quoi? demandai-je encore.

– Los Indios Yamparicos, senor.

– Les Diggers, les Diggers dit un chasseur croyant mieux expliquer ainsi l'etrange apparition.

– Oui, ce sont des Indiens Diggers, ajouta Seguin. Avancons. Nous n'avons rien a craindre d'eux.

– Mais nous avons quelque chose a gagner avec eux, ajouta un des chasseurs, d'un air significatif. La peau du crane d'un Digger se paie aussi bien qu'une autre, tout autant que celle d'un chef Pache.

– Que personne ne fasse feu! dit Seguin d'un ton ferme. Il est trop tot encore: regardez la-bas!

Et il montra au bout de la plaine deux ou trois objets brillants, les casques des guerriers qui s'eloignaient, et qu'on apercevait encore au-dessus de l'herbe.

– Et comment pourrons-nous les prendre, alors, capitaine? demanda le chasseur. Ils nous echapperont dans les rochers; ils vont fuir comme des chiens effrayes.

– Mieux vaut les laisser partir, les pauvres diables! dit Seguin, semblant desirer que le sang ne fut pas ainsi repandu inutilement.

– Non pas, capitaine, reprit le meme interlocuteur. Nous ne ferons pas feu; mais nous les attraperons, si nous pouvons, sans cela. Garcons, suivez-moi, par ici!

Et l'homme allait diriger son cheval a travers les roches eparpillees, de maniere a passer inapercu entre les nains et la montagne. Mais il fut trompe dans son attente; car au moment ou El-Sol et sa soeur se montrerent a l'ouverture, leurs vetements brillants frapperent les yeux des Diggers. Comme des daims effarouches, ceux-ci furent aussitot sur pied et coururent ou plutot volerent vers le bas de la montagne. Les chasseurs se lancerent au galop pour leur couper le passage; mais il etait trop tard. Avant qu'ils pussent les joindre, les Diggers avaient disparu dans une crevasse, et on les voyait grimper comme des chamois, le long des rochers a pic, a l'abri de toute atteinte. Un seul des chasseurs, Sanchez, reussit a faire une prise. Sa victime avait atteint une saillie elevee, et rampait tout le long, lorsque le lasso du toreador s'enroula autour de son cou. Un moment apres, son corps se brisait sur le roc! Je courus pour le voir: il etait mort sur le coup. Son cadavre ne presentait plus qu'une masse informe, d'un aspect hideux et repoussant.

Le chasseur, sans pitie, s'occupa fort peu de tout cela. Il lanca une grossiere plaisanterie, se pencha vers la tete de sa victime, et, separant la peau du crane, il fourra le scalpel tout sanglant et tout fumant dans la poche de ses calzoneros.

14Diggers, mot a mot: homme qui creuse, fossoyeur. C'est une race particuliere de sauvage de ces montagnes.