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Les chasseurs de chevelures

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J'etais, je le repete, profondement emu en contemplant ces hommes; j'analysais leurs traits et leur habillement pittoresque. Bien qu'on n'en vit pas deux qui fussent vetus exactement de meme, il y avait une certaine similitude de costume entre eux tous. La plupart portaient des blouses de chasse, non en peau de daim comme celles des blancs, mais en calicot imprime, couvertes de brillants dessins. Ce vetement, coquettement arrange et orne de bordures, faisait un singulier effet avec l'equipement de guerre des Indiens. Mais c'etait par la coiffure specialement que le costume des Delawares et des Chawnies se distinguait de celui de leurs allies, les blancs. En effet, cette coiffure se composait d'un turban forme avec une echarpe ou avec un mouchoir de couleur eclatante, comme en portent les brunes creoles d'Haiti. Dans le groupe que j'avais sous les yeux on n'aurait pas trouve deux de ces turbans qui fussent semblables, mais ils avaient tous le meme caractere. Les plus beaux etaient faits avec des mouchoirs rayes de madras. Ils etaient surmontes de panaches composes avec les plumes brillantes de l'aigle de guerre, ou les plumes bleues du Gruya.

Leur costume etait complete par des guetres de peau de daim et des mocassins a peu pres semblables a ceux des trappeurs. Les guetres de quelques-uns etaient ornees de chevelures attachees le long de la couture exterieure, et faisant montre des sombres prouesses de celui qui les portait. Je remarquai que leurs mocassins avaient une forme particuliere, et differaient completement de ceux des Indiens des prairies. Ils etaient cousus sur le dessus, sans broderies ni ornements, et bordes d'un double ourlet.

Ces guerriers etaient armes et equipes comme les chasseurs blancs. Depuis longtemps ils avaient abandonne l'arc, et beaucoup d'entre eux auraient pu rendre des points ou disputer la mouche a leurs associes des montagnes, dans le maniement du fusil. Independamment du rifle et du long couteau, la plupart portaient l'ancienne arme traditionnelle de leur race, le terrible tomahawk.

J'ai decrit les trois groupes caracteristiques qui avaient frappe mes yeux dans le camp. Il y avait, en outre, des individus qui n'appartenaient a aucun des trois et qui semblaient participer du caractere de plusieurs. C'etaient des Francais, des voyageurs canadiens, des rodeurs de la compagnie du nord-ouest, portant des capotes blanches, plaisantant, dansant, et chantant leurs chansons de bateliers, avec tout l'esprit de leur race; c'etaient des pueblos, des Indios manzos, couverts de leurs gracieuses tilmas, et consideres plutot comme des serviteurs que comme des associes par ceux qui les entouraient. C'etaient des mulatres aussi, des negres, noirs comme du jais, echappes des plantations de la Louisiane, et qui preferaient cette vie vagabonde aux coups du fouet sifflant du commandeur. On voyait encore la des uniformes en lambeaux qui designaient les deserteurs de quelque poste de la frontiere; des Kanakas des iles Sandwich, qui avaient traverse les deserts de la Californie, etc., etc. On trouvait enfin, rassembles dans ce camp, des hommes de toutes les couleur, de tous les pays, parlant toutes les langues. Les hasards de l'existence, l'amour des aventures les avaient conduits la. Tous ces hommes plus ou moins etranges formaient la bande la plus extraordinaire qu'il m'ait jamais ete donne de voir: la bande des chasseurs de chevelures.

XIX
LUTTE D'ADRESSE

J'avais regagne ma couverture, et j'etais sur le point de m'y etendre, quand le cri d'un gruya attira mon attention. Je levai les yeux et j'apercus un de ces oiseaux qui volait vers le camp. Il venait par une des clairieres ouvrant sur la riviere, et se tenait a une faible hauteur. Son vol paresseux et ses larges ailes appelaient un coup de fusil. Une detonation se fit entendre. Un des Mexicains avait decharge son escopette, mais l'oiseau continuait a voler, agitant ses ailes avec plus d'energie, comme pour se mettre hors de portee.

Les trappeurs se mirent a rire, et une voix cria:

– Fichue bete! est-ce que tu pourrais seulement mettre ta balle dans une couverture etendue, avec cette espece d'entonnoir? Pish!

Je me retournai pour voir l'auteur de cette brutale apostrophe. Deux hommes epaulaient leurs fusils et visaient l'oiseau. L'un d'eux etait le jeune chasseur dont j'ai decrit le costume, l'autre un Indien que je n'avais pas encore apercu. Les deux detonations n'en firent qu'une, et la grue, abaissant son long cou, tomba en tournant au milieu des arbres, et resta accrochee a une branche. De la position que chacun d'eux occupait, aucun des tireurs n'avait pu voir que l'autre avait fait feu. Ils etaient separes par une tente, et les deux coups etaient partis ensemble. Un trappeur s'ecria:

– Bien tire, Garey! que Dieu assiste tout ce qui se trouve devant la bouche de ton vieux tueur d'ours, quand ton oeil est au point de mire!

A ce moment, l'Indien faisait le tour de la tente. Il entendit cette phrase, et vit la fumee qui sortait encore du fusil du jeune chasseur; il se dirigea vers lui en disant:

– Est-ce que vous avez tire, monsieur?

Ces mots furent prononces avec l'accent anglais le plus pur, le moins melange d'indien, et cela seul aurait suffi pour exciter ma surprise si deja mon attention n'eut ete vivement eveillee sur cet homme.

– Quel est cet Indien? demandai-je a un de mes voisins.

– Connais pas; nouvel arrive, fut toute la reponse.

– Croyez-vous qu'il soit etranger ici?

– Tout juste; venu il y a peu de temps; personne ne le connait, je crois; si fait pourtant; le capitaine. Je les ai vus se serrer la main.

Je regardai l'Indien avec un interet croissant. Il pouvait avoir trente ans environ et n'avait guere moins de sept pieds (anglais) de taille. Ses proportions vraiment apolloniennes le faisaient paraitre moins grand. Sa figure avait le type romain. Un front pur, un nez aquilin, de larges machoires, accusaient chez lui l'intelligence aussi bien que la fermete et l'energie. Il portait une blouse de chasse, de hautes guetres et des mocassins; mais tous ces vetements differaient essentiellement de ceux des chasseurs ou des Indiens. Sa blouse etait en peau-de daim rouge, preparee autrement que les trappeurs n'ont l'habitude de le faire. Presque aussi blanche que la peau dont on fait les gants, elle etait fermee sur la poitrine et magnifiquement brodee avec des piquants de porc-epic; les manches ornees de la meme maniere; le collet et la jupe rehausses par une garniture d'hermine douce et blanche comme la neige. Une rangee de peaux entieres de cet animal formait, tout autour de la jupe, une bordure a la fois couteuse et remarquablement belle. Mais ce qui distinguait le plus particulierement cet homme, c'etait sa chevelure. Elle tombait abondante sur ses epaules et flottait presque jusqu'a terre quand il marchait. Elle avait donc pres de sept pieds de longueur. Noire, brillante et plantureuse, elle me rappelait la queue de ces grands chevaux flamands que j'avais vus atteles aux chars funebres a Londres. Son bonnet etait garni d'un cercle complet de plumes d'aigles, ce qui, chez les sauvages, constitue la supreme elegance. Cette magnifique coiffure ajoutait a la majeste de son aspect. Une peau blanche de buffalo pendait de ses epaules, et le drapait gracieusement comme une toge. Cette fourrure blanche s'harmonisait avec le ton general de l'habillement et formait repoussoir a sa noire chevelure. Il portait encore d'autres ornements; l'eclat des metaux resplendissait sur ses armes et sur les differentes pieces de son equipement; le bois et la crosse de son fusil etaient richement damasquines en argent.

Si ma description est aussi minutieuse, cela tient a ce que le premier aspect de cet homme me frappa tellement que jamais il ne sortira de ma memoire. C'etait le beau ideal d'un sauvage romantique et pittoresque; et, de plus, chez lui rien ne rappelait le sauvage, ni son langage, ni ses manieres. Au contraire, la question qu'il venait d'adresser au trappeur avait ete faite du ton de la plus exquise politesse. La reponse ne fut pas aussi courtoise.

– Si j'ai tire? N'as-tu pas entendu le coup? N'as-tu pas vu tomber la bete? Regarde la-haut!

Et Garey montrait l'oiseau accroche dans l'arbre.

– Il parait alors que nous avons tire simultanement.

L'Indien, en disant cela, montrait son fusil, de la bouche duquel la fumee s'echappait encore.

– Voyez-vous, ca, l'Indien! que nous ayons tire simultanement, ou etrangerement, ou similairement, je m'en fiche comme de la queue d'un blaireau; mais j'ai vu l'oiseau, je l'ai ajuste, et c'est ma balle qui l'a mis bas.

– Je crois l'avoir touche aussi, repliqua l'Indien modestement.

– J'm'en doute, avec cette espece de joujou! dit Garey, jetant un regard de dedain sur le fusil de son competiteur, et ramenant ses yeux avec orgueil sur le canon, bronze par le service et les intemperies de son rifle qu'il etait en train de recharger, apres l'avoir essuye.

– Joujou, si vous voulez, repondit l'Indien, mais il envoie sa balle plus droit et plus loin qu'aucune arme que je connaisse jusqu'a present. Je garantis que mon coup a porte en plein corps de la grue.

– Voyez-vous ca, mossieu! car je suppose qu'il faut appeler mossieu un gentleman qui parle si bien et qui parait si bien eleve, quoiqu'il soit Indien. C'est bien aise a voir qui est-ce qui a touche l'oiseau. Votre machine est du numero 50 ou a peu pres, mon killbair,11 du 90. C'est pas difficile de dire qui est-ce qui a tue la bete. Nous allons bien voir.

 

Et, en disant cela, le chasseur se dirigea vers l'arbre ou le gruya etait accroche.

– Comment vas-tu faire pour l'atteindre? cria un des chasseurs qui s'etait avance pour etre temoin de la curieuse dispute.

Garey ne repondit rien et se mit en devoir d'epauler son fusil. Le coup partit, et la branche, frappee par la balle, s'affaissa sous la charge du gruya. Mais l'oiseau etait pris dans une double fourche et resta suspendu sur la branche brisee. Un murmure d'approbation suivit ce coup; et les hommes qui applaudissaient ainsi n'etaient point habitues a s'emouvoir pour peu de chose. L'Indien s'approcha a son tour, ayant recharge son fusil. Il visa, et sa balle atteignit la branche au point deja frappe, et la coupa net. L'oiseau tomba a terre, au milieu des applaudissements de tous les spectateurs, mais surtout des Indiens et des chasseurs mexicains. On le prit et on l'examina; deux balles lui avaient traverse le corps; l'une ou l'autre aurait suffi pour le tuer. Un nuage de mecontentement se montra sur la figure du jeune trappeur. Etre ainsi egale, depasse, dans l'usage de son arme favorite, en presence de tant de chasseurs de tous les pays, et cela par un Indien, bien plus encore, avec un fusil de clinquant! Les montagnards n'ont aucune confiance dans les fusils a crosses ornees et brillantes. Les rifles a paillettes, disent-ils, c'est comme les rasoirs a paillettes: c'est bon pour amuser les jobards. Il etait evident cependant que le rifle de l'Indien etranger avait ete confectionne pour faire un bon usage. Il fallut tout l'empire que le trappeur avait sur lui-meme pour cacher son chagrin. Sans mot dire, il se mit a nettoyer son arme avec ce calme stoique particulier aux hommes de sa profession. Je remarquai qu'il le chargeait avec un soin extreme. Evidemment, il ne voulait pas en rester la de cette lutte d'adresse, et il tenait a battre l'Indien ou a etre battu par lui completement. Il communiqua cette intention a voix basse a un de ses camarades. Son fusil fut bientot recharge, et, le tenant incline a la maniere des chasseurs, il se tourna vers la foule, a laquelle on etait venu se joindre de toutes les parties du camp.

– Un coup comme ca, dit-il, ca n'est pas plus difficile que de mettre dans un tronc d'arbre. Il n'y a pas d'homme qui ne puisse en faire autant, pour peu qu'il sache regarder droit dans son point de mire. Mais je connais une autre espece de coup qui n'est pas si aise; faut savoir tenir ses nerfs.

Le trappeur s'arreta et regarda l'Indien qui rechargeait aussi son fusil.

– Dites donc, etranger! reprit-il en s'adressant a lui, avez-vous ici un camarade qui connaisse votre force?

– Oui! repondit l'Indien, apres un moment d'hesitation…

– Et ce camarade a-t-il une pleine confiance dans votre adresse?

– Oh! je le crois. Pourquoi me demandez-vous cela?

– Parce que je vas vous montrer un coup que nous avions l'habitude de faire au fort de Bent, pour amuser les enfants. Ca n'a rien de bien extraordinaire comme coup; mais ca remue un peu les nerfs, faut le dire. He! oh! Rube!

– Au diable, qu'est-ce que tu veux?

Ces mots furent prononces avec une energie et un ton de mauvaise humeur qui firent tourner tous les yeux vers l'endroit d'ou ils etaient sortis. Au premier abord, il semblait qu'il n'y eut personne dans cette direction. Mais, en regardant avec plus de soin a travers les troncs d'arbres et les cepees, on decouvrait un individu assis aupres d'un des feux. Il aurait ete difficile de reconnaitre que c'etait un corps humain, n'eut ete le mouvement des bras. Le dos etait tourne du cote de la foule, et la tete, penchee du cote du feu, n'etait pas visible. D'ou nous etions, cela ressemblait plutot a un tronc de cotonnier recouvert d'une peau de Chevreuil terreuse qu'a un corps humain. En s'approchant et en le regardant par devant, on reconnaissait avoir affaire a un homme tres extraordinaire il est vrai, tenant a deux mains une longue cote de daim, et la rongeant avec ce qui lui restait de dents. L'aspect general de cet individu avait quelque chose de bizarre et de frappant. Son habillement, si on pouvait appeler cela un habillement, etait aussi simple que sauvage. Il se composait d'une chose qui pouvait avoir ete autrefois une blouse de chasse, mais qui ressemblait beaucoup plus alors a un sac de peau, dont on aurait ouvert les bouts et aux cotes duquel on aurait cousu des manches. Ce sac etait d'une couleur brun sale; les manches, rapees et froncees aux plis des bras etaient attachees autour des poignets; il etait graisseux du haut en bas, et emaille ca et la de plaques de boue! On n'y voyait aucun essai d'ornements ou de franges. Il y avait eu autrefois un collet, mais on l'avait evidemment rogne, de temps en temps, soit pour rapiecer le reste, soit pour tout autre motif, et a peine en restait-il vestige. Les guetres et les mocassins allaient de pair avec la blouse et semblaient sortir de la meme piece. Ils etaient aussi d'un brun sale, rapieces, rapes et graisseux. Ces deux parties du vetement ne se rejoignaient pas, mais laissaient a nu une partie des chevilles qui, elles aussi, etaient d'un brun sale, comme la peau de daim. On ne voyait ni chemise, ni veste, ni aucun autre vetement, a l'exception d'une etroite casquette qui avait ete autrefois un bonnet de peau de chat, mais dont tous les poils etaient partis laissant a decouvert une surface de peau graisseuse qui s'harmonisait parfaitement avec les autres parties de l'habillement. Le bonnet, la blouse, les jambards et les mocassins, semblaient n'avoir jamais ete otes depuis le jour ou ils avaient ete mis pour la premiere fois, et cela devait avoir eu lieu nombre d'annees auparavant. La blouse ouverte laissait a nu la poitrine et le cou qui, aussi bien que la figure, les mains et les chevilles avaient pris, sous l'action du soleil et de la fumee des bivouacs, la couleur du cuivre brut. L'homme tout entier, l'habillement compris, semblait avoir ete enfume a dessein! Sa figure annoncait environ soixante ans. Ses traits etaient fins et legerement aquilins; son petit oeil noir vif et percant. Ses cheveux noirs etaient coupes courts. Son teint avait du etre originairement brun, et nonobstant, il n'y avait rien de francais ou d'espagnol dans sa physionomie. Il paraissait plutot appartenir a la race des Saxons bruns.

Pendant que je regardais aussi cet homme vers lequel la curiosite m'avait attire, je crus m'apercevoir qu'il y avait en lui quelque chose de particulierement etrange, en dehors de la bizarrerie de son accoutrement. Il semblait qu'il manquat quelque chose a sa tete. Qu'est-ce que cela pouvait etre? Je ne fus pas longtemps a le decouvrir. Lorsque je fus en face de lui, je vis que ce qui lui manquait, c'etaient… ses oreilles. Cette decouverte me causa une impression voisine de la crainte. Il y a quelque chose de saisissant dans l'aspect d'un homme prive de ses oreilles. Cela eveille l'idee de quelque drame epouvantable, de quelque scene terrible, d'une cruelle vengeance; cela fait penser au chatiment de quelque crime affreux. Mon esprit s'egarait dans diverses hypotheses, lorsque je me rappelai un detail mentionne par Seguin, la nuit precedente. J'avais devant les yeux, sans doute, l'individu dont il m'avait parle. Je me sentis tranquillise. Apres avoir fait la reponse mentionnee plus haut, cet homme singulier resta assis quelques instants, la tete entre les genoux, ruminant, marmottant et grognant comme un vieux loup maigre dont on troublerait le repas.

– Viens ici, Rube! j'ai besoin de toi un instant, continua Garey d'un ton presque menacant.

– T'as beau avoir besoin de moi; l'Enfant ne se derangera pas qu'il n'ait fini de nettoyer son os; il ne peut pas maintenant.

– Allons, vieux chien, depeche-toi alors!

Et l'impatient trappeur, posant la crosse de son fusil a terre, attendit silencieux et de mauvaise humeur. Apres avoir marronne, ronge et grogne quelques minutes encore, le vieux Rube, car c'etait le nom sous lequel ce fourreau de cuir etait connu, se leva lentement et se dirigea vers la foule.

– Qu'est-ce que tu veux, Billye? demanda-t-il au trappeur en allant a lui.

– J'ai besoin que tu me tiennes ca, repondit Garey en lui presentant une petite coquille blanche et ronde a peu pres de la dimension d'une montre. La terre a nos pieds etait couverte de ces coquillages.

– Est-ce un pari, garcon?

– Non, ce n'est pas un pari.

– Pourquoi donc user ta poudre alors? en as-tu trop?

– J'ai ete battu, reprit le trappeur a voix basse, et battu par cet

Indien.

Rube chercha de l'oeil l'Indien, qui se tenait droit et majestueux, dans toute la noblesse de son plumage. Aucune apparence de triomphe ou de fanfaronnade ne se montrait sur sa figure; il s'appuyait sur son rifle dans une attitude a la fois calme et digne. A la maniere dont le vieux Rube le regarda, on pouvait facilement deviner qu'il l'avait deja vu auparavant, mais ailleurs que dans ce camp. Il le toisa du haut en bas, arreta un instant les yeux sur ses pieds, et ses levres murmurerent quelques syllabes inintelligibles qui se terminerent brusquement par le mot: "Coco."

– Tu crois que c'est un Coco? demanda l'autre avec un interet marque.

– Est-ce que tu es aveugle, Billye? Est-ce que tu ne vois pas ses mocassins?

– Tu as raison; mais j'ai demeure chez cette nation, il y a deux ans, et je n'ai pas vu d'homme pareil a celui-la.

– Il n'y etait pas.

– Ou etait-il donc?

– Dans un pays ou on ne voit guere de peaux-rouges. Il doit bien tirer: autrefois, il couvrait la mouche a tout coup.

– Tu l'as donc connu?

– Oui, oui, a tout coup. Jolie fille, beau garcon! – Ou veux-tu que j'aille me mettre?

Je crus voir que Garey n'aurait pas mieux demande que de continuer la conversation. Il tendit l'oreille avec un interet marque quand l'autre prononca les mots: jolie fille. Ces mots eveillaient sans doute en lui un tendre souvenir; mais, voyant que son camarade se preparait a s'eloigner, il lui montra du doigt un sentier ouvert qui se dirigeait vers l'est, et lui repondit simplement: Soixante.

– Prends garde a mes griffes, entends-tu? Les Indiens m'en ont deja enleve une, et l'Enfant a besoin de menager les autres.

Le vieux trappeur, en disant cela, fit un geste arrondi de la main droite, et je vis que le petit doigt etait absent.

– As pas peur, vieille rosse! lui fut-il repondu.

Sans plus d'observations, l'homme enfume s'eloigna d'un pas lent a la regularite duquel on reconnaissait qu'il mesurait la distance. Quand il eut marque le soixantieme pas, il se retourna et se redressa en joignant les talons; puis il etendit son bras droit de maniere que sa main fut au niveau de son epaule; il tenait entre deux doigts la coquille dont il presentait la face au tireur:

– Allons, Billye, cria-t-il alors, tire et tiens-toi bien.

Le coquillage etait legerement concave, et le creux etait tourne de notre cote. Le pouce et le doigt indicateur en cachaient une partie du bord sur la moitie de la circonference, et la surface visible pour le tireur ne depassait pas la largeur du fond d'une montre ordinaire. C'etait un emouvant spectacle; l'on aurait tort de penser, comme quelques voyageurs voudraient le faire croire, que des faits de ce genre fussent tres-communs parmi les hommes de la montagne. Un coup pareil prouve doublement l'habilete du tireur, d'abord, en montrant tout l'empire qu'il sait exercer sur lui-meme, et, en second lieu, par la confiance eclatante qu'un autre manifeste dans cette adresse, confiance mieux etablie par une semblable preuve que par tous les serments du monde. Certes, en pareil cas, il y a au moins autant de merite a tenir le but qu'a le toucher. Beaucoup de chasseurs consentiraient a risquer le coup, mais bien peu se soucieraient de tenir la coquille. C'etait, dis-je, un emouvant spectacle, et je me sentais fremir en le regardant. Plus d'un fremissait comme moi; mais personne ne tenta d'intervenir. Peu l'eussent ose, quand bien meme les deux hommes se fussent disposes a tirer l'un sur l'autre. Tous deux etaient consideres parmi leurs camarades, comme d'excellents tireurs, comme des trappeurs de premier ordre. Garey, apres avoir aspire fortement, se planta ferme, le talon de son pied gauche oppose et un peu en avant de son cou-de-pied droit. Puis, armant son fusil, il laissa tomber le canon dans la main gauche, et cria a son camarade:

– Attention, vieux rongeur d'os, garde a toi!

Ces mots a peine prononces, le chasseur mettait en joue. Il se fit un silence de mort; tous les yeux etaient fixes sur le but. Le coup partit et l'on vit la coquille enlevee, brisee en cinquante morceaux! Il y eut une grande acclamation de la foule. Le vieux Rube se baissa pour ramasser un des fragments, et, apres l'avoir examine un moment, cria a haute voix:

 

– Plomb centre! nom d'une pipe.

Le jeune trappeur avait en effet touche au centre meme de la coquille, ainsi que le prouvait la marque bleuatre faite par la balle.

11Killbair, pour killbear, tueur d'ours.