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Les chasseurs de chevelures

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XVII
GEOGRAPHIE ET GEOLOGIE

Nous nous reposames environ une heure sous l'ombre fraiche, pendant que nos chevaux se refaisaient aux depens de l'excellent paturage qui croissait abondant autour d'eux. Nous causions du pays curieux que nous etions en train de traverser; curieux sous le rapport de sa geographie, de sa geologie, de sa botanique et de son histoire; curieux enfin sous tous les rapports. Je suis, je puis le dire, un voyageur de profession. J'eprouvais un vif interet a me renseigner sur les contrees sauvages qui s'etendaient a des centaines de milles autour de nous; et il n'y avait pas d'homme plus capable de m'instruire a cet egard que mon interlocuteur. Mon voyage en aval de la riviere m'avait tres-peu initie a la physionomie du pays. J'etais a cette epoque, ainsi que je l'ai dit, devore par la fievre; et ce que j'avais pu voir n'avait laisse dans ma memoire que des souvenirs confus comme ceux d'un songe. Mais j'avais repris possession de toutes mes facultes, et les paysages que nous traversions tantot charmants et revetus des richesses meridionales, tantot sauvages, accidentes, pittoresques, frappaient vivement mon imagination.

L'idee que cette partie du pays avait ete occupee autrefois par les compagnons de Cortez, ainsi que le prouvaient de nombreuses ruines; qu'elle avait ete reconquise par les sauvages, ses anciens possesseurs; l'evocation des scenes tragiques qui avaient du accompagner cette reprise de possession, inspiraient une foule de pensees romanesques auxquelles les realites qui nous environnaient formaient un admirable cadre. Seguin etait communicatif, d'une intelligence elevee, et ses vues etaient pleines de largeur. L'espoir d'embrasser bientot son enfant, si longtemps perdue, soutenait en lui la vie. Depuis bien des annees, il ne s'etait pas senti aussi heureux.

– C'est vrai, dit-il repondant a une de mes questions, on connait bien peu de choses de toute cette contree, au dela des etablissements mexicains. Ceux qui auraient pu en dresser la carte geographique n'ont pas accompli cette tache. Ils etaient trop absorbes dans la recherche de l'or; et leurs miserables descendants, comme vous avez pu le voir, sont trop occupes a se voler les uns les autres, pour s'inquieter d'autre chose. Ils ne savent rien de leur pays au dela des bornes de leurs domaines, et le desert gagne tous les jours sur eux. Tout ce qu'ils en savent, c'est que c'est de ce cote que viennent leurs ennemis, qu'ils redoutent comme les enfants craignent le loup et Croquemitaine.

– Nous sommes ici, continua Seguin, a peu pres au centre du continent: au coeur du Sahara americain. Le Nouveau-Mexique est une oasis, rien de plus. Le desert l'environne d'une ceinture de plusieurs centaines de milles de largeur; dans certaines directions, vous pouvez faire mille milles, a partir du Del-Norte, sans rencontrer un point ferme. L'oasis de New-Mexico doit son existence aux eaux fertilisantes du Del-Norte. C'est le seul point habite par les blancs, entre la rive droite de Mississipi et les bords de l'ocean Pacifique, en Californie. Vous y etes arrive en traversant un desert, n'est-ce pas?

– Oui. Et, a mesure que nous nous eloignions du Mississipi en nous rapprochant des montagnes Rocheuses, le pays devenait de plus en plus sterile. Pendant les trois cents derniers milles environ, nous pouvions a peine trouver l'eau et l'herbe necessaires a nos animaux. Mais est-ce qu'il en est ainsi au nord et au sud de la route que nous avons suivie?

Au nord et au sud, pendant plus d'un millier de milles, depuis les plaines

du Texas jusqu'aux lacs du Canada, tout le long de la baie des montagnes

Rocheuses, et jusqu'a moitie chemin des etablissements qui bordent le

Mississipi, vous ne trouverez pas un arbre, pas un brin d'herbe.

– Et a l'ouest des montagnes?

– Quinze cents milles de desert en longueur sur a peu pres sept ou huit cents de large. Mais la contree de l'ouest presente un caractere different. Elle est plus accidentee, plus montagneuse, et, si cela est possible, plus desolee encore dans son aspect. Les feux volcaniques ont eu la une action plus puissante, et, quoique des milliers d'annees se soient ecoulees depuis que les volcans sont eteints, les roches ignees, a beaucoup d'endroits, semblent appartenir a un soulevement tout recent. Les couleurs de la lave et des scories qui couvrent les plaines a plusieurs milles d'etendue, dans certains endroits n'ont subi aucune modification sous l'action vegetale ou climaterique. Je dis que l'action climaterique n'a eu aucun effet, parce qu'elle n'existe pour ainsi dire pas dans cette region centrale.

– Je ne vous comprends pas.

– Voici ce que je veux dire: les changements atmospheriques sont insensibles ici; rarement il y a pluie ou tempete. Je connais tels districts ou pas une goutte d'eau n'est tombee dans le cours de plusieurs annees.

– Et pouvez-vous vous rendre compte de ce phenomene?

– J'ai ma theorie; peut-etre ne semblerait-elle pas satisfaisante au meteorologiste savant; mais je veux vous l'exposer.

Je pretai l'oreille avec attention, car je savais que mon compagnon etait un homme de science, d'experience et d'observation, et les sujets du genre de ceux qui nous occupaient m'avaient toujours vivement interesse. Il continua:

– Il ne peut y avoir de pluie s'il n'y a pas de vapeur dans l'air. Il ne peut y avoir de vapeur dans l'air s'il n'y a pas d'eau sur la terre pour la produire. Ici, l'eau est rare, et pour cause.

Cette region du desert est a une grande hauteur; c'est un plateau tres-eleve. Le point ou nous sommes est a pres de 6,000 pieds au-dessus du niveau de la mer. De la, la rarete des sources qui, d'apres les lois de l'hydraulique, doivent etre alimentees par des regions encore plus elevees; or, il n'en existe pas sur ce continent. Supposez que je puisse couvrir ce pays d'une vaste mer, entouree comme d'un mur par ces hautes montagnes qui le traversent; et cette mer a existe, j'en suis convaincu, a l'epoque de la creation de ces bassins. Supposez que je cree une telle mer sans lui laisser aucune voie d'ecoulement, sans le moindre ruisseau d'epuisement; avec le temps, elle irait se perdre dans l'Ocean, et laisserait la contree dans l'etat de secheresse ou vous la voyez aujourd'hui.

– Mais comment cela! par l'evaporation?

-Au contraire; l'absence d'evaporation serait la cause de leur epuisement.

Et je crois que c'est ainsi que les choses se sont passees.

– Je ne saurais comprendre cela.

– C'est tres-simple. Cette region, nous l'avons dit, est tres-elevee; en consequence, l'atmosphere est froide, et l'evaporation s'y produit avec moins d'energie que sur les eaux de l'Ocean. Maintenant, il s'etablira entre l'Ocean et cette mer interieure, un echange de vapeurs par le moyen des vents et des courants d'air; car c'est ainsi seulement que le peu d'eau qui arrive sur ces plateaux peut parvenir. Cet echange sera necessairement en faveur des mers interieures, puisque leur puissance d'evaporation est moindre, et pour d'autres causes encore. Nous n'avons pas le temps de proceder a une demonstration reguliere de ce resultat. Admettez-le, quant a present, vous y reflechirez plus tard a loisir.

– J'entrevois la verite; je vois ce qui se passe.

– Que suit-il de la? Ces mers interieures se rempliront graduellement jusqu'a qu'elles debordent. La premiere petite rigole qui passera par-dessus le bord sera le signal de leur destruction. L'eau se creusera peu a peu un canal a travers le mur des montagnes; tout petit d'abord, puis devenant de plus en plus large et profond sous l'incessante action du flot, jusqu'a ce que, apres nombre d'annees, – de siecles, – de centaines de siecles, de milliers, peut-etre, une grande ouverture comme celle-ci (et Seguin me montrait le canon) soit pratiquee; et bientot la plaine aride que nous voyons derriere sera livree a l'etude du geologue etonne.

– Et vous pensez que les plaines situees entre les Andes et les montagnes

Rocheuses sont des lits desseches de mers?

– Je n'ai pas le moindre doute a cet egard. Apres le soulevement de ses immenses murailles, les cavites necessairement remplies par les pluies de l'Ocean, formerent des mers; d'abord tres-basses, puis de plus en plus profondes, jusqu'a ce que leur niveau atteignit celui des montagnes qui leur servaient de barriere, et que, comme je vous l'ai explique, elles se frayassent un chemin pour retourner a l'Ocean.

– Mais est-ce qu'il n'existe pas encore une mer de ce genre?

– Le grand Lac Sale? Oui, c'en est une. Il est situe au nord-ouest de l'endroit ou nous sommes. Ce n'est pas seulement une mer, mais tout un systeme de lacs, de sources, de rivieres, les unes salees les autres d'eau douce; et ces eaux n'ont aucun ecoulement vers l'Ocean. Elles sont barrees par des collines et des montagnes qui constituent dans leur ensemble un systeme geographique complet.

– Est-ce que cela ne detruit pas votre theorie?

– Non. Le bassin ou ce phenomene se produit est beaucoup moins eleve que la plupart des plateaux du desert. La puissance d'evaporation equilibre l'apport de ces sources et de ces rivieres, et consequemment neutralise leur effet, c'est-a-dire que dans l'echange de vapeurs qui se fait avec l'Ocean, ce bassin donne autant qu'il recoit. Cela tient moins encore a son peu d'elevation qu'a l'inclinaison particuliere des montagnes qui y versent leurs eaux. Placez-le dans une situation plus froide, coeteris paribus, et avec le temps, l'eau se creusera un canal d'epuisement. Il en est de ce lac comme de la mer Caspienne, de la mer d'Aral, de la mer Morte. Non, mon ami, l'existence du grand Lac Sale ne contrarie pas ma theorie. Autour de ses bords le pays est fertile; fertile a cause des pluies dont il est redevable aux masses d'eau qui l'entourent. Ces pluies ne se produisent que dans un rayon assez restreint, et ne peuvent agir sur toute la region des deserts qui restent secs et steriles a cause de leur grande distance de l'Ocean.

 

– Mais les vapeurs qui s'elevent de l'Ocean ne peuvent-elles venir jusqu'au desert?

– Elles le peuvent, comme je vous l'ai dit, dans une certaine mesure; autrement il n'y pleuvrait jamais. Quelquefois, sous l'influence de quelque cause extraordinaire, telle que des vents violents, les nuages arrivent par masses jusqu'au centre du continent. Alors vous avez des tempetes, et de terribles tempetes! Mais, generalement, ce sont seulement les bords des nuages qui arrivent jusque-la, et ces lambeaux de nuages combines avec les vapeurs, resultant de l'evaporation propre des sources et des rivieres du pays, fournissent toute la pluie qui y tombe. Les grandes masses de vapeur qui s'elevent du Pacifique et se dirigent vers l'est, s'arretent d'abord sur les cotes et y deposent leurs eaux; celles qui s'elevent plus haut et depassent le sommet des montagnes vont plus loin, mais elles sont arretees, a cent milles de la, par les sommets plus eleves de la sierra Nevada, ou elles se condensent et retournent en arriere vers l'Ocean, par les cours du Sacramento et du San-Joachim. Il n'y a que la bordure de ces nuages qui, s'elevant encore plus haut et echappant a l'attraction de la Nevada, traverse et vient s'abattre sur le desert. Qu'en resulte-t-il? L'eau n'est pas plutot tombee qu'elle est entrainee vers la mer par le Gila et le Colorado, dont les ondes grossies fertilisent les pentes de la Nevada; pendant ce temps, quelques fragments, echappes d'autres masses de nuages, apportent un faible tribut d'humidite aux plateaux arides et eleves de l'interieur, et se resolvent en pluie ou en neige sur les pics des montagnes Rocheuses. De la les sources des rivieres qui coulent a l'est et a l'ouest; de la les oasis, semblables a des parcs que l'on rencontre au milieu des montagnes. De la les fertile vallees du Del-Norte et des autres cours d'eau qui couvrent ces terres centrales de leurs nombreux meandres. Les nuages qui s'elevent de l'Atlantique agissent de la meme maniere en traversant la chaine des Alleghanis. Apres avoir decrit un grand arc de cercle autour de la terre, ils se condensent et tombent dans les vallees de l'Ohio et du Mississipi. De quelque cote que vous abordiez ce grand continent, a mesure que vous Vous approchez du centre, la fertilite diminue et cela tient uniquement au manque d'eau. En beaucoup d'endroits, partout ou l'on peut apercevoir une trace d'herbe, le sol renferme tous les elements d'une riche vegetation. Le docteur vous le dira: il l'a analyse.

– Ya! ya! cela est vrai, se contenta d'affirmer le docteur.

– Il y a beaucoup d'oasis, continua Seguin, et des qu'on a de l'eau pour pouvoir arroser, une vegetation luxuriante apparait aussitot. Vous avez du remarquer cela en suivant le cours inferieur de la riviere, et c'est ainsi que les choses se passaient dans les etablissements espagnols sur les rives du Gila.

– Mais pourquoi ces etablissements ont-ils ete abandonnes? demandai-je, n'ayant jamais entendu assigner aucune cause raisonnable a la dispersion de ces florissantes colonies.

– Pourquoi! repondit Seguin avec une energie marquee, pourquoi! Tant qu'une race autre que la race iberienne n'aura pas pris possession de cette terre, l'Apache, le Navajo et le Comanches, les vaincus de Cortez, et quelquefois ses vainqueurs chasseront les descendants de ces premiers conquerants du Mexique. Voyez, les provinces de Sonora, de Chihuahua, a moitie depeuplees! Voyez le Nouveau-Mexique: ses habitants ne vivent que par tolerance; il semble qu'ils ne cultivent la terre que pour leurs ennemis, qui prelevent sur eux un tribut annuel! – Mais, allons! le soleil nous dit qu'il est temps de partir; allons! Montez a cheval; nous pouvons suivre la riviere, continua-t-il. Il n'a pas plu depuis quelque temps et l'eau est basse; autrement il nous aurait fallu faire quinze milles a travers la montagne. Tenez-vous pres des rochers! Marchez derriere moi!

Cet avertissement donne, il entra dans le canon; je le suivis, ainsi que

Gode et le docteur.

XVIII
LES CHASSEURS DE CHEVELURES

Il etait presque nuit quand nous arrivames au camp, au camp des chasseurs de scalps. Notre arrivee fut a peine remarquee. Les hommes pres desquels nous passions se bornaient a jeter un coup d'oeil sur nous. Pas un ne se leva de son siege ou ne se derangea de son occupation. On nous laissa desseller nos chevaux et les placer ou nous le jugeames a propos.

J'etais fatigue de la course, apres avoir passe si longtemps sans faire usage du cheval. J'etendis ma couverture par terre, et je m'assis, le dos appuye contre un tronc d'arbre. J'aurais volontiers dormi, mais l'etrangete de tous les objets qui m'environnaient tenait mon imagination eveillee; je regardais et j'ecoutais avec une vive curiosite. Il me faudrait le secours du pinceau pour vous donner une esquisse de la scene, et encore ne pourrais-je vous en donner qu'une faible idee. Jamais ensemble plus sauvage et plus pittoresque ne frappa la vue d'aucun homme. Cela me rappelait les gravures ou sont representes les bivouacs de brigands dans les sombres gorges des Abruzzes. Je decris d'apres des souvenirs qui se rapportent a une epoque deja bien eloignee de ma vie aventureuse. Je ne puis donc reproduire que les points les plus saillants du tableau. Les petits details m'ont echappe; alors cependant les moindres choses me frappaient par leur nouveaute, et leur etrangete fixait pendant quelque temps mon attention. Peu a peu ces choses me devinrent familieres, et des lors, elles s'effacerent de ma memoire comme le font les actes ordinaires de la vie.

Le camp etait etabli sur la rive du Del-Norte, dans une clairiere environnee de cotonniers dont les troncs lisses s'elancaient au-dessus d'un epais fourre de palmiers nains et de baionnettes espagnoles. Quelques tentes en lambeaux etaient dressees ca et la; on y voyait aussi des huttes en peaux de betes, a la maniere indienne. Mais le plus grand nombre des chasseurs avaient construit leur abri avec une peau de buffalo supportee par quatre piquets debout. Il y avait, dans le fourre, des sortes de cabanes formees de branchages et couvertes avec des feuilles palmees d'yucca, ou des joncs arraches au bord de la riviere. Des sentiers frayes a travers le feuillage conduisaient dans toutes les directions. A travers une de ces percees, on apercevait le vert tapis d'une prairie dans laquelle etaient groupes les mules et les mustangs, attaches a des piquets par de longues cordes trainantes. On voyait de tous cotes des ballots, des selles, des brides, celles-la posees sur des troncs d'arbres, celles-ci suspendues aux branches; des sabres rouilles se balancaient devant les tentes et les huttes; des ustensiles de campement de toutes sortes, tels que casseroles, chaudieres, haches, etc., jonchaient le sol. Autour de grands feux, ou brillaient des arbres entiers, des groupes d'hommes etaient assis. Ils ne cherchaient pas la chaleur, car la temperature n'etait pas froide: ils faisaient griller des tranches de venaison; ou fumaient dans des pipes de toutes formes et de toutes dimensions. Quelques-uns fourbissaient leurs armes ou reparaient leurs vetements.

Des sons de toutes les langues frappaient mon oreille: lambeaux entremeles de francais, d'espagnol, d'anglais et d'indien. Les exclamations se croisaient, chacune caracterisant la nationalite de ceux qui les proferaient: "Hilloa, Dick! kung it, old hoss, whot ore ye' bout? (Hola, Dick! accroche-moi ca, vieille rosse; qu'est-ce que tu fais donc?)" – "Sacrr…! —Carramba!" – "Pardieu, monsieur!" – "By the eternal airthquake!" (par le tremblement de terre eternel). – "Vaya, hombre, vaya!" " —Carajo!" – "By Gosh!_" – "Santissima, Maria!" – "Sacrr…!" On aurait pu croire que les differentes nations avaient envoye la des representants pour etablir un concours de jurements.

Trois groupes distincts etaient formes. Dans chacun d'eux un langage particulier dominait, et il y avait une espece d'homogeneite de costume chez les hommes qui composaient chacun de ces groupes. Le plus voisin de moi parlait espagnol: c'etaient des Mexicains. Voici, autant que je me le rappelle, la description de l'habillement de l'un d'eux:

Des calzoneros de velours vert, tailles a la maniere des culottes de marin; courts de la ceinture, serres sur les hanches, larges du bas, doubles a la partie inferieure de cuir noir ornemente de filets gaufres et de broderies; fendus a la couture exterieure, depuis la hanche jusqu'a la cuisse; ornes de tresses, et bordes de rangees d'aiguillettes a ferrets d'argent. Les fentes sont ouvertes, car la soiree est chaude, et laissant apercevoir les calzoncillos de mousseline blanche, pendant a larges plis jusqu'autour de la cheville. Les bottes sont en peau de biche tannee, de couleur naturelle. Le cuir en est rougeatre; le bout est arrondi, les talons sont armes d'eperons, pesant chacun une livre au moins; et garnis de molettes de trois pouces de diametre! Ces eperons, curieusement travailles, sont attaches a la botte par des courroies de cuir ouvre. Des petits grelots (campanillas) pendent de chacune des dents de ces molettes colossales, et font entendre leur tintement, a chaque mouvement du pied. Les calzoneros ne sont point soutenus par des bretelles, mais fixes autour de la taille par une ceinture ou une echarpe de soie ecarlate. Cette ceinture fait plusieurs fois le tour du corps; elle se noue par derriere, et les bouts franges pendent gracieusement pres de la hanche gauche. Pas de gilet; une jaquette d'etoffe brune brodee, juste au corps, courte par derriere, a la grecque, et laissant voir la chemise elle-meme, a large collet, brodee sur le devant, temoigne de l'habilete superieure de quelque poblana a l'oeil noir. Le sombrero a larges bords projette son ombre sur tout cet ensemble; c'est un lourd chapeau en cuir verni noir, garni d'une large bordure en galon d'argent. Des glands, egalement en argent, tombent sur le cote et donnent a cette coiffure un aspect tout particulier. Sur une epaule pend le pittoresque serape, a moitie roule. Un baudrier et une gibeciere, une escopette sur laquelle la main est appuyee, une ceinture de cuir garnie d'une paire de pistolets de faible calibre, un long couteau espagnol suspendu obliquement sur la hanche gauche, completent le costume que j'ai pris pour type de ma description. A quelques menus details pres, tous les hommes qui composent le groupe le plus rapproche de moi sont vetus de cette maniere. Quelques-uns portent des calzoneros de peau, avec un spencer ou pourpoint de meme matiere, ferme par devant et par derriere. D'autres ont, au lieu du serape en etoffe peinte, la couverture des Navajoes avec ses larges raies noires. D'autres laissent pendre de leurs epaules la superbe et gracieuse manga. La plupart sont chausses de mocassins; un petit nombre, les plus pauvres, n'ont que le simple guarache, la sandale des Asteques. La physionomie de ces hommes est sombre et sauvage; leurs cheveux longs et roides sont noirs comme l'aile du corbeau; des barbes et des moustaches incultes couvrent leurs visages; des yeux noirs feroces brillent sous les larges bords de leurs chapeaux. Ils sont generalement petits de taille; mais il y a dans leurs corps une souplesse qui denote la vigueur et l'activite. Leurs membres, bien decouples, sont endurcis a la fatigue et aux privations. Tous, ou presque tous, sont nes dans les fermes du Mexique; habitant la frontiere, ils ont eu souvent a combattre les Indiens. Ce sont des ciboleros, des vaqueros, des rancheros et des monteros, qui, a force de frequenter les montagnards, les chasseurs de races gauloise et saxonne des plaines de l'est, ont acquis un degre d'audace et de courage dont ceux de leur pays sont rarement doues. C'est la chevalerie de la frontiere mexicaine. Ils fument des cigarettes, qu'ils roulent entre leurs doigts, dans des feuilles de mais. Ils jouent au monte sur leurs couvertures etendues a terre, et leur enjeu est du tabac. On entend les maledictions et les "carajo" de ceux qui perdent; les gagnants adressent de ferventes actions de graces a la "santissima Virgen." Ils parlent une sorte de patois espagnol; leurs voix sont rudes et desagreables.

A une courte distance, un second groupe attire mon attention. Ceux qui le composent different des precedents sous tous les rapports: la voix, l'habillement, le langage et la physionomie. On reconnait au premier coup d'oeil des Anglo-Americains. Ce sont des trappeurs, des chasseurs de la prairie, des montagnards. Choisissons aussi parmi eux un type qui nous servira pour les depeindre tous.

 

Il se tient debout, appuye sur sa longue carabine, et regarde le feu. Il a six pieds de haut, dans ses mocassins, et sa charpente denote la force hereditaire du Saxon. Ses bras sont comme des troncs de jeunes chenes; la main qui tient le canon du fusil est large, maigre et musculeuse. Ses joues, larges et fermes, sont en partie cachees sous d'epais favoris qui se reunissent sous le menton et viennent rejoindre la barbe qui entoure les levres. Cette barbe n'est ni blonde ni noire; mais d'un brun fonce qui s'eclaircit autour de la bouche, ou l'action combinee de l'eau et du soleil lui a donne une teinte d'ambre. L'oeil est gris ou gris-bleu, petit et legerement plisse vers les coins. Le regard est ferme, et reste generalement fixe. Il semble penetrer jusqu'a votre interieur. Les cheveux bruns sont moyennement longs. Ils ont ete coupes sans doute lors de la derniere visite a l'entrepot de commerce, ou aux etablissements; le teint, quoique bronze comme celui d'un mulatre, n'est devenu ainsi que par l'action du hale. Il etait autrefois clair comme celui des blonds. La physionomie est empreinte d'un caractere assez imposant. On peut dire qu'elle est belle. L'expression generale est celle du courage tempere par la bonne humeur et la generosite. L'habillement de l'homme dont je viens de tracer le portrait sort des manufactures du pays, c'est-a-dire de son pays a lui, la prairie et les parcs de la montagne deserte. Il s'en est procure les materiaux avec la balle de son rifle, et l'a faconne de ses propres mains, a moins qu'il ne soit un de ceux qui, dans un de leurs moments de repos, prennent, pour partager leur hutte, quelque fille indienne, des Sioux, des Crows ou des Cheyennes. Ce vetement consiste en une blouse de peau de daim preparee, rendue souple comme un gant par l'action de la fumee; de grandes jambieres montant jusqu'a la ceinture et des mocassins de meme matiere; ces derniers, garnis d'une semelle de cuir epais de buffalo. La blouse serree a la taille, mais ouverte sur la poitrine et au cou, se termine par un elegant collet qui retombe en arriere jusque sur les epaules. Par-dessous on voit une autre chemise de matiere plus fine, en peau preparee d'antilope, de faon ou de daim fauve. Sur sa tete un bonnet de peau de rackoon9 ornee, a l'avant, du museau de l'animal, et portant a l'arriere sa queue rayee, qui retombe, comme un panache, sur l'epaule gauche. L'equipement se compose d'un sac a balles, en peau non appretee de chat des montagnes, et d'une grande corne en forme de croissant sur laquelle sont ciseles d'interessants souvenirs. Il a pour armes un long couteau, un bowie (lame recourbee), un lourd pistolet, soigneusement attache par une courroie qui lui serre la taille. Ajoutez a cela un rifle de cinq pieds de long, du poids de neuf livres, et si droit que la crosse est presque le prolongement de la ligne du canon.

Dans tout cet habillement, cet equipement et cet armement, on s'est peu preoccupe du luxe et de l'elegance; cependant, la coupe de la blouse en forme de tunique n'est pas depourvue de grace. Les franges du collet et des guetres ne manquent pas de style, et il y a dans le bonnet de peau de rackoon une certaine coquetterie qui prouve que celui qui le porte n'est pas tout a fait indifferent aux avantages de son apparence exterieure. Un petit sac ou sachet gentiment brode avec des piquants barioles de porc-epic pend sur sa poitrine. Par moments, il le contemple avec un regard de satisfaction: c'est son porte-pipe, gage d'amour de quelque demoiselle aux yeux noirs, aux cheveux de jais, sans doute, et habitant comme lui ces contrees sauvages. Tel est l'ensemble d'un trappeur de la montagne. Plusieurs hommes, a peu de chose pres vetus et equipes de meme, se tiennent autour de celui dont j'ai trace le portrait. Quelques-uns portent des chapeaux rabattus, de feutre gris; d'autres des bonnets de peau de chat; ceux-ci ont des blouses de chasse de nuances plus claires et brodees des plus vives couleurs; ceux-la, au contraire, en portent d'usees et rapiecees, noircies de fumee; mais le caractere general des costumes les fait aisement reconnaitre; il etait impossible de se tromper sur leur titre de veritables montagnards.

Le troisieme des groupes que j'ai signales etait plus eloigne de la place que j'occupais. Ma curiosite, pour ne pas dire mon etonnement, avait ete vivement excitee lorsque j'avais reconnu que ce groupe etait compose d'Indiens.

– Sont-ils donc prisonniers? pensai-je. Non; ils ne sont point enchaines; rien dans leur apparence, dans leur attitude, n'indique qu'ils soient captifs; et cependant ce sont des Indiens. Font-ils donc partie de la bande qui combat contre…?

Pendant que je faisais mes hypotheses, un chasseur passa pres de moi.

– Quels sont ces Indiens? demandai-je en indiquant le groupe.

– Des Delawares; quelques Chawnies.

J'avais donc sous les yeux de ces celebres Delawares, des descendants de cette grande tribu qui, la premiere, sur les bords de l'Atlantique, avait livre bataille aux visages pales. C'est une merveilleuse histoire que la leur. La guerre etait l'ecole de leurs enfants, la guerre etait leur passion favorite, leur delassement, leur profession. Il n'en reste plus maintenant qu'un petit nombre. Leur histoire arrivera bientot a son dernier chapitre! Je me levai et m'approchai d'eux avec un vif sentiment d'interet. Quelques-uns etaient assis autour du feu, et fumaient dans des pipes d'argile rouge durcie, curieusement ciselees. D'autres se promenaient avec cette gravite majestueuse si remarquable chez l'Indien des forets. Il regnait au milieu d'eux un silence qui contrastait singulierement avec le bavardage criard de leurs allies mexicains. De temps en temps, une question articulee d'une voix basse, mais sonore, recevait une reponse courte et sentencieuse, parfois un simple bruit guttural, un signe de tete plein de dignite, ou un geste de la main; tout en conversant ainsi, ils remplissaient leurs pipes avec du kini-kin-ik et se passaient, de l'un a l'autre, les precieux instruments.

Je considerais ces stoiques enfants des forets avec une emotion plus forte que celle de la simple curiosite; avec ce sentiment que l'on eprouve, quand on regarde, pour la premiere fois, une chose dont on a entendu raconter ou dont on a lu d'etranges recits. L'histoire de leurs guerres et de leurs courses errantes etait toute fraiche dans ma memoire. Les acteurs memes de ces grandes scenes etaient la devant moi, ou du moins des types de leurs races, dans toute la realite, dans toute la sauvagerie pittoresque de leur individualite. C'etaient ces hommes qui chasses de leur pays par les pionniers venus de l'Atlantique, n'avaient cede qu'a la fatalite, victimes de la destinee de leur race. Apres avoir traverse les Apaches, ils avaient dispute pied a pied le terrain, de contree en contree, le long des Alleghanis, dans des forets des bords de l'Ohio, jusqu'au coeur de la terre sanglante.10

Et toujours les visages pales etaient sur leurs traces, les repoussant, les refoulant sans treve vers le soleil couchant. Les combats meurtriers, la foi punique, les traites rompus, d'annee en annee, eclaircissaient leurs rangs. Et, toujours refusant de vivre aupres de leurs vainqueurs blancs, ils reculaient, s'ouvrant un chemin, par de nouveaux combats, a travers des tribus d'hommes rouges comme eux, et trois fois superieurs en nombre! La fourche de la riviere Osage fut leur derniere halte. La, l'usurpateur s'engagea de respecter a tout jamais leur territoire. Mais cette concession arrivait trop tard. La vie errante et guerriere etait devenue pour eux une necessite de nature; et, avec un meprisant dedain, ils refuserent les travaux pacifiques de la terre. Le reste de leur tribu se reunit sur les bords de l'Osage; mais, au bout d'une saison, ils avaient disparu. Tous les guerriers et les jeunes gens etaient partis, ne laissant sur les territoires concedes que les vieillards, les femmes et les hommes sans courage. Ou etaient-ils alles! Ou sont-ils maintenant! Celui qui veut trouver les Delawares doit les chercher dans les grandes prairies, dans les vallees boisees de la montagne, dans les endroits hantes par l'ours, le castor, le bighhorn et le buffalo. La il les trouvera, par bandes disseminees, seuls ou ligues avec leurs anciens ennemis les visages pales; trappant et chassant, combattant le Yuta ou le Rapaho, le Crow ou le Cheyenne, le Navajo et l'Apache.

9Sorte de blaireau.
10Bloody Ground. Partie du territoire de l'Ohio, nommee a cause des combats sanglants livres aux Indiens par les premiers colons.