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Les chasseurs de chevelures

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IV
UNE POSITION TERRIBLE

Peu de jours apres, une autre aventure m'arriva; et je commencai a penser que j'etais predestine a devenir un heros parmi les montagnards.

Un petit detachement dont je faisais partie avait pris les devants. Notre but etait d'arriver a Santa-Fe un jour ou deux avant la caravane, afin de tout arranger avec le gouverneur pour l'entree des wagons dans cette capitale. Nous faisions route pour le Cimmaron. Pendant une centaine de milles environ, nous traversames un desert sterile, depourvu de gibier et presque entierement prive d'eau. Les buffalos avaient completement disparu, et les daims etaient plus que rares. Il fallait nous contenter de la viande sechee que nous avions emportee avec nous des etablissements. Nous etions dans le desert de l'Artemisia. De temps en temps, nous apercevions une legere antilope bondissant au loin devant nous, mais se tenant hors de toute portee. Ces animaux semblaient etre plus familiers que d'ordinaire. Trois jours apres avoir quitte la caravane, comme nous chevauchions pres du Cimmaron, je crus voir une tete cornue derriere un pli de la prairie. Mes compagnons refuserent de me croire, et aucun d'eux ne voulut m'accompagner. Alors, me detournant de la route, je partis seul. Gode ayant pris les devants, l'un de mes camarades se chargea de mon chien que je ne voulais pas emmener, craignant d'effaroucher les antilopes. Mon cheval etais frais et plein d'ardeur; et que je dusse reussir ou non, je savais qu'il me serait facile de rejoindre la troupe a son prochain campement. Je piquai droit vers la place ou j'avais vu disparaitre l'objet, et qui semblait etre a un demi-mille environ de la route; mais il se trouva que la distance etait beaucoup plus grande; c'est une illusion commune dans l'atmosphere transparente de ces regions elevees.

Un singulier accident de terrain, ce qu'on appelle dans ces contrees un couteau des prairies, d'une petite elevation, coupait la plaine de l'est a l'ouest; un fourre de cactus couvrait une partie de son sommet. Je me dirigeai vers ce fourre. Je mis pied a terre au bas de la pente, et, conduisant mon cheval au milieu des cactus je l'attachai a une des branches. Puis je gravis avec precaution, a travers les feuilles epineuses, vers le point ou je m'imaginais avoir vu l'animal. A ma grande joie, j'apercus, non pas une antilope, mais un couple de ces charmants animaux, qui broutaient tranquillement, malheureusement trop loin pour que ma balle put les atteindre. Ils etaient au moins a trois cents yards, sur une pente douce et herbeuse. Entre eux et moi pas le moindre buisson pour me cacher, dans le cas ou j'aurais voulu m'approcher. Quel parti prendre? Pendant quelques minutes, je repassai dans mon esprit les differentes ruses de chasse usitees pour prendre l'antilope. Imiterais-je leur cri? Valait-il mieux chercher a les attirer en elevant mon mouchoir? Elles etaient evidemment trop farouches; car, de minute en minute, je les voyais dresser leurs jolies petites tetes et jeter un regard inquiet autour d'elles. Je me rappelai que la couverture de ma selle etait rouge. En l'etendant sur les branches d'un buisson de cactus, je reussirais peut-etre a les attirer. Ne voyant pas d'autre moyen, j'etais sur le point de retourner prendre ma couverture, quand tout a coup mes yeux s'arreterent sur sur une ligne de terre nue qui traversait la prairie, entre moi et l'endroit ou les animaux paissaient. C'etait une brisure dans la surface de la plaine, une route de buffalo ou le lit d'un arroyo. Dans tout les cas, c'etait le couvert dont j'avais besoin, car les antilopes n'en etaient pas a plus de cent yards, et s'en rapprochaient tout en broutant. Je quittai les buissons et me dirigeai, en me laissant glisser le long de la pente, vers le point ou l'enfoncement me paraissait le plus marque. La, a ma grande surprise, je me trouvai au bord d'un large arroyo, dont l'eau, claire et peu profonde, coulait doucement sur un lit de sable et de gypse. Les bords ne s'elevaient pas a plus de trois pieds du niveau, de l'eau, excepte a l'endroit ou l'escarpement venait rencontrer le courant. La, il y avait une elevation assez forte; je longeai la base, j'entrai dans le canal et me mis en devoir de le remonter. J'arrivai bientot, comme j'en avais l'intention, a la place ou le courant, apres avoir suivi une ligne parallele a l'escarpement, le traversait en le coupant a pic. La, je m'arretai, et regardai avec toutes sortes de precautions par-dessus le bord. Les antilopes s'etaient rapprochees a moins d'une portee de fusil de l'arroyo; mais elles etaient encore loin de mon poste. Elles continuaient a brouter tranquillement, insouciantes du danger. Je redescendis, et repris ma marche dans l'eau.

C'etait une rude besogne que de marcher dans cette voie. Le lit de la ravine etait forme d'une terre molle qui cedait sous le pied, et il me fallait eviter de faire le moindre bruit, sous peine d'effaroucher le gibier; mais j'etais soutenu dans mes efforts par la perspective d'avoir de la venaison fraiche pour mon souper. Apres avoir peniblement parcouru quelques cents yards, je me trouvai en face d'un petit buisson d'absinthe qui touchait a la rive.

– Je suis assez pres, pensai-je, et ceci me servira de couvert.

Tout doucement je me dressai jusqu'a ce que je pusse voir a travers les feuilles. La position etait excellente. J'epaulai mon fusil, et, visant au coeur du male, je lachai la detente. L'animal fit un bond et retomba sur le flanc, sans vie. J'etais sur le point de m'elancer pour m'assurer de ma proie, lorsque j'observai que la femelle, au lieu de s'enfuir comme je m'y attendais, s'approchait de son compagnon gisant, et flairait anxieusement toutes les parties de son corps. Elle n'etait pas a plus de vingt yards de moi, et je distinguais l'expression d'inquietude et d'etonnement dont son regard etait empreint. Tout a coup, elle parut comprendre la triste verite, et, rejetant sa tete en arriere, elle se mit a pousser des cris plaintifs et a courir en rond autour de son corps inanime. Mon premier mouvement avait ete de recharger et de tuer la femelle; mais je me sentais desarme par sa voix plaintive qui me remuait le coeur. En verite, si j'avais pu prevoir un aussi lamentable spectacle, je ne me serais point ecarte de la route. Mais la chose etait sans remede.

– Je lui ai fait plus de mal que si je l'avais tuee elle-meme, pensai-je; le mieux que je puisse faire pour elle, maintenant, c'est de la tuer aussi.

En vertu de ce principe d'humanite, qui devait lui etre fatal, je restai a mon poste; je rechargeai mon fusil; je visai de nouveau, et le coup partit. Quand la fumee fut dissipee, je vis la pauvre petite creature sanglante sur le gazon, la tete appuyee sur le corps de son male inanime. Je mis mon rifle sur l'epaule, et je me disposais a me porter en avant, lorsque, a ma grande surprise, je me sentis pris par les pieds. J'etais fortement retenu, comme si mes jambes eussent ete serrees dans un etau! Je fis un effort pour me degager, puis un second, plus violent, mais sans aucun succes: au troisieme, je perdis l'equilibre, et tombai a la renverse dans l'eau. A moitie suffoque, je parvins a me mettre debout, mais uniquement pour reconnaitre que j'etais retenu aussi fortement qu'auparavant. De nouveau je m'agitai pour degager mes jambes; mais je ne pouvais les ramener ni en avant, ni en arriere, ni a droite, ni a gauche; de plus, je m'apercus que j'enfoncais peu a peu. Alors l'effrayante verite se fit jour dans mon esprit: j'etais pris dans un sable mouvant!

Un sentiment d'epouvante passa dans tout mon etre. Je renouvelai mes efforts avec toute l'energie du desespoir. Je me penchais d'un cote, puis de l'autre, tirant a me deboiter les genoux. Mes pieds etaient toujours emprisonnes; impossible de les bouger d'un pouce. Le sable elastique s'etait moule autour de mes bottes de peau de cheval, et collait le cuir au-dessus des chevilles, de telle sorte que je ne pouvais en degager mes jambes, et je sentais que j'enfoncais de plus en plus, peu a peu, mais irresistiblement, et d'un mouvement continu, comme si quelque monstre souterrain m'eut tout doucement tire a lui! Je frissonnai d'horreur, et je me mis a crier au secours! Mais qui pouvait m'entendre! il n'y avait personne dans un rayon de plusieurs milles, pas un etre vivant.

Si pourtant: le hennissement de mon cheval me repondit du haut de la colline, semblant se railler de mon desespoir. Je me penchai en avant autant que ma position me le permettait, et, de mes doigts convulsifs, je commencai a creuser le sable. A peine pouvais-je en atteindre la surface, et le leger sillon que je tracais etait aussitot comble que forme. Une idee me vint. Mon fusil mis en travers pourrait me supporter. Je le cherchai autour de moi. On ne le voyait plus. Il etait enfonce dans le sable. Pouvais-je me coucher par terre pour eviter d'enfoncer davantage? Non il y avait deux pieds d'eau; je me serais noye. Ce dernier espoir m'echappa aussitot qu'il m'apparut. Je ne voyais plus aucun moyen de salut. J'etais incapable de faire un effort de plus. Une etrange stupeur s'emparait de moi. Ma pensee se paralysait. Je me sentais devenir fou. Pendant un moment, ma raison fut completement egaree.

Apres un court intervalle, je recouvrai mes sens. Je fis un effort pour secouer la paralysie de mon esprit, afin du moins d'aborder comme un homme doit le faire, la mort, que je sentais inevitable. Je me dressai tout debout. Mes yeux atteignaient jusqu'au niveau de la prairie, et s'arreterent sur les victimes encore saignantes de ma cruaute. Le coeur me battit a cette vue. Ce qui m'arrivait etait-il une punition de Dieu? Avec un humble sentiment de repentir, je tournai mon visage vers le ciel, redoutant presque d'apercevoir quelque signe de la colere celeste… Le soleil brillait du meme eclat qu'auparavant, et pas un nuage ne tachait la voute azuree. Je demeurai les yeux leves au ciel, et priai avec une ferveur que connaissent ceux-la seulement qui se sont trouves dans des situations perilleuses analogues a celle ou j'etais.

 

Comme je continuais a regarder en l'air, quelque chose attira mon attention. Je distinguai sur le fond bleu du ciel la silhouette d'un grand oiseau. Je reconnus bientot l'immonde oiseau des plaines, le vautour noir. D'ou venait-il? Qui pouvait le savoir? A une distance infranchissable pour le regard de l'homme, il avait apercu ou senti les cadavres des antilopes, et maintenant sur ses larges ailes silencieuses il descendait vers le festin de la mort. Bientot un autre, puis encore un, puis une foule d'autres se detacherent sur les champs azures de la voute celeste, et, decrivant de larges courbes, s'abaisserent silencieusement vers la terre. Les premiers arrives se poserent sur le bord de la rive, et apres avoir jete un coup d'oeil autour d'eux, se dirigerent vers leurs proies. Quelques secondes apres, la prairie etait noire de ces oiseaux immondes qui grimpaient sur les cadavres des antilopes, et battaient de l'aile en enfoncant leurs becs fetides dans les yeux de leurs proies. Puis vinrent les loups decharnes, affames, sortant des fourres de cactus et rampant, comme des laches, a travers les sinuosites de la prairie. Un combat s'ensuivit, dans lequel les vautours furent mis en fuite, puis les loups se jeterent sur la proie et se la disputerent, grondant les uns contre les autres, et s'entre-dechirant.

– Grace a Dieu! pensai-je, je n'aurai pas du moins a craindre d'etre ainsi mis en pieces!

Je fus bientot delivre de cet affreux spectacle. Mes yeux n'arrivaient plus au niveau de la berge. Le vert tapis de la prairie avait eu mon dernier regard. Je ne pouvais plus voir maintenant que les murs de terre qui encaissaient le ruisseau, et l'eau qui coulait insouciante autour de moi. Une fois encore je levai les yeux au ciel, et avec un coeur plein de prieres, je m'efforcai de me resigner a mon destin. En depit de mes efforts pour etre calme, les souvenirs des plaisirs terrestres, des amis, du logis, vinrent m'assaillir et provoquerent par intervalles de violents paroxysmes pendant lesquels je m'epuisais en efforts reiteres, mais toujours impuissants. J'entendis de nouveau le hennissement de mon cheval. Une idee soudaine frappa mon esprit, et me rendit un nouvel espoir: peut-etre mon cheval… Je ne perdis pas un moment. J'elevai ma voix jusqu'a ses cordes les plus hautes, et appelai l'animal par son nom. Je l'avais attache, mais legerement. Les branches de cactus pouvaient se rompre. J'appelai encore, repetant les mots auxquels il etait habitue. Pendant un moment tout fut silence, puis j'entendis les sons precipites de ses sabots, indiquant que l'animal faisait des efforts pour se degager; ensuite je pus reconnaitre le bruit cadence d'un galop regulier et mesure. Les sons devenaient plus proches encore et plus distincts, jusqu'a ce que l'excellente bete se montrat sur la rive au-dessus de moi. La, Moro s'arreta, secouant la tete, et poussa un bruyant hennissement. Il paraissait etonne, et regardait de tous cotes, renaclant avec force. Je savais qu'une fois qu'il m'aurait apercu, il ne s'arreterait pas jusqu'a ce qu'il eut pu frotter son nez contre ma joue, car c'etait sa coutume habituelle. Je tendis mes mains vers lui et repetai encore les mots magiques. Alors, regardant en bas, il m'apercut, et, s'elancant aussitot, il sauta dans le canal. Un instant apres, je le tenais par la bride.

Il n'y avait pas de temps a perdre; l'eau m'atteignait presque jusqu'aux aisselles. Je saisis la longe, et, la passant sous la sangle de la selle, je la nouai fortement, puis je m'entourai le corps avec l'autre bout. J'avais laisse assez de corde entre moi et la sangle pour pouvoir exciter et guider le cheval dans le cas ou il faudrait un grand effort pour me tirer d'ou j'etais. Pendant tous ces preparatifs, l'animal muet semblait comprendre ce que je faisais. Il connaissait aussi la nature du terrain sur lequel il se trouvait, car, durant toute l'operation, il levait ses pieds l'un apres l'autre pour eviter d'etre pris. Mes dispositions furent enfin terminees, et avec un sentiment d'anxiete terrible, je donnai a mon cheval le signal de partir. Au lieu de s'elancer, l'intelligent animal s'eloigna doucement comme s'il avait compris ma situation. La longe se tendit, je sentis que mon corps se deplacait, et, un instant apres, j'eprouvai une de ces jouissances profondes impossibles a decrire, en me trouvant degage de mon tombeau de sable. Un cri de joie s'echappa de ma poitrine. Je m'elancai vers mon cheval, je lui jetai mes deux bras autour du cou; je l'embrassai avec autant de delices que s'il eut ete une charmante jeune fille. Il repondit a mes embrassements par un petit cri plaintif qui me prouva qu'il m'avait compris. Je me mis en quete de mon rifle. Heureusement qu'il n'etait pas tres-enfonce, et je pus le ravoir. Mes bottes etaient restees dans le sable; mais je ne m'arretai point a les chercher. La place ou je les avais perdues m'inspirait un sentiment de profonde terreur.

Sans plus attendre, je quittai les bords de l'arroyo, et, montant a cheval je me dirigeai au galop vers la route. Le soleil etait couche quand j'arrivai au camp, ou je fus accueilli par les questions de mes compagnons etonnes:

– Avez-vous trouve beaucoup de chevres? Ou sont donc vos bottes? – Est-ce a la chasse ou a la peche que vous avez ete?

Je repondis a toutes ces questions en racontant mon aventure, et cette nuit-la encore je fus le heros du bivouac.

V
SANTA-FE

Apres avoir employe une semaine a gravir les montagnes rocheuses, nous descendimes dans la vallee du Del-Norte, et nous atteignimes la capitale du Nouveau-Mexique, la celebre ville de Santa-Fe. Le lendemain, la caravane elle-meme arriva, car nous avions perdu du temps en prenant la route du sud, et les wagons, en traversant la passe de Raton, avaient suivi la voie la plus rapide. Nous n'eumes aucune difficulte relativement a l'entree de notre convoi, moyennant une taxe de cinq cents dollars d'alcavala pour chaque wagon. C'etait une extorsion qui depassait le tarif; mais les marchands etaient forces d'accepter cet impot. Santa-Fe est l'entrepot de la province, et le chef-lieu de son commerce. En l'atteignant, nous fimes halte et etablimes notre camp hors des murs.

Saint-Vrain, quelques autres proprietaires et moi nous nous installames a la fonda, ou nous cherchames dans le delicieux vin d'el Paso l'oubli des fatigues que nous avions endurees a travers les plaines. La nuit de notre arrivee se passa tout entiere en festins et en plaisirs. Le lendemain matin, je fus eveille par la voix de mons Gode, qui paraissait de joyeuse humeur et chantonnait quelques fragments d'une chanson de bateliers canadiens.

– Ah! monsieur, me cria-toi! en me voyant eveille, aujourd'hui, ce soir, il y a une grande funcion, – un bal – ce que les Mexicains appellent le fandago. C'est tres-beau, monsieur. Vous aurez bien sur un grand plaisir a voir un fandago mexicain.

– Non, Gode. Mes compatriotes ne sont pas aussi grands amateurs de la danse que les votres.

– C'est vrai, monsieur, mais un fandago! ca merite d'etre vu. Ca se compose de toutes sortes de pas: le bolero, la valse, la couna, et beaucoup d'autres; le tout melange de pouchero. Allez! monsieur, vous verrez plus d'une jolie fille aux yeux noirs et avec de tres-courts… Ah! diable!.. de tres-courts… comment appelez-vous cela en americain?

– Je ne sais pas de quoi vous voulez parler.

– Cela! cela, monsieur.

Et il me montrait la jupe de sa blouse de chasse.

– Ah! pardieu, je le tiens! —Petticoes, de tres-courts petticoes. Ah! vraiment, vous verrez, vous verrez ce que c'est qu'un fandago mexicain.

Las ninas de Durango

Conmigo bailandas,

Al cielo saltandas

En el fan-dango – en el fan-dango.

Ah! voici M. de Saint-Vrain. Il n'a sans doute jamais vu un fandago. Sacristi! comme monsieur danse! comme un vrai maitre de ballets! Mais il est de sangre… de sang francais, vraiment. Voyez donc!

Al cielo saltandas

En el fan-dan-go – en el fan-dang…

– Eh! Gode?

– Monsieur.

– Cours a la cantine et demande, prends a credit, achete ou chippe une bouteille du meilleur Paso.

– Faut-il essayer de la chipper, monsieur Saint-Vrain? Demanda Gode avec une grimace significative.

– Non, vieux coquin de Canadien! paie-la, voila de l'argent. Du meilleur

Paso, tu entends? frais et brillant. Maintenant, vaya!

– Bonjour, mon brave dompteur de buffalos. Encore au lit, a ce que je vois.

– J'ai une migraine qui me fend la tete.

– Ah! ah! ah! C'est comme moi tout a l'heure; mais Gode est alle chercher le remede. Poil de chien guerit la morsure. Allons, en bas du lit.

– Attendez au moins que j'aie pris une dose de votre medecine.

– C'est juste. Vous vous trouverez mieux apres. Dites-moi, comment vous trouvez-vous des plaisirs de la ville, hein?

– Vous appelez cela une ville!

– Mais oui; c'est ainsi qu'on la nomme partout: la ciudad de Santa-Fe, la fameuse ville de Santa-Fe, la capitale du Nuevo-Mejico, la metropole de la prairie, le paradis des vendeurs, des trappeurs et des voleurs.

– Et voila le progres accompli dans une periode de trois cents ans! En verite, ce peuple semble a peine arrive aux premiers echelons de la civilisation!

– Dites plutot qu'il en a depasse les derniers. Ici, dans cette oasis lointaine, vous trouverez peinture, poesie, danse, theatre et musique, fetes et feux d'artifice; tous les raffinements de l'art et de l'amour qui caracterisent une nation en declin. Vous rencontrerez en foule des don Quichottes, soi-disant chevaliers errants, des Romeos, moins le coeur, et des bandits, moins le courage. Vous rencontrerez… toutes sortes de choses avant de vous croiser avec la vertu ou l'honneur. – Hola! muchacho!

– Que es senor

– Avez-vous du cafe?

– Si, senor.

– Apportez deux tasses: dos tazas, entendez-vous, et leste! Aprisa! aprisa!

– Si, senor.

– Ah! voici le voyageur canadien! Eh bien, vieux Nord-Ouest, apportes-tu le vin?

– C'est un vin delicieux, monsieur Saint-Vrain! ca vaut presque les vins

Francais.

– Il a raison, Haller! (tsap! tsap!) delicieux, vous pouvez le dire, mon cher Gode! (tsap! tsap!) Allons, buvez; cela va vous rendre fort comme un buffalo. Voyez, il petille comme de l'eau de Seltz!4 comme fontaine qui bouille. Eh! Gode?

– Oui, monsieur; absolument comme fontaine qui bouille, parbleu! oui.

– Buvez, mon ami, buvez! ne craignez pas ce vin-la; c'est pur jus de la vigne. Sentez cela, humez ce bouquet. Dieu! Quel vin les Yankees tireront un jour de ces raisins du Nouveau-Mexique!

– Eh quoi? croyez-vous que les Yankees aient des vues sur ce pays?

– Si je le crois? je le sais. Et pourquoi pas! A quoi peut servir cette race de singes dans la creation? uniquement a embarrasser la terre. – Eh bien, garcon, vous avez apporte le cafe?

– Ya, esta, senor.

– Allons, prenez-moi quelques gorgees de cette liqueur, cela vous remettra sur pied tout de suite. Ils sont bons pour faire du cafe, par exemple; les Espagnols sont passes maitres en cela.

– Qu'est-ce que ce fandago dont Gode m'a parle?

– Ah! c'est vrai. Nous allons avoir une fameuse soiree, vous y viendrez, sans doute?

– Par pure curiosite!

– Tres-bien! votre curiosite sera satisfaite.

– Le vieux coquin de gouverneur doit honorer le bal de sa presence, et, dit-on, sa charmante senora; mais je ne crois pas que celle-ci vienne.

– Et pourquoi pas?

– Il a trop peur qu'un de ces sauvages americanos ne prenne fantaisie de l'enlever en croupe. Cela s'est vu quelquefois dans cette vallee. Par sainte Marie! c'est une charmante creature, – continua Saint-Vrain, se parlant a lui-meme, – et je sais quelqu'un… Oh! le vieux tyran maudit! Pensez-y donc un peu!

– A quoi?

– Mais a la maniere dont il nous a traites. Cinq cents dollars par wagon! et nous en avions un cent! en tout cinquante mille dollars.

– Mais, est-ce qu'il empoche tout cela? Est-ce que le gouvernement…

 

– Le gouvernement! le gouvernement n'en touche pas un centime. C'est lui qui est le gouvernement ici. Et, grace aux ressources qu'il tire de ces impots, il gouverne les miserables habitants avec une verge de fer. Pauvres diables!

– Et ils le haissent, je suppose?

– Lui et les siens. Dieu sait s'ils ont raison.

– Pourquoi donc alors ne se revoltent-ils pas?

– Cela leur arrive quelquefois. Mais que peuvent faire ces malheureux? Comme tous les tyrans, il a su les diviser et semer entre eux des haines irreconciliables.

– Mais il ne me semblait pas qu'il ait une armee bien formidable: il n'a point de gardes du corps.

– Des gardes du corps, s'ecria Saint-Vrain en m'interrompant. Regardez dehors les voila, ses gardes du corps.

– Indios bravos! les Navajoes! exclama Gode au meme instant.

Je regardai dans la rue. Une demi-douzaine d'Indiens drapes dans des serapes rayes passaient devant l'auberge. Leurs regards sauvages, leur demarche lente et fiere, les faisaient facilement distinguer des indios manzos, des pueblos, porteurs d'eau et bucherons.

– Sont-ce des Navajoes? demandai-je.

– Oui, monsieur, oui, reprit Gode avec quelque animation. Sacrr…! des

Navajoes, de veritables et damnes Navajoes!

– Il n'y a pas a s'y tromper, ajouta Saint-Vrain.

– Mais les Navajoes sont les ennemis declares des Nouveaux-Mexicains.

Comment sont-ils ici? prisonniers?

– Ont-ils l'air de prisonniers?

Certes, on ne pouvait apercevoir aucun indice de captivite ni dans leurs regards ni dans leurs allures. Ils marchaient fierement le long du mur, lancant de temps a antre sur les passants un coup d'oeil sauvage, hautain et meprisant.

– Pourquoi sont-ils ici alors? Leur pays est bien loin vers l'ouest.

– C'est la un de ces mysteres du Nouveau-Mexique sur lesquels je vous donnerai quelques eclaircissements une autre fois. Ils sont maintenant sous la protection d'un traite de paix qui les lie, tant qu'il ne leur convient pas de le rompre. Quant a present, ils sont aussi libres ici que vous et moi; que dis-je? ils le sont bien davantage. Je ne serais point surpris de les rencontrer ce soir au fandango.

– J'ai entendu dire que les Navajoes etaient cannibales?

– C'est la verite. Observez-les un instant! Regardez comme ils couvent des yeux ce petit garcon joufflu, qui parait instinctivement en avoir peur. Il est heureux pour ce petit drole qu'il fasse grand jour, sans cela il pourrait bien etre etrangle sous une de ces couvertures rayees.

– Parlez-vous serieusement, Saint-Vrain!

– Sur ma parole; je ne plaisante pas! Si je me trompe, Gode en sait assez pour pouvoir confirmer ce que j'avance, Eh! voyageur?

– C'est vrai, monsieur. J'ai ete prisonnier dans la Nation: non pas chez les Navagh, mais chez les damnes d'Apaches. C'est la meme chose, pendant trois mois. J'ai vu les sauvages manger, —eat, – un, deux trie, trie enfants rotis, comme si c'etaient des bosses de buffles. C'est vrai, monsieur, c'est tres-vrai.

– C'est la vraie verite: les Apaches et les Navajoes enlevent des enfants dans la vallee, ici, lors de leurs grandes expeditions; et ceux qui ont ete a meme de s'en instruire assurent qu'ils les font rotir. Est-ce pour les offrir en sacrifice au dieu feroce Quetzalcoatl? est-ce par gout pour la chair humaine? c'est ce qu'on n'a pas encore bien pu verifier. Bien peu parmi ceux qui ont visite leurs villes ont eu, comme Gode, la chance d'en sortir. Pas un homme de ces pays ne s'aventure a traverser la sierra de l'ouest.

– Et comment avez-vous fait, monsieur Gode pour sauver votre chevelure?

– Comment, monsieur? Parce que je n'en ai pas. Je ne peux pas etre scalpe. Ce que les trappeurs yankees appellent hur, ma chevelure, est de la fabrication d'un barbier de Saint-Louis. Voila, monsieur.

En disant cela, le Canadien ota sa casquette, et, avec elle, ce que jusqu'a ce moment j'avais pris pour une magnifique chevelure bouclee, c'etait une perruque.

– Maintenant, messieurs, s'ecria-t-il d'un ton de bonne humeur, comment ces sauvages pourraient-ils prendre mon scalp? Les Indiens damnes n'en toucheront pas la prime, sacr-r-r…!

Saint-Vrain et moi ne pumes nous empecher de rire a la transformation comique de la figure du Canadien.

– Allons, Gode! le moins que vous puissiez faire apres cela, c'est de boire un coup. Tenez, servez-vous.

– Tres-oblige, monsieur Saint-Vrain, je vous remercie.

Et le voyageur, toujours altere avala le nectar d'el Paso comme il eut fait d'une tasse de lait.

– Allons, Haller! Il faut que nous allions voir les wagons. Les affaires d'abord, le plaisir apres, autant du moins que nous pourrons nous en procurer au milieu de ces tas de briques. Mais nous trouverons de quoi nous distraire a Chihuahua.

– Vous pensez que nous irons jusque-la?

– Certainement. Nous n'aurons pas acheteurs ici pour le quart de notre cargaison. Il faudra porter le reste sur le marche principal. Au camp! allons!

4Nom d'une localite ou il y a des eaux gazeuses, aux Etats-Unis.