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A fond de cale

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CHAPITRE XXI

Enseveli tout vivant!

Je comprenais maintenant pourquoi la nuit m'avait paru si longue. La lumière avait brillé, mais je n'en avais rien su; les matelots avaient travaillé pendant le jour, tandis que, plongé dans les ténèbres, je croyais qu'il était nuit. Il y avait sans doute plus de trente-six heures que je me trouvais à bord; voilà pourquoi j'avais eu faim, pourquoi ma soif était si ardente, et mon corps si douloureux.

Les instants de repos qui, au milieu du bruit continuel, me paraissaient revenir d'une façon méthodique, étaient les heures de repas; et le silence qui avait précédé notre départ, silence dont la prolongation m'avait frappé, était la deuxième nuit que je passais dans la cale.

J'y étais à peine installé que je m'étais endormi. C'était le soir. Il est probable que, le lendemain matin, je ne m'éveillai pas de bonne heure; et c'était pendant mon sommeil que les matelots, en arrangeant la cale, avaient rempli les vides qui m'avaient permis d'y entrer.

Je ne compris pas d'abord toute l'horreur de ma situation. J'étais enfermé, je savais de plus que tous mes efforts pour m'ouvrir un passage seraient complétement inutiles; mais les hommes vigoureux qui avaient empilé toutes ces caisses pouvaient les remuer une seconde fois, et je n'avais qu'à les appeler pour qu'ils vinssent immédiatement.

J'étais loin, hélas! de penser que mes cris les plus forts ne pouvaient être entendus; j'ignorais que l'écoutille, par laquelle je m'étais introduit dans la cale, était maintenant couverte de ses panneaux, recouverts à leur tour d'une épaisse toile goudronnée, qui devait peut-être y rester jusqu'à la fin du voyage. Quand même l'écoutille n'eût pas été fermée, il y avait peu de chances pour que ma voix fût entendue; l'épaisseur de la cargaison l'aurait interceptée, ou elle aurait été couverte par le bruit des flots et par celui du vent.

Comme je vous le disais, mon inquiétude fut d'abord peu sérieuse; je ne me préoccupais que du temps plus ou moins long que j'aurais à passer avant d'avoir de l'eau, car ma soif était vive. Pour que je pusse sortir de la cale, il faudrait enlever les caisses qui se trouvaient au-dessus de moi; cela devait demander beaucoup de travail, et jusque-là je souffrirais énormément, car le besoin de boire devenait de plus en plus impérieux.

Ce n'est qu'après avoir crié de ma voix la plus aiguë, frappé sur les planches à coups redoublés, répété mes cris et mes coups mainte et mainte fois, sans recevoir de réponse, que je compris ma situation. Elle m'apparut dans toute son horreur: pas moyen de remonter sur le pont, aucun espoir d'être secouru; j'étais enseveli tout vivant sous les marchandises qui remplissaient la cale.

Je criai de nouveau, j'y employai toutes mes forces, et ne m'arrêtai qu'au moment où ma gorge ne rendit plus aucun son. J'avais prêté l'oreille à différents intervalles, espérant toujours une réponse; mes cris éveillaient tous les échos de ma tombe; mais pas une voix ne répondait à la mienne.

J'avais entendu chanter les matelots pendant qu'ils levaient l'ancre; mais à présent tout était silencieux; le navire était immobile, les vagues restaient muettes, et si, dans un calme pareil, les grosses voix de l'équipage n'arrivaient pas jusqu'à moi, comment pouvais-je espérer que mes cris d'enfant parvinssent aux oreilles de ceux qui ne m'écoutaient pas?

C'était impossible; on ne pouvait pas m'entendre, et j'étais condamné à mort, condamné sans appel.

J'en avais la conviction, et aux souffrances du mal de mer succédait un affreux désespoir. Les douleurs physiques revinrent et, se joignant à la torture morale, produisirent une agonie que je ne saurais vous dépeindre. Je ne pus y résister; mes forces m'abandonnèrent, et je tombai, comme atteint de paralysie.

Malgré ma stupeur, je n'avais pas perdu connaissance; il me semblait que j'allais mourir, et je le désirais sincèrement. Puisque la mort est inévitable, pensais-je, il valait mieux qu'elle mît le plus tôt possible un terme à mes souffrances. Je suis persuadé que si je l'avais pu, j'aurais hâté ma dernière heure; mais j'étais trop faible pour me tuer, quand même j'aurais eu des armes à ma disposition. J'avais totalement oublié que j'en possédais une, tant il y avait de confusion dans mon esprit!

Vous êtes étonné d'apprendre que je désirais mourir; mais pour se faire une juste idée de l'étendue de mon désespoir, il faudrait avoir passé par la position où j'étais alors; et Dieu veuille qu'elle vous soit épargnée!

Toutefois on ne meurt pas du mal de mer, et le désespoir ne suffit pas pour tuer l'homme; il est plus difficile qu'on ne pense de sortir de ce bas monde.

Ma torpeur augmenta de plus en plus; je devins complétement insensible, et restai longtemps dans cet état voisin de la mort.

À la fin cependant, je repris connaissance; peu à peu je retrouvai une partie de mes forces. Chose étrange! la faim se faisait vivement sentir; car le mal de mer aiguise l'appétit d'une façon toute spéciale. Néanmoins, la soif me torturait davantage, et ma souffrance était d'autant plus vive que je ne voyais aucun moyen de la calmer. Il me restait un peu de biscuit, je pouvais encore me rassasier une fois; mais où trouver de l'eau pour éteindre le feu qui me desséchait les veines?

Il n'est pas nécessaire de vous rapporter les réflexions poignantes qui me venaient à l'esprit; qu'il vous suffise de savoir que ce paroxysme d'une douleur sans nom amena un délire dont j'eus un instant conscience, et qui, à mon grand soulagement, se termina par un profond sommeil.

Le corps épuisé perdit le sentiment de ses douleurs, et l'esprit oublia ses tourments.

CHAPITRE XXII

Soif

Cet instant de repos fut de bien courte durée, un cauchemar effroyable ne tarda pas à troubler mon sommeil, et me réveilla brusquement, pour me rendre à une réalité plus affreuse que mes rêves.

Il me fut d'abord impossible de deviner où j'étais; mais il me suffit d'allonger les bras pour me rappeler toute l'horreur de ma situation. De chaque côté, mes mains rencontraient les murailles de mon cachot; à peine avais-je assez de place pour me retourner, et, si mince que je fusse alors, un autre enfant de ma taille aurait empli tout le reste de ma cellule.

Mon premier mouvement, dès que j'eus reconnu ma position, fut de crier de toutes mes forces. Je conservais toujours l'espoir qu'on finirait par m'entendre; j'ignorais, comme je l'ai dit plus haut, l'énorme quantité de marchandises qui se trouvaient au-dessus de ma tête, et je ne savais pas que toutes les écoutilles de l'entre-pont étaient fermées.

Il est heureux que je n'en aie pas su davantage, autrement je serais devenu fou; mais les lueurs d'espérance qui, de temps en temps, suspendaient mes tortures, soutinrent ma raison jusqu'au moment où il me fut permis d'envisager mon sort avec calme, et de lutter contre le péril qui me menaçait.

Comme avant de m'endormir, je jetai des cris perçants jusqu'à ce que la voix me fît défaut; et lorsque j'eus désespéré de me faire entendre, je retombai dans l'état d'atonie, puis de torpeur, où le sommeil m'avait trouvé. Néanmoins cet engourdissement qui s'était emparé de mon esprit laissait à la douleur physique tout ce qu'elle avait d'affreux; j'étais dévoré par la soif, qui, arrivée à ce point d'exaspération, est peut-être le plus grand de tous les supplices. Je n'aurais jamais pensé que le manque d'un peu d'eau pût vous causer des tortures aussi vives. En lisant que des naufragés ou des voyageurs égarés dans le désert étaient morts de soif, après une horrible agonie, j'avais toujours cru à l'exagération de l'auteur. Comme tous les enfants de l'Angleterre, né dans un pays où l'on rencontre à chaque pas des sources et des ruisseaux, je n'avais jamais eu soif. Peut-être, lorsqu'en été je jouais au milieu d'un champ ou sur le bord de la mer, avais-je éprouvé cette sensation bien connue qui vous fait souhaiter un verre d'eau; mais ce n'est pas une douleur, et l'espèce de malaise que l'on ressent alors est plus que compensé par la satisfaction que l'on éprouve en se désaltérant. Il est rare que ce besoin soit assez impérieux pour vous faire boire une eau marécageuse; la délicatesse de vos habitudes conserve toutes ses répugnances: ceci n'est que le premier degré de la soif, et moins une douleur qu'un plaisir, par la confiance où l'on est de trouver bientôt à boire. Mais perdez cette conviction rassurante, soyez certain, au contraire, qu'il n'y a dans les environs ni lac, ni fleuve, ni ruisseau, ni fontaine, pas même de fossé bourbeux; que vous êtes à cent kilomètres de la source la plus voisine, et la soif, que vous supportez facilement, prendra un nouveau caractère et sera des plus douloureuses.

Il est possible que j'eusse parfois été aussi longtemps sans boire, et que je n'en eusse pas éprouvé la souffrance qui me torturait au moment dont nous parlons; mais je n'avais jamais eu l'atroce perspective de voir grandir ma soif et de rester dans l'impossibilité de la satisfaire: c'est là ce qui était cause de mes angoisses.

Je n'avais pas une faim excessive, mes provisions, d'ailleurs, n'étaient pas complétement épuisées; mais quand mon appétit aurait été plus fort, j'aurais craint d'augmenter ma soif en mangeant. C'est ce qui m'était arrivé lors de mon dernier repas; et ma gorge brûlante ne demandait qu'un peu d'eau, ce qui, à cette heure me paraissait la chose du monde la plus précieuse.

C'était le supplice de Tantale: je n'avais pas d'eau sous les yeux, mais je l'entendais sans cesse battre les flancs du navire; de l'eau de mer, j'en conviens, je n'aurais pas pu la boire, quand même elle eût été à ma portée, mais c'était le murmure de l'eau qui frappait mes oreilles, et il ajoutait à mes souffrances tout ce que la tentation a d'exaspérant.

 

Je ne doutais pas que la soif ne dût me tuer dans un délai plus ou moins long. Combien durerait mon agonie? J'avais entendu parler d'hommes qui étaient morts de soif après des tortures indicibles; j'essayai de me rappeler le nombre de jours qu'ils avaient souffert, et je ne pus y parvenir. Six ou sept, pensai-je. Cette idée m'épouvanta. Comment supporter pendant une semaine l'angoisse que j'endurais? C'était au-dessus de mes forces, et je demandai à la mort de mettre un terme plus rapide à mes douleurs.

Mais l'espérance allait revenir. J'avais à peine cédé à cet accès de découragement, lorsque j'entendis un son qui changea le cours de mes pensées, et me causa autant de bonheur que j'avais eu d'angoisses.

CHAPITRE XXIII

Son plein de charme

J'étais accoudé à l'une des poutres du navire, qui traversait ma cabine, et qui la divisait en deux parties presque égales. C'était simplement pour changer de position que j'avais pris cette attitude, car j'étais las d'être couché sur les planches; depuis l'heure de mon premier réveil dans la cale j'avais essayé de toutes les postures, sans parvenir à me trouver bien dans aucune; je m'étais levé, quoiqu'il me fallut courber la tête; j'avais pris tous les degrés d'inclinaison, je m'étais allongé sur le dos, sur le ventre, sur les côtés, je m'étais replié en Z, en S, et je n'en étais pas moins courbaturé.

Je me trouvais donc soutenu par l'une des côtes du navire, et ma tête penchée en avant, reposait presque sur la grande futaille où j'appuyais la main.

Il en résultait que mon oreille effleurait les douelles de chêne; et c'est de la sorte que j'entendis le son plein de douceur qui opéra chez moi un revirement si prompt et si heureux.

Rien n'était plus facile à reconnaître que cette voix bénie qui frappait mon oreille: c'était le glouglou d'un liquide remuant dans la futaille, par suite des ondulations du navire.

À la première de ces notes harmonieuses que rendait le contenu de la barrique, j'avais tressailli d'une joie facile à comprendre; mais réprimant aussitôt mes transports, je voulus m'assurer du fait, dans la crainte d'être le jouet d'une illusion.

La joue appliquée sur le bois de la grosse tonne, l'haleine suspendue, toutes les facultés de mon être concentrées dans ma puissance auditive, j'attendis que le bâtiment éprouvât une secousse assez grande pour la communiquer au fluide que renfermait le tonneau.

L'attente me parut d'une longueur excessive, mais ma patience fut enfin récompensée: Glou, glou, gli, gli, glou, glou; cela ne faisait pas le moindre doute, la futaille était pleine d'eau!

Un cri de joie s'échappa de mes lèvres; j'éprouvais ce que ressent un malheureux qui est en train de se noyer, et qui, au moment où il allait rendre l'âme, se retrouve près du rivage.

La réaction fut si vive que je faillis m'évanouir; je serais tombé sans la pièce de bois à laquelle je restai appuyé, dans un état de vertige qui m'était jusqu'à la conscience de mon bonheur.

Toutefois je ne demeurai pas longtemps dans cette demi-insensibilité; la soif me rappela bientôt à moi-même, et je me rapprochai de la futaille.

Dans quel but? Je voulais chercher la bonde, la retirer bien vite, et boire; je ne pouvais avoir d'autre intention.

Hélas; ma joie devait s'éteindre aussi promptement qu'elle était née. Je fus néanmoins quelque temps avant d'en arriver là; il me fallut d'abord parcourir avec les mains toute la surface de la barrique, en palper toutes les douelles, avec le tact soigneux qui caractérise les aveugles; et je recommençai l'opération plus d'une fois avant d'accepter la triste certitude que la bonde se trouvait du côté de la muraille, il m'était impossible de l'atteindre, et la précieuse barrique m'était complétement fermée.

Je savais que tous les tonneaux ont une seconde ouverture, située à l'un des deux fonds, et je m'étais mis en quête de celle qui devait exister à ma futaille; mais le premier mouvement que je fis m'annonça que les deux bouts en étaient bloqués, l'un par une caisse, l'autre par la seconde barrique mentionnée dans l'inventaire de ma cellule.

Il me vint à l'esprit que cette dernière pouvait également contenir de l'eau, et j'en commençai l'inspection; mais je ne pus tâter qu'une faible partie de son étendue, et n'y rencontrai que la surface unie du chêne, qui m'opposait la résistance du roc.

C'est alors que je retombai dans ma misère, et que je me livrai à tout ce que le désespoir a de plus cruel. Plus que jamais la tentation était vive; j'entendais l'eau à trois centimètres de mes lèvres, et je ne pouvais pas la goûter. Oh! si j'avais pu seulement en humecter ma gorge brûlante!

S'il y avait eu près de moi une hache, et que ma prison eût été assez haute pour que je pusse m'en servir, comme j'aurais largement ouvert cette grande citerne pour m'abreuver de son contenu! Mais je n'avais pas de hache, pas d'instruments tranchants, et sans une bonne lame comment percer ou fendre ces douelles de chêne, aussi impénétrables pour moi que du fer? Quand même j'aurais trouvé l'une ou l'autre des ouvertures de la futaille, avec quoi en aurais-je ôté le bondon, arraché le fausset? Je n'y avais pas songé dans mon élan de bonheur; mais il était impossible de le faire avec mes doigts, sans tenailles, sans levier d'aucune espèce.

Je crois m'être levé en chancelant, pour examiner de nouveau la barrique; je n'en suis pas sûr, tant j'étais foudroyé par la déception amère qui avait suivi ma joie; il m'est resté néanmoins un vague souvenir d'avoir machinalement exploré le dessus du tonneau, essayé de mouvoir la caisse; et plus consterné que jamais de l'inutilité de mes efforts, d'être revenu me coucher, en proie au plus morne désespoir.

J'ignore combien de temps dura cette nouvelle crise; mais je me souviens toujours du fait qui dissipa la fatale influence sous laquelle je succombais, et qui me rendit toute mon activité.

CHAPITRE XXIV

La barrique est mise en perce

Étendu sur les planches de ma cellule, la tête reposant sur mon bras, je sentis quelque chose me blesser à la cuisse; était-ce un nœud du bois ou un caillou sur lequel j'étais couché? dans tous les cas c'était un objet qui me faisait souffrir, et j'étendis la main pour l'éloigner. À ma grande surprise je ne trouvai rien par terre, le plancher était parfaitement uni, et l'objet qui me faisait mal se trouvait dans ma poche.

Qu'est-ce que cela pouvait être? je ne me le rappelais nullement; j'aurais pu croire que c'était un morceau de biscuit, si je n'avais été sûr d'avoir placé mes provisions dans la poche de ma veste. Je palpai celle de ma culotte, elle renfermait un objet allongé, aussi dur que le fer, et je ne me rappelais pas avoir emporté autre chose que du biscuit et du fromage.

Je me mis à mon séant pour fouiller dans ma poche, car il m'était impossible de deviner ce qui s'y trouvai; et j'eus ainsi le mot de l'énigme: cet objet long et dur n'était ni plus ni moins que le couteau dont Waters m'avait fait présent. Je l'avais fourré dans ma culotte par un mouvement irréfléchi, et l'avais ensuite oublié.

Cette découverte me parut d'abord insignifiante, elle me rappela tout simplement la bonté du matelot, bonté qui contrastait avec la rudesse du lieutenant; c'était la seule pensée que j'avais eue au moment où cette lame précieuse m'avait été donnée. Tout en faisant cette réflexion, j'ôtai le couteau de ma poche, et l'ayant jeté au loin pour qu'il ne me gênât plus, je me recouchai sur les planches.

Mais à peine venais-je de m'y étendre, qu'une idée subite me traversa l'esprit et me fit relever avec autant de promptitude que si je m'étais appuyé sur du fer rouge. Toutefois ce n'était pas la douleur qui m'inspirait ce mouvement rapide, au contraire, c'était une joyeuse espérance. Je me disais qu'avec cette lame j'avais le moyen de percer la futaille et de me procurer de l'eau.

Cela me paraissait tellement facile, que je ne doutai pas un instant de la possibilité du fait, et que mon désespoir s'évanouit pour faire place à la joie la plus vive.

Je cherchai mon couteau, je le retrouvai, et m'en emparai avec ardeur; c'est tout au plus si je l'avais regardé quand je l'avais reçu des mains de Waters, maintenant je l'examinais avec soin, je le palpais dans tous les sens, j'en calculais la force autant qu'il m'était permis de le faire, et je me demandais quelle était la meilleure manière de m'en servir pour arriver au but que je me proposais.

C'était un bon couteau, avec un manche en bois de cerf, une lame aiguë, solide et bien trempée, un de ces couteaux qui, lorsqu'ils sont ouverts, n'ont pas moins de vingt-cinq centimètres de longueur, et qu'en général les matelots portent suspendus à une ficelle passée autour du cou. Je fus enchanté de mon examen, de l'épaisseur et du fil de l'acier; car il me fallait un bon instrument pour forer cette douelle de chêne.

Si je vous décris avec autant de détails les mérites de mon couteau, c'est que je ne saurais trop vous en faire l'éloge, puisque sans lui je n'aurais pas survécu à mes misères, et ne vous raconterais pas les hauts faits qu'il m'a permis d'accomplir.

Ayant donc passé le doigt à plusieurs reprises sur ma bonne lame, afin de me familiariser avec elle; l'ayant ouverte et fermée dix ou douze fois, pour en essayer le ressort, je m'approchai de la barrique, afin d'en attaquer le chêne.

Vous êtes surpris de me voir agir avec cette lenteur quand la soif me torturait; vous ne comprenez pas que j'aie pris toutes ces précautions; vous pensiez que j'allais me mettre aussitôt à faire un trou, n'importe comment, pourvu que je pusse me désaltérer. Toute ma patience fut soumise à une rude épreuve; mais j'ai toujours été d'un caractère réfléchi, même quand j'étais enfant, et je sentais, à l'heure dont je vous parle, que tout le succès de mon entreprise pouvait dépendre du soin que j'y apporterais. J'avais en perspective la mort la plus affreuse; une seule chose devait me sauver, c'était d'ouvrir la barrique, pour cela mon couteau m'était indispensable. Supposez qu'en agissant avec précipitation, je vinsse à en briser la lame, seulement à en casser la pointe, c'était fini, ma mort était certaine.

Ne soyez donc plus étonnés du soin que je prenais de ne rien compromettre. Il est vrai de dire que si j'avais réfléchi davantage, je ne me serais pas donné tant de peine. Quand j'aurais eu la certitude de me désaltérer, à quoi cela devait-il me servir? J'aurais apaisé ma soif; mais la faim? comment la satisfaire? On ne se nourrit pas avec de l'eau; où trouver des aliments?

C'est une chose bizarre, mais cette idée ne me vint pas. Je n'étais point encore affamé, et la crainte de mourir de soif était jusqu'alors ma seule préoccupation. Plus tard, je devais, hélas! éprouver les mêmes terreurs au sujet du manque de nourriture; mais n'anticipons pas.

Je choisis, sur le côté de la barrique, un endroit où la douelle paraissait être endommagée. Précisément cela se trouvait un peu au-dessous de la moitié de la futaille, et c'était une condition qui me semblait indispensable. La barrique pouvait n'être qu'à moitié pleine, et il fallait absolument la mettre en perce au-dessous du niveau de l'eau, sans quoi j'aurais travaillé en pure perte.

Me voilà donc à l'ouvrage; malgré mon impatience, j'étais satisfait de la rapidité de ma besogne. Mon couteau se comportait à merveille, et si épais que fût le chêne de la futaille, il avait affaire à de l'acier plus dur que lui. Peu à peu les esquilles de bois se détachèrent, et ma bonne lame s'enfonça dans la douelle.

J'avais fini par si bien me familiariser avec les ténèbres, que je ne ressentais plus cette impuissance dont chacun est frappé en tombant dans une nuit profonde. Mes doigts avaient acquis une délicatesse de toucher singulière, ainsi qu'on le remarque chez les aveugles. Je travaillais avec autant de facilité que si j'avais été en plein jour, et je ne pensais même pas à la lumière qui me manquait.

Sans aucun doute, un charpentier, avec son ciseau à mortaise, ou un tonnelier, avec son vilebrequin, aurait été plus vite que moi; mais j'avais la certitude que j'avançais dans mon œuvre, et je n'en demandais pas davantage.

La crainte de briser mon couteau, crainte que j'avais toujours présente à l'esprit, m'empêchait de me hâter; je me souvenais du proverbe: «Plus on se presse, moins on arrive,» et je maniais mon outil avec un redoublement de prudence.

Il y avait une heure que je travaillais, quand j'approchai de la surface intérieure de la douelle; je le voyais à la profondeur de l'excavation que j'avais faite.

Ma main trembla, mon cœur battit avec violence, ce fut un moment d'incroyable émotion, une inquiétude affreuse s'emparait de mon esprit: était-ce bien de l'eau que j'allais trouver? Ce doute m'était déjà venu plusieurs fois, mais jamais avec cette vivacité.

 

Oh! mon Dieu! si, au lieu d'eau, cette futaille contenait de rhum ou de l'eau-de-vie, seulement du vin! Je savais que pas un de ces liquides n'éteindrait ma soif; peut-être la calmeraient-ils un instant, mais elle reviendrait ensuite plus dévorante que jamais; et, perdant mon seul espoir, je mourrais, tué par l'ivresse, comme tant d'autres malheureux.

Le fluide perlait déjà entre la douelle et mon couteau; j'hésitais à faire la dernière entaille, j'avais peur de ce qui allait en sortir!

Mais la soif triompha de mes inquiétudes; je poussai mon outil, et les dernières fibres du chêne cédèrent. Au même instant, un jet rapide et froid s'échappa de la barrique, me mouilla les mains et se répandit sur ma manche.

Un dernier tour de lame agrandit l'ouverture. Je retirai mon couteau, le jet sortit avec force, et mes lèvres s'y appliquèrent avec délices. Ce n'était ni de la liqueur, ni du vin, mais une eau fraîche et pure comme celle qui jaillit du rocher.