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A fond de cale

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CHAPITRE LIX

La lame brisée

La lame s'était rompue complétement, et restait fixée entre les deux côtés de la caisse; le manche seul me restait à la main; en passant le doigt sur l'extrémité de celui-ci, je ne trouvais plus qu'un tronçon imperceptible, deux ou trois millimètres au-dessus de la charnière.

Je ne puis pas vous dire le chagrin que j'en éprouvai; toutes les conséquences de cet accident m'apparurent: que pouvais-je faire sans instrument?

Plus moyen de gagner l'écoutille, d'arriver sur le pont; il me fallait renoncer à mon entreprise, et je me retrouvais face à face avec la mort.

Il y avait quelque chose de terrifiant dans la réaction que je subissais: la douleur effroyable qu'elle me causait était rendue plus vive par la soudaineté du choc. Une minute avant, j'étais plein de confiance, tout semblait seconder mes vœux, et ce malheur imprévu me replongeait dans l'abîme.

J'étais foudroyé, je ne pensais plus. À quoi bon réfléchir? je ne pouvais plus rien faire, puisque je n'avais plus d'outil.

Mon esprit s'égarait; je passai machinalement les doigts sur le manche de mon couteau, et restai le pouce appuyé sur le tronçon de la lame; je ne pouvais pas croire qu'elle fût brisée; cela me paraissait un rêve; je doutais de mes sens, je ne me possédais plus.

Peu à peu la réalité se fit jour dans mon esprit: c'était bien vrai; j'avais perdu tout moyen de me sauver. Mais lorsque j'avais compris toute l'étendue de mon malheur, je cherchai instinctivement à lui échapper.

Les paroles d'un grand poëte, que j'avais entendu lire à l'école, me revinrent à la mémoire:

Mieux vaut se servir de ses armes brisées, que de faire usage de ses mains nues.

Personne plus que moi ne devait mettre à profit la sagesse de ces paroles. Je songeais à reprendre ma lame; elle gisait toujours entre les planches, à l'endroit où elle s'était cassée.

Je l'en retirai avec soin pour qu'elle ne tombât pas: elle restait tout entière; mais, hélas! à quoi pouvait-elle me servir, maintenant qu'elle était séparée du manche?

Par bonheur, elle était forte et longue; j'essayai d'en faire usage, et vis avec joie qu'elle coupait encore un peu; en l'entourant d'un chiffon, qui en envelopperait la base, elle pouvait me rendre du nouveaux services; mais il ne fallait pas compter sur elle pour ouvrir des caisses, comme elle l'avait fait jusqu'ici.

Il ne pouvait pas être question de la remmancher, bien que l'idée m'en fût déjà venue; l'impossibilité de faire sortir de la charnière la partie qui s'y trouvait engagée ne permettait pas qu'on y songeât.

Certes, si j'avais pu enlever ce tronçon de la place qu'il occupait, le manche aurait pu me resservir; j'aurais introduit la partie brisée de la lame entre les deux lèvres qui le terminaient, et, comme je ne manquais pas de ficelle, j'aurais lié solidement les deux parties du couteau, de manière à rétablir celui-ci. Mais comment arracher ce tronçon, maintenu par un clou rivé?

Le manche ne m'était pas plus utile qu'un simple morceau de bois: beaucoup moins, pensai-je; avec un morceau de bois pur et simple, je ferais à ma lame une poignée qui me permettrait de m'en servir.

Il n'en fallut pas davantage pour rendre à mon esprit toute son activité, et je ne pensai plus qu'à remmancher mon couteau.

Sous l'empire des circonstances qui tenaient toutes mes facultés en éveil, j'eus bientôt une idée; l'exécution en fut rapide, et, quelques heures après l'incident qui m'avait mis au désespoir, j'étais en possession d'un couteau complet, dont le manche était grossier, je l'avoue, mais qui n'en était pas moins commode; et j'avais retrouvé toute ma confiance.

Comment aviez-vous fait? direz-vous. Ce fut bien simple: toutes ces caisses que j'avais démolies, et dont les planches avaient deux ou trois centimètres d'épaisseur, me fournissaient les matériaux nécessaires. Je pris l'un des éclats de bois qui m'entouraient, et lui donnai la dimension, et à peu près la forme que devait avoir mon manche; la lame, garnie d'étoffe à la base, comme je l'ai dit plus haut, avait suffi à ce léger ouvrage; une fois le manche terminé, j'avais pratiqué une fente à l'extrémité supérieure, et j'y avais enfoncé ma lame. Il ne restait plus qu'à l'attacher solidement; je pensais d'abord à la ficelle que vous savez, mais je changeai bientôt d'avis. Cette ficelle pouvait se desserrer, se trancher ou se défaire, la lame sortir du manche, et tomber entre les colis, où elle serait perdue sans retour; c'était un accident trop grave pour que je ne prisse pas le moyen de l'éviter.

Avec quoi, cependant, attacher cette lame et la fixer au manche, si ce n'est avec de la ficelle, quand on n'a pas autre chose? Je me le demandais comme vous. Un bout de fil d'archal aurait bien fait mon affaire; mais il fallait en avoir, et je n'en possédais pas. Quelle sottise! et les cordes du piano!

Je me retournai vers l'instrument, qui absorba de nouveau mon attention. S'il avait été ouvert, j'y aurais pris, sans retard, le fil de métal dont j'avais besoin; mais il fallait l'ouvrir, et c'était là le difficile; je n'y avais pas songé. Même avec un bon couteau parfaitement emmanché, il n'est pas sûr que j'y fusse parvenu; avec une lame pure et simple, il ne fallait pas y penser, et j'abandonnai mon expédient.

Il fut bientôt remplacé par un autre; les bandes de fer, qui reliaient entre elles les différentes parties des caisses, pouvaient parfaitement me servir; elles étaient souples et minces, et deux ou trois tours de ces bandelettes feraient une excellente virole; je maintiendrais celle-ci au moyen d'une ficelle, qui, cette fois, se trouverait bien suffisante.

La chose se fit comme je viens de vous le dire, et mon couteau fut restauré. La lame en était un peu plus courte, mais ce n'était pas un inconvénient pour ce que j'en voulais faire, et cette pensée mit le comble à ma satisfaction.

Il y avait alors près de vingt heures que j'étais éveillé. Je songeais à quitter l'ouvrage au moment où j'avais cassé mon couteau; après ce malheur, il m'aurait été impossible de fermer l'œil; et je n'avais pas dormi.

Une fois que j'eus retrouvé mes espérances, je me dirigeai vers ma cabine avec l'intention de me reposer de corps et d'esprit. Il est inutile d'ajouter que la faim me poussa vers le buffet; j'en sortis un rat que je mangeai avec un plaisir dont vous vous étonnez, et qui aujourd'hui ne me surprend pas moins que vous.

CHAPITRE LX

Espace triangulaire

Je passai la nuit dans mon ancienne cabine; il serait plus juste de dire que j'y restai pendant mon sommeil, car il pouvait être grand jour; mais peu importe, je n'en dormis pas moins bien, et me réveillai plein de vigueur. C'était mon nouveau régime qui, sans aucun doute, produisait cet heureux effet; car, en dépit de la répugnance qu'il vous inspire, il faut reconnaître qu'il était nourrissant.

Je n'hésitai pas à déjeuner de la même chère; et après avoir bu ma ration d'eau je retournai dans la caisse où j'avais passé la journée précédente et une partie de la nuit.

En me retrouvant à la même place que la veille, je ne pus pas me dissimuler que j'avais fait peu de chemin pendant cette longue séance; mais quelque chose me faisait pressentir que j'allais être plus heureux.

Vous vous rappelez qu'au moment où la rupture de ma lame était venue me plonger dans la douleur, j'étais placé dans les circonstances les plus favorables où je me fusse encore trouvé: la caisse à laquelle j'avais affaire semblait facile à ouvrir; et je me revis dans la même situation en reprenant mon travail.

Cette fois, comme vous pensez, je n'eus pas la témérité de me servir de mon couteau pour soulever les planches et les enlever de leur point d'attache. Je connaissais trop la valeur de cet instrument, qui était celui de ma délivrance, et je cherchai un autre levier.

«Il me faudrait un morceau de bois très-dur,» pensai-je.

Je me souvins tout à coup des douelles de la barrique d'eau-de-vie.

Je fus aussitôt dans ma cabine; où je me rappelais les avoir laissées. Effectivement, après avoir dérangé quelques pièces de drap, et tâtonné pendant quelques minutes, je me trouvai possesseur d'une planche étroite et solide qui me sembla remplir toutes les conditions voulues.

De nouveau à la besogne, j'amincis le bout de ma planchette, et l'introduisant avec un peu de peine, il est vrai, sous les planches qui formaient l'un des côtés de la caisse, je l'y enfonçai le plus possible en frappant dessus avec un morceau de bois.

Lorsqu'elle fut solidement ancrée, je pesai de toutes mes forces sur le bout qui était libre, et après de nombreuses secousses, j'eus la satisfaction d'entendre craquer les pointes qui se détachaient. Mes doigts prirent alors la place du levier, j'attirai la planche vers moi, et la brèche fut ouverte.

La planche voisine se détacha plus facilement; il en résulta une ouverture bien assez large pour me permettre de vider la boîte de ce qu'elle pouvait contenir.

C'étaient des paquets oblongs, ayant la forme des pièces de toile ou de drap, mais bien plus légers, surtout plus élastiques, ils n'en sortiraient que plus facilement, et je n'aurais pas besoin de les défaire pour les ôter de la caisse.

Quant à m'assurer de leur nature, je n'en eus pas même la curiosité; et il me serait impossible de vous dire ce qu'il y avait dans ces paquets, si en tirant l'un d'eux, qui était plus serré que les autres, l'enveloppe ne s'en était déchirée: au moelleux du tissu que mes doigts rencontrèrent, ils reconnurent que c'était du velours.

La caisse fut bientôt vide, son contenu rangé avec soin derrière moi; et le cœur palpitant, je me hissai dans l'espace que je venais de m'ouvrir: j'étais d'un étage plus près de la liberté.

 

Il ne m'avait fallu que deux heures pour faire ce pas énorme; c'était d'un bon augure; la journée commençait bien, et je résolus de ne pas perdre une minute, puisque le sort se montrait si favorable.

Après avoir été me rafraîchir à mon tonneau, je remontai dans la caisse au velours, et je commençai une nouvelle série d'explorations. Comme il était arrivé pour la caisse au drap, la partie supérieure, également appuyée contre le piano, pouvait se détacher avec un peu d'effort; et sans pousser au delà mon examen, j'appuyai mes talons contre les planches et les frappai vigoureusement.

Je n'avais pas beaucoup de force, en raison de la gêne que j'éprouvais dans ma nouvelle boîte, dont la dimension était beaucoup moindre que celle de la caisse aux étoffes. À la fin, cependant, les planches se détachèrent, et tombèrent les unes après les autres dans le vide que j'ai signalé.

Je pus, dès lors, continuer mon examen des lieux, et je me penchai pour sentir ce qu'il y avait autour de moi; je m'attendais à trouver le grand piano, se dressant toujours comme un mur, et j'avais bien peur qu'il ne fermât tout l'espace. Il est certain que l'énorme caisse n'avait pas changé de position, c'est elle que je rencontrai tout de suite; mais je ne pus retenir un cri de joie en m'apercevant qu'elle ne bouchait pas la moitié de l'ouverture; et, chose qui me rendait encore plus heureux, c'est qu'en suivant le bord avec la main, je découvris que dans l'endroit où elle n'arrivait pas, il se trouvait un vide, presque aussi large que la caisse au velours.

Quelle agréable surprise! autant d'avance pour mon tunnel. J'étendis le bras, et ma joie devint de plus en plus grande: le vide existait non-seulement en largeur, mais il montait jusqu'à l'extrémité du piano, et formait une cellule triangulaire dont la pointe était précisément tournée vers le bas. Cela tenait à la forme du piano qui, au lieu d'être carré, allait en diminuant de largeur; il était placé de champ, et comme il reposait sur le côté le plus large, il y avait nécessairement un vide à partir de son échancrure.

Apparemment qu'il n'y avait pas eu de caisse ou de ballot qui pût se caser dans cet espace triangulaire, puisqu'il était inoccupé. «Tant mieux,» pensai-je en m'introduisant dans cette logette, avec l'intention de l'examiner.

CHAPITRE LXI

Nouvelle caisse

L'examen ne fut pas long; j'eus bientôt découvert que le fond de ce vide était formé par une grande caisse. À droite il y en avait une pareille; à gauche se trouvait l'obliquité du piano, qui, par son écartement, donnait à la base du triangle une largeur de cinquante centimètres.

Mais je me souciais fort peu de ce qu'il y avait au fond, à droite et à gauche de cet espace vide; c'était le dessus de la logette qui m'intéressait, puisque c'était perpendiculairement que je voulais percer mon tunnel. L'obliquité du piano avait encore pour moi l'avantage de me faire arriver diamétralement au-dessous de la grande écoutille. Je n'avais plus à m'occuper de ce qui était sur les parties latérales, à moins de rencontrer un obstacle imprévu. Quant à présent, je ne pensais qu'à monter. «Excelsior! excelsior!» me répétais-je avec ivresse. Deux ou trois étages à franchir, peut-être moins, et je serais libre! Cette pensée me faisait battre le cœur.

Ce fut avec une vive anxiété que je portai la main au plafond de la logette; mes doigts tremblèrent tout à coup et reculèrent involontairement. Bonté divine! encore un ballot de toile.

En étais-je bien sûr? Je m'y étais déjà trompé lors de la caisse de velours. Avant de se désoler il fallait examiner de plus près.

Je fermai le poing et frappai la base du prétendu ballot. Quel son agréable me répondit! c'était une caisse recouverte de son emballage. Un bloc de toile ou d'étoffe m'aurait donné un son mat, à peine sensible, tandis que cette nouvelle caisse résonnait comme si elle eût été vide.

Il devait cependant se trouver quelque chose; elle n'aurait pas été là si elle n'avait rien contenu; mais que pouvait-elle renfermer?

Je la frappai plusieurs fois avec le manche de mon couteau, elle rendit toujours le même bruit: un son creux annonçant le vide.

«On aura peut-être oublié de la remplir; de mieux en mieux: pensai-je. Dans tous les cas, c'est quelque chose de léger dont je me débarrasserai facilement.»

Mais à quoi bon ces conjectures? Il valait mieux défoncer la boîte que de perdre son temps à deviner une énigme; et en deux tours de main j'eus arraché la toile.

Je n'ai pas besoin de vous dire au moyen de quel procédé j'ouvris cette caisse; vous le connaissez aussi bien que moi: une planche fut coupée en travers, puis arrachée, ainsi qu'une seconde, et le passage fut libre.

Ma surprise fut extrême; je ne comprenais pas ce qu'il y avait dans cette boîte. Cependant, lorsque je fus parvenu à détacher l'un des objets bizarres qui m'intriguaient, je finis par découvrir que c'étaient des chapeaux.

Mon Dieu oui! des chapeaux de femme tout garnis de rubans, de fleurs et de panaches.

Si j'avais connu, à cette époque, le costume péruvien, j'aurais encore été bien plus surpris. J'aurais su qu'on ne voit jamais pareille coiffure charger la tête d'une Péruvienne. Mais je l'ignorais complétement, et n'étais étonné que de voir un article aussi futile faire partie de la cargaison d'un vaisseau.

On me donna plus tard l'explication de cette bizarrerie, en me disant qu'il y avait beaucoup de Françaises et d'Anglaises dans l'Amérique du Sud: les femmes et les filles des négociants établis dans cette partie du monde, celles des consuls, etc., et que malgré la distance qui les séparait de l'Europe ces dames n'en persistaient pas moins à suivre les modes de Paris ou de Londres, en dépit du mauvais effet que leur coiffure absurde produit aux yeux des indigènes.

C'était donc à ces élégantes qu'était destinée la caisse de modes où je venais de m'introduire.

Il faut avouer que ces dames furent trompées dans leur espoir; les chapeaux n'arrivèrent pas à leur destination, ou plutôt ils y parvinrent dans un état qui ne permettait plus d'en faire un objet de parure. Je les saisis tous d'une main impitoyable, et dans la nécessité où je me trouvais de les réduire au moindre volume possible, on comprend ce qui advint de la grâce et de la fraîcheur de ces objets délicats.

Par suite de cette manœuvre, une foule de malédictions a dû retomber sur ma tête; et la seule chose que je puisse répondre, c'est qu'il s'agissait pour moi d'une question de vie ou de mort devant laquelle s'effaçait l'importance des chapeaux. Il n'est pas probable que cette excuse fut trouvée bonne à l'endroit où on les attendait. Je n'en ai jamais rien su. Tout ce que je puis dire, c'est que plus tard j'eus la satisfaction de décharger ma conscience en payant l'indemnité que réclamait la marchande de modes.

CHAPITRE LXII

À demi suffoqué

Une fois débarrassé des chapeaux, et installé à leur place, j'avais l'intention de faire sauter le couvercle de la caisse, si la chose était possible, ou d'y pratiquer l'ouverture de rigueur. Mais d'abord il fallait procéder à mon examen habituel pour savoir à quoi j'aurais affaire ensuite, afin de ne pas m'exposer à prendre une peine inutile.

Je passai donc la pointe de mon couteau entre les fentes du couvercle, pour tâter l'objet qui se trouvait au-dessus de moi. C'était un ballot, car je sentais de la toile; mais un ballot qui me parut élastique; du moins il ne m'offrait pas grande résistance, la lame de mon couteau s'y enfonça jusqu'à la garde, et je ne sentis pas de caisse intérieure.

Ce n'était pas de la toile, pas même du drap; mon couteau y entrait comme dans du beurre; et la moindre étoffe m'aurait toujours un peu résisté. Mais ce pouvait être un vide; je sondai à plusieurs endroits, et partout je pénétrais sans effort; c'était une matière molle, une substance inconnue dont je ne me faisais pas la moindre idée.

Il était à peu près sûr qu'elle ne m'opposerait pas d'obstacle sérieux; je n'en demandais pas davantage, et sous l'impression agréable que me donnait cette probabilité, je me mis en devoir d'enlever les planches qui me séparaient de ce singulier ballot, afin de le miner à son tour.

Je me livrai de nouveau à cette fastidieuse besogne de couper en travers l'une des planches qui s'opposaient à mon passage; je n'avais pas d'autre moyen de procéder perpendiculairement: le poids des objets qui se trouvaient sur les caisses m'empêchait d'en ébranler le couvercle, dont la section devenait indispensable.

Toutefois, le dessus de la boîte à chapeaux fut moins difficile à couper que les autres, le bois en était plus mince, et en moins d'une heure j'eus achevé mon opération.

Je coupai la toile qui enveloppait cette caisse de modes précieuses, et je pus avec la main sentir le mystérieux ballot: c'était un sac à blé; je le reconnus immédiatement, j'en avais assez palpé à la ferme.

Mais qu'est-ce qui le remplissait? était-ce de l'orge, du froment ou de l'avoine? Non, c'était quelque chose de plus doux.

Il était facile de s'en assurer; au moyen de mon couteau je fis au sac une ouverture suffisante pour y passer la main. Ce ne fut pas nécessaire: à peine avais-je fendu la toile, qu'une substance poudreuse s'en échappa, et que mes doigts, en se refermant, saisirent une poignée de farine. Je la portai à ma bouche: c'était de la farine de froment, j'en avais l'assurance.

Quelle heureuse découverte! je n'avais plus peur de mourir de faim, plus besoin de manger des rats. Avec de la farine et de l'eau je pouvais vivre comme un prince. Elle était crue, direz-vous? Qu'importe, elle n'en était pas moins agréable et saine.

«Dieu soit loué!» m'écriai-je en pensant à la valeur de cette découverte.

Je travaillais depuis longtemps, j'étais fatigué, j'avais grand'faim, et ne pus résister au désir de faire immédiatement un bon repas. Je remplis mes poches de farine et me disposai à retourner près de mon tonneau. Avant de partir j'eus toutefois la précaution de fermer la plaie que j'avais faite à mon sac, en y fourrant des morceaux de toile, et j'opérai ma descente.

Les rats, y compris le sac de laine qui me servait de garde-manger, furent placés dans un coin; j'espérais bien n'avoir plus à les en sortir; et faisant une pâte avec ma farine, je la mangeai d'aussi bon cœur que s'il se fût agi d'un tôt-fait ou d'un pouding à la minute.

Quelques heures d'un profond sommeil réparèrent mes forces; un nouveau plat de bouillie fut avalé prestement, et je revins à mon tunnel.

En arrivant au second étage, c'est-à-dire à la seconde caisse, je fus surpris de trouver sur toutes les planches une couche épaisse de poussière. Dans la logette, à côté du piano, cette couche était si forte que j'y enfonçais jusqu'à la cheville; quelque chose me tombait sur les épaules; je levai la tête, un nuage de poudre m'entra dans la bouche, dans les yeux et me fit tousser, éternuer, pleurer de la façon la plus violente. Mon premier mouvement fut de battre en retraite, pour me réfugier au fond de ma cellule; mais je n'eus pas besoin d'aller jusque-là; une fois dans l'ancienne boîte aux biscuits, je fus à l'abri de cette ondée pulvérulente, et je respirai librement.

Il était facile de s'expliquer ce phénomène: le mouvement du vaisseau avait fait tomber les chiffons qui bouchaient l'ouverture du sac; et c'était ma farine que j'avais prise pour de la poussière.

La perte pouvait être considérable; dans tous les cas il fallait refermer le sac. Malgré la peur que j'avais d'une nouvelle suffocation, je n'hésitai pas à escalader mon tunnel; et fermant la bouche et les yeux, je fus bientôt dans l'ancienne caisse de modes.

Mais il me sembla qu'il ne tombait plus de farine. Je levai d'abord la main, puis la figure, et me convainquis du fait: la pluie de farine avait complétement cessé, et par une bonne raison, c'est que le sac était vide.

J'aurais regardé cet événement comme un malheur, si je n'avais compris tout de suite qu'on pouvait y remédier. Certes une grande partie de la farine avait glissé entre les caisses, et de là s'était perdue à fond de cale; mais il en restait une quantité plus que suffisante dans tous les coins où il y avait un bout de planche; principalement dans la logette triangulaire, que j'avais tapissée d'étoffe.

Cela importait peu du reste; car une nouvelle découverte, que je fis presque aussitôt, absorba toutes mes pensées, et je ne m'inquiétai plus de farine ni de provisions quelconques.

J'avais allongé le bras pour voir si vraiment la poche était vide; elle l'était complétement; dès lors je n'avais plus qu'à tirer le sac pour profiter de la place qu'il occupait, et la prendre à mon tour. «Encore un étage de gagné,» me dis-je, en saisissant la toile et en la jetant derrière moi.

 

Je passai la tête dans la caisse pour me hisser à la place du sac:

Ô mon Dieu, je revoyais la lumière!