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Maria. Poème d'Ukraine

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X

Au milieu d'un cercle épais d'ennemis, séparé des siens, seul, sans soutien, sans espoir, sans témoin, sans ami, lutte le sombre Venceslas, et déjà il lutte seulement pour livrer sans déshonneur cette vie qui lui pèse. Il sème la mort, demandant la mort, car, au plus profond de son cœur, il entend le gémissement de la colombe se débattant sous le bec du vautour: voilà l'harmonie de ses pensées! Mais soit étonnement, soit épouvante, soit impuissance contre son bras vaillant, la masse innombrable qui l'étreignait, de plus en plus recule et élargit le cercle devant lui. Ils voient, ils reconnaissent le chef; l'un après l'autre ils s'élancent, croisent le fer, succombent… ils hésitent à vaincre. Regardant autour de lui avec son œil d'azur, le jeune guerrier voit le cercle d'ennemis reculer toujours, et son cœur ne ressent que de la tristesse, à l'aspect de ce merveilleux succès. Il regrette que ses pressentiment ne se réalisent pas. Pourquoi n'ont-ils plus dans leur carquois une seule flèche trempée dans le venin de la vipère, afin de la planter dans sa chair? Il déplore de les voir céder; la vie lui fait peur, il agace leur cruauté, il leur présente la poitrine! Patience, patience! le han des Tatars, au gros ventre, à la face couleur de brique, vient s'abattre sur ce point, tout écumant de rage. Il a vu ses hordes plier devant une force inconnue, et il aperçoit qu'elles plient devant la bravoure d'un seul homme! Il arrache sa barbe touffue, désespéré d'un tel opprobre. Un cri sort de sa bouche béante… horreur et honte! mille contre un seul, le sourcil froncé, le sabre haut, accourent… Ils vont le hacher… le hacher!

XI

Quelles trompettes ont sonné derrière la forêt voisine? Quels nouveaux escadrons arrivent au galop avec des hourras? Quel est cet autre guerrier, qui, frappant à droite et à gauche, se fraie un chemin par le carnage et la terreur? Son cheval effleure à peine la terre, ses cheveux rares et blancs se déploient au vent et luisent comme la crinière d'une comète; il semble nager dans l'air; dressé sur l'étrier, il se précipite, et l'appréhension redouble sa vitesse. Comme la lionne, qui a quitté son lionceau, bondit de fureur en le retrouvant entouré d'hommes, comme la mère, qui avait perdu toute espérance de revoir son fils, à son aspect est égarée par la joie, avec ces émotions mêlées de la mère et de la lionne, le sabre flamboyant au poing, avec le vol de l'éclair, aux yeux des ennemis étonnés, aussi épouvantés que par la vue d'un fantôme, à coté de son gendre le vieux Porte-glaive apparaît. Les escadrons le suivent de près. C'est à toi qu'appartient son premier salut, han bouffi d'orgueil! Ils courent avec fureur l'un contre l'autre. Polonais et Tatars, immobiles, attentifs, regardent ce qui va arriver. Quelque temps le Porte-glaive se joue de son ennemi, frappe, se jette de côté, revient impétueux, presse son adversaire, et enfin, choisissant le moment, riposte par un coup vigoureux qui plonge son fer sacré dans la nuque de l'infidèle. Tranchée par ce coup terrible, la tête se détache, tourne les yeux, balbutie des paroles inintelligibles, roule, la bouche béante, pâlit et meurt; le tronc, à cheval et immobile, darde son sang vers le ciel! Un cri de terreur s'élève, les ennemis se débandent, le cheval du han s'enfuit au milieu des hordes avec le corps de son maître; la frayeur s'est emparée des barbares, les trompettes sonnent, sonnent le carnage; les troupes fraîches courent sur les fuyards, les autres s'élancent à l'envi… choc, étincelle, sifflement et éclair, coup, cris, plaintes, hennissements… et la gloire poudreuse vient embellir la destruction.

XII

La lutte se prolonge peu; beaucoup mettent bas les armes, plus encore périssent; l'arrière-garde tombe sur les fuyards. Sur la terre piétinée coulent des ruisseaux de sang; Polonais, Cosaques, Tatars, sont couchés sans vie, immobilisés par la mort dans l'attitude où chacun tomba. Leurs âmes sont au ciel, leurs chevaux errent sur la plaine. A quelque distance gisent les colpaks, les turbans; seul, le sabre fidèle reste auprès d'eux souillé de sang. O toi, dont l'existence a dépendu de la bravoure de tes frères, viens entendre cette joie guerrière et ces cris de victoire. Viens voir, au milieu des cadavres que le ver entame déjà, les figures aux longues moustaches se féliciter de survivre, et les fronts assombris s'éclairer d'un rire dont les bruyants éclats ressemblent à l'écho du tonnerre! Viens, ne tremble pas, chacun doit être glorieux de les approcher; leur bravoure, arrosée de sang ennemi, s'épanouit si radieuse! Si en toi ce sacrifice de la vie pour sa patrie, pour ses concitoyens, n'excite que le tremblement de la peur, regarde-toi bien dans ta conscience, et tu t'épouvanteras toi-même. Viens, presse avec un cœur reconnaissant ta tunique de laine sur ces poitrines d'acier, et baise leurs blessures.

XIII

Sur la lisière du bois s'élevait un coteau dont le front était verdoyant, et d'où les parfums du serpolet s'épandaient à l'entour.

Sur le penchant, des bouleaux inclinés, vêtus de leur blanche robe, pleuraient, lorsqu'un frais zéphyr caressait leur chevelure, comme les filles d'autrefois sur les ossements des guerriers. Là, sous la voûte embaumée où l'ombre appelait le sommeil, se retirèrent, pour goûter le repos, les vainqueurs et les captifs. Dans la vie, il est au moins cette loi commune, que le plaisir et la douleur, les labeurs et l'oisiveté, le déshonneur et la gloire, ont un même terme: la lassitude. Devant eux, l'incendie, qui s'éteignait, jetait encore par instants ses lueurs soudaines et mourantes sur le champ de bataille; derrière eux, le soleil, déjà caché par la forêt, émerveillait les yeux par l'illusion du feuillage enflammé. Les couleurs s'assombrissaient; des bandes de corbeaux s'abattaient, en tournoyant et croassant, sur les cadavres. Ou disposa les vedettes. Autour des feux du bivouac s'agitaient en tumulte les guerriers étincelants, et sous la dent des chevaux, l'herbe rendait le bruit lointain des armes. Pareil à l'aigle blanc, le Porte-glaive, blanchi par les années, mais couvert de gloire, rafraîchissant sa tête nue, au pied d'un bouleau était assis et parlait ainsi au sombre Venceslas:

«Fils… puisque tu es si étroitement uni à mon cœur, puisque dans mon cœur tu as une place de fils, tu en auras aussi le nom. Ce jour n'a filé pour moi que le fil du bonheur; notre Venceslas est revenu, les Tatars sont défaits; l'Ukraine est tranquille, Dieu veuille que ce soit pour longtemps! Voila des libéralités de la fortune qui dépassent mon mérite. Mais quand nos âmes ont, ce me semble, ce qu'elles désiraient, vous m'avez l'air d'un bien triste vainqueur! Vois donc, comme la lune se lève radieuse pour toi! Assez donné à la gloire… il est bon de donner également à l'amour; monte à cheval et galope gaiement vers ta femme qui t'aime, vers vos fidèles serviteurs, tous impatients de te revoir. Moi je veillerai sur les rondes, et demain, à l'aube, vous entendrez le sabot de mon chenal vous dire bonjour. Monte sur ton cheval… il est vaillant, et te portera vite là-bas. Bon voyage! et Dieu te bénisse à jamais comme je te bénis!»

XIV

Venceslas se hâte d'obéir, et selon sa coutume d'autrefois, il presse la main du vieillard, qui lui rend à son tour une rude, vigoureuse, mais cordiale étreinte. Déjà cheval et cavalier passent rapidement sur l'ombre des bouleaux. Le Porte-glaive commence sa prière accoutumée. Comme il est beau le jeune Venceslas, courant à travers la plaine! Sa chevelure, son panache, ont l'éclat de l'argent, et sur son armure la grosse face de la lune se réfléchit en petit. Oh! qu'il est délicieux, au sein de la nature endormie dans le silence, de voler, le cœur brûlant, vers sa bien-aimée, de saluer chaque objet d'un sourire amical et de tout laisser derrière soi pour courir vers le but de ses désirs! Ils sont doux, alors, ces mille bruits qui s'élèvent par moments; le chant du rossignol, le murmure de l'onde, le coassement des grenouilles, avec leur sauvage, mélancolique, mais vive et touchante harmonie, disent à nos sens éveillés leurs secrets; il est délicieux alors, ce parfum émané des fleurs, qui vient, au souffle léger du plaisir, dissiper les nuages de l'affliction; alors l'âme rassérénée semble échapper aux liens de ce corps, pour voler vers le ciel et vers son Créateur. Alors la nature est une mère! Elle partage tout avec l'homme, tout sourit à l'homme, tout le réjouit; alors le sabre reste au fourreau, et l'oubli des offenses met dans les fiers regards la bonté… sur les lèvres le pardon. Ainsi marche Venceslas, heureux si la foudre déchirait soudain les voiles de son vaisseau, car l'ouragan de ce monde serait impuissant à le tourmenter, à moins que sur son tombeau glacé il ne vînt mugir avec fureur. Ainsi il dépasse les steppes;… oh! trop courtes, ces douces rêveries qui endorment les enfants de la terre dans l'ivresse du bonheur! comme un spectre le souvenir se dresse, réveillant le passé cruel, et sous les rideaux parfumés de la couche, les fantômes viennent en foule souffler les soucis et l'inquiétude.

Il l'a vue si défaillante, si faible! … Sans appui, le lierre caressant se flétrit, et sans abri, le doux fruit ne saurait mûrir, ici-bas! Quoi! à peine à son retour eut-il jeté un regard sur son paradis perdu, qu'il le quitta de nouveau! Et pourquoi? pour cette vaine gloire, dont tous les rayons ne valent point un sourire des lèvres aimées. Si du moins il pouvait compter sur sa fortune! Mais, l'orage à peine passé, déjà sûr de jouir d'un ciel serein, oubliant déjà combien il est amer de compter les heures dans le chagrin, inconstant! il s'est enlevé il lui-même le bonheur dont il eût pu faire son partage! Vite, en avant! et à travers les herbes et les fossés, le cheval agile se glisse allongé, et le choc de ses fers, le bruit de sa course, frappent la première pensée du paysan qui s'éveille: «Ha ha!» Mais il ne s'est point frotté les yeux, il n'a point maîtrisé le battement de son cœur, et le cavalier a disparu, laissant derrière lui un conte de vampire. – Ainsi volait Venceslas, heureux et alarmé, beau et effrayant, fidèle image des mortels.

 

XV

Contre la porte enfin le cheval poussa son poitrail écumant, et hennit en rafraîchissant de ça et de là ses naseaux; mais bien que la lune fut claire, le guerrier ne vit personne; aucun écuyer n'accourut d'un pied leste pour tenir l'étrier: «Il doit être bien tard, laissons-les dormir sans trouble,» pensa Venceslas en attachant le coursier. Et avec cette joie vive où le cœur se plonge lorsqu'il doit battre bientôt auprès d'un sein chéri, avec ce regard brillant où l'on voit s' éteindre l'inquiétude, d'un seul bond joyeux, il est sur le seuil. Ah! que de charmes, de caresses, vont s'éveiller pour lui! Encore un instant, et il sera le plus heureux des mortels ou des anges. Il frappe une fois, deux fois, trois fois; trois fois l'écho vigilant accourt avec sa réponse, et se tait… lui seul ici, pour marquer le mouvement et la vie, dans un léger sommeil a attendu le jeune chef. Point de pas précipités qui s'avancent; point de voix parlant tout ai coup en tumulte, point de lumière dans la demeure sombre, silencieuse et fermée: «Oh! comme leur sommeil est dur!» L'impatience dit au guerrier qu'un seul coup de sabre lui ferait franchir le seuil. Mais, ce violent conseil, il ne saurait l'écouter… exciter l'inquiétude de Maria, pour abréger la sienne!… Puisse la route des orages se terminer dans le sein du guerrier, pourvu que jamais la seule crainte n'en arrive jusqu'à elle. Il frappe encore, mais plus doucement; dans le ciel de son cœur s'est montré un sentiment angélique, l'oubli de soi même, il s'éloigne à pas lents; parfois au milieu du silence, tout-à-coup il s'arrête: n'a-t-il pas entendu quelqu'un? Il regarde la lune, qui dans son plein éclat projette sur l'herbe la stature du guerrier en ombre noire et gigantesque. Avec quels doux rayons et quel paisible cours elle brille et roule dans les cieux! Ah! c'est qu'elle a les yeux tournés vers son soleil! Le guerrier penche la tête; il lui a semblé voir le sourire de l'ironie. sur cette face joufflue. Plongé dans sa triste rêverie, mais incapable d'achever ses pensées, dans un chaos de sentiments opposés, où la crainte, la douleur, l'amour, les souvenirs, le bonheur, tout enfin est en suspens; il erre autour du château endormi et silencieux; demeure muette, sans bruit et sana vie, recelant un précieux trésor, comme ces palais enchantés des contes arabes. Mais qu'a-t-il vu? Au moment où il perdait toute espérance, il observe enfin un mouvement: dans la chambre du repos, une fenêtre est ouverte, et le voile léger, déployé là pour arrêter les insectes rôdeurs de la nuit, se joue, en fuyant, du timide zéphyr, et tantôt le fait sortir de la chambre, tantôt l'y attire. Quelle flamme délicieuse court dans les veines de guerrier! Tout l'éclat du bonheur revient vite sur ses traits. Comment résister aux pensées qui l'enivrent? Il faudrait être la vertu la plus pure, ou une pierre inerte. Il n'est ni l'une ni l'autre; il sait combattre dans la bataille, et aimer d'un cœur fidèle et reconnaissant… mais le voilà dans la chambre.

XVI

Sur la couche en désordre, dans sa robe de deuil, une femme endormie est étendue; mais la douce quiétude ne caresse pas son dur sommeil, et comme si une mort soudaine eût mis fin à ses violentes douleurs, sur son visage livide, la souffrance est restée; tranquille, immobile, son corps est cependant raidi, et ses longues tresses retombent en désordre, mais noir dans ce désordre où l'amour jette la beauté endormie. Affreusement gonflée, bouffie par la convulsion, on dirait qu'elle va gémir, mais ses lèvres sont serrées par une force puissante, et un rayon de lune entoure de sa lumière tremblante ce sombre visage, et met dans ses yeux à demi fermés cette sauvage tendresse, cette caresse de vampire, qui est dans le regard d'une amante. C'est la jeune et belle Maria. Venceslas est debout auprès d'elle; il lui apporte le bonheur, qu'a-t-il à craindre? C'est la jeune et belle Maria, oh! combien elle est changée! Est-ce que le ver va déjà s'enfoncer dans son sein? Mais Venceslas ne reste pas longtemps là, sous le coup de l'étonnement; l'âme a bientôt maîtrisé le tremblement du corps, et penché sur ce visage, il unit ses lèvres aux lèvres de Maria, et y fait couler avec délices le miel qui emplit son cœur:

«O ma chère Maria, tu es froide et muette…. et déjà pour nous le bonheur est revenu…» et l'écho dit: «n'est plus!»

«Maria, ma bien-aimée, on m'a vu pour jamais sur un champ de bataille… mon pére nous unit…» et l'écho dit: «sépare!»

Il la caresse, il veut la ranimer, et son amour inquiet se consolerait d'avoir obtenu un soupir. La tête soudainement renversée de Maria retombe sur la poitrine du guerrier, et heurtant l'armure, répond avec un bruit gémissant. Le guerrier crie, cherche du secours, se précipite à travers le château désert… seul, le bruit de ses efforts impuissants se répercute sur les murailles. Il revient; il a trouvé un espoir: peut-être l'air du dehors dissipera-t-il les ténèbres de la mort qui voilent ces yeux noirs. Mais, soulevée par le bras puissant du guerrier, en quels mouvements hideux cette taille se tord! ce n'est plus le corps souple, aérien, qui échappait à la terre: inerte comme la ruine qui vient de tomber, les bras, la tête pendants, les pieds déjà raidis, c'est un objet d'effroi, cher encore au guerrier: «de l'eau, de l'eau!» s'écrie-t-il d'une voix perçante, et il renverse à grand fracas la porte énorme du château.

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