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Mémoires de Constant, premier valet de chambre de l'empereur, sur la vie privée de Napoléon, sa famille et sa cour

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CHAPITRE VII

Retour à Saint-Cloud.—Départ pour Bayonne.—Terreurs de l'impératrice Joséphine.—Adieux.—Sachet mystérieux porté en campagne par Napoléon.—Tristesse de Constant.—Pressentiment.—Arrivée à Vittoria.—Prise de Burgos.—Bivouac des grenadiers de la vieille garde.—En marche sur Madrid.—Passage du col de Somo-Sierra.—Arrivée devant Madrid.—L'empereur chez la mère du duc de l'Infantado.—Prise de Madrid.—Respect des Espagnols pour la royauté.—Le marquis de Saint-Simon condamné à mort et grâcié par l'empereur.—Rentrée du roi de Joseph dans Madrid.—Aventure d'une belle actrice espagnole.—Horreur de Napoléon pour les parfums.—Tête-à-tête amoureux.—Migraine subite.—La jeune actrice brusquement congédiée par l'empereur.—Misère des soldats.—L'abbesse du couvent de Tordesillas.—Arrivée à Valladolid.—Assassinats commis par des moines dominicains.—Hubert, valet de chambre de l'empereur, attaqué par des moines.—Les moines forcés de comparaître devant l'empereur.—Grande colère.—Querelle faite à Constant par le grand-maréchal Duroc.—Chagrin de Constant.—Bonté et justice de l'empereur.—Réconciliation.—Bienveillance du grand-maréchal Duroc pour Constant.—Maladie de Constant à Valladolid.—La fièvre brusquée avec succès.—Retour à Paris.—Disgrâce de M. le prince de Talleyrand.



Majesté ne resta que dix jours à Saint-Cloud; sur ces dix jours elle en passa deux ou trois à Paris pour l'ouverture de la session du corps législatif, et le 29 à midi, on se mit en route une seconde fois pour Bayonne.



L'impératrice qui, à son grand chagrin, ne devait point accompagner Sa Majesté, me fit appeler le matin du départ et me renouvela avec l'accent de la plus touchante sollicitude, les recommandations qu'elle avait coutume de me faire à chaque voyage de l'empereur. Le caractère espagnol l'effrayait et lui faisait craindre pour les jours de son époux.



Les adieux furent pénibles et douloureux. L'impératrice voulait partir; l'empereur eut toutes les peines du monde à la rassurer et à lui faire comprendre qu'elle ne pouvait pas le suivre. Au moment de partir, Sa Majesté rentra un instant dans son cabinet de toilette et me dit de lui déboutonner son habit et son gilet. J'obéis, et je vis l'empereur se passer autour du col, entre le gilet et la chemise, un ruban de taffetas noir, au bout duquel était suspendu une sorte de petit sachet, gros comme une grosse noisette, et recouvert de taffetas noir. J'ignorais alors ce que contenait ce sachet, que depuis Sa Majesté porta dans toutes ses campagnes. Quand elle revenait à Paris, elle me le donnait à garder. Ce sachet sentait fort bon; sous l'enveloppe de soie, était une autre enveloppe en peau. J'aurai plus tard une triste occasion de dire à quelle fin l'empereur portait sur lui ce sachet.



Je partis, le cœur serré. Les recommandations de Sa Majesté l'impératrice, des craintes que je ne cherchais point à me dissimuler, et la fatigue de ces voyages réitérés, contribuaient à me donner de la tristesse. Il y en avait, au reste, sur presque tous les visages de la maison impériale. Les officiers se disaient que les guerres du nord étaient une bagatelle en comparaison de celle qu'on allait faire en Espagne.



Nous arrivâmes le 3 novembre au château de Marrac. Quatre jours après nous étions à Vittoria, au milieu de l'armée française. L'empereur y trouva son frère et quelques grands d'Espagne qui n'avaient point encore déserté sa cause.



L'arrivée de Sa Majesté électrisa les troupes, et même une partie, bien faible à la vérité, de l'enthousiasme qu'elles témoignaient pénétra dans le cœur du roi, qui reprit quelque courage.



On se mit en route presque aussitôt pour aller s'établir provisoirement à Burgos, qui fut emporté de vive force et pillé même pendant quelques heures, parce que les habitans l'avaient abandonné en laissant à sa garnison le soin d'arrêter les Français le plus long-temps possible.



L'empereur logea au palais de l'archevêché, superbe bâtiment construit sur une grande place où bivouaquèrent les grenadiers de la garde impériale. C'était chose curieuse à voir que ce bivouac. Des chaudières immenses qu'on avait trouvées dans les couvens, étaient suspendues, pleines de mouton, de volaille, de lapins, etc., au dessus d'un feu qu'alimentaient des meubles, des guitares, des mandolines; et les grenadiers, la pipe à la bouche, gravement assis dans des fauteuils de bois doré, garnis de damas cramoisi, surveillaient avec attention leur cuisine, et se communiquaient leurs conjectures sur la campagne qui venait de s'ouvrir.



L'empereur resta dix ou douze jours à Burgos, et donna ensuite l'ordre de marcher sur Madrid. On pouvait y aller par Valladolid, la route était même plus belle et plus sûre de ce côté: mais l'empereur voulut enlever le

Col de Somo-Sierra

, position imposante fortifiée par la nature et qu'on avait toujours regardée comme imprenable. Cette position, située entre deux montagnes à pic, défendait la capitale; elle était gardée par douze mille insurgés et douze pièces de canon placées de manière à faire autant de mal que trente ou quarante partout ailleurs. Certes, il y avait bien de quoi arrêter l'armée la plus formidable; mais qui pouvait alors opposer quelque obstacle à la marche de l'empereur?



On arriva le 29 novembre au soir, à trois lieues de ce formidable défilé, dans un village appelé Basaguillas. Il faisait grand froid; pourtant l'empereur ne se coucha point; il passa la nuit à écrire dans sa tente, enveloppé de la pelisse qui lui avait été donnée par l'empereur Alexandre. Vers trois heures du matin, il vint se chauffer au feu du bivouac où je m'étais assis, ne pouvant supporter le froid et l'humidité d'une salle basse qu'on m'avait assignée pour logement, et dans laquelle je n'avais pour me coucher que quelques poignées de paille remplie d'ordures.



À huit heures du matin la position fut attaquée et enlevée. Le lendemain, nous arrivâmes devant Madrid.



L'empereur établit son quartier général au château de Champ-Martin, maison de plaisance à un quart de lieue de la ville, et qui appartenait à la mère du duc de l'Infantado: l'armée campa autour de cette maison. La propriétaire vint toute en larmes, le lendemain de notre arrivée, demander à Sa Majesté la révocation du décret fatal qui mettait son fils hors la loi; l'empereur fit tout ce qu'il put pour la rassurer, mais il ne put lui rien promettre, la mesure étant générale.



On eut quelque peine à s'emparer de la ville, d'abord parce que Sa Majesté recommanda la plus grande modération dans les attaques, ne voulant pas, disait-elle,

rendre à son frère une ville brûlée

; en second lieu parce que le grand-duc de Berg avait, pendant son séjour à Madrid, fait fortifier le palais du Retiro, et que les Espagnols insurgés s'y étaient établis et le défendaient avec courage. La ville n'était point autrement garantie, car elle n'avait qu'un mur d'enceinte à peu près semblable à celui de Paris. Au bout de trois jours, elle fut prise; mais l'empereur n'y voulut point entrer, il résida toujours à Champ-Martin, un jour excepté, qu'il vint incognito et déguisé visiter le palais du roi et les principaux quartiers.



Une chose extraordinaire, c'est le respect qu'en tout temps les Espagnols ont montré pour tout ce qui est propriété d'un roi, qu'ils le regardent comme légitime ou non. Quand le roi Joseph quitta Madrid, le palais fut fermé, et le gouvernement alla s'établir dans un assez beau bâtiment qui avait servi aux postes. Dès lors personne n'entra plus dans le palais que les domestiques chargés de le nettoyer de temps en temps; pas un meuble, pas un livre ne furent déplacés. Le portrait de Napoléon au mont Saint-Bernard, chef-d'œuvre de David, resta accroché dans le grand salon de réception, et celui de la reine en face, absolument comme le roi les avait fait placer. Les caves mêmes furent religieusement respectées. Les appartemens du roi Charles étaient également demeurés intacts; pas une des montres de son immense collection n'avait été touchée.



Un acte de clémence de Sa Majesté envers le marquis de Saint-Simon, grand d'Espagne, signala d'une manière bien touchante l'entrée des troupes françaises dans Madrid. Le marquis de Saint-Simon, émigré français, était au service d'Espagne depuis l'émigration; il avait le commandement d'une partie de la capitale, et le poste qu'il défendait faisait précisément face à celui que l'empereur occupait aux portes de Madrid; il résista long-temps après que tous les autres chefs se furent rendus. L'empereur impatienté d'entendre toujours tirer de ce côté, donna l'ordre d'une charge vigoureuse dans laquelle le marquis fut fait prisonnier. Dans sa mauvaise humeur, l'empereur le renvoya devant une commission militaire, qui le condamna à être fusillé. L'arrêt allait recevoir son exécution, quand mademoiselle de Saint-Simon, jeune personne charmante, vint se jeter aux genoux de Sa Majesté, qui lui accorda aussitôt la grâce de son père.



Le roi fit immédiatement sa rentrée dans la capitale; avec lui revinrent les hautes familles de Madrid que les troubles avaient éloignées du foyer de l'insurrection, et bientôt recommencèrent les bals, les fêtes, les festins, les spectacles.



Au grand théâtre était alors une fort jolie personne, de quinze à seize ans tout au plus, aux cheveux noirs, à l'œil plein de feu et d'une fraîcheur ravissante. Elle avait su, on le disait du moins, préserver sa vertu des dangers auxquels sa profession d'actrice l'exposait; elle avait une belle âme, un bon cœur, une vivacité d'expressions singulière: elle avait tout enfin, elle était adorable.... Voilà ce que dit un jour à Sa Majesté, M. de B...., qui était allé au théâtre la veille, et qui en était revenu tout émerveillé. M. de B.... ajouta que cette jeune fille n'avait plus ni père ni mère; qu'elle vivait chez une vieille tante; que cette tante, aussi avare que dépravée, la surveillait avec un soin particulier, affectant pour elle un attachement très-vif, faisant partout l'éloge des charmes et des qualités de sa

chère enfant

, dans l'espérance qu'elle nourrissait de fonder bientôt sa fortune sur la libéralité de quelque protecteur riche et puissant.

 



Sur un portrait si engageant, l'empereur ayant témoigné le désir de voir cette belle actrice, M. de B.... courut chez la tante, avec laquelle il fut bientôt d'accord, et le soir la nièce était à Champ-Martin, parée d'une manière éblouissante, et parfumée de tous les parfums imaginables. J'ai déjà dit que l'empereur avait un dégoût très-prononcé pour les odeurs; aussi ne manqua-t-il pas de le témoigner quand j'introduisis dans sa chambre cette pauvre fille, qui, sans doute, avait cru faire grand plaisir à Sa Majesté en se couvrant ainsi d'essences. Mais enfin elle était si jolie, si séduisante, qu'en la regardant l'empereur sentit s'évanouir son antipathie.



Il y avait deux heures à peu près que j'étais sorti de la chambre à coucher, lorsque j'entendis sonner à casser le cordon, j'entrai bien vite et ne trouvai que la jeune personne. L'empereur était dans son cabinet de toilette, la tête appuyée sur ses mains. «Constant, s'écria-t-il en me voyant, emmenez-moi cette petite! Elle me fera mourir avec ses odeurs: cela n'est pas supportable. Ouvrez toutes les fenêtres, les portes… mais surtout emmenez-la! dépêchez-vous.»



Il était bien tard pour renvoyer ainsi une femme. Mais enfin l'ordre n'admettait point de réplique… J'allai donc faire part à la pauvre petite des intentions de Sa Majesté… Elle ne me comprit pas d'abord, et je fus obligé de lui répéter plusieurs fois: «Mademoiselle, Sa Majesté désire que vous vous retiriez…» Alors elle se mit à pleurer, à me conjurer de ne pas la faire sortir à une pareille heure; j'eus beau lui dire que je prendrais tous les précautions nécessaires, une voiture douce et bien fermée; elle ne mit fin à ses prières et à ses larmes et ne se consola un peu qu'à la vue d'un présent considérable dont l'empereur m'avait chargé pour elle.



En rentrant, je trouvai l'empereur encore assis dans son cabinet et se frottant les tempes avec de l'eau de Cologne; il s'appuya sur moi pour aller se recoucher.



L'empereur quitta Champ-Martin le 22 décembre, et se dirigea sur Astorga, dans l'intention d'aller au devant des Anglais, qui venaient de débarquer à la Corogne. Mais des dépêches qui lui furent remises à Astorga par un courrier venu de Paris le décidèrent à reprendre le chemin de la France. Il ordonna donc le départ pour Valladolid.



Nous trouvâmes la route depuis Benavente jusqu'à Astorga, horriblement couverte de cadavres, de chevaux tués, d'équipages d'artillerie et de voitures brisées; à chaque pas on rencontrait des détachemens de soldats avec leurs habits déchirés, sans souliers, sans armes, dans l'état le plus déplorable enfin: ces malheureux fuyaient tous vers Astorga qu'ils regardaient comme un port de salut et qui bientôt ne put les contenir tous. Il faisait un temps affreux, la neige tombait à rendre aveugle; j'étais mal portant et je souffris beaucoup pendant ce pénible trajet.



L'empereur, étant à Tordesillas, avait établi son quartier-général dans les bâtimens extérieurs du couvent de Sainte-Claire. L'abbesse de ce couvent fut présentée à Sa Majesté; elle était âgée de plus de soixante-quinze ans, et depuis l'âge de dix ans, elle n'avait pas quitté la maison. Sa conversation, spirituelle et douce, plut beaucoup à l'empereur, qui lui demanda ce qu'il pouvait faire pour elle, et lui accorda plusieurs grâces.



Nous arrivâmes à Valladolid le 6 janvier 1809. Il y régnait encore une fermentation assez forte; deux ou trois jours après notre arrivée, un officier de cavalerie fut assassiné par des moines dominicains; Hubert, l'un de nos camarades, passant le soir dans une rue écartée, trois hommes se jetèrent sur lui et le blessèrent grièvement; ils l'auraient tué sans doute, si des grenadiers de la garde n'étaient accourus à ses cris et ne l'eussent délivré. C'était encore des moines. L'empereur, violemment irrité, fit fouiller le couvent des dominicains; on trouva dans un puits le cadavre de l'officier au milieu d'un amas considérable d'ossemens, et le couvent fut aussitôt supprimé par ordre de Sa Majesté, qui voulut un moment étendre cette mesure de rigueur à tous les couvens de la ville. Il réfléchit pourtant, et se contenta d'indiquer une audience pour que tous les moines de Valadolid eussent à comparaître devant lui. Au jour fixé, ils vinrent, non pas tous, mais par députations de chaque couvent, se prosterner aux pieds de l'empereur, qui les accabla de reproches. Il les traita à plusieurs reprises d'assassins, de brigands, disant qu'ils méritaient d'être tous pendus. Ces pauvres gens écoutaient en silence et avec humilité le terrible langage du vainqueur irrité, que leur patience seule pouvait apaiser. Enfin l'empereur se calma, la réflexion lui étant sans doute venue qu'il était peu convenable d'accabler des hommes agenouillés, dont pas un ne soufflait mot; il quitta le groupe d'officiers qui l'entourait, et s'avança au milieu des moines en leur faisant signe de quitter leur posture suppliante; et ces bonnes gens en lui obéissant, prenaient les pans de son habit qu'ils baisaient, et se pressaient autour de lui avec un empressement qui ne laissait pas de donner quelques alarmes aux personnes de la suite de Sa Majesté; car, certes, s'il se fût trouvé parmi ces religieux quelque dominicain, rien n'était plus facile qu'un assassinat.



Pendant le séjour de l'empereur à Valladolid, j'eus avec le grand-maréchal une querelle dont je me souviendrai toute ma vie, et dans laquelle l'empereur intervint en montrant beaucoup de justice et de bonté pour moi. Voici le fait:



Un matin, M. le duc de Frioul me rencontre dans l'appartement de Sa Majesté, et me demande d'un ton assez brusque (car il était fort emporté) si j'avais fait préparer le service de la calèche; je lui répondis avec beaucoup de respect que

ce service était toujours prêt

. Trois fois le duc me fit la même question en élevant la voix davantage chaque fois, trois fois aussi je lui fis la même réponse, toujours aussi respectueusement, «Eh f....., dit-il enfin, vous ne comprenez donc pas?—Cela vient apparemment, Monseigneur, de ce que Votre Excellence s'explique mal.» Alors il me parla d'une nouvelle voiture qui venait d'arriver de Paris le même jour, ce que j'ignorais tout-à-fait. J'allais répondre à son excellence; mais sans vouloir m'écouter, voilà M. le grand-maréchal qui s'en va criant, jurant et m'apostrophant en termes auxquels je n'étais nullement accoutumé. Je le suis jusqu'à son appartement, afin d'avoir une explication; mais arrivé à sa porte, il entre seul et me la ferme brusquement au nez.



J'entrai pourtant quelques instans après, mais son excellence avait défendu à son valet de chambre de m'introduire, disant qu'elle n'avait rien à me communiquer, ni à entendre de moi. Tout cela me fut rendu en termes fort durs et fort méprisans.



Peu accoutumé à de pareilles boutades, je me rendis, tout hors de moi, dans la chambre de l'empereur. Lorsque Sa Majesté entra, j'étais encore si ému que des larmes couvraient mon visage. Sa Majesté voulut savoir ce qui m'était arrivé, et je lui racontai la querelle qui venait de m'être faite par le grand-maréchal. «Vous êtes un enfant, me dit l'empereur; calmez-vous, et faites dire au grand-maréchal que je désire lui parler.»



Son excellence ne tarda point à se rendre à l'invitation de l'empereur: ce fut moi qui l'annonçai, «Voyez, lui dit l'empereur en me montrant, voyez dans quel état vous avez mis ce pauvre garçon. Qu'avait-il donc fait pour être ainsi traité?» Le grand-maréchal s'inclina sans répondre, d'un air assez mécontent: l'empereur, continuant, lui fit observer qu'il aurait dû me donner ses ordres plus clairement, et qu'on était excusable de ne pas exécuter un ordre inintelligiblement donné. Puis se tournant vers moi, Sa Majesté me dit: «Monsieur Constant, soyez sûr que cela n'arrivera plus.»



Ce simple fait répond à bien des faux jugemens qu'on a portés sur le caractère de l'empereur. Sans doute il y avait une immense distance entre le grand-maréchal du palais et le simple valet de chambre de Sa Majesté, et pourtant le maréchal fut repris pour un tort à l'égard du valet de chambre. L'empereur mettait la plus grande impartialité dans la distribution de sa justice domestique; jamais intérieur de palais ne fut mieux gouverné que le sien, parce que chez lui réellement il n'y avait de maître que lui-même.



Le grand-maréchal me garda bien rancune pendant quelque temps; mais, comme je l'ai déjà dit, c'était un excellent homme; sa mauvaise humeur passa bientôt et si bien, qu'à Paris, à notre retour, il me chargea de tenir pour lui sur les fonts de baptême un enfant de mon beau-père, qui l'avait prié de vouloir bien en être le parrain; la marraine était l'impératrice Joséphine, qui eut la bonté de choisir ma femme pour la représenter. M. le duc de Frioul fit les choses avec autant de noblesse et de grandeur que de bonne grâce. Depuis lors, j'aime à rendre cette justice à sa mémoire, il saisit avec empressement toutes les occasions qui s'offrirent à lui de m'être utile, et de m