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CHAPITRE SEPT

26 juin

6 h 30, Heure de l’Est

Centre des Activités Spéciales, Direction des Opérations

CIA

Langley, Virginie

— On dirait que le Président a perdu la tête.

— Ah bon ? dit le vieil homme qui fumait la cigarette. Raconte-moi ça.

Il semblait avoir des cailloux dans la gorge. Ses dents étaient jaune foncé. Comme ses gencives reculaient, ses dents avaient l’air longues. Elles semblaient cliqueter les unes contre les autres quand il parlait. L’effet était terrifiant.

Ils étaient au beau milieu du quartier général. À la plupart des endroits situés à l’intérieur du bâtiment, il était maintenant interdit de fumer, mais ici, dans le saint des saints, tout était permis.

— Je suis sûr que vous en avez déjà entendu parler, dit l’Agent Spécial Wallace Speck.

Il était assis en face du vieil homme, de l’autre côté d’un large bureau en acier. Il n’y avait presque rien sur le bureau. Pas de téléphone, pas d’ordinateur, pas un morceau de papier, pas un crayon. Il y avait seulement un cendrier en céramique blanche qui débordait de mégots.

Le vieil homme hocha la tête.

— Rafraîchis-moi la mémoire.

— Hier, il a proposé qu’on laisse l’équipage du Nereus croupir chez les Russes. Il l’a dit en présence de vingt ou trente gens.

— Laisse tomber les trucs pas trop graves, dit le vieil homme.

Ils étaient dans une pièce sans fenêtres. Il prit une longue bouffée de sa cigarette, la tint en l’air puis laissa échapper un panache de fumée bleue. Le plafond était au moins à quatre mètres cinquante au-dessus de leurs têtes et la fumée montait vers lui.

— Eh bien, il est revenu sur ses paroles, mais il nous a refusé cette opération de sauvetage, à nous et à nos amis, pour favoriser notre nouveau petit frère du FBI.

— La suite, dit le vieil homme.

Wallace Speck secoua la tête. Ce vieil homme avait l’air d’être en affreux état. Comment pouvait-il même être encore en vie ? Quand il avait commencé à fumer des cigarettes sans nombre, Speck n’était même pas encore né. Son visage ressemblait à un vieux journal. Il était devenu presque aussi jaune que ses dents. Ses rides avaient des rides. Son corps n’avait aucun tonus musculaire. Sa chair semblait lui pendre sur les os.

Cette pensée rappela brièvement à Speck le jour où il était allé manger dans un restaurant chic. « Comment est le poulet ce soir ? » avait-il demandé au serveur. « Magnifique », avait répondu le serveur. « Il se détache tout seul des os ».

La viande du vieil homme était tout sauf magnifique, mais ses yeux étaient encore aussi perçants que des clous et aussi concentrés que des lasers. C’était tout ce qu’il lui restait.

Ces yeux regardaient Speck. Ils voulaient les informations compromettantes. Ils voulaient les parties qui inquiétaient parfois des gens comme Wallace Speck. Speck pouvait accéder aux informations compromettantes et il le faisait. C’était son travail. Cependant, parfois, il se demandait si le Centre des Activités Spéciales de la CIA ne dépassait pas ses attributions. Parfois, il se demandait si les activités spéciales n’étaient pas une forme de trahison.

— Le Président a du mal à dormir, dit Speck. On dirait qu’il ne s’est pas remis de l’enlèvement de sa fille. Il prend du Zolpidem pour dormir et il fait souvent descendre son cachet avec un verre de vin, ou deux. C’est une habitude dangereuse, pour des raisons évidentes.

Speck s’interrompit. Il pouvait donner ses papiers au vieil homme, mais cet homme ne voulait pas lire de papiers. Il voulait juste écouter. Speck le savait.

— Nous avons les enregistrements et les transcriptions d’une douzaine d’appels téléphoniques vers le ranch familial du Texas sur les dix derniers jours. Il parle avec sa femme. À chaque appel, il exprime son désir de quitter la présidence, de déménager au ranch et de passer du temps avec sa famille. Pendant trois de ces appels, il se met à pleurer.

Le vieil homme sourit et prit un autre longue bouffée de sa cigarette. Ses yeux se transformaient en fentes. Sa langue faisait de brèves excursions hors de sa bouche. Il y avait un morceau de tabac au bout de sa langue. Il ressemblait à un lézard.

— Bien. Dis-m’en plus.

— Il semble révérer Don Morris comme un héros et en faire une obsession. Vous savez, c’est notre petit parvenu de rival de l’Équipe d’Intervention Spéciale du FBI.

Le vieil homme fit un geste de la main comme pour faire tourner une roue.

— Encore.

Speck haussa les épaules.

— Le Président a un petit chien, comme vous le savez. Il a pris l’habitude de le promener dans les jardins de la Maison-Blanche tard le soir. Il s’énerve s’il croise un agent des Services Secrets à cette occasion. Il y a quelques nuits de cela, il en a croisé deux en dix minutes et il a piqué une crise. Il a appelé le bureau de supervision nocturne et leur a dit de décommander leurs hommes. Il ne semble plus comprendre que ces hommes sont là pour le protéger. Il pense qu’ils sont là pour l’énerver.

— Mmm, dit le vieil homme. Pourrait-il essayer de s’enfuir ?

— Je dirais que ça ne me paraît guère plausible, dit Speck, mais, avec ce Président, on ne sait jamais.

— Quoi d’autre ?

— Le groupe d’action politique a commencé à réfléchir à une possible destitution, dit Speck. La mise en accusation est hors de question à cause de la division du Congrès. De plus, le Président de la Chambre est un allié proche de David Barrett et il pense la même chose que lui sur la plupart des questions. Il est très peu susceptible de le mettre en accusation ou de permettre que ça se produise sous sa juridiction. La destitution par le biais du Vingt-Cinquième Amendement semble être tout aussi impossible. Barrett n’admettra probablement pas qu’il est incapable d’accomplir ses devoirs et, si le vice-Président essaie de …

Le vieil homme leva une main.

— Je comprends. Passons. Dis-moi : avons-nous des agents des Services Secrets de service la nuit dans les jardins de la Maison-Blanche ? Des hommes qui nous sont fidèles ?

— Nous en avons, dit Speck. Oui.

— Bien. Maintenant, parle-moi de l’opération de sauvetage en Russie.

Speck secoua la tête.

— Nous n’avons pas d’informations. Don Morris est connu pour n’en laisser filtrer aucune, mais il n’y a pas beaucoup de conseillers là-bas, ou du moins pas encore. Nous pouvons supposer qu’il a confié cette mission à ses deux meilleurs agents, Luke Stone et Ed Newsam, deux jeunes hommes, tous les deux ex-agents de la Force Delta avec une grande expérience de combat.

— Ceux qui ont sauvé la pauvre fille du Président ?

Speck hocha la tête.

— Oui.

Le vieil homme sourit. Ses dents étaient pareilles à des crocs jaunes. Il aurait pu passer pour le plus vieux des vampires, qui n’aurait pas goûté de sang depuis très longtemps.

— Ce sont des cow-boys, n’est-ce pas ?

— Euh … Je crois qu’ils ont tendance à tirer en premier, puis …

— Prévoyons-nous d’interdire cette opération, de la faire échouer d’une façon ou d’une autre ?

— Ah … dit Wallace Speck. On y a certainement pensé. Je veux dire, en ce moment, nous n’avons pas tant de …

— Ne le faites pas, dit le vieil homme. Restez hors de leur chemin et laissez-les échouer. Peut-être se feront-ils tuer. Peut-être déclencheront-ils une guerre mondiale. Que ce soit l’un ou l’autre, ce sera bon pour nous. De plus, si David Barrett fait quelque chose de dément, je veux dire de vraiment dément, soyez prêts à intervenir pour prendre le contrôle de la situation.

Wallace Speck se leva pour partir.

— Oui, monsieur. Autre chose ?

Le vieil homme le regarda avec les yeux antiques d’un démon.

— Oui. Essayez de sourire un peu plus, Speck. Vous n’êtes pas encore mort, donc, faites un effort pour apprécier votre passage sur terre. Il est supposé être amusant.

CHAPITRE HUIT

23 h 20, Heure de Jour de Moscou (15 h 20, Heure de l’Est)

Port d’Adler, District de Sotchi

Kraï de Krasnodar

Russie

— Sont-ils sûrs qu’ils veulent qu’on fasse ce concert ? demanda Luke dans le téléphone satellite en plastique bleu qu’il tenait. Je crois que ça va être très bruyant.

Il était appuyé contre une vieille berline Lada noire fabriquée en Hongrie. Cette petite voiture carrée lui rappelait une vieille Fiat ou une Yugo, mais en moins fantaisiste. Celle-là semblait avoir été fabriquée en soudant des plaques de ferraille. Elle dégageait une légère odeur d’huile en combustion. Plus on la faisait rouler vite, plus elle semblait vibrer comme si elle était en train de tomber en pièces. Heureusement, ils n’allaient pas s’en servir pour s’enfuir.

Près de la voiture, son conducteur, un Tchétchène costaud du nom d’Aslan, fumait une cigarette et urinait à travers une clôture grillagée. Aslan préférait qu’on l’appelle Frenchy parce que, quand la Tchétchénie s’était effondrée, il avait échappé aux Russes en s’exilant à Paris pendant quelques années. Ses trois frères et son père avaient tous péri dans la guerre. Maintenant, Frenchy était de retour et Frenchy détestait les Russes.

Ils étaient dans un parking vide près de la bouche de la Mzymta. Une odeur humide et âcre d’égouts non traités s’élevait de l’eau. De là où ils étaient, un sinistre boulevard d’entrepôts longeait les quais et menait à un petit port de commerce gardé par une guérite et une clôture surmontée de fil de fer barbelé. Dans la lueur jaune blafarde de lampes à vapeur de sodium, il voyait des hommes qui bougeaient autour de la porte.

 

Les grandioses et anciennes datchas du Parti Communiste, les nouveaux hôtels, les nouveaux restaurants et l’éclat des plages de Sotchi qui donnaient sur la Mer Noire étaient seulement à huit kilomètres par la route, mais Adler était aussi désorganisé et déprimant qu’un port russe se devait d’être.

Avec un décalage, la voix nasillarde de Mark Swann parvenait de l’autre côté du monde, passant par des réseaux cryptés et des satellites secrets pour finalement arriver au téléphone de Luke. La voix de Swann tremblait de nervosité et d’excitation.

Luke secoua la tête et sourit. Swann était dans une suite avec terrasse avec la belle Trudy Wellington, dans un hôtel cinq étoiles de Trébizonde, en Turquie. Ils étaient censés être un couple de jeunes mariés riches de Californie. Si les balles commençaient à voler, Swann les regarderait sur un écran d’ordinateur, pas tout à fait en direct mais presque, par satellite. C’était pour cela qu’il avait la voix tremblante.

— Nous avons le feu vert, dit Swann. Ils comprennent que les voisins pourraient se plaindre.

— Et le bal disco ?

— À l’endroit prévu.

Luke se tourna vers un vieux cargo rouillé de taille moyenne, le Yuri Andropov II, qui était à quai. Il songea qu’un vieux spécialiste en torture du KGB comme Andropov devait se retourner dans sa tombe s’il savait qu’on avait donné son nom à ce rafiot. Un homme doté d’un certain sens de l’humour avait dû imaginer ce nom.

Le bal disco était bien sûr le submersible perdu, le Nereus. Sa puce GPS envoyait encore des signaux de l’intérieur d’une des cales du cargo.

— Et les instruments ?

Les instruments étaient l’équipage du Nereus.

— En haut dans le placard, pour autant qu’on sache.

— Et Aretha ? Qu’est-ce qu’elle en dit ?

On entendit la voix de Trudy Wellington pendant juste une seconde.

— Tes amis dansent déjà sur la plage.

Luke hocha la tête. Juste au sud de cette ville, il y avait la frontière avec l’ex-République Soviétique de Géorgie. Actuellement, les Géorgiens et les Russes se détestaient. Trudy soupçonnait qu’ils allaient se mettre à tirer à balles réelles un de ces jours, mais elle espérait qu’ils ne commenceraient pas ce soir.

La ville balnéaire géorgienne de Kheivani était juste au-delà de cette frontière. C’était un endroit silencieux et endormi par rapport à Sotchi. Là-bas, sur une plage sombre, il y avait une équipe de récupération qui attendait qu’on lui emmène les prisonniers libérés si on en arrivait là.

De la plage, les prisonniers seraient éloignés de la frontière, emmenés plus loin en Géorgie, puis hors du pays. Finalement, quand ils seraient en lieu sûr, ils participeraient à un débriefing sur cette affaire désastreuse.

Rien de cela ne relevait de la responsabilité de Luke. Comme prévu, il ne savait pas comment ça se déroulerait. Don et Grand Papa Cronin s’étaient occupés de cette partie. Luke ne savait même pas qui était impliqué. Même si on lui coupait les doigts et si on lui arrachait les yeux, il ne pourrait rien dire là-dessus.

— Est-ce que le grand homme a rejoint l’orchestre ? dit Luke.

On entendit la voix d’Ed Newsam. Une rafale de vent et le rugissement de gros moteurs faillirent le rendre inaudible.

— Il est dans la loge et il est prêt à entrer en scène. Pour lui, le plus tôt sera le mieux.

Luke poussa un soupir.

— Parfait, dit-il.

Le poids de la décision s’installa sur ses épaules comme un rocher. Des gens allaient probablement mourir. Quand on y allait, on le savait. Ce qu’on ne savait pas, c’était lesquels.

— On y va.

— À bientôt à Vegas, dit Swann.

— N’oubliez pas d’aller au feu d’artifice, cria Ed. On me dit qu’il va être splendide.

La communication fut coupée. Luke laissa tomber le téléphone satellite sur le goudron fendu du parking. Il leva une botte et en frappa violemment le téléphone, cassant l’emballage en plastique. Il le refit à plusieurs reprises. Ensuite, d’un coup de pied, il envoya les débris dans l’eau par une canalisation d’évacuation des eaux de ruissellement ouverte.

Il en avait encore un.

Il leva le regard.

Frenchy était là. Son visage était large et sa peau avait l’air épaisse, presque comme un masque de caoutchouc. Ses cheveux étaient noir de jais et peignés vers l’arrière. Il était glabre pour mieux se mêler à la société russe. D’habitude, les siens avaient des barbes épaisses pour vénérer Allah.

Frenchy portait un coupe-vent foncé et ample sur son gros corps. La nuit était un peu chaude pour ce vêtement. Ses yeux durs regardaient fixement Luke.

— C’est bon ? dit Frenchy.

Luke hocha la tête.

— C’est bon.

Frenchy prit une longue bouffée de sa cigarette. Il recracha lentement la fumée puis sourit et hocha la tête.

— Chouette.

* * *

— Vite, dit Ed Newsam.

Il ne parlait à personne et c’était bien parce que personne n’aurait pu l’entendre.

— Très, très vite.

Il se tenait dans le poste de pilotage, les pieds nus, les mains sur le gouvernail d’un bateau qui avait la forme d’une cale immense. Le bateau était long et étroit, avec une proue très longue. À la poupe, il y avait cinq gros moteurs de 275 chevaux. Le bateau lui-même n’avait que deux sièges.

En Amérique, ils auraient appelé ça un bateau Cigarette ou un Go Fast. À l’époque où il n’y avait pas encore de repérage par satellite, les trafiquants de drogue de la Floride du Sud utilisaient ces bateaux pour semer les gardes-côtes. Cela dit, ce bateau-là n’était pas plein de cocaïne.

Dans la proue du bateau, juste au bout, il y avait un minuscule compartiment. Ce compartiment était bourré d’une petite quantité de TNT.

Ed fonçait dans la nuit, tous feux éteints, bondissant sur les remous. Ses moteurs rugissaient, produisaient un bruit immense. Le vent hurlait autour de lui. Devant lui, à peut-être trois clics de distance, il y avait la côte de la Géorgie, en grande partie plongée dans l’obscurité. Derrière lui, il y avait les lumières éclatantes de Sotchi. Sotchi jouissait de sa période post-communiste en nageant dans la richesse. Les bateaux chers comme celui-là se trouvaient facilement.

En fait, derrière Ed, il y avait un autre hors-bord qui fonçait aussi vite.

Ce bateau était piloté par un casse-cou géorgien timbré du nom de Garry. Ed ne pouvait pas voir Garry de là où il était. Garry naviguait lui aussi tous feux éteints et Ed ne pouvait pas entendre Garry. Il y avait trop de bruit pour qu’il puisse entendre quoi que ce soit, mais il savait que Garry était derrière. Il le fallait.

La vie d’Ed en dépendait.

Tout comme le conducteur tchétchène fou de Stone, Frenchy, Gary avait été fourni par Grand Papa Bill Cronin. Grand Papa venait de la CIA et ils n’étaient pas supposés impliquer la CIA dans cette affaire, mais ils le faisaient quand même. Le danger, c’était que la CIA ait laissé fuiter des informations quelque part.

— Les salaires que Bill Cronin distribue viennent de la CIA, avait dit Don Morris, mais cet homme ne suit aucune autre loi que la sienne. S’il nous donne des agents, ces agents ne parleront pas. Il n’y aura aucune violation de sécurité. Je peux vous l’assurer.

Donc, Garry était là et les vies d’Ed, de Luke et de tous les autres dépendaient de lui.

À la gauche d’Ed, à l’est, il y avait un long brise-lames en pierre qui avançait loin dans l’eau. Il protégeait une petite zone portuaire. Ed le longea entièrement en arrivant en diagonale. Ralentissant juste un peu, il tourna brusquement vers la terre.

Ed jeta un coup d’œil au ciel pour vérifier s’il y avait des avions.

Rien. La voie était libre.

Ce brise-lames était surmonté de quais en béton qui longeaient la terre à cent mètres de la côte. Le brise-lames et la côte formaient une passe étroite de mille mètres de long. À l’autre bout, il y avait le cargo, le Yuri Andropov II.

La mission d’Ed était d’y pratiquer un trou. Un trou avec peut-être un petit feu. Un incident suffisant pour provoquer une diversion, détourner l’attention, suffisant pour que Stone et Frenchy puissent se glisser sur le bateau, libérer les prisonniers et peut-être même saborder le submersible.

Les Russes savaient que les Américains les regardaient depuis le ciel. Donc, ces quais donnaient l’impression qu’il ne s’y déployait qu’une activité minimale. Juste un vieux cargo, pas trop de sécurité, rien à voir ici.

Pourtant, Ed savait qu’il y avait des hommes armés sur ces quais. Faire remonter cette passe à ce bateau allait être risqué.

Il atteignit l’embouchure de la passe. Il inspira profondément.

— Garry, j’espère que t’es là.

Il poussa l’accélérateur à fond. Les moteurs hurlèrent.

Le bateau fonça encore plus vite qu’auparavant.

La terre défilait à toute vitesse à gauche et à droite. Le brise-lames était à sa gauche, la côte à sa droite, mais il ne quittait pas sa cible des yeux. Il la voyait, maintenant. L’Andropov se profilait au loin. Il se présentait perpendiculairement et lui montrait ainsi toute sa longueur.

— Splendide.

À sa gauche, des hommes couraient le long des quais. Pour lui, c’étaient de minuscules silhouettes en forme de bâtonnets qui avançaient lentement, beaucoup trop lentement.

Il se baissa autant que possible, car il savait déjà ce qu’ils allaient faire. Un instant plus tard, une rafale d’arme automatique déchira le flanc du bateau. Il le sentit plus qu’il ne l’entendit ou le vit. Le martèlement des balles à calibre élevé déviait son bateau.

Le pare-brise se cassa.

L’Andropov approchait et grandissait.

Il y avait une barre de fer par terre. Ed la ramassa. Une extrémité de la barre avait un outil de serrage, presque comme une main. Il plaça une extrémité de la barre sur le gouvernail et cala l’autre extrémité dans une fente en métal pratiquée dans le sol.

C’était une méthode classique, mais elle fonctionnerait. Elle permettrait au bateau d’aller plus ou moins droit.

Il leva le regard. L’Andropov était gros, maintenant.

Il semblait être juste sous son nez.

— Bon, faut y aller.

Il se précipita vers le côté droit du bateau, loin des tirs. Il s’accroupit, mit toute sa force dans ses jambes et bondit vers la droite, par-dessus le plat-bord. Il se mit en boule, comme un enfant qui fait une bombe à la piscine du coin.

Le bateau s’éloigna pendant qu’il était en l’air.

Il eut vaguement la sensation de tomber, de tomber dans le ciel. Un long moment passa. Il tomba dans l’eau et, pendant un moment, l’obscurité l’enveloppa. Il la traversa comme une tornade et sa seule sensation fut de vitesse et de ténèbres.

D’abord, il y eut un fort rugissement, puis les sons étouffés des profondeurs.

Pendant un moment, il s’imagina qu’il flottait dans le ventre de sa mère, maintenant baigné d’une lumière chaude. Il se rendit compte que la balise lumineuse de son gilet de sauvetage venait de s’allumer. Le gilet le ramena à la surface, au rugissement et aux embruns du sillage du bateau.

Il inspira brusquement puis replongea. Pendant quelques autres secondes, les tireurs allaient le chercher.

Après ça …

Il remonta à la surface une fois de plus. Tout était sombre : la nuit, l’eau, tout.

Pendant un moment, il ne vit plus le bateau, puis il le repéra. Il avançait vite et devenait de plus en plus petit. Il était minuscule dans l’ombre portée du cargo.

Ed replongea sous la surface, vers la sécurité de l’obscurité.

* * *

Appuyé contre la Lada, Luke faisait mine de fumer une cigarette. Par ici, tout le monde fumait, donc, il faisait de même parce qu’il pensait que cela pourrait l’aider à améliorer son déguisement. Il avait essayé de fumer deux fois au lycée, mais il n’en avait jamais fait une habitude. Il préférait le football.

Il prit une bouffée, la garda dans sa bouche pendant quelques secondes puis laissa sortir toute la maudite fumée. Elle avait le goût d’un nuage de pollution. Il en rit presque. Si quelqu’un regardait, il verrait à quel point il avait l’air ridicule.

Il jeta la cigarette allumée dans le caniveau.

La Lada était garée à cinquante mètres de la barrière de sécurité du petit port. Frenchy était là-bas, à la barrière, et il demandait sa direction aux gardes. Il y avait un petit groupe d’hommes, des silhouettes dans le brouillard, des ombres dessinées par les lampes jaunes, et ils parlaient et riaient de l’autre côté de la barrière. Frenchy était un gars plutôt drôle. Il pouvait faire rire à peu près tout le monde.

 

Frenchy fumait sans effort. Il en fumait une jusqu’au trognon, la jetait puis en allumait une autre. C’était typique de Frenchy.

Soudain, on entendit des coups de feu. Ils venaient de l’autre côté du quai. À trois cents mètres, Luke vit la lueur des tirs.

POP ! POP ! POP ! POP !

Maintenant, des hommes hurlaient. Un homme criait de terreur, comme la plainte aiguë d’une voix de falsetto.

Quelqu’un ouvrit le feu avec une arme lourde, en mode entièrement automatique. Luke entendit le martèlement métallique des balles qui partaient.

TAC-TAC-TAC-TAC-TAC-TAC-TAC-TAC.

Maintenant, les gardes s’éloignaient de la barrière en courant, retournant vers les combats. C’était le signal qu’attendait Luke. Frenchy et lui entrèrent sans difficulté.

Cependant, soudain, Frenchy fit quelque chose d’inattendu. Dès que les gardes se détournèrent de lui, il eut une arme dans sa main. En la tenant à deux mains, il commença à faire feu. Ses tirs étaient terriblement bruyants.

BANG ! BANG ! BANG ! BANG ! BANG !

Il abattit les gardes qui couraient dans le dos, puis ceux qui se retournèrent vers lui par-devant. Ces pauvres hommes ne savaient plus quoi faire.

Frenchy ! faillit crier Luke.

En fait, il se contenta de :

— Bordel !

Cet homme détestait les Russes. Luke l’avait su d’entrée de jeu. Don le savait. Grand Papa le savait. Pourtant, personne ne s’était attendu à ce qu’il se mette à tuer des Russes dès qu’il en aurait l’occasion.

Luke mit les mains dans la voiture et en sortit les gros coupe-boulons. Il régla la bombe incendiaire placée sous le tableau de bord à une minute. Ensuite, il se précipita à côté de Frenchy.

— Tu es mon conducteur ! Tu n’es censé tuer personne !

Frenchy haussa les épaules.

— C’étaient des Russes, dit-il. Des lâches.

— Tu leur as tiré dans le dos.

Pour Luke, la conclusion était claire. C’était qui, le lâche, ici ?

Pourtant, cette idée n’était pas évidente pour Frenchy. Il hocha la tête et sourit.

— Oui. c’est ce que j’ai fait.

Luke appliqua le coupe-boulons à la chaîne épaisse qui était passée au travers des maillons de la clôture et la coupa. Il laissa tomber le coupe-boulons et poussa la barrière pour l’ouvrir. Maintenant, ils étaient vraiment à l’intérieur.

BA-BOUM !

Devant eux, une énorme explosion déchira la nuit.

Un éclair lumineux apparut, suivi par un son qui évoquait la descente d’une colline par des rochers. Une avalanche. L’explosion illumina le ciel d’une série de teintes orange, rouges et jaunes. Pendant une fraction de seconde, elle transforma la nuit en jour. Ce n’était pas ce à quoi Luke s’était attendu.

L’explosion fut si massive que le sol trembla violemment. Luke faillit tomber. Tout partit de travers. Pendant un moment, il pensa que l’explosion serait assez forte pour arracher les quais à la terre. Une boule de feu géante s’éleva droit vers le ciel.

Le bateau d’Ed avait frappé le navire comme une torpille.

Ça allait éveiller l’attention des gens. Aucun doute là-dessus. Luke sortit son arme, un MP5. C’était son arme préférée, une arme pour tuer. Il commença à courir.

Frenchy le précédait de plusieurs pas. Le grand Tchétchène atteignit le premier homme à terre, un garde qui essayait de ramper, et il l’acheva d’un coup de feu à l’arrière de la tête. BANG. Sans s’arrêter, il passa au suivant. BANG.

De sang froid. Quelques minutes avant, il avait ri avec ces hommes.

Trois gardes fuyaient encore devant eux. À cause de Frenchy, il était trop tard pour leur permettre de vivre. Luke les mitrailla avec son MP5. Ils tombèrent tous.

Alors, Luke avança vite. Il dépassa Frenchy et le laissa mettre de l’ordre dans ce chaos. Devant, le cargo, le Yuri Andropov II, était en feu. Le pétrole ou l’essence qui flottait à la surface de l’eau avait aussi pris feu. La zone entière se transformait rapidement en apocalypse.

Combien de TNT avaient-ils mis dans ce hors-bord ?

BOUM ! Une autre explosion éclata derrière lui. La Lada.

Une seconde plus tard, une explosion plus petite éclata. Le réservoir d’essence de la Lada. Bien. Quand les secours arriveraient à la barrière, cela sèmerait encore plus de confusion.

Luke atteignit l’endroit où le cargo était arrimé le long du quai. À cet endroit, la chaleur était déjà intense, alors que le feu brûlait de l’autre côté du bateau. Des flammes de dix étages de hauteur montaient dans la nuit. Le feu n’aurait pas dû être aussi …

BOUM !

Une autre longue explosion déchira la nuit, déchiquetant la tôle quelque part à l’intérieur du cargo. Les quais tremblèrent et Luke faillit tomber une fois de plus. Le souffle d’une déflagration le frappa.

Il se passait quoi, bordel ?

Le navire était attaché à la jetée avec des chaînes de navire géantes. Luke s’attacha son arme au dos, traversa la barrière basse qui longeait le bord du quai, saisit une chaîne et franchit l’eau. Il grimpa à la force des bras, avançant en diagonale comme une araignée le long de la chaîne de navire pour grimper sur le premier pont.

Il n’y avait personne sur ce pont. Il avança le long de la passerelle, vite mais précautionneusement, comme un chat. Il arriva à un escalier en acier. Il ressortit son arme et monta prudemment. Il entendait déjà des sirènes derrière lui. Les renforts arrivaient. Il fallait qu’il se presse.

Il s’arrêta juste avant le haut des marches et passa la tête par-dessus le haut. C’était le pont. Il y avait du bruit, là-haut. Une alarme beuglait. Partout sur le pont, le feu faisait rage. Des hommes avaient pris les équipements anti-incendie et tentaient d’éteindre le feu. Ils l’aspergeaient avec de puissantes lances à incendie. Luke ne savait pas si les lances crachaient des retardateurs de flammes ou de l’eau. Dans la fumée et les flammes, tout ce qu’il pouvait vraiment voir, c’étaient des silhouettes indistinctes qui évoluaient dans le chaos.

GA-BOUM !

Une autre explosion éclata. Elle venait directement d’au-dessous des hommes qui se battaient contre l’incendie. Le pont s’éleva en une sorte d’éruption et les hommes volèrent en l’air, le corps enflammé comme une torche.

Luke s’arrêta. Il sortit le chargeur de son arme et le glissa dans sa veste. Il était probablement à moitié plein. Il sortit un nouveau chargeur de quarante balles, le glissa dans l’arme et l’y enfonça d’un coup de poing.

Il scruta le pont. Des flammes jaillissaient par le trou. Des corps en combustion, dix, peut-être douze, jonchaient le sol.

Équipement militaire.

Ce navire était un dépôt d’armes flottant. Autrement, qu’est-ce qui aurait pu provoquer ces explosions ? Les Russes avaient chargé ce vieux tas de rouille de bombes. En étaient-ils réduits à ça ? Ce fait n’avait figuré dans aucune des évaluations de renseignements que Luke avait …

BOUM !

Une autre explosion déchira le navire quelque part.

Maintenant, le feu brûlait sans entrave, les flammes crépitaient et la chaleur arrivait par vagues. Ce navire allait tomber en morceaux. Il allait exploser. Cela pouvait se produire n’importe quand. Il n’y avait pas un moment à perdre.

— Oh, bon sang.

Luke se leva et courut sur le pont en traversant la vague de chaleur. À l’autre bout, il y avait un couloir. Il s’y précipita. Il y avait des portes lourdes en acier des deux côtés.

Luke s’arrêta et essaya d’actionner le loquet de l’une d’elles. Elle s’ouvrit. Il jeta un coup d’œil à l’intérieur, l’arme dressée, prête à servir. Il n’y avait personne là-dedans.

Il passa à l’autre porte, puis à la suivante. Mon Dieu. Il n’y avait personne, ici. Où avaient-ils mis les prisonniers ? Il commença à sentir le découragement l’envahir et se dit que les Russes avaient emmené les prisonniers ailleurs. Toute cette mission avait peut-être été en pure perte, ou presque, car ils pouvaient encore détruire le submersible.

Il essaya une autre porte. Elle était verrouillée.

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