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Lettres à Madame Viardot

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XI

Hyères, vendredi 20 octobre 1848.

Bonjour, madame. Me voilà enfin parvenu au but de mes pérégrinations! Je suis arrivé hier après un séjour de deux jours à Toulon, où j'avais été retenu par une légère indisposition, parfaitement dissipée maintenant, et qui, du reste, n'avait absolument rien de commun avec feu ma névralgie – car j'ai lieu d'espérer qu'elle est bien morte cette fois. – J'occupe une jolie petite chambre à l'hôtel d'Europe, donnant sur une terrasse d'où j'ai une vue magnifique: une large plaine verdoyante, toute couverte d'orangers, d'oliviers, de figuiers et de mûriers (je suis vraiment bien fâché de toutes ces terminaisons en iers), parmi lesquels s'élèvent de temps en temps les éventails, ou plutôt les plumeaux étranges des palmiers. Cette plaine, que bordent à droite et à gauche d'assez hautes collines, se termine par un bras de mer au delà duquel s'étendent et bleuissent à la façon de Capri les îles d'Hyères. Une rangée de pins à parasol court le long du rivage. Tout cela serait charmant, si ce n'était la pluie qui ne cesse de tomber depuis quatre jours, et qui dans ce moment même enveloppe toute cette belle plaine d'un brouillard uniforme, terne et gris.

Je compte rester ici une dizaine de jours. J'espère que cette pluie ne durera pas éternellement – ou si elle dure, ma foi, je travaillerai à faire trembler.

Je vous ai envoyé ma dernière lettre de Marseille, le jour de mon départ pour Toulon – il faut que je vous raconte ce que j'ai fait depuis. Pas grand'chose… Voyons cependant.

Je suis arrivé à Toulon de grand matin, après un voyage de nuit assez désagréable, par de mauvais chemins. – Toulon est une assez jolie ville, pas trop sale, ce qui veut beaucoup dire en France. – Il faisait un temps assez extravagant, de grosses nuées chargées de pluie passaient lourdement sur la ville, en laissant échapper de véritables torrents d'eau, qui, vu l'absence de vent, tombait presque perpendiculairement; puis une fois la bourrasque passée, un vigoureux soleil, radieux et gai, venait frapper les maisons et les rues ruisselantes.

Toulon est entouré de hautes montagnes d'un gris jaunâtre; rien n'était charmant comme de les voir sortir peu à peu à la lumière, à travers les derniers brouillards de l'ondée qui s'en allait. Je m'embarquai dans un petit bateau à voile et je fis une tournée dans la rade qui est fort belle et spacieuse. Nous passâmes devant la frégate le Muiron, qui ramena Napoléon d'Égypte et qu'on garde soigneusement dans le port; il y avait une vingtaine de vaisseaux de guerre dans la rade. – Pendant les cinq quarts d'heure que dura mon excursion, il survint deux ou trois ondées, toujours sans vent; le jeu de couleurs qui se faisait avant, pendant et après, sur la mer, était quelque chose de magnifique. Elle prenait tantôt une teinte d'encre de Chine nacrée avec des reflets bleuâtres, puis elle devenait d'un bleu vert sombre ou bleu clair avec de petites paillettes d'or; à droite, elle était d'un blanc laiteux; à gauche, près des rochers, d'un gris noir, avec des franges d'écume… et tout cela changeait, se déplaçait à chaque instant, selon qu'on tournait la tête ou que les nuages passaient.

Je rentrai enfin et je m'acheminai vers l'Arsenal, avec l'intention de voir les forçats; mais aussitôt que je déclinai ma qualité d'étranger, et surtout de Russe, on me refusa rigoureusement l'entrée. – Il était venu, à ce qu'il paraît, de nouveaux ordres, très sévères. Là-dessus, je m'en fus à mon hôtel et m'apprêtais déjà à partir pour Hyères, quand je fus pris d'une espèce d'attaque nerveuse à l'estomac, qui me força de rester. – J'envoyai chercher un médecin qui m'administra des calmants, m'ordonna le repos, et, vingt-quatre heures plus tard, c'est-à-dire hier à quatre heures, je partais, parfaitement rétabli, frais et dispos, pour Hyères, où j'arrivais juste à temps pour me mettre à table avec un Anglais roux, horriblement gêné dans ses mouvements par une cravate en crinoline de deux pieds de hauteur, un vieux monsieur phtisique à la figure repoussante – un bouc avec des yeux de perroquet – et un vieux capitaine de chasseurs d'Afrique, un bon diable, qui ne demanderait cependant pas mieux que de manger les socialistes tout crus, vu la grande habitude qu'il en a contractée avec les Bédouins.

Comment allez-vous? Que faites-vous? Comment vous portez-vous? Bien, n'est-ce pas?.. Je dîne chez vous dimanche 5; voulez-vous accepter cette invitation? – C'est convenu, le 5, dans votre petit salon chinois, vous aurez un convive de plus à table. Je demande pour ce jour-là une charlotte russe.

La pluie semble vouloir cesser; mais le ciel est encore tout gris d'un bout à l'autre, sans la moindre petite échappée de lumière. Aujourd'hui, après mon excursion à la poste, je suis entré à l'église, qui est très ancienne et très bien conservée. L'intérieur en est triste et sombre; la lumière y pénètre à peine à travers les vitraux coloriés – il n'y en a pas un qui soit blanc. Au moment où j'entrais, tous les prêtres (il y en avait plusieurs en grand costume de deuil) s'apprêtaient a chanter le Requiem devant un cercueil recouvert d'un drap noir et entouré de cierges jaunes; une centaine de personnes se tenaient immobiles sur les chaises. Les prêtres et les enfants de chœur se mirent à psalmodier d'une voix criarde et fausse… Décidément, je préfère le grand air, le bûcher et les jeux des anciens.

A propos d'anciens, je me propose d'aller l'un de ces jours sur une des îles avec l'Odyssée et d'y rester un temps indéfini…

J'ai encore une comédie sur le tapis, que je veux finir avant de quitter Hyères. Il faut cependant que je vous en traduise une dans le courant de l'hiver. – C'est que j'ai un peu peur de vous, savez-vous? N'importe, il le faudra.

Eh bien? et Jeanne la Folle, la donne-t-on enfin? Je ne vois pas la moindre petite annonce dans les journaux. Aurez-vous déjà eu quelques «glimpses» de la musique du Prophète à l'époque de mon retour? C'est ce que nous verrons. Et maintenant donnez-moi votre main, que je la serre bien fort, bien fort; que Dieu vous bénisse un million de fois.

Mille amitiés à tous les vôtres. Que fait Viardot? Se porte-il bien? A revoir donc – à table – le 5.

Votre
IV. TOURGUENEFF.

XII

Versailles, mercredi 10 janvier 1849.

Bonjour, Madame, comment vous portez-vous? Bien, n'est-ce pas? Eh bien! je ne vais pas mal non plus. Le bon Müller, avec lequel j'ai passé presque toute la journée d'hier, a dû vous le dire.

Il y doit y avoir dans l'air de Paris quelque chose de désagréable à mes nerfs. Le scélérat de Paris! Je l'aime, cependant. Je vous avoue que je m'ennuie un peu à Versailles – mais j'y tiendrai bon, je traduis, je lis Saint-Simon, je me promène, je vais au café lire les journaux – et déjà les habitués, vieux bourgeois caducs, qui le premier jour me regardaient en dessous et de côté, comme le font d'habitude les sangliers acculés dans les tableaux de chasse – commencent à me soulever leurs chapeaux. Je les vois faire leur interminable partie de domino entrecoupée aux mêmes endroits par les mêmes plaisanteries – à un sou le cent! – et je me demande ce que c'est que la vie, dirait M. Victor Hugo. Non, je ne demande rien, je regarde ces «plantes bulbeuses», et leur air de tranquillité inaltérable et simplement bête m'inspire une espèce d'ennui résigné – c'est aussi du chloroforme, cela… qu'on vienne m'extraire une molaire!

Vous attendez-vous à ce que je vous dise quelque chose de Versailles? oui? Eh bien, vous serez attrapée. Vous connaissez mon culte de l'imprévu, et ici je ne saurais dire que des choses usées jusqu'à la corde et que tout le monde a entendues et répétées mille fois. Du reste, avec les mots suivants, que je vais vous écrire: grandeur, solitude, silence, statues blanches, arbres nus, fontaines glacées, grands souvenirs, longues avenues désertes – avec ces mots que vous remuerez comme les pierres d'un kaléidoscope – avec votre imagination et votre esprit (oh, oh!) vous serez parfaitement en état de vous dire à vous-même tout ce que j'aurais pu vous écrire, et mille millions de fois mieux encore (j'ai hâte d'ajouter ces dernières paroles, car sans cela ma phrase devenait d'une fatuité à faire trembler), si vous ne préférez pas vous occuper d'autre chose, ce que je ne puis m'empêcher de vous conseiller.

J'ai cependant été chez H. Vernet; son tableau est faible et froid.

J'ai fait la connaissance de deux chiens, l'un communicatif, gai, étourdi, peu ou point d'éducation, spirituel, railleur et quelque peu mauvais sujet, au mieux avec tout le monde et, pour dire le vrai, sans véritable dignité; l'autre doux, rêveur, paresseux et gourmand, nourri des lectures de Lamartine, insinuant et dédaigneux en même temps. Ils fréquentent le même café que moi. Le premier appartient (si un chien peut appartenir!!!) à un petit chirurgien d'armée très maigre, très laid et très revêche; le second a pour maîtresse la dame du comptoir, vieille petite femme, édentée à force d'être bonne. – Il y en a qui vous font cet effet-là. – J'ai invité le premier à venir me voir, mais il prétend que son maître lui donnerait le fouet; je n'ai pu lui opposer de bonne raison et me suis contenté de lui donner un morceau de sucre qu'il a croqué à l'instant même en remuant sa queue avec politesse et vivacité.

Sur ce, je baise vos belles mains et reste à tout jamais

Votre
IV. TOURGUENEFF.

XIII

Paris, dimanche soir, juin 1849.

Bonsoir, Madame. Comment vous portez-vous à Courtavenel? Je vous donne en mille de deviner ce à quoi… Mais je suis bon de vous le donner en mille – car vous l'avez déjà deviné à la vue de ce morceau de papier de musique. Oui, Madame, c'est moi qui ai composé ce que vous voyez – musique et paroles, ma parole! Ce que cela m'a coûté de peine, de sueur au front, d'agonie mentale, se refuse à la description. J'ai trouvé l'air assez vite – vous comprenez: l'inspiration! – mais ensuite le trouver sur le piano – et puis l'écrire… J'en ai déchiré quatre ou cinq brouillons; et même maintenant je ne suis pas sûr de ne pas avoir écrit quelque chose de monstrueusement impossible. En quel ton est-ce, s'il vous plaît? J'ai dû rassembler à grand'peine tout ce qui a surnagé de bribes musicales dans ma mémoire, je vous assure; la tête m'en fait mal; quel travail! Enfin cela vous fera rire peut-être pendant deux minutes.

 

Du reste, je me porte bien mieux que je ne chante; – je vais sortir demain pour la première fois. Voyons, arrangez à cela une basse comme pour les notes que j'écrivais au hasard. Si votre frère Manuel m'avait vu à l'ouvrage – cela l'aurait fait penser aux vers qu'il composait sur le pont de Courtavenel en faisant des ronds de jambe convulsifs et en agitant ses bras d'une manière gracieuse et arrondie. Saperlotte! c'est aussi difficile que ça de composer de la musique? Meyerbeer est un grand homme!!!

Lundi.

A mon réveil, j'ai trouvé votre lettre et ne suis plus en train de plaisanter. Quel malheur! Quand on pense ce qu'il y a de mauvaises choses inutiles dans le monde – le choléra, la grêle, les rois, les soldats, etc., etc.! Dieu serait-il un misanthrope?

A propos de choléra, il poursuit ses ravages avec fureur; tantôt c'était le chaud qui le favorisait, maintenant c'est le froid qui le développe. Il s'accommode de tous les régimes, ce gaillard-là. – Pour moi, je sens sa griffe se retirer, mais lentement; on m'avait permis de sortir aujourd'hui, – ne voilà-t-il pas qu'il me survient une espèce de fluxion à la joue! De par tous les diables, – où ai-je pu prendre du froid, – moi qui ne sors pas de ma chambre? Je me vois obligé de la garder encore aujourd'hui.

Le désastre survenu à Courtavenel me rappelle une scène pénible dont j'ai été témoin en Russie. Toute une famille de paysans était sortie en chariot pour aller faire la récolte d'un champ à eux, situé à quelques verstes de leur village; et ne voilà-t-il pas qu'une grêle épouvantable vient détruire de fond en comble tous les épis! Ce champ si beau n'était qu'une mare de boue. Je vins à passer par là; ils étaient tous silencieusement assis autour de leur téléga; les femmes pleuraient; le père, tête nue et la poitrine découverte, ne disait rien. Je m'approchai d'eux, je tâchai de les consoler, mais à mon premier mot, le paysan se laissa lentement tomber la face sur la terre et de ses deux mains ramena sa chemise de grosse toile grise sur la tête. Ça a été le dernier geste de Socrate mourant: dernière et muette protestation de l'homme contre la cruauté de ses semblables ou la brutale indifférence de la nature. C'est qu'elle l'est: elle est indifférente; il n'y a de l'âme qu'en nous et peut-être un peu autour de nous… c'est un faible rayonnement que la vieille nuit cherche éternellement à engloutir. Cela n'empêche pas cette scélérate de nature d'être admirablement belle; et le rossignol peut nous causer de charmantes extases, pendant qu'un malheureux insecte à demi broyé se meurt douloureusement dans son gésier. Sagre-gorgon, que c'est noir! – je crois que j'ai été trop éloquent, – mais ça ne fait rien.

Voyons, que faut-il vous dire encore avant de finir? Ah! que je suis fort reconnaissant à Mme Sitchès de l'intérêt qu'elle me témoigne et que je ne suis pas un ingrat, que je serai fort content de la revoir jeudi, si faire se peut. Car partir avant ce jour-là – , il ne faut pas y penser. Du reste, je vous prie de dire de ma part mille amitiés à tout le monde, et à M. Maurice Sand entre autres, s'il le veut bien et s'il ne m'a pas oublié.

Portez-vous bien, amusez-vous, et que Dieu vous bénisse.

A propos, j'ai trouvé trois sujets; il est vrai qu'ils sont tous très mauvais, mais en persévérant je trouverai quelque chose peut-être.

A revoir, après-demain. En attendant, je vous serre les mains bien amicalement.

Votre
IV. TOURGUENEFF.

XIV

Courtavenel, mercredi.

Voici, Madame, votre second bulletin.

Tout le monde se porte parfaitement; l'air de la Brie est décidément fort sain. Il est onze heures et demie du matin; nous attendons avec impatience le facteur, qui va, je l'espère, nous donner de bonnes nouvelles.

La journée d'hier a été moins uniforme que celle d'avant-hier. Nous avons fait une grande promenade, et puis le soir, pendant que nous jouions au whist, il est survenu un grand événement. Voici ce que c'était: un gros rat s'était introduit dans la cuisine, et Véronique, dont il avait dévoré la veille le chausson (quel animal vorace! passe encore si c'était celui de Müller), avait eu l'adresse de boucher le trou qui lui servait de retraite avec deux grosses pierres et un torchon. Elle accourt; elle nous announce la grande nouvelle. Nous nous levons tous, nous nous armons de bâtons et nous entrons dans la cuisine. Le malheureux s'était réfugié sous l'armoire du coin; on l'en chasse, – il sort. Véronique lui lance un coup sans l'atteindre; il rentre sous l'armoire et disparaît. On cherche, on cherche dans tous les coins, – pas de rat. On se donne inutilement au diable – enfin, Véronique s'avise d'ouvrir un tout petit tiroir… une grande queue grise s'agite rapidement dans l'air, – le rusé coquin s'était fourré là! – Il descend comme l'éclair, – on veut le frapper, – il disparaît de nouveau. Cette fois-ci, on recherche pendant une demi-heure, – rien! Et remarquez qu'il n'y a que très peu de meubles dans la cuisine. De guerre lasse, nous nous retirons, – nous nous remettons au whist. – Voilà que Véronique entre en portant le cadavre de son ennemi avec des pincettes. – Imaginez-vous où il s'était caché! Il y avait sur une table dans la cuisine une chaise et sur cette chaise une robe de Véronique, – il s'était glissé dans une des manches. – Notez que j'ai remué cette robe quatre ou cinq fois pendant nos recherches. N'admirez-vous pas la présence d'esprit, le rapide coup d'œil, l'énergie du caractère de cette petite bête? Un homme, dans un pareil péril, aurait cent fois perdu la tête. Véronique allait sortir et abandonner la partie quand, par malheur, une des manches de sa robe remua imperceptiblement… le pauvre rat avait mérité de «sauver sa viande».

Ce dernier mot me rappelle que je viens de lire dans le National une fâcheuse nouvelle: il paraît qu'on a arrêté plusieurs démocrates allemands. – Müller serait-il du nombre? – J'ai peur aussi pour Herzen34. Donnez-m'en des nouvelles, je vous prie. – La réaction est tout enivrée de sa victoire et va maintenant se montrer dans tout son cynisme.

Le temps est très doux aujourd'hui, mais en juin on désirerait autre chose qu'un ciel laiteux et un petit vent dont on ne sait pas s'il n'est pas trop frais. Vous nous ramènerez les beaux jours. – Nous ne vous attendons pas avant samedi.

Nous y sommes résignés… Une petite note de la direction dans le journal ne nous laisse pas d'illusions là-dessus. – Patience! mais que nous serons heureux de vous revoir!..

Je vais laisser un peu de place pour Louise, ainsi que pour les autres. (Suivent les lettres de Louise et de Berthe.)

P. S.– Nous venons de recevoir enfin la lettre (trois heures et demie). Dieu merci, tout allait bien mardi. – Au nom du ciel, soignez-vous. – Mille amitiés à vous et aux autres.

Tausend Grüsse.
Jhr IV. TOURGUENEFF.

XV

Courtavenel, 19 juin 1849.

Bonjour, Madame; comment vous portez-vous? – Tous les habitants de Courtavenel se portent bien et vous saluent. Ils m'ont chargé de vous rendre compte de la journée d'hier. Le voici, ce compte:

Après votre départ, tout le monde est allé se coucher, et on a dormi jusqu'à dix heures; puis on s'est levé, on a assez silencieusement déjeuné, on a joué au billard sans se dépêcher, puis on s'est mis à l'ouvrage: Mlle Berthe avec Louise, M. Sitchès avec le journal, Mme Sitchès je ne sais où, et moi dans le petit cabinet, où je me suis mis à réfléchir sur le sujet en question. J'ai réfléchi une heure, puis j'ai lu de l'espagnol, puis j'ai écrit une demi-page du sujet, puis je suis allé dans le grand salon, où j'ai vu avec étonnement qu'il n'était que deux heures. Alors, j'ai travaillé trois quarts d'heure avec Louise, qui commence à oublier un peu son allemand, mais qui a très peu de fautes d'orthographe dans la dictée; ensuite, je suis allé me promener seul, et, à mon retour, toute la compagnie (et moi avec) est allée se promener jusqu'au dîner, qui a eu lieu à cinq heures. Après le dîner, le temps, qui jusque-là semblait traîner la patte comme une perdrix blessée, m'a paru moins long; il est vrai que j'ai dormi jusqu'à neuf heures, grâce à la fatigue que mes deux promenades m'avaient causée. A neuf heures, on nous a apporté du thé – ou plutôt du vulnéraire suisse de Razay, que nous avons bu en assaisonnant cette frugale collation par une petite conversation honnête et modérée sur des sujets parfaitement connus et fort peu intéressants. Berquin et Marmontel, ou tout autre auteur de livres moraux et instructifs, auraient été édifiés, j'en suis sûr, en voyant notre maintien modeste et plein de bon goût, notre déférence l'un pour l'autre, qu'un léger assoupissement ne rendait que plus agréable. Enfin, après avoir joui pendant près d'une heure de la société de nos semblables, plaisir pour lequel on prétend que l'homme est né, nous nous levâmes, nous nous acheminâmes vers la salle à manger, nous prîmes nos luminaires, nous nous souhaitâmes une bonne nuit et nous nous couchâmes dans nos lits, où nous dormîmes sur-le-champ.

Ce matin, il fait un temps très bon, très doux; j'ai fait une assez grande promenade avant le déjeuner, et je vous écris maintenant entre le déjeuner et le billard, de crainte que le facteur ne vienne plus tôt qu'à l'ordinaire. Nous l'attendrons demain avec plus d'impatience.

Je vous serre la main très fort, bien fort. Mille amitiés à Viardot et aux autres amis…

Une heure.– Le facteur n'est pas venu encore, j'ajoute quelques paroles. Il fait un temps charmant, et Courtavenel est bien joli, bien aimable aujourd'hui. J'ai passé toute la matinée dans le parc. Que faites-vous dans cet instant? C'est une question que nous nous faisons tous les quarts d'heure… Tout le monde se porte aujourd'hui encore mieux qu'hier. Encore une fois bon jour, portez-vous bien, et à revoir.

Votre
IV. TOURGUENEFF.
34Le célèbre écrivain socialiste russe.

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