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La Comédie humaine volume VI

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– Eh! si vous voulez la vérité, je vous dirai, s'écria monsieur de Clagny, qu'il vit maritalement avec Fanny Beaupré. Vous m'arrachez cette confidence!.. je ne vous l'aurais jamais appris: vous auriez cru peut-être à quelque sentiment peu généreux chez moi.

Madame de La Baudraye donna une poignée de main à l'Avocat-général.

– Vous avez pour mari, dit-elle à son chaperon, un des hommes les plus rares. Ah! pourquoi…

Et elle se cantonna dans son coin en regardant par les glaces du coupé; mais elle supprima le reste de sa phrase que l'Avocat-Général devina: Pourquoi Lousteau n'a-t-il pas un peu de la noblesse de cœur de votre mari!..

Néanmoins cette nouvelle dissipa la mélancolie de madame de La Baudraye, qui se jeta dans la vie des femmes à la mode; elle voulut avoir du succès, et elle en obtint; mais elle faisait peu de progrès dans le monde des femmes; elle éprouvait des difficultés à s'y produire. Au mois de mars, les prêtres amis de madame Piédefer et l'Avocat-Général frappèrent un grand coup en faisant nommer madame la comtesse de La Baudraye quêteuse pour l'œuvre de bienfaisance fondée par madame de Carcado. Enfin elle fut désignée à la cour pour recueillir les dons en faveur des victimes du tremblement de terre de la Guadeloupe.

La marquise d'Espard, à qui monsieur de Canalis lisait les noms de ces dames à l'Opéra, dit en entendant celui de la comtesse: – Je suis depuis bien long-temps dans le monde, je ne me rappelle pas quelque chose de plus beau que les manœuvres faites pour le sauvetage de l'honneur de madame de La Baudraye.

Pendant les jours de printemps, qu'un caprice de notre planète fit luire sur Paris dès la première semaine du mois de mars et qui permit de voir les Champs-Élysées feuillés et verts à Longchamp, plusieurs fois déjà, l'amant de Fanny-Beaupré, dans ses promenades avait aperçu madame de La Baudraye sans être vu d'elle. Il fut alors plus d'une fois mordu au cœur par un de ces mouvements de jalousie et d'envie assez familiers aux gens nés et élevés en province, quand il revoyait son ancienne maîtresse, bien posée au fond d'une jolie voiture, bien mise, un air rêveur, et ses deux enfants à chaque portière. Il s'apostrophait d'autant plus en lui-même qu'il se trouvait aux prises avec la plus aiguë de toutes les misères, une misère cachée. Il était, comme toutes les natures essentiellement vaniteuses et légères, sujet à ce singulier point d'honneur qui consiste à ne pas déchoir aux yeux de son public, qui fait commettre des crimes légaux aux hommes de Bourse pour ne pas être chassés du temple de l'agiotage, qui donne à certains criminels le courage de faire des actes de vertu. Lousteau dînait et déjeunait, fumait comme s'il était riche. Il n'eût pas, pour une succession, manqué d'acheter les cigares les plus chers, pour lui, comme pour le dramaturge ou le prosateur avec lesquels il entrait dans un Débit. Le journaliste se promenait en bottes vernies; mais il craignait des saisies qui, selon l'expression des huissiers, avaient reçu tous les sacrements. Fanny-Beaupré ne possédait plus rien d'engageable, et ses appointements étaient frappés d'oppositions! Après avoir épuisé le chiffre possible des avances aux Revues, aux journaux et chez les libraires, Étienne ne savait plus de quelle encre faire or. Les jeux, si maladroitement supprimés, ne pouvaient plus acquitter, comme jadis, les lettres de change tirées sur leurs tapis verts par les Misères au désespoir. Enfin, le journaliste était arrivé à un tel désespoir, qu'il venait d'emprunter au plus pauvre de ses amis, à Bixiou, à qui jamais il n'avait rien demandé, cent francs!

Ce qui peinait le plus Lousteau, ce n'était pas de devoir cinq mille francs, mais de se voir dépouillé de son élégance, de son mobilier acquis par tant de privations, enrichi par madame de La Baudraye. Or, le 3 avril, une affiche jaune arrachée par le portier après avoir fleuri le mur, avait indiqué la vente d'un beau mobilier pour le samedi suivant, jour des ventes par autorité de justice.

Lousteau se promena, fumant des cigares et cherchant des idées; car les idées, à Paris, sont dans l'air, elles vous sourient au coin d'une rue, elles s'élancent sous une roue de cabriolet avec un jet de boue! Le flâneur avait déjà cherché des idées d'articles et des sujets de nouvelles pendant tout un mois; mais il n'avait rencontré que des amis qui l'entraînaient à dîner, au théâtre, et qui grisaient son chagrin, en lui disant que le vin de Champagne l'inspirerait.

– Prends garde, lui dit un soir l'atroce Bixiou qui pouvait tout à la fois donner cent francs à un camarade et le percer au cœur avec un mot. En t'endormant toujours soûl, tu te réveilleras fou.

La veille, le vendredi, le malheureux, malgré son habitude de la misère, était affecté comme un condamné à mort. Jadis, il se serait dit: – Bah! mon mobilier est vieux, je le renouvellerai. Mais il se sentait incapable de recommencer des tours de force littéraires. La librairie dévorée par la contrefaçon payait peu. Les journaux lésinaient avec les talents éreintés, comme les directeurs de théâtre avec les ténors qui baissent d'une note. Et d'aller devant lui, l'œil sur la foule sans y rien voir, le cigare à la bouche et les mains dans ses goussets, la figure crispée en dedans, un faux sourire sur les lèvres. Il vit alors passer madame de La Baudraye en voiture, elle prenait le boulevard par la rue de la Chaussée-d'Antin pour se rendre au Bois.

– Il n'y a plus que cela, se dit-il.

Il rentra chez lui s'y adoniser. Le soir, à sept heures, il vint en citadine à la porte de madame de La Baudraye et pria le concierge de faire parvenir à la comtesse un mot ainsi conçu:

«Madame la comtesse veut-elle faire à monsieur Lousteau la grâce de le recevoir un instant, et à l'instant.»

Ce mot était cacheté d'un cachet qui, jadis, servait aux deux amants. Madame de La Baudraye avait fait graver sur une véritable cornaline orientale: parce que! Un grand mot, le mot des femmes, le mot qui peut expliquer tout, même la création.

La comtesse venait d'achever sa toilette pour aller à l'Opéra, le vendredi était son jour de loge. Elle pâlit en voyant le cachet.

– Qu'on attende! dit-elle en mettant le billet dans son corsage.

Elle eut la force de cacher son trouble et pria sa mère de coucher les enfants. Elle fit alors dire à Lousteau de venir, et elle le reçut dans un boudoir attenant à son grand salon, les portes ouvertes. Elle devait aller au bal après le spectacle, elle avait mis une délicieuse robe en soie brochée à raies alternativement mates et pleines de fleurs, d'un bleu pâle. Ses gants garnis et à glands laissaient voir ses beaux bras blancs. Elle étincelait de dentelles, et portait toutes les jolies futilités voulues par la mode. Sa coiffure à la Sévigné lui donnait un air fin. Un collier de perles ressemblait sur sa poitrine à des soufflures sur de la neige.

– Qu'avez-vous, monsieur? dit la comtesse en sortant son pied de dessous sa robe pour pincer un coussin de velours, je croyais, j'espérais être parfaitement oubliée…

– Je vous dirais jamais, vous ne voudriez pas me croire, dit Lousteau qui resta debout et se promena tout en mâchant des fleurs qu'il prenait à chaque tour aux jardinières dont les massifs embaumaient le boudoir.

Un moment de silence régna. Madame de La Baudraye, en examinant Lousteau, le trouva mis comme pouvait l'être le plus scrupuleux dandy.

– Il n'y a que vous au monde qui puissiez me secourir et me tendre une perche, car je me noie, et j'ai déjà bu plus d'une gorgée… dit-il en s'arrêtant devant Dinah et paraissant céder à un effort suprême. Si vous me voyez, c'est que mes affaires vont bien mal.

– Assez! dit-elle, je vous comprends…

Une nouvelle pause se fit entre eux pendant laquelle Lousteau se retourna, prit son mouchoir, et eut l'air d'essuyer une larme.

– Que vous faut-il, Étienne? reprit-elle d'une voix maternelle. Nous sommes en ce moment de vieux camarades, parlez-moi comme vous parleriez… à… à Bixiou…

– Pour empêcher mon mobilier de sauter demain à l'hôtel des Commissaires-Priseurs, dix-huit cents francs! Pour rendre à mes amis, autant? trois termes au propriétaire que vous connaissez… Ma tante exige cinq cents francs…

– Et pour vous, pour vivre…

– Oh! j'ai ma plume!..

– Elle est à remuer d'une lourdeur qui ne se comprend pas quand on vous lit… dit-elle en souriant avec finesse. – Je n'ai pas la somme que vous me demandez… Venez demain à huit heures, l'huissier attendra bien jusqu'à neuf, surtout si vous l'emmenez pour le payer.

Elle sentit la nécessité de congédier Lousteau qui feignait de ne pas avoir la force de la regarder; mais elle éprouvait une compassion à délier tous les nœuds gordiens que noue la Société.

– Merci! dit-elle en se levant et tendant la main à Lousteau, votre confiance me fait un bien!.. Oh! il y a long-temps que je ne me suis senti tant de joie au cœur…

Lousteau prit la main, l'attira sur son cœur et la pressa tendrement.

– Une goutte d'eau dans le désert, et… par la main d'un ange!.. Dieu fait toujours bien les choses!

Ce fut dit moitié plaisanterie et moitié attendrissement; mais, croyez-le bien, ce fut aussi beau, comme jeu de théâtre, que celui de Talma dans son fameux rôle de Leicester où tout est en nuances de ce genre. Dinah sentit battre le cœur à travers l'épaisseur du drap, il battait de plaisir, car le journaliste échappait à l'épervier judiciaire; mais il battait aussi d'un désir bien naturel à l'aspect de Dinah rajeunie et renouvelée par l'opulence. Madame de La Baudraye, en examinant Étienne à la dérobée, aperçut la physionomie en harmonie avec toutes les fleurs d'amour qui, pour elle, renaissaient dans ce cœur palpitant; elle essaya de plonger ses yeux, une fois, dans les yeux de celui qu'elle avait tant aimé, mais un sang tumultueux se précipita dans ses veines et lui troubla la tête. Ces deux êtres échangèrent alors le même regard rouge qui, sur le quai de Cosne, avait donné l'audace à Lousteau de froisser la robe d'organdi. Le drôle attira Dinah par la taille, elle se laissa prendre, et les deux joues se touchèrent.

 

– Cache-toi, voici ma mère! s'écria Dinah tout effrayée. Et elle courut au-devant de madame Piédefer. – Maman, dit-elle (ce mot était pour la sévère madame Piédefer une caresse qui ne manquait jamais son effet), voulez-vous me faire un grand plaisir, prenez la voiture, allez vous-même chez notre banquier monsieur Mongenod, avec le petit mot que je vais vous donner. Venez, venez, il s'agit d'une bonne action, venez dans ma chambre?

Et elle entraîna sa mère qui semblait vouloir regarder la personne qui se trouvait dans le boudoir.

Deux jours après, madame Piédefer était en grande conférence avec le curé de la paroisse. Après avoir écouté les lamentations de cette vieille mère au désespoir, le curé lui dit gravement: – Toute régénération morale qui n'est pas appuyée d'un grand sentiment religieux, et poursuivie au sein de l'Église, repose sur des fondements de sable… Toutes les pratiques, si minutieuses et si peu comprises que le catholicisme ordonne, sont autant de digues nécessaires à contenir les tempêtes du mauvais esprit. Obtenez donc de madame votre fille qu'elle accomplisse tous ses devoirs religieux et nous la sauverons…

Dix jours après cette conférence, l'hôtel de La Baudraye était fermé. La comtesse et ses enfants, sa mère, enfin toute sa maison, qu'elle avait augmentée d'un précepteur, était partie pour le Sancerrois où Dinah voulait passer la belle saison. Elle fut charmante, dit-on, pour le comte.

Note de l'Auteur. – Page 360, ligne 27, au lieu de Tobie Piédefer, lisez Silas Piédefer. On peut pardonner à l'auteur de s'être rappelé trop tard que les calvinistes n'admettent pas le livre de Tobie dans les Saintes-Écritures.

FIN DU SIXIÈME VOLUME