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– Pan! pan! pan!

La prêtre répondit:

– Oui! oui! frappe!.. Je t'en casse!..

Enfin les coups diminuèrent, et ne se firent plus entendre que de loin à loin.

Vers le matin, un vieux prêtre vint relever de faction le débutant. Celui-ci lui donne le livre, la chaise, et s'en va.

– Pan! pan! pan!

– Qu'est-ce que c'est que ça?.. demanda le vieux prêtre.

– Oh! ce n'est rien, répondit le nouveau; c'est le mort qui a un tic…

– Je croirais volontiers que ce mot est vrai… dit un professeur d'histoire. Il est saturé de cet esprit rustique si précieux chez les vieux auteurs, et qui se retrouve souvent peut-être chez le paysan. Ce prêtre venait d'en-deçà la Loire… Le villageois est une nature admirable. Quand il est bête, il va de pair avec l'animal; mais quand il a des qualités, elles sont exquises; malheureusement personne ne l'observe. Il a fallu je ne sais quel hasard pour que Goldsmith ait fait le Vicaire de Vakefield. Aussi la vie campagnarde et paysanne attend un historien.

– Votre observation me rappelle, dit un ancien fonctionnaire impérial, un trait qui peut servir de preuve à votre opinion. Il donne tout-à-fait l'idée d'un homme trempé comme devait l'être le paysan du Danube.

En 1813, lors des dernières levées d'hommes dont Napoléon eut besoin, et que les préfets firent avec une rigueur qui contribua peut-être à la première chute de l'empire, le fils d'un pauvre métayer des environs d'une ville que je ne vous nommerai pas, car ce serait vous désigner le préfet, refusa de partir, et disparut.

Les premières sommations exécutées, l'on en vint aux mesures de rigueur contre le père et la mère. Enfin un matin, le préfet, ennuyé de voir cette affaire traîner en longueur, mande le père devant lui.

Le paysan vint à la préfecture; et là, le secrétaire général d'abord, puis le préfet lui-même, essayèrent par des paroles de persuasion de convertir à l'évangile impérial le père du réfractaire, et de lui arracher le secret de la retraite où son fils était caché.

Ils échouèrent contre le système de dénégation dans lesquels les paysans se renferment avec l'instinct de l'huître, qui défie ses agresseurs à l'abri de sa rude écaille. Des douceurs, le préfet et son secrétaire passèrent aux menaces, et ils se mirent très-sérieusement en colère, et rudoyèrent le pauvre homme, qui les regardait avec un grand flegme, en tortillant son chapeau à bords rabattus.

– Nous saurons bien te faire retrouver ton fils, disait le secrétaire.

– Je le voudrais bien, monseigneur, répondait le paysan.

– Il me le faut mort ou vif, s'écria le préfet, en forme de conclusion.

Là dessus le père s'en revint désolé chez lui; car il ne savait réellement pas où était son fils et se doutait bien de ce qui allait arriver.

En effet, le lendemain, il vit dès le matin, en allant aux champs, le chapeau bordé d'un gendarme qui galopait le long des haies, et que le préfet envoyait loger chez lui, jusqu'à ce que le réfractaire se fût retrouvé.

Il fallut donc chauffer, blanchir, éclairer le garnisaire et le nourrir son cheval et lui. Le paysan y mangea ses économies, vendit la croix d'or, les boucles d'oreilles, de souliers, les agrafes d'argent et les hardes de sa femme; puis un champ qu'il avait, et enfin sa maison.

Avant de vendre la maison et le morceau de terre dont elle était environnée, il y eut une horrible dispute entre la femme et le mari, celui-ci prétendait qu'elle savait où était son fils… Le gendarme fut obligé de mettre le holà, au moment où le paysan s'emporta, car il avait pris son sabot pour le jeter à la tête de sa femme.

Depuis cette soirée, le garnisaire ayant pitié de ces deux malheureux menait son cheval paître le long des chemins et dans les prés communaux. Quelques voisins se cotisèrent pour lui fournir de l'avoine et de la paille; la plupart du temps le gendarme achetait de la viande, et l'on s'entendait pour soutenir ce pauvre ménage. Le paysan avait parlé de se pendre.

Enfin, un jour qu'il fallait du bois pour cuire le dîner du gendarme, le père du réfractaire était allé dès le matin dans une forêt voisine pour ramasser des branches mortes et faire provision de bois.

A la nuit, il aperçut dans un fourré, près des habitations, une masse blanche, et ayant été voir ce que cela pouvait être, il reconnut son fils. Il était mort de faim, et avait encore entre les dents l'herbe qu'il avait essayé de manger.

Le paysan chargea son enfant sur ses épaules, et, sans le montrer à personne, sans rien dire, il le porta pendant trois lieues; il arriva à la préfecture, s'enquit où était le préfet, et, apprenant qu'il était au bal, il l'attendit; et quand celui-ci rentra, sur les deux heures du matin, il trouva le paysan à sa porte, qui lui dit:

– Vous avez voulu mon fils, monsieur le préfet, le voilà!

Il mit le cadavre contre le mur et s'enfuit.

Maintenant, lui et sa femme mendient leur pain.

– Ceci est tout bonnement sublime, reprit le médecin; mais je crois que si les actions des paysans sont si complètes, si simplement belles, c'est que, chez eux, tout est naturel et sans art; ils obéissent toujours au cri de la nature; leur ruse même, leur astuce, si célèbres et si formidables, sont un développement de l'instinct humain. Ils sont cauteleux dans les affaires, et dissimulés, comme tous les gens faibles, en présence d'un ennemi puissant; et, ne faisant pas abus de la pensée, ils la trouvent comme la foi, très-robuste dans leur ame, au moment où ils en font usage. La foi du charbonnier est un proverbe.

Ce qui m'étonne le plus en eux, ajouta-t-il, c'est leur détachement de la vie, et je ne comprends pas qu'en estimant si peu une existence si chargée de peines et de travail, ils soient si peu vindicatifs, et ne la risquent pas plus souvent, par calcul. Ils n'ont pas le temps peut-être de réfléchir ou de combiner de grandes choses.

– C'est ce qui sauve la civilisation de leurs entreprises, dit quelqu'un.

– Encore la civilisation!.. répéta le médecin d'un air comi-tragique.

– Mais, docteur, lui dis-je, je vous assure que je connais un petit pays de Touraine où les gens de la campagne font mentir vos observations. Du côté de Chinon, les naturels de notre pays sont possédés d'une fureur courte et vive qui leur donne l'énergie de se livrer à leurs passions, puis ils rentrent soudain dans cette douceur spirituelle et railleuse qui distingue le caractère tourangeau. Serait-ce que Caïn aurait peuplé les environs de Chinon, dont les habitans sont nommés Caïnones dans les cartulaires, ou faut-il attribuer ce sentiment de vengeance immédiate à la vie sauvage que mènent les habitans des campagnes? Le docteur Gall aurait bien dû venir visiter le Chinonnais, où, du reste, il y a de fort honnêtes gens. Un des avocats les plus distingués de ce pays me disait en riant que cet arrondissement devrait lui constituer une rente, parce que la plupart des procès civils et criminels étaient issus de ce pays si célébré par Rabelais. Quant à moi, j'ai vu de mes yeux un exemple frappant de cette observation, dont je ne voudrais pas cependant garantir la vérité psycologique.

Voici le fait:

– Je revenais, en 181… d'Azai à Tours par la voiture de Chinon. En prenant ma place, je vis, sur la banquette de derrière deux gendarmes, entre lesquels était un gars d'environ vingt-deux ans.

– Qu'a-t-il donc fait celui-là?.. dis-je au brigadier, croyant qu'il s'agissait de quelque délit forestier ou autre.

– Presque rien… répondit le gendarme; il s'est permis de rompre avec une barre de fer l'échine de son maître, et il l'a tué, pas plus tard qu'hier…

Là-dessus, grand silence. Je voyageais en compagnie d'un assassin. Celui-ci se tenait coi dans la carriole, regardant avec assez d'insouciance les arbres du chemin, qui fuyaient avec autant de rapidité que sa vie promise à l'échafaud. Il avait une figure douce, quoique brune et fortement colorée.

– Pourquoi donc a-t-il assommé son maître?.. dis-je au brigadier.

– Pour une misère… répondit le gendarme. En allant à la foire de Tours, son bourgeois, qui était un fort métayer, avait promis de rapporter les cadeaux d'usage à la fille de basse-cour et à ce gars-là… Pour lors, il s'agissait d'un tablier pour elle, et d'un gilet rouge pour lui. Au retour, il paraît que le fermier eut quelque motif de mécontentement contre lui. Il donna bien le tablier à la fille, mais il garda le gilet. Assoupi par la chaleur, et fatigué, vu qu'il avait fait la route sans arrêt et à cheval, il s'endormit sur le coin de sa table, dans la salle. Alors le gars prit la barre de fer, et lui en asséna un grand coup sur la nuque; le métayer a encore eu la force de se relever et de lui dire:

– Malheureux!..

Et il lui a donné un second coup, qui finalement l'a tué raide. Et après il a été se cacher dans l'écurie avec le gilet; mais il n'a pas seulement pris un liard de l'argent que son maître rapportait de Tours, et il s'est laissé empoigner sans résistance.

– Comment, lui dis-je, en me tournant vers le paysan, as-tu pu tuer un homme pour un gilet?..

– Dam!.. j'avais compté là-dessus pour aller à la danse.

Ce fut tout ce que je tirai de ce garçon… qui ne paraissait point méchant du tout. Les gendarmes ne lui avaient seulement pas lié les mains. La voiture vint à verser au-dessus de Bellon. – Mais non, elle ne versa pas. L'un des brancards s'était cassé. Nous en sortîmes tous; les gendarmes se mirent de chaque côté de ce malheureux en le laissant libre; néanmoins ils avaient l'oeil sur lui. Ce gaillard-là, voyant le conducteur s'y prendre assez mal pour relever la patache, l'aida, lia lui-même une perche pour remplacer le brancard; et quand tout fut fini:

– Ah! ça ira!.. maintenant, dit-il en achevant de serrer le dernier noeud d'une corde, et il remonta dans cette voiture qui le menait pour ainsi dire au supplice. Il fut exécuté à Tours.

 

– Bah! ce sang froid n'a rien de bien extraordinaire, dit un jeune homme qui était venu du salon du jeu, au milieu de ma narration, et n'avait pas assisté aux prémisses de mon argumentation. Il existe une foule d'anecdotes sur les derniers momens des criminels; et, si je vous cite à ce propos un fait de ce genre, bien autrement curieux, c'est parce que je le crois peu connu; je l'ai entendu raconter à l'auteur des Souvenirs de la Révolution. Le syndic du tribunal de Brest se nommait Vignes, et le président Vigneron. Ils furent condamnés à mort. En se trouvant sur l'échafaud, l'un d'eux, M. Vignes, dit à l'autre en lui montrant la foule:

– Hein! ils vont se trouver bien embarrassés sans vignes ni vigneron.

M. Vignes passa le premier; mais au moment où le couteau lui tranchait la tête, les deux montans de la guillotine se désunirent; enfin il se dérangea quelque chose dans l'instrument du supplice, et comme il était fort tard, l'exécuteur des hautes-oeuvres républicaines dit au président:

– Ma foi, monsieur, vous voilà sauvé; car c'est quelque chose que vingt-quatre heures par ce temps-ci.

– Il faut que tu sois un grand lâche, répondit M. Vigneron. Comment, parce que tes planches ont un peu joué, tu vas me faire attendre? Le jugement ne m'a pas condamné à vivre vingt-quatre heures de plus…

Il prit lui-même le marteau, les clous, et raccommoda la guillotine; puis, quand elle fut jugée solide, il se coucha sur la planche, et fut exécuté.

Ceci est autre chose que de mettre une perche à un brancard, et c'est du sang froid argent comptant…

– Docteur, dit une dame, vous qui devez voir beaucoup de mourans, avez-vous rencontré souvent des exemples de cette singulière tranquillité?..

– Madame, dit-il, les criminels sont ordinairement des gens doués d'une organisation très-puissante, en sorte qu'ils ont plus de chances que les malades affaiblis par de longues agonies pour dire de jolies choses. On les tue vivans, tandis que les malades meurent tués. Puis, chez certains hommes, l'ame est fortement excitée par l'attente du supplice, et ils rassemblent toutes leurs forces pour soutenir cet assaut. Il y a exaltation. Cependant j'ai vu de belles morts particulières… Pour moi, la plus belle a été celle de la femme d'un célèbre médecin allemand, auquel j'étais fort attaché. Le tableau que cette scène nous offrit est toujours vif et coloré comme au moment où j'en fus témoin.

Nous avions passé la nuit au chevet de la mourante; elle était attaquée de la poitrine, et la pulmonie, arrivée au dernier degré, ne laissait aucun espoir. Mon maître s'était endormi; sa femme, s'étant réveillée vers quatre heures du matin, me fit, de la manière la plus touchante et en souriant, un signe amical pour me dire de la laisser reposer, et cependant elle allait mourir. Elle était arrivée à une maigreur extraordinaire; mais son visage avait conservé ses traits et ses formes, qui étaient belles. Sa pâleur faisait ressembler sa peau à de la porcelaine derrière laquelle il y a une lumière. Ses yeux vifs et ses couleurs tranchaient sur ce teint plein d'une molle élégance, et il y avait dans sa physionomie une sorte de sublimité qui imposait. Elle paraissait plaindre son mari, auquel sa vie avait été vouée; mais ce sentiment prenait sa source dans une tendresse élevée, qui semblait ne plus connaître de bornes aux approches de la mort. Le silence était profond; la chambre, doucement éclairée par une lampe, avait l'aspect de toutes les chambres de malades au moment de la mort. C'était un désordre pittoresque… En ce moment, la pendule sonna, et le docteur, au désespoir d'avoir dormi, se réveilla. Je ne vis pas le geste d'impatience par lequel il peignit le regret qu'il éprouvait d'avoir perdu de vue sa femme pendant un des derniers momens qui lui étaient accordés; mais il est sûr qu'une personne autre que la mourante aurait pu s'y tromper. Ce médecin, homme d'un grand talent, avait mille de ces bizarreries apparentes qui font prendre les gens de génie pour des fous, mais dont l'explication se trouve dans la nature exquise et les exigences de leur esprit. Il vint se mettre dans un fauteuil, près du lit de sa femme, et la regarda fixement. Alors elle avança un peu la main, prit celle de son mari, la serra faiblement, et d'une voix douce, mais émue, elle lui dit:

– Mon pauvre ami, qui donc maintenant te comprendra?..

Puis elle mourut en le regardant.

– Les histoires que conte le docteur, reprit une dame après un moment de silence, me font des impressions bien profondes.

Le médecin salua gravement.

– Oui, elles sont douces et intéressantes; il nous émeut sans employer les atrocités si fort à la mode aujourd'hui…

– Ma réserve, dit-il, n'est certes pas de l'impuissance, et je vous prie de croire, madame, que j'ai ma provision d'horrible tout comme un autre.

– Eh bien! s'écria la maîtresse de la maison, racontez-nous un peu quelque chose d'affreux. Je voudrais voir la couleur de votre tragique, quand ce ne serait que pour le comparer avec celui qui a présentement cours à la bourse littéraire.

– Malheureusement, madame, je ne parle que de ce que j'ai vu.

– Eh bien!

– Mais je dois avoir le dessous avec les gens qui ont sur moi tous les avantages que donne l'imagination. Je ne puis pas vous mettre en scène deux frères nageant en pleine mer et se disputant une planche… ou un homme qui a entrepris de manger un régiment à la croque-au-sel. Je ne puis être que vrai.

– Eh bien! nous nous contenterons de la vérité.

– Je ne veux pas me faire prier, reprit-il, et il se moucha.

– Le hasard, dit-il, me mit autrefois en relation avec un homme qui avait roulé dans les années de Napoléon, et dont alors la position était assez brillante pour un militaire de son grade. Il était capitaine, et occupait à l'état-major de Paris, je crois, une place qui lui valait de quatre à cinq mille francs; en outre il possédait quelque fortune. Où l'avait-il prise, je ne sais. Il était de basse extraction, et pour n'avoir pas d'avancement sous l'empire, il fallait être un traînard, un niais, un ignorant ou un lâche. Cependant il y a aussi des gens malheureux. Mon homme n'était rien de tout cela; c'était le type des mauvais soudards, débauché, buveur, fumeur, vantard, plein d'amour-propre, voulant primer partout, ne trouvant d'inférieurs que dans la mauvaise compagnie et s'y plaisant, racontant ses exploits à tous ceux qui ne savaient pas si une demi-lune est quelquefois entière, enfin un vrai chenapan, comme il s'en est tant rencontré dans les armées; ne croyant ni à Dieu ni au diable; bref pour achever de vous le peindre, il suffira de vous dire ce qui m'arriva un jour que je l'avais rencontré du côté de la Bastille. Nous allions l'un et l'autre au Palais-Royal. Nous cheminâmes par les boulevards. Au premier estaminet qui se trouva:

– Permettez-moi, dit-il, d'entrer là un petit moment; j'ai un restant de tabac à y prendre et un verre d'eau-de-vie.

Il avala le petit verre d'eau-de-vie, et reprit en effet une pipe chargée et un peu de tabac à lui.

Au second estaminet il avait achevé de fumer son restant de tabac, et recommença son antienne. Ce diable d'homme avait des restans de tabac dans tous les estaminets, et c'étaient comme autant de relais pour des pipes et son gosier. Il avait établi dans Paris ses lignes de communication. Je ne vous parlerai pas de ses moustaches grises, de ses vêtemens caractéristiques, de son idiome et de ses tics, ce serait vous en entretenir jusqu'à demain. Je crois qu'il ne s'était jamais peigné les cheveux qu'avec les cinq doigts de la main. J'ai toujours vu à son col de chemise la même teinte blonde. Eh bien! cet homme-là, ce chenapan, avait une assez belle figure, figure militaire, de grands traits, une expression de calme; mais j'ai toujours cru lire au fond de ses yeux verts de mer et tachetés de points orangés quelques-unes de ces aventures où il y a de la fange et du sang. Ses mains ressemblaient à des éclanches. Il était d'une taille médiocre, mais large des épaules et de la poitrine, un vrai corsaire. Par-dessus tout cela il se disait un des vainqueurs de la Bastille. Cet homme rencontra une jeune fille assez folle pour s'amouracher de lui. C'était une grisette, mais un amour de feu. Elle avait nom Clarisse, et travaillait chez une fleuriste. Elle avait tout joli, la taille, les pieds, les cheveux, les mains, les formes, les manières. Son teint était blanc, sa peau satinée. Il n'y a vraiment qu'à Paris que se trouvent ces espèces de produits et ces sortes de passions. Jamais je n'ai vu de contraste aussi tranché que l'opposition présentée par ce singulier couple. Clarisse était toujours mignonne, propre et bien mise. Par amour-propre, le capitaine lui donnait tout ce qu'elle lui demandait, et la pauvre enfant lui demandait peu de choses: c'étaient la partie de spectacle, quelques robes, des bijoux. Jamais elle ne voulut être épousée, et s'il la logea, s'il meubla son appartement, ce fut par vanité. Cette jeune fille était le dévouement même. J'ai souvent pensé que ces pauvres créatures obéissent à je ne sais quelle charitable mission en se donnant à ces hommes si rebutans, si rebutés, aux mauvais sujets. Il y a dans ces actes du coeur un phénomène qu'il serait intéressant d'analyser.

Clarisse tomba malade, elle eut une fièvre putride, à laquelle se mêlèrent de graves accidens, et le cerveau fut entrepris. Le capitaine vint me chercher; je trouvai Clarisse en danger de mort, et, prenant son protecteur à part, je lui fis part de mes craintes.

– Il faut, lui dis-je, avoir une bonne garde-malade au plus tôt; car cette nuit sera très-critique.

En effet, j'avais ordonné de mettre à une certaine heure des sinapismes aux pieds, puis d'appliquer, une demi-heure après l'effet du topique, de la glace sur la tête, et lorsqu'elle serait fondue, de placer un cataplasme sur l'estomac… Il y avait d'autres prescriptions dont je ne me souviens plus.

– Oh! me répondit-il, je ne me fierais point à une garde; elles dorment, elles font les cent coups, tourmentent les malades. Je veillerai moi-même, et j'exécuterai vos ordonnances comme si c'était une consigne.

A huit heures du matin, je revins, fort inquiet de Clarisse; mais en ouvrant la porte, je fus suffoqué par les nuages de fumée de tabac qui s'exhalèrent, et au milieu de cette atmosphère brumeuse, je vis à peine, à la lueur de deux chandelles, mon homme fumant sa pipe et achevant un énorme bol de punch. Non, je n'oublierai jamais ce spectacle. Auprès de lui Clarisse râlait et se tordait; il la regardait tranquillement. Il avait consciencieusement appliqué les sinapismes, la glace, les cataplasmes; mais aussi le misérable, en faisant son office de garde-malade, trouvant Clarisse admirablement belle dans l'agonie, avait sans doute voulu lui dire adieu; du moins le désordre du lit me fit comprendre les événemens de la nuit. Je m'enfuis, saisi d'horreur: Clarisse mourait.

– L'horrible vrai est toujours plus horrible encore!.. dit le sculpteur.

– Il y a de quoi frémir quand on songe aux malheurs, aux crimes qui sont commis à l'armée, à la suite des batailles, quand la méchanceté de tant de caractères méchans peut se déployer impunément!.. reprit une dame.

– Oh! dit un officier qui n'avait pas encore parlé de la soirée, les scènes de la vie militaire pourraient fournir des milliers de drames. Pour ma part, je connais cent aventures plus curieuses les unes que les autres; mais en m'en tenant à ce qui m'est personnel, voici ce qui m'est arrivé…

Il se leva, se mit devant nous, au milieu de la cheminée, et commença ainsi:

– C'était vers la fin d'octobre; mais non, ma foi, c'était bien dans les premiers jours de novembre 1809, je fus détaché d'un corps d'armée qui revenait en France, pour aller dans les gorges du Tyrol bavarois. En ce moment nous avions à soumettre, pour le compte du roi de Bavière, notre allié, cette partie de ses états que l'Autriche avait réussi à révolutionner. Le général Chatler s'avançait même avec un ou deux régimens allemands, dans le dessein d'appuyer les insurgés, qui étaient tous gens de la campagne.

Cette petite expédition avait été confiée par l'empereur à un certain général d'infanterie nommé Rusca, qui se trouvait alors à Clagenfurth, à la tête d'une avant-garde d'environ quatre mille hommes. Comme Rusca était sans artillerie, le maréchal Marmont… avait donné l'ordre de lui envoyer une batterie, et je fus désigné pour la commander.

C'était la première fois, depuis ma promotion au grade de lieutenant, que je me voyais, au milieu d'une brigade, le seul officier de mon corps, ayant à conduire des hommes qui n'obéissaient qu'à moi, et obligé de m'entendre, comme chef d'une arme, avec un officier général.

 

– C'est bon, me dis-je en moi-même, il y a un commencement à tout, et c'est comme cela qu'on devient général.

– Vous allez avec Rusca?.. me dit mon capitaine, prenez garde à vous, c'est un malin singe, un vaurien fini. Son plus grand plaisir est de mettre dedans tous ceux qui ont affaire à lui. Pour vous apprendre ce que c'est que ce chrétien-là, il suffira peut-être de vous dire qu'il s'est amusé dernièrement à baptiser du vin blanc avec de l'eau-de-vie, afin de renvoyer à l'empereur un aide-de-camp soûl comme une grive… Si vous vous comportez de manière à éviter ses algarades, vous vous en ferez un ennemi mortel… Voilà le pèlerin… Ainsi, attention!

– Hé bien, répliquai-je à mon capitaine, nous nous amuserons; car il ne sera pas dit qu'un pousse-cailloux embêtera un officier d'artillerie.

Dans ce temps-là, voyez-vous, l'artillerie était quelque chose, parce que le corps avait fourni l'empereur…

Me voilà donc parti, moi et mes canonniers, et nous gagnons Clagenfurth. J'arrive le soir; et, aussitôt que mes hommes sont gîtés, je me mets en grande tenue et je me rends chez le Rusca. Point de Rusca.

– Où est le général, demandais-je à une manière d'aide-de-camp qui baragouinait un français mêlé d'italien.

– Le zénéral est à la zouziété, dans oun chercle, au café, à boire de la bière sou la piazza.

Je regarde mon homme en face, et je m'aperçois qu'il n'est pas ivre comme ses incohérences me le faisaient supposer.

– Vous êtes étonné… reprit l'aide-de-camp. Ma s'il est là de si bonne houre, c'est pour oune petite difficoulté quél zénéral il a ou avec les habitanti. Par ché i son di oumor pauco contrariente les Tedesques. Ces chiens-là né se sont-ils pas avisés dé né piou audare boire de la bière all chercle per ché lè zénéral y était…

En ce moment, nous fûmes interrompus par un roulement de tambour, après quoi le crieur de la ville lut en français d'abord, puis en allemand et en italien, une proclamation de Rusca, en vertu de laquelle il était enjoint à tous les négocians et notables habitans de Clagenfurth d'aller, comme par le passé, au cercle, pendant toutes les soirées, sous peine d'être taxés à un contribution extraordinaire.

– Et comment le paieront-ils donc?.. dit le colonel du 20e qui se trouvait auprès de moi, car je m'étais avancé pour écouter; ce serait la quatrième qu'il lèverait sur ces pauvres diables. Ce compère-là est capable de les faire révolter, pour se donner le plaisir de mitrailler une sédition populaire…

– Pourquoi n'allaient-ils plus au café?.. mon colonel, lui demandais-je.

Le colonel me regarda.

– Vous arrivez… à ce que je vois, me répondit-il. Eh bien! voilà le fait. Ce diable de Rusca ne s'amusait-il pas, le soir, à allumer sa pipe, au cercle, devant ces pauvres gens, avec les billets de florins qu'il leur arrachait le matin!.. Il faut que ce soit encore un bien bon peuple, ces Allemands, pour qu'aucun d'eux ne lui ait tiré un coup de pistolet… Heureusement, nous partirons demain; nous n'attendions que vous…

– Il paraît, lui dis-je, que votre général n'est pas commode?..

– C'est un excellent militaire… répliqua-t-il, et il entend particulièrement la guerre que nous allons faire. Il a été médecin dans la partie de l'Italie qui avoisine les montagnes du Tyrol, et il en connaît les routes, les sentiers, les habitans. Il est d'une bravoure exemplaire; mais c'est bien le plus malicieux animal que j'aie jamais connu. S'il ne brûle pas les paysans dans leurs villages, il faudra qu'il soit dans ses bons jours…

Le colonel s'éloigna en voyant un officier venir à nous.

Je fus assez embarrassé de ma personne en me trouvant seul. Je pensai qu'il n'était pas convenable que j'allasse voir Rusca au cercle; et, alors, je revins à l'aide-de-camp, qui était toujours resté immobile sur le seuil de la porte, occupé à fumer son cigare. J'avais toujours rencontré son regard, quand je jetais par hasard les yeux sur lui en causant avec le colonel; et, quoique ce regard me parût aussi railleur que perfide, je le priai d'annoncer à son général ma visite pour la fin de la soirée, objectant la nécessité dans laquelle j'étais de prendre quelque chose; car je n'avais rien mangé depuis le matin… mais un officier n'est pas aussi heureux que la mule du pape; en campagne, il n'a pas d'heures pour ses repas; il se nourrit comme il peut, et quelquefois pas du tout. Au moment où j'allais retourner à mon logement, j'entendis une grande rumeur dans le faubourg par lequel j'étais entré. Je demande à un soldat qui me parut en venir la raison de ce tumulte, et il me dit que l'un de mes canonniers en était cause; alors je fus forcé de me rendre sur les lieux pour savoir ce qui se passait. Il y avait des attroupemens composés de femmes principalement, qui paraissaient en colère, criaient et parlaient toutes ensemble; c'était comme dans une basse-cour, quand les poules se mettent à piailler. Au milieu du faubourg, je vis une grande et belle fille autour de laquelle on s'attroupait; quand elle m'aperçut, elle fendit la presse et vint à moi. Elle était furieuse, elle parlait avec une volubilité convulsive; elle avait des couleurs, les bras nus, la gorge haletante, les cheveux en désordre, les yeux enflammés, la peau mate; elle gesticulait avec feu, elle était superbe; c'est une des plus belles colères que j'ai vues dans ma vie. Là, je sus la cause de cette émeute. Mon fourrier était logé chez le père de cette fille; et il paraît que, la trouvant à son goût, il avait voulu la cajoler; mais qu'elle s'était brutalement défendue; alors mon diable de canonnier, un provençal, il se nommait Lobbé, c'était un petit homme, à cheveux noirs, bien frisés, qu'on avait appelé dans la compagnie la Perruque. La Perruque donc, par vengeance, se faisait servir par le père et la mère de cette fille; et, comme il était assis sur un fauteuil très-élevé, il avait mis chacun de ses pieds sur un escabeau de chaque côté de la table, et, pendant son repas, il avait forcé la mère et le père, qui était un homme à cheveux blancs, de tourner les étoiles de ses éperons. Il dînait gravement, ayant à ses pieds les deux vieillards agenouillés, occupés à faire aller les molettes. Cette fille, ne pouvant pas digérer cet affront, essayait d'ameuter le quartier contre les Français.

Lorsque j'eus compris le sujet de ses plaintes, je m'empressai d'aller au logement de la Perruque, et je le vis en effet assis comme un pacha, regardant les deux vieillards, bons Allemands, qui faisaient consciencieusement aller les éperons. Je n'oublierai jamais le geste de la fille quand, en entrant avec moi, elle me montra ses parens. Elle avait les larmes aux yeux, et me dit d'un son de voix guttural en allemand:

– Sieht!.. Voyez!..

– Allons donc, Lobbé, finissez, dis-je à mon canonnier. Que diable, vous mériteriez d'être puni… Cela ne se fait pas…

Les deux vieillards continuaient toujours.

– Mais, mon lieutenant, me dit la Perruque, tenez, regardez-les!.. Ça ne les contrarie pas… ça les amuse.

Je faillis rire.

En ce moment, un gros homme bourgeonné, la face rouge et le nez bulbeux, entra. A l'uniforme, je reconnus le général Rusca.

– Bien, bien, canonnier!.. s'écria-t-il. Voilà dix florins pour t'encourager à établir la domination française sur ces chiens-là…

Et il lui jeta des florins.

– Il me semble, mon général, lui dis-je avec fermeté, quand nous sortîmes, que si vous m'avez entendu, la discipline militaire est compromise. Il m'est fort indifférent, si cela vous plaît, que mon fourrier fasse tourner ses molettes, mais puisque je lui avais ordonné de cesser, et qu'il est sous mes ordres…

– Ah! dit-il en m'interrompant, tu es sorti de cette école où l'on raisonne?.. Je vais t'apprendre à clocher avec les boiteux…