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Lettres intimes

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LIX

Dimanche, 30 novembre 1834.

Cher et excellent ami,

Je m'attendais presque à recevoir une lettre de vous. Je profite d'une demi-heure qui me reste ce soir pour y répondre. Je suis abîmé de fatigue, et il me reste encore beaucoup à faire. Mon second concert a eu lieu, et votre Harold a reçu l'accueil que j'espérais, malgré une exécution encore chancelante. La Marche des pélerins a été bissée; elle a aujourd'hui la prétention de faire le pendant (religieux et doux) de la Marche au supplice. Dimanche prochain, à mon troisième concert, Harold reparaîtra dans toute sa force, je l'espère, et paré d'une parfaite exécution. L'orgie de brigands qui termine la symphonie est quelque chose d'un peu violent; que ne puis-je vous la faire entendre! Il y a beaucoup de votre poésie là dedans; je suis sûr que je vous dois plus d'une idée.

Auguste Barbier vous remercie beaucoup de vos vers et vous écrit à ce sujet.

La Symphonie fantastique a paru; mais, comme ce pauvre Liszt a dépensé horriblement d'argent pour cette publication, nous sommes convenus avec Schlesinger de ne pas consentir à ce qu'il donne un seul exemplaire; à telles enseignes que, moi, je n'en ai pas un. Ils coûtent vingt francs; voulez-vous que je vous en achète un? Je voudrais bien pouvoir vous l'envoyer sans tout ce préambule; mais vous savez que, pendant quelque temps encore, notre position sera assez gênée. Pourtant, d'après la recette du dernier concert, qui a été de deux mille quatre cents francs (double de celle du premier), j'ai lieu d'espérer que je gagnerai quelque chose au troisième. A présent, toute la copie est payée; et c'était énorme. Si vous voulez, je vous ferai copier en partition la romance que mademoiselle Falcon a chantée au dernier concert. C'est celle que vous connaissez sous le nom du Paysan breton avec de nouvelles paroles d'Auguste Barbier faites sur la musique. Ce petit morceau fait partie d'un opéra que nous avons un instant cru voir représenter à l'Opéra cet hiver; mais les intrigues d'Habeneck et consorts, et la stupide obstination de Véron après quelques hésitations, nous ont ajournés indéfiniment.

Vous me parlez de la Gazette; mais M. Laforest, qui fait les feuilletons, est un de mes plus chauds ennemis; je suis très content qu'il ne dise rien. Vous avez lu l'article du Temps, celui du Messager, etc.?

Henriette vous remercie beaucoup d'avoir parlé d'elle et surtout de son petit Louis, qui est bien le plus doux et le plus joli enfant que j'aie vu. Ma femme et moi sommes aussi unis, aussi heureux qu'il soit possible de l'être, malgré nos ennuis matériels. Il semble que nous nous en aimons davantage. L'autre jour, à l'exécution de la «Scène aux champs» de la Symphonie fantastique, elle a failli se trouver mal d'émotion; elle en pleurait encore de souvenir le lendemain.

Adieu, adieu; mille amitiés, et rappelez-moi au souvenir de votre femme et de votre famille.

LX

Paris, 10 janvier 1835.

Vous m'engagez, mon cher ami, à ne jamais manquer de franchise avec vous; mais j'en ai toujours eu, bien certainement. C'est que vous croyez peut-être que les raisons d'argent sont la cause du retard que vous avez éprouvé dans la réception de la Symphonie. En ce cas, vous vous trompez; car, lorsque je vous ai écrit que l'ouvrage n'était pas encore publié, cela était vrai. Je ne vous connais pas d'hier, et je savais bien que je ne devais pas me gêner à ce point avec vous. Quoi qu'il en soit, vous aurez l'ouvrage de Liszt aujourd'hui; dans peu, vous recevrez un exemplaire du Jeune Pâtre breton, gravé avec piano; je le publie moi-même, ainsi je n'ai pas besoin de vos vingt-cinq francs.

Je voudrais bien pouvoir vous envoyer Harold, qui porte votre nom et que vous n'avez pas. Cette symphonie a eu une recrudescence de succès à sa troisième exécution; je suis sûr que vous en seriez fou. Je la retoucherai encore dans quelques menus détails, et, l'année, prochaine, elle produira, je l'espère, encore plus de sensation.

Votre histoire d'Onslow m'a fait monter le rouge au visage; mais c'était d'indignation et de honte pour lui; Henriette a eu la faiblesse d'en pleurer. Figurez-vous que Onslow, ne venant à Paris qu'au mois de février ou de mars pour y passer seulement la moitié de l'année, ne s'est jamais trouvé dans la capitale à l'époque de nos concerts et n'a, en conséquence, jamais entendu ma Symphonie fantastique. Il ne peut l'avoir lue, puisque je ne lui ai jamais prêté le manuscrit et que l'arrangement de piano par Liszt vient de paraître. Tout cela est dégoûtant de mauvaise foi et de prévention pédantesque. Je commence à furieusement mépriser et l'opposition et les gens qui la font; quand je dis qu'un ouvrage est mauvais, c'est que je le pense, et, quand je le pense, c'est que je le connais. Ces messieurs ont d'autres motifs que ceux qui guident les artistes; j'aime mieux mon lot que le leur. Mais laissons cela.

Vous avez vu sans doute le dernier article du Temps, il est de d'Ortigue; je le trouve faux de point de vue, quoique juste dans beaucoup de critiques de détail. Par exemple, il prétend qu'il n'y a pas l'ombre d'une prière dans la Marche des pèlerins; il signale seulement, au milieu, des harmonies plaquées à la manière de Palestrina. Eh! c'est cela, la prière; car c'est ainsi qu'on chante toute musique religieuse dans les églises d'Italie. Du reste, ce passage a impressionné, comme je l'espérais, tout le monde, et d'Ortigue est le seul de son avis. Ah! si vous étiez ici, vous! Barbier et Léon de Wailly se sont presque chargés de vous remplacer dans un certain sens, car je ne connais personne qui sympathise plus qu'eux avec ma manière d'envisager l'art.

Vous ne me parlez en aucune façon de ce que vous devenez, ni de ce que vous faites. Ne viendrez-vous point à Paris? N'écrivez-vous rien? Quand je verrai d'Ortigue, je lui dirai de vous écrire la lettre que vous me demandez. A défaut de celle-là, je pourrais vous adresser un grand article que M. J. David a fait pour la Revue du progrès social; il me l'a annoncé, et, si j'en suis content, je vous l'enverrai.

Si j'avais le temps, j'aurais déjà entrepris un autre ouvrage que je rumine pour l'année prochaine; mais je suis forcé de gribouiller de misérables feuilletons qu'on me paye fort mal… Ah! si les arts étaient comptés pour quelque chose par notre gouvernement, peut-être n'en serais-je pas réduit là. C'est égal, il faudra trouver le temps pour tout.

Adieu; mille choses à votre frère, et présentez mes hommages respectueux à votre femme.

Tout à vous.

LXI

Avril ou mai 1835.

Mon cher Humbert,

J'ai reçu hier votre lettre. Je vous avais écrit, il y a un mois environ, pour vous recommander un jeune artiste nommé Allard (violon fort distingué), qui se rendait à Genève en passant par Belley. Probablement il se sera présenté chez vous en votre absence et n'aura pas laissé la lettre, ou bien est-il encore à Lyon.

Vous venez de Milan! Je n'aime pas cette grande ville; mais c'est le seuil de la grande Italie, et je ne saurais vous dire quel regret profond me prend, quand il fait beau, pour ma vieille plaine de Rome et les sauvages montagnes que j'ai tant de fois visitées. Votre lettre m'a rappelé tout cela. Pourquoi ne faites-vous pas une petite excursion à Paris? J'aurais tant de plaisir à vous présenter à ma femme, et elle est si empressée de vous connaître.

Vous me demandez des détails sur notre intérieur; les voici en peu de mots:

Notre petit Louis vient d'être sevré; il s'est bien tiré de cette épreuve, malgré les alarmes délirantes de sa mère. Il marche presque seul. Henriette en est toujours plus folle. Mais il n'y a que moi dans la maison qui possède toutes ses bonnes grâces; je ne puis sortir sans le faire crier pendant une heure. Je travaille comme un nègre pour quatre journaux qui me donnent mon pain quotidien. Ce sont: le Rénovateur, qui paye mal; le Monde dramatique et la Gazette musicale, qui payent peu, les Débats, qui payent bien. Avec tout cela, j'ai à combattre l'horreur de ma position musicale; je ne puis trouver le temps de composer. J'ai commencé un immense ouvrage intitulé: Fête musicale funèbre à la mémoire des hommes illustres de la France; j'ai déjà fait deux morceaux, il y en aura sept. Tout serait fini depuis longtemps si j'avais eu seulement un mois pour y travailler exclusivement; mais je ne puis disposer d'un seul jour en ce moment sous peine de manquer du nécessaire peu de temps après. Et il y a des polissons qui se sont amusés dernièrement, à la barrière du Combat, à dépenser quinze cents francs pour faire dévorer vivants, en leur présence, un taureau et un âne par des chiens! Ce sont des élégants du Café de Paris; ce sont ces messieurs qui se divertissent! – Voilà! – Si vous n'étiez pas celui que je connais, je douterais qu'il fût possible de vous faire comprendre ce que mon volcan me dit à ce sujet…

Véron n'est plus à l'Opéra. Le nouveau directeur, Duponchel, n'est guère plus musical que lui; cependant il est engagé avec moi sur sa parole pour un opéra en deux actes; il demande des changements importants dans le poème; quand ils seront adoptés, nous en viendrons au fait, c'est-à-dire à lui faire signer un bon contrat avec un dédit solide; car je fais cas d'une parole de directeur comme de celle d'un Grec ou d'un Bédouin. Je vous dirai quand tout cela sera terminé.

Mon père m'a écrit il n'y a pas longtemps, ma sœur Adèle également, des lettres pleines d'affection.

 

Je ne sais de quel concert vous me demandez des nouvelles, j'en ai donné sept cette année. Je recommencerai au mois de novembre, mais je n'aurai rien de nouveau à donner; ma Fête musicale ne sera pas terminée, et, d'ailleurs, elle est pour sept cents musiciens. Je crois que le plan et le sujet vous plairont. Je redonnerai encore notre Harold. Vous vous étonnez du jugement des Italiens en musique. Ils sont presque aussi bêtes que des Français. A Paris, nous assistons en ce moment au triomphe de Musard, qui se croit, d'après ses succès et l'assurance que lui en donnent les habitués de son bastringue, bien supérieur à Mozart. Je le crois bien! Mozart a-t-il jamais fait un quadrille tapé comme celui de la Brise du matin, ou celui du Coup de pistolet, ou celui de la Chaise cassée?.. Mozart est mort de misère, c'était trop juste! Musard gagne, à l'heure qu'il est, vingt mille francs par an au moins, c'est encore plus juste. Dernièrement, Ballanche, – l'immortel auteur d'Orphée et d'Antigone, deux sublimes poèmes en prose, grands et simples et beaux comme l'antique, – ce pauvre Ballanche a failli être emprisonné pour un billet de deux cents francs qu'il ne pouvait payer! Songez donc à ça, Ferrand! De bonne foi, n'y a-t-il pas de quoi devenir fou? Si j'étais garçon et que mes témérités ne dussent avoir de conséquence que pour moi, je sais bien ce que je ferais. Mais ne parlons pas de cela. Adieu; aimez-moi toujours comme je vous aime. Écrivez-moi le plus souvent que vous pourrez; je trouverai, malgré mon esclavage de tous les instants, le temps de vous répondre. Ma femme, qui m'est toujours de plus en plus chère, vous remercie de vos quelques mots pour elle; ne m'oubliez pas auprès de la vôtre.

Adieu! Adieu!

Faites-moi le plaisir de lire le Chatterton d'Alfred de Vigny.

LXII

Montmartre, 2 octobre 1835.

Mon cher Ferrand,

Je profite d'un instant de loisir pour vous demander pardon de mon long silence; je crois que vous êtes fâché, votre envoi littéraire sans lettre m'en est la preuve. Avez-vous eu l'intention de riposter à celui que je vous ai fait de la partition des Francs Juges, sans vous écrire? Je le crains. Pourtant la pure vérité est qu'entre mes maudits articles de journaux, mes cent fois maudites répétitions de Notre-Dame de Paris et la composition de mon opéra, je n'ai réellement pas le temps de fumer un cigare. Voilà pourquoi je ne vous ai pas écrit. Quoi qu'il en soit de ce que vous pensez de mes torts, j'espère que vous aurez l'air de ne pas les croire bien graves.

J'ai lu avec un vif plaisir tout ce que vous m'avez envoyé; vos vers sur le Grutli surtout me plaisent au delà de ce que je pourrais vous dire, et, entre nous, Barbier doit être fier de la dédicace. Il va publier bientôt une nouvelle édition de ses œuvres contenant ses Iambes, Pianto et ses nouvelles poésies sur l'Angleterre, encore inconnues. Je pense que vous en serez content.

Il y a aussi des choses charmantes de lui dans notre opéra. Je touche à la fin de ma partition, je n'ai plus qu'une partie, assez longue il est vrai, de l'instrumentation à écrire. J'ai, à l'heure qu'il est, l'assurance écrite du directeur de l'Opéra d'être représenté, un peu plus tôt, un peu plus tard; il ne s'agit que de prendre patience jusqu'à l'écoulement des ouvrages qui doivent passer avant le mien; il y en a trois malheureusement! Le directeur Duponchel est toujours plus engoué de la pièce et se méfie tous les jours davantage de ma musique (qu'il ne connaît pas, comme de juste!), il en tremble de peur. Il faut espérer que je lui donnerai un bon démenti et que mes collaborateurs en consoleront son amour-propre. Il est de fait que le libretto est ravissant. Alfred de Vigny, le protecteur de l'association, est venu hier passer la journée chez moi; il a emporté le manuscrit pour revoir attentivement les vers; c'est une rare intelligence et un esprit supérieur, que j'admire et que j'aime de toute mon âme. Il publiera aussi dans peu la suite de Stello; n'admirez-vous pas le style de son dernier ouvrage (Servitude et grandeur militaires)? Comme c'est senti! comme c'est vrai!

Mon fils grandit et devient beau de jour en jour, ma femme en perd la tête; pardonnez-moi de vous dire cela; je sens que j'ai tort.

Le libraire Coste a commencé sa publication des Hommes illustres de l'Italie. Il était convenu qu'il vous écrirait pour vous demander d'y travailler; je ne sais s'il l'a fait. Depuis longtemps, je ne l'ai pas vu. Je lui en parlerai ces jours-ci. Votre grand tort est d'être absent. Les livraisons qui ont paru contiennent, entre autres vies remarquables, celle de Benvenuto Cellini. Lisez cela, si vous n'avez pas lu les Mémoires autographes de ce bandit de génie.

Présentez mes hommages respectueux à madame Ferrand et à madame votre mère. Il paraît que vous spéculez, ou tout au moins que vous prenez quelque intérêt aux spéculations industrielles de votre voisinage; c'est bien, si vous réussissez.

Adieu; écrivez-moi vite; il y a un temps affreux que je désire de vos nouvelles.

Votre ami sincère et toujours le même, quoi que vous puissiez croire.

LXIII

Montmartre, 16 décembre 1835.

Mon cher Ferrand,

Je ne suis pas coupable en demeurant si longtemps sans vous écrire: vous ne sauriez vous faire une idée exacte de tout ce que j'ai à faire journellement et du peu de loisir que j'ai, quand j'en ai. Mais il est inutile de m'appesantir là-dessus: vous ne doutez pas du plaisir que je trouve à vous écrire, j'en suis sûr.

J'ai vu hier A. Coste, l'éditeur de l'Italie pittoresque; il m'a répondu qu'il était trop tard pour accepter de nouvelles livraisons pour cet ouvrage, qui touche à sa fin; mais que, si vous vouliez lui envoyer quelques biographies des hommes ou femmes illustres pour la publication intitulée: Galerie des hommes illustres de l'Italie, qui va faire suite à l'Italie pittoresque, il en serait enchanté. Ainsi écrivez-moi les noms que vous choisissez, afin qu'il n'y ait pas de double emploi et qu'on ne les donne pas à biographier à d'autres. Personne n'a songé aux femmes, Coste désirerait que vous vous en occupassiez spécialement. Vos livraisons vous seront payées cent francs au moins et cent vingt-cinq francs au plus; je tâcherai d'obtenir les cent vingt-cinq francs.

Je vous remercie de vos vers; si j'ai un moment, j'essayerai de trouver une musique qui puisse aller à leur taille.

Je voudrais bien vous envoyer ma partition de Harold, qui vous est dédiée. Elle a obtenu, cette année, un succès double de celui de l'année dernière, et décidément cette symphonie enfonce la Symphonie fantastique. Je suis bien heureux de vous l'avoir offerte avant de vous la faire connaître; ce sera un nouveau plaisir pour moi quand cette occasion se présentera. Franchement, je n'ai rien fait qui puisse mieux vous convenir.

J'ai un opéra reçu à l'Opéra; Duponchel est en bonnes dispositions; le libretto, qui, cette fois, sera un poème, est d'Alfred de Vigny7 et Auguste Barbier. C'est délicieux de vivacité et de coloris. Je ne puis pas encore travailler à la musique, le métal me manque comme à mon héros (vous savez peut-être déjà que c'est Benvenuto Cellini). Je tâcherai de trouver, dans quelques jours, le temps de vous envoyer des notes pour l'article que vous voulez faire, et spécialement sur Harold.

J'ai un grand succès en Allemagne, dû à l'arrangement de piano de ma Symphonie fantastique, par Liszt. On m'a envoyé une liasse de journaux de Leipzig et de Berlin, dans lesquels Fétis a été, à mon sujet, roulé d'importance. Liszt n'est pas ici. D'ailleurs, nous sommes trop liés pour que son nom ne fit pas tort à l'article au lieu de lui être utile.

Je vous remercie bien de tout ce que vous me dites sur ma femme et mon fils; il est vrai que je les aime tous les jours davantage. Henriette est bien touchée de tout l'intérêt qu'elle vous inspire; mais ce qui la ravit bien davantage, c'est ce que vous m'écrivez sur notre petit Louis…

Adieu, adieu.

Tout à vous.

P. – S.– Les deux morceaux de Harold ne peuvent pas se séparer du reste sans devenir des non-sens. C'est comme si je vous envoyais le second acte d'un opéra.

LXIV

23 janvier 1836.

Mon cher Humbert,

Excusez-moi de ne vous écrire que quelques mots; je suis horriblement pressé.

Je vous remercie mille fois de vos nouveaux témoignages d'amitié; vous êtes, comme je vous ai toujours connu, un homme excellent au plus généreux cœur. Que voulez-vous! il n'y a qu'heur et malheur.

Cet aimable petit M. Thiers vient de me faire perdre la place de directeur du gymnase musical, qui, d'après mon engagement, m'aurait rapporté douze mille francs par an, et tout cela en refusant d'y laisser chanter des oratorios, des chœurs et des cantates; ce qui aurait fait tort à l'Opéra-Comique!

Vous me demandez ce qu'est mon morceau du Napoléon. Ce sont bien les mauvais vers de Béranger que j'ai pris, parce que le sentiment de cette quasi-poésie m'avait semblé musical. Je crois que la musique vous ferait plaisir, malgré les vers; c'est extrêmement grand et triste, surtout la fin:

 
Autour de moi pleurent ses ennemis…
Loin de ce roc nous fuyons en silence.
L'astre du jour abandonne les cieux.
Pauvre soldat, je reverrai la France,
La main d'un fils me fermera les yeux.
 

Je voudrais bien avoir le temps de faire la musique de vos vers énergiques; il faudrait quelque chose de SABRANT; malheureusement, je n'ai pas une heure à moi pour composer.

Adieu, mon cher ami.

Tout à vous, comme toujours.

LXV

15 avril 1836.

C'est très vrai, mon cher Humbert, je vous dois depuis longtemps une réponse; mais il est très vrai aussi, dans la plus rigoureuse acception du mot, que je n'ai pas eu à ma disposition un instant de liberté pour vous écrire. Encore aujourd'hui, je crains de ne pouvoir vous dire la moitié de ce que j'ai sur le cœur. Je suis dans la même position avec ma sœur, à qui, depuis trois mois, je n'ai pu adresser une ligne.

Je suis obligé de travailler horriblement à tous ces journaux qui me payent ma prose. Vous savez que je fais à présent les feuilletons de musique (des concerts seulement) dans les Débats; ils sont signés H***. C'est une affaire importante pour moi; l'effet qu'ils produisent dans le monde musical est vraiment singulier; c'est presque un événement pour les artistes de Paris. Je n'ai pas voulu, malgré l'invitation de M. Bertin, rendre compte des Puritani, ni de cette misérable Juive: j'avais trop de mal à en dire; on aurait crié à la jalousie. Je conserve toujours le Rénovateur, où je ne contrains qu'à demi ma mauvaise humeur sur toutes ces gentillesses. Puis il y a l'Italie pittoresque, qui vient encore de m'arracher une livraison. En outre, la Gazette musicale, tous les dimanches, me harcèle pour quelque colonne de concert ou le compte rendu de quelque misérable niaiserie nouvellement publiée. Ajoutez que j'ai fait mille tentatives, depuis deux mois, pour donner encore un concert; j'ai essayé de toutes les salles de Paris, celle du Conservatoire m'étant fermée, grâce au monopole qu'on en accorde aux membres de la Société des concerts. J'ai reconnu, à n'en pouvoir douter, que cette salle était la seule dans Paris où je pusse me faire entendre convenablement. Je crois que je donnerai une dernière séance le 3 mai, le Conservatoire ayant fini ses concerts à cette époque. Je viens de refaire ou plutôt de faire la musique de votre scène des Francs Juges: «Noble amitié…» Je l'ai écrite de manière qu'elle pût être chantée par un ténor ou un soprano, et, quoique ce soit un rôle d'homme, j'ai eu en vue mademoiselle Falcon en écrivant; elle peut y produire beaucoup d'effet; je lui porterai la partition ces jours-ci.

 

Pardonnez-moi de ne vous avoir pas encore envoyé les exemplaires du Pâtre breton; je vais les faire mettre à la poste tout à l'heure. La vérité est que je l'oubliais chaque jour en sortant. Je vais faire cet été une troisième symphonie sur un plan vaste et nouveau; je voudrais bien pouvoir y travailler librement.

Votre Harold est toujours en grande faveur. Liszt en a fait exécuter, à son concert de l'hôtel de ville, un fragment qui a obtenu les honneurs de la soirée. Je suis bien désolé que vous n'ayez pas à vous cette partition qui vous est dédiée.

Je ne vous ai pas envoyé l'article de J. David, parce que je n'ai pu me le procurer. Il a paru dans la Revue du progrès social. Je n'ai vraiment pas le temps d'écrire ce que vous me demandez pour une notice biographique. Du reste, il paraît que les gazettes musicales de Leipzig et de Berlin sont pleines de mes biographies; plusieurs Allemands qui sont ici m'en ont parlé. Ce sont des traductions plus ou moins étendues de celle de d'Ortigue.

A propos de d'Ortigue, il est marié, vous le saviez sans doute. Votre femme a bien de la bonté d'aimer ma petite chanson; remerciez-la, de ma part, d'avoir si bien accueilli le Petit Paysan. Henriette et notre petit Louis vont très bien; mille remerciements pour votre bon souvenir.

Nous parlons souvent de vous avec Barbier. C'est un des hommes du monde avec lesquels vous aimeriez le plus à vous trouver. Personne ne comprend mieux que lui tout ce qu'il y a de sérieux et de noble dans la mission de l'artiste.

On m'a demandé, de Vienne, un exemplaire de la partition de la Symphonie fantastique à quelque prix que ce fût; j'ai répondu que, devant tôt ou tard faire un voyage en Allemagne, je ne pouvais, à aucune condition, l'envoyer.

Tous les poètes de Paris, depuis Scribe jusqu'à Victor Hugo, m'ont offert des poèmes d'opéra; il n'y a plus que ces canailles stupides de directeurs qui m'empêchent d'arriver. Mais j'ai de la patience, et je saurai bien un jour leur mettre le pied sur la nuque; alors… nous verrons.

Vous ne me dites pas ce que vous faites… Plaidez-vous?.. Voyagez-vous?.. Êtes-vous allé à Genève?.. en Suisse?.. Et votre frère, que devient-il? C'est votre seconde édition; je n'a jamais vu une ressemblance plus complète que celle qu'il a avec vous.

Avez-vous lu l'Orphée et l'Antigone de Ballanche? Savez-vous que cette imitation de l'antique est d'une beauté et d'une magnificence sans égales? J'en suis tout préoccupé depuis plusieurs mois.

Je vous quitte pour aller aux Débats porter mon article sur la symphonie en ut mineur de Beethoven, où se trouve la phrase que vous me signalez. Meyerbeer va arriver pour commencer les répétitions de son grand ouvrage, la Saint-Barthélemy. Je suis fort curieux de connaître cette nouvelle partition. Meyerbeer est le seul musicien parvenu qui m'ait réellement témoigné un vif intérêt. Onslow, qui assistait dernièrement au concert de Liszt, m'a accablé de ses compliments ampoulés sur la Marche des pèlerins. J'aime à croire qu'il n'en pensait pas un mot. J'aime mieux la haine bien franche de tout ce monde-là.

Liszt a écrit une admirable fantaisie à grand orchestre sur la Ballade du pêcheur et la chanson des Brigands.

Adieu. Mille amitiés.

Tout à vous de cœur et d'âme.

7C'est Léon de Wailly qui est désigné dans la collaboration avec Auguste Barbier.