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Lettres intimes

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XLI

Rome, 17 février 1832.

Ma dernière lettre se serait-elle encore égarée, mon cher ami? J'ai répondu à celle que je reçus de vous il y a un mois, le lendemain même de son arrivée; comme je vous y parlais de beaucoup de choses, je pensais que vous eussiez riposté sur-le-champ, et pourtant j'attends encore; vous n'écrivez pas. Quel tourment que l'exil! chaque courrier, depuis plus de quinze jours, est un nouveau sujet d'humeur. Si ma lettre s'est encore perdue, ma foi, je ne sais plus comment il faudra nous y prendre pour notre correspondance. Je partirai d'ici le 1er mai, je vous verrai alors au commencement de juin. Allons donc, écrivez donc!

Germain m'a donné des nouvelles d'Auguste et de son mariage.

Eh bien, il est marié! eh bien, c'est bien: mais c'est fort mal de ne pas me répondre.

Que le diable l'emporte!

Tenez, je comptais remplir ces trois petites pages, mais je n'ai pas d'autre idée que celle de vous reprocher votre paresse, et je n'en ai pas le courage.

Adieu quand même!

Votre ami.

XLII

Rome, 26 mars 1832.

J'ai reçu votre lettre, mon cher Humbert, et l'aveu de votre paresse sublime; vous ne vous en corrigerez donc jamais?.. Si vous saviez pourtant quel supplice c'est que l'exil et comme sad hours seem long dans ma sotte caserne, je doute que vous me fissiez tant attendre vos réponses.

Vous m'avez fait une belle homélie; mais je vous assure qu'elle porte à faux et qu'il n'y a rien à craindre pour moi à l'égard de la direction callotienne que vous me supposez prêt à prendre.

Jamais je ne serai un amant du laid, soyez tranquille. Ce que je vous disais de la rime n'était que pour vous mettre à votre aise; il me coûte de vous voir employer du temps et du talent à vaincre des difficultés inutiles et sans résultat. Vous savez aussi bien que moi qu'il y a mille cas où des vers mis en musique sont arrangés de manière que la rime, et même l'hémistiche, disparaissent complètement; alors à quoi bon cette versification? Les vers bien cadencés et rimés sont à leur place dans des morceaux de musique qui ne comportent pas ou presque pas de répétition de paroles; c'est là seulement que la versification est apparente et sensible; partout ailleurs elle n'existe pas.

Il y a loin des vers parlés aux vers chantés. Quant à la question littéraire de la rime, il ne m'appartient pas de l'aborder avec vous. Seulement, je crois fermement que c'est à l'éducation et à l'habitude que vous devez l'horreur des vers blancs; songez que les trois quarts de Shakspeare sont en vers blancs, que Byron en a fait et que la Messiade de Klopstock, le chef-d'œuvre épique de la langue allemande, est en vers blancs; j'ai lu, ces jours-ci, une traduction française en vers blancs du Jules César de Shakspeare qui ne m'a pas choqué le moins du monde, quoique, d'après ce que vous m'en aviez dit, je m'attendisse à en être révolté. Tout cela est tellement l'effet de l'habitude, que les vers latins rimés du moyen âge paraissent une barbarie aux mêmes personnes qui sont choquées des vers français non rimés. Mais assez là-dessus.

Vous acceptez donc mon sujet. Voilà un champ incroyable de grandeur et de richesse ouvert à votre imagination. Tout est vierge là dedans, puisque la scène est dans l'avenir. Vous pouvez supposer tout ce que vous voudrez en fait de mœurs, usages, état de civilisation, arts, coutumes et même (ce qui n'est pas à dédaigner) costumes; il est donc vrai que vous pouvez, que vous devez même chercher l'inconnu; car, vous avez beau dire, il y en a, de l'inconnu: tout n'est pas découvert. Pour la musique, je vais défricher une forêt brésilienne, où je me promets d'immenses richesses; nous marcherons, hardis pionniers, tant que les moyens matériels nous le permettront.

Je vous verrai dans le courant de mai; aurez-vous déjà esquissé quelque chose?..

Je viens encore de courir à Albano, Frascati, Castel-Gandolfo, etc., etc.: des lacs, des plaines, des montagnes, de vieux tombeaux, des chapelles, des couvents, de riants villages, des grappes de maisons pendues aux rochers, la mer à l'horizon, le silence, le soleil, une brise parfumée, l'enfance du printemps; c'est un rêve, une féerie!..

Il y a un mois que je fis une autre grande course dans les hautes montagnes des frontières; un soir, au coin du feu, j'écrivis au crayon le petit air que je vous envoie; à mon retour à Rome, il a eu un tel bonheur, que de tous côtés on le chante, depuis les salons de l'ambassade jusque dans les ateliers de sculpteurs. Je souhaite qu'il vous plaise; cette fois au moins, l'accompagnement ne vous paraîtra pas difficile.

Adieu, mon cher ami; j'espère avoir encore une fois de vos nouvelles avant le 1er mai, époque de mon départ. Pour être plus sûr, en supposant des retards de la poste, que votre lettre me parvienne, adressez-la à Florence, posta firma.

Je vous embrasse.

Tout à vous.

XLIII

Turin, 25 mai 1832.

Mon cher Humbert,

Me voilà bien près de vous; jeudi prochain, je serai à Grenoble. J'espère que nous ne tarderons pas à nous voir; pour mon compte, je ne négligerai rien pour avancer le moment de notre réunion; écrivez-moi à la Côte-Saint-André quelques mots là-dessus. J'ai été bien fâché, mais peu surpris, de ne point trouver à Florence de lettres de vous; pourquoi être aussi incorrigiblement paresseux? Je vous avais pourtant bien prié de n'y pas manquer.

N'importe, je vois les Alpes…

Votre tête a bien des sujets de fermentation dans ce moment-ci; travaille-t-elle beaucoup?.. plus que je ne voudrais, bien certainement. Cependant pourquoi désirer l'uniformité morale des êtres; pourquoi effacer des individualités?.. J'ai tort, c'est vrai. Suivons notre destinée; d'autant plus que nous ne pouvons pas faire autrement. Avez-vous des nouvelles de Gounet? Je n'en ai point reçu depuis les débuts du choléra. J'espère cependant qu'il n'a rien eu à démêler avec lui.

Et le silencieux Auguste?.. Si je lui écris dorénavant, que mes deux mains se paralysent! Je n'aurais jamais cru rien de pareil de sa part.

Quelles superbes et riches plaines que celles de la Lombardie! Elles ont réveillé en moi des souvenirs poignants de nos jours de gloire, «comme un vain songe enfui».

A Milan, j'ai entendu, pour la première fois, un vigoureux orchestre; cela commence à être de la musique, pour l'exécution au moins. La partition de mon ami Donizetti peut aller trouver celles de mon ami Paccini ou de mon ami Vaccaï. Le public est digne de pareilles productions. On cause tout haut comme à la Bourse, et les cannes font sur le plancher du parterre un accompagnement presque aussi bruyant que celui de la grosse caisse. Si jamais j'écris pour ces butors, je mériterai mon sort; il n'en est pas de plus bas pour un artiste. Quelle humiliation!

En sortant, ces vers divins de Lamartine me sont venus en tête (il parle de sa muse poétique):

 
Non, non, je l'ai conduite au fond des solitudes,
Comme un amant jaloux d'une chaste beauté;
J'ai gardé ses beaux pieds des atteintes trop rudes
Dont la terre eût blessé leur tendre nudité.
J'ai couronné son front d'étoiles immortelles,
J'ai parfumé mon cœur pour lui faire un séjour,
Et je n'ai rien laissé s'abriter sous ses ailes
Que la prière et que l'amour.
 

Celui-là comprend toutes les poésies; il est digne d'elles.

Adieu, mon cher et excellent ami.

Au revoir bientôt.

Voulez-vous saluer votre femme, de ma part? Je désire bien vivement lui être présenté.

Adieu.

XLIV

La Côte, samedi, juin 1832.

Mon cher et très cher ami, je suis ici depuis huit jours; j'ai reçu votre lettre; j'irai vous voir, je ne sais pas quand; vraisemblablement dans huit jours. Ne m'attendez pas plus tôt que le lundi de l'autre semaine; je ne sais comment j'irai à Belley; je crois que ce sera à pied, par les Abbrets.

Saluez pour moi toute votre famille; nous avons à caqueter, ferme…

Aussi je me tais pour le présent.

Adieu.

XLV

La Côte, vendredi 22 juin 1832.

Mon cher ami,

Ne m'en veuillez pas, ce n'est pas ma faute. Comme je me disposais à partir, ma sœur est venue de Grenoble passer quelques jours chez mon père, à cause de moi; vous pensez bien que je ne pouvais faire manquer la réunion de famille; puis un mal de dent très violent, et qui m'a empêché de dormir toute cette nuit, est venu me clouer dans ma chambre pour je ne sais combien de temps; j'ai la joue comme une boule.

Il n'y a qu'une chose à faire: écrivez-moi votre retour de Lyon, et je vous réponds de partir aussitôt, si je suis capable de sortir.

Duboys aussi m'a renouvelé une invitation, déjà faite à Rome, d'aller à sa campagne de la Combe, mais ce ne sera qu'après vous.

Je viens de recevoir une lettre de Gounet, dont j'étais un peu en peine depuis le choléra et la dernière émeute. Il va bien.

Adieu; je vous embrasse.
Tout à vous.

XLVI

Grenoble, 13 juillet 1832.

Eh bien, mon cher ami, nous ne pourrons donc pas parvenir à nous joindre? Quel diable de charme nous a donc été jeté?.. J'attends ici, depuis plusieurs jours, l'annonce de votre retour de Lyon, et voilà que madame Faure m'apprend que vous n'y êtes pas encore allé! Écrivez-moi au moins, je vous en prie; donnez-moi de vos nouvelles. Je m'ennuie à périr! je suis allé passer une journée à la campagne de Duboys, où nous avons moult parlé de vous. Sa femme est fort bien, mais rien de plus. Je vis depuis mon retour d'Italie au milieu du monde le plus prosaïque, le plus desséchant! Malgré mes supplications de n'en rien faire, on se plaît, on s'obstine à me parler sans cesse musique, art, haute poésie; ces gens-là emploient ces termes avec le plus grand sang-froid; on dirait qu'ils parlent vin, femmes, émeute ou autres cochonneries. Mon beau-frère surtout, qui est d'une loquacité effrayante, me tue. Je sens que je suis isolé de tout ce monde, par mes pensées, par mes passions, par mes amours, par mes haines, par mes mépris, par ma tête, par mon cœur, par tout. Je vous cherche, je vous attends; trouvons-nous donc. Si vous devez rester plusieurs jours à Lyon, j'irai vous y rejoindre; cela vaudra encore mieux que d'aller à Belley à pied, comme j'en avais le projet; la chaleur en rend l'exécution presque impossible.

 

J'ai tant à vous dire! et sur le présent et sur l'avenir; il faut absolument que nous nous entendions au plus tôt. Le temps ne m'attend pas, et j'ai peur que vous ne vous endormiez.

J'ai deux cent cinquante francs à vous remettre; depuis longtemps, je vous les aurais envoyés si j'avais su comme, et si je n'avais d'un jour à l'autre pensé vous revoir. Parlez-moi de tout cela. Casimir Faure se marie avec une charmante petite brune de Vienne, qui se nomme mademoiselle Delphine Fornier et qui a deux cent cinquante mille qualités. Il ira habiter Vienne.

Je vais retourner à la Côte dans peu; ainsi répondez-moi là, et n'oubliez pas sur l'adresse de mettre mes deux noms pour que la lettre ne paraisse pas adressée à mon père.

Dieu, comme la chaleur hébète!

Adieu; tout à vous.

XLVII

La Côte, 10 octobre 1832.

En deux mots, mon cher Humbert, il faut que vous veniez plus tôt que nous n'étions convenus. J'ai réfléchi que, ne partant pour Paris qu'au milieu de novembre, je m'exposais à manquer mon concert; en conséquence, je partirai à la fin de ce mois. Venez donc sans faute dans la dernière huitaine d'octobre, nous aurons tout le temps de monter nos batteries et de bien digérer nos projets pour l'avenir. Puis je vous accompagnerai jusqu'à Lyon, où nous nous séparerons bien saturés l'un de l'autre. Écrivez-moi aussitôt après la réception de ce billet, et indiquez-moi le jour fixe de votre arrivée. Mes parents ont conservé de vous un trop agréable souvenir pour ne pas être charmés de votre visite; ils me chargent de vous témoigner l'impatience qu'ils ont de vous revoir. Ma sœur aînée seulement ne sera plus ici, à son grand regret, car elle vous apprécie bien. En revanche, je compte sur votre frère, ne manquez pas de l'amener. Apportez avec vous le volume d'Hamlet, celui d'Othello et du Roi Lear, et la partition de la Vestale; tout cela nous sera utile.

Je n'ose espérer que vous ayez quelque chose de notre grande machine dramatique à me montrer; pourtant vous me l'aviez bien promis.

Enfin n'importe, venez, et d'abord écrivez-moi.

Présentez mes salutations respectueuses à vos parents, et en particulier à votre charmante femme.

Adieu, mon ami.

Tout à vous.

Mes amitiés à votre frère.

XLVIII

Lyon, 3 novembre 1832.

Cher ami,

Nous n'avons donc pas pu nous revoir! Je pars ce soir pour Paris… Depuis hier que j'erre dans les boues de Lyon, je n'ai pas une idée qui ne me fût oppressante et douloureuse; pourquoi ne sommes-nous pas ensemble aujourd'hui! Cela aurait peut-être été possible. Mais je ne pouvais vous prévenir du jour de mon passage ici, ne le sachant pas moi-même vingt-quatre heures d'avance.

Je suis allé hier soir au Grand-Théâtre, où j'ai ressenti une commotion profonde et pénible en entendant, dans un ignoble ballet, cet ignoble orchestre jouer un fragment de la Symphonie pastorale de Beethoven (le Retour du beau temps). Il m'a semblé retrouver dans un mauvais lieu le portrait de quelque ange adoré que jadis avaient poursuivi mes rêves d'amour et d'enthousiasme. Oh! deux ans d'absence!

Je crois que je vais devenir fou en entendant de nouveau de la vraie musique. Je vous enverrai le mélologue dès qu'il sera imprimé. Vous m'aviez parlé de journaux qu'il faut avoir et dont vous connaissez les rédacteurs; écrivez-moi un mot là-dessus le plus tôt possible, à l'adresse de Gounet, rue Sainte-Anne, nº 34 ou 32; mettez sous enveloppe la lettre avec mon nom.

Je souffre aujourd'hui cruellement. Je suis tout seul dans la grande ville. Auguste a perdu avant-hier le jeune frère de sa femme, mort de la poitrine; il est fort tristement occupé.

Oh! que je suis seul!! comme je souffre au dedans!!! Que je suis malheureusement organisé! un vrai baromètre, tantôt haut, tantôt bas, soumis aux variations de l'atmosphère, ou brillante ou sombre, de mes dévorantes pensées.

Je suis sûr que vous ne faites rien de notre grand ouvrage; et pourtant ma vie s'écoule à flots, et je n'aurai rien fait de grand avant la fin. Je vais voir Véron, le directeur de l'Opéra. Je tâcherai de me faire comprendre de lui, de l'arracher aux idées mercantiles et administratives; y réussirai-je? Je ne m'en flatte guère. Mon concert aura lieu dans les premiers jours de décembre.

Adieu, adieu; remember me.

XLIX

Paris, 2 mars 1833.

Je vous remercie, mon cher ami, de votre lettre affectueuse. Je ne vous ai pas écrit, par la raison que vous avez devinée; je suis entièrement absorbé par les inquiétudes et les chagrins dévorants de ma position. Mon père a refusé son consentement et m'oblige à faire des sommations.

Henriette, dans tout cela, montre une dignité et un caractère irréprochables; sa famille et ses amis la persécutent plus encore que les miens pour la détacher de moi.

Quand j'ai vu à quel point cela était porté et les scènes journalières dont j'étais la cause, j'ai voulu me dévouer: je lui ai fait dire que je me sentais capable de renoncer à elle (ce qui n'était pas vrai, car j'en serais mort), plutôt que de la brouiller avec ses parents. Bien loin d'accepter ma proposition, elle n'en a éprouvé qu'un chagrin cruel, et un redoublement de tendresse pour moi en a été le résultat. Depuis lors, sa sœur nous laisse tranquilles, et, quand je viens, elle s'en va.

Ces tête-à-tête sont quelquefois bien pénibles; comme vous pensez bien, je suis obligé de me consumer en efforts pour me contenir. Un rien l'effarouche, elle a peur de mon exaspération; mes caresses, si réservées qu'elles soient, lui paraissent trop ardentes; elle me brûle le cœur; moi, je l'épouvante; nous nous tourmentons mutuellement. Mais mes propres inquiétudes, mes craintes de ne pas l'obtenir me rendent le plus malheureux des hommes. Il ne manquait plus que son malheur à elle pour compléter le mien?

Ses affaires ont très mal tourné; elle allait avoir une représentation à son bénéfice, qui pouvait les remonter un peu; je lui avais arrangé un concert assez beau dans un entr'acte; tout allait assez bien, quand, hier, à quatre heures, en revenant du ministère du commerce en cabriolet, elle a voulu descendre sans que sa femme de chambre lui donnât la main; sa robe s'est accrochée; son pied a tourné dans le marchepied, et elle s'est cassé la jambe au-dessus de la cheville.

Elle a souffert horriblement cette nuit; ce matin encore, quand Dubois fils a revu l'appareil, elle n'a pu retenir ses cris; je les entends encore. Je suis désolé. Vous dire mon chagrin est impossible. La voir souffrante et si malheureuse et ne pouvoir rien pour elle est affreux!

Quelle destinée sera donc la nôtre?.. Le sort nous a évidemment faits pour être unis, je ne la quitterai pas vivant. Plus son malheur deviendra grand, plus je m'y attacherai. Si elle perdait, avec son talent et sa fortune, sa beauté, je sens que je l'aimerais également. C'est un sentiment inexplicable; quand elle serait abandonnée du ciel et de la terre, je lui resterais encore, aussi aimant, aussi prosterné d'amour qu'aux jours de sa gloire et de son éclat. O mon ami, ne me dites jamais rien contre cet amour, il est trop grand et trop poétique pour n'être pas respectable à vos yeux.

Adieu; écrivez-moi et donnez-moi des nouvelles de vos nouveaux embarras; ne nous parlons présentement que de ce qui nous touche le plus près. La musique n'est pas toute gravée, je vous l'enverrai aussitôt qu'elle le sera.

Adieu.

L

Paris, 12 juin 1833.

Merci encore, mon cher Humbert, de toute votre inquiète et constante amitié! J'ai appris dernièrement par Gounet qu'il avait reçu de vous une lettre pour moi, mais que, par une de ces fatalités inconcevables, il l'avait égarée dans sa chambre, où il n'a pas été possible de la retrouver. Votre billet, qu'il vient de me montrer, m'a fait voir combien vous étiez inquiet sur mon compte. Je suis vraiment coupable d'avoir demeuré si longtemps sans vous écrire. Vous savez comme je suis absorbé, comme ma vie ondule. Un jour, bien, calme, poétisant, rêvant; un autre jour, maux de nerfs, ennuyé, chien galeux, hargneux, méchant comme mille diables, vomissant la vie et prêt à y mettre fin pour rien, si je n'avais pas un délirant bonheur en perspective toujours plus prochaine, une bizarre destinée à accomplir, des amis sûrs, la musique et puis la curiosité. Ma vie est un roman qui m'intéresse beaucoup.

Vous voulez savoir ce que je fais? Le jour, si je suis bien portant, je lis ou je dors sur mon canapé (car je suis bien logé à présent), ou je barbouille quelques pages pour l'Europe littéraire, qui me les paye très bien. Le soir, dès six heures, je suis chez Henriette; elle est encore malade et souffrante, ce qui me désespère. Je vous parlerai d'elle très au long une autre fois. Seulement, vous saurez que toute l'opinion que vous pouvez vous être formée d'elle est aussi fausse que possible. C'est tout un autre roman que sa vie; et sa manière de voir, de sentir et de penser, n'en est pas la partie la moins intéressante. Sa conduite, dans la position où elle a été placée dès l'enfance, est tout à fait incroyable, et j'ai été longtemps sans y croire. Assez là-dessus.

Je m'occupe avec entrain de mon projet d'opéra dont je vous avais parlé dans une lettre de Rome, il y a un an et demi; et, comme il ne vous a pas été possible de vaincre votre paresse pour vous y mettre depuis ce temps, j'ai désespéré de vous et je me suis adressé à Émile Deschamps et à Saint-Félix, qui travaillent activement. Vous ne m'en voudrez pas, j'espère, car j'ai été bien patient.

On vient me chercher justement pour cela. Je vous récrirai dans quelque temps.

Adieu. Votre sincère ami.

LI

Paris, 1er août 1833.

Cher, bon et fidèle ami,

Je réponds immédiatement à votre lettre. Je connais effectivement beaucoup Jules et non pas Louis Bénédict, élève de Weber. Il est vraisemblablement encore à Naples, où il s'est fixé. Je ne lui ai jamais fait de propositions pour les Francs Juges; je ne lui ai jamais dit que vous en fussiez l'auteur; il ignore complètement qu'il y ait un morceau intitulé Mélodie pastorale. Je suis à Paris, sans aucune intention de partir pour Francfort. Tâchez de confondre cet impudent voleur. L'ouverture est gravée depuis peu; je vous en enverrai un exemplaire, mais ce ne sont que les parties séparées. Il vous sera facile de la faire mettre en partition. Je suis occupé à terminer la scène des Bohémiens; j'ai un projet sur notre ouvrage réduit en un acte; je le ferai traduire en italien, peut-être tout entier en trois actes, et essayer cet hiver, si Severini veut tenter l'aventure. Je vais monter une grande affaire de concerts pour cet hiver. Si je pouvais avoir l'esprit entièrement libre, tout irait bien; je défierais la meute de l'Opéra et celle du Conservatoire, qui sont aujourd'hui plus acharnées que jamais à cause de mes articles de l'Europe littéraire sur l'illustre vieillard (Chérubini), et surtout parce que je me suis permis, à la première représentation d'Ali-Baba, d'offrir dix francs pour une idée au premier acte, vingt francs au second, trente francs au troisième, quarante francs au quatrième, en ajoutant:

 

– Mes moyens ne me permettent pas de pousser plus haut; je renonce.

Cette charge a été sue de tout le monde, même de Véron et de Chérubini, qui m'aiment, comme vous pouvez penser.

Je suis toujours dans la même vie déchirée et bouleversée; je verrai peut-être Henriette ce soir pour la dernière fois; elle est si malheureuse, que le cœur m'en saigne: et son caractère irrésolu et timide l'empêche de savoir prendre la moindre détermination. Il faut pourtant que cela finisse; je ne puis vivre ainsi. Toute cette histoire est triste et baignée de larmes; mais j'espère qu'il n'y aura que des larmes. J'ai fait tout ce que le cœur le plus dévoué pouvait faire; si elle n'est pas plus heureuse et dans une situation fixée, c'est sa faute.

Adieu, mon ami; ne doutez jamais de mon amitié, vous vous tromperiez horriblement.

C'est effectivement votre Chœur héroïque qu'il a été question d'exécuter aux Tuileries; mais il ne l'a pas été, les bougies ayant manqué; les musiciens n'y voyaient plus quand est venu le tour de mon morceau, et on a fini le concert en rechantant la Marseillaise et l'ignoble Parisienne, qu'on pouvait exécuter sans voir.

La première répétition de cet immense orchestre a été faite dans un endroit fermé, les ateliers de peinture de Cicéri aux Menus-Plaisirs, et l'effet du Monde entier a été immense, quoique la moitié des chanteurs non musiciens ne sussent lire ni chanter. J'ai été un instant obligé de sortir, tellement la poitrine me vibrait. Au chœur de Guillaume Tell (Si parmi nous il est des traîtres), j'ai failli me trouver mal. En plein air… rien… aucun effet. La musique n'est décidément pas faite pour la rue, en aucune façon.

Adieu; écrivez-moi le dénouement de cette insolente intrigue avec le faux Bénédict.

Ne m'oubliez pas auprès de votre frère et de vos parents, je vous en prie.

Votre inaltérable.