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Lettres intimes

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XXVI

Paris, 13 mai 1830.

Mon cher ami,

Vous avez dû recevoir par votre cousin Eugène Daudert une lettre de moi, à peu près le même jour que je reçus la vôtre. Je ne laisse pas partir Auguste sans le charger d'une autre. Il me dit qu'il vous verra peu après son arrivée. Votre lettre m'a excessivement touché; cette sollicitude inquiète pour le danger que vous supposiez que je courais à l'égard d'Henriette Smithson, vos effusions de cœur, vos conseils!.. Oh! mon cher Humbert, il est si rare de trouver un homme complet, qui ait une âme, un cœur et une imagination, si rare pour des caractères ardents et impatients comme les nôtres de se rencontrer, de s'assortir, que je ne sais comment vous exprimer mes idées sur le bonheur que j'ai de vous connaître.

Je pense que vous aurez été satisfait du plan de ma Symphonie fantastique, que je vous ai envoyé dans ma lettre. La vengeance n'est pas trop forte. D'ailleurs, ce n'est pas dans cet esprit que j'ai écrit le Songe d'une nuit de sabbat. Je ne veux pas me venger. Je la plains et la méprise. C'est une femme ordinaire, douée d'un génie instinctif pour exprimer les déchirements de l'âme humaine qu'elle n'a jamais ressentis, et incapable de concevoir un sentiment immense et noble comme celui dont je l'honorais.

Je termine aujourd'hui mes derniers arrangements avec les directeurs des Nouveautés pour mon concert du 30 de ce mois. Ce sont de fort honnêtes gens et très accommodants; nous commençons à répéter la Symphonie gigantesque dans trois jours; toutes les parties sont copiées avec le plus grand soin; il y a deux mille trois cents pages de musique; près de quatre cents francs de copie. Il faut espérer que nous ferons une recette présentable, le jour de la Pentecôte, tous les théâtres étant fermés.

L'incroyable chanteur Haitzinger doit chanter; j'espère avoir madame Schroeder-Devrient, qui, avec son émule, bouleverse tous les deux soirs la salle Favart dans les opéras du Freyschütz et de Fidelio.

A propos, Haitzinger m'a demandé dernièrement s'il y avait un grand rôle de ténor pour lui dans notre opéra des Francs Juges; sur ma réponse, et sur ce que lui ont dit de moi tous les Allemands de sa connaissance, il voudrait emporter le poème, avec les morceaux de chant sans orchestre, pour le faire traduire, et il donnerait la partition nouvelle à son bénéfice, qui doit avoir lieu cette année à Carlsruhe. Ce serait charmant; il faut seulement que je termine tout cela, pour le finale des Bohémiens et deux ou trois airs de ténor et de soprano, avec quintette. Je partirais pour Carlsruhe dans quelques mois, précédé d'une espèce de réputation faite par Haitzinger et autres.

Je vous dirai que vous vous êtes à peu près rencontré avec Onslow, dans votre jugement sur mes Mélodies; il préfère les quatre suivantes: d'abord la Chanson à boire, l'Élégie, la Rêverie et le Chant sacré. Mon cher, ce n'est pas si difficile que vous croyez; mais il faut des pianistes. Quand j'écris un piano, c'est pour quelqu'un qui sait jouer du piano et non pour des amateurs qui ne savent seulement pas lire la musique. Les demoiselles Lesueur, qui certes ne sont pas des virtuoses, accompagnent fort bien l'Élégie en prose, qui est avec le Chant guerrier ce qu'il y a de moins aisé. Cette pauvre mademoiselle Eugénie, qui a une passion malheureuse pour un aimable garçon, froid et peu sensible, a d'abord été désorientée par ce morceau. Elle m'a avoué qu'elle n'y avait absolument rien compris dans le commencement; puis, en l'étudiant, elle a découvert une pensée, elle s'est reconnue dans ce douloureux tableau des angoisses d'un mourant d'amour; à présent, c'est chez elle une fureur, elle joue continuellement la neuvième Mélodie. Je ne l'ai encore jamais entendu chanter; il n'y a que Nourrit pour cela, et je doute qu'il consente à se mettre dans l'état d'exaltation affreuse où il faut être, pour bien rendre ces accents d'un cœur qui se brise.

Il a mes Mélodies, je lui demanderai cependant un jour de me chanter celle-là. Hiller l'accompagnera, nous serons tous les trois seuls. Je redonnerai à mon concert l'ouverture des Francs Juges pour saccager un peu le parterre et faire crier les dames; d'ailleurs, c'est un moyen d'attirer du monde; elle a une telle réputation à présent, que bien des gens ne viendront que pour elle.

Il n'y a que vous qui ne viendrez pas! Mon père même voulait venir, il me l'écrivait avant-hier. Oh! mais la symphonie!.. J'espère que la malheureuse y sera ce jour-là; du moins, bien des gens conspirent à Feydeau pour l'y faire venir. Je ne crois pas cependant; il est impossible que, en lisant le programme de mon drame instrumental, elle ne se reconnaisse pas, et, dès lors, elle se gardera bien de paraître. Enfin Dieu sait tout ce qu'on va dire, tant de gens savent mon histoire!

Adieu!

XXVII

Paris, 24 juillet 1830.

Mon cher ami,

Je suis toutefois rassuré sur votre compte… Songez donc, trois lettres sans réponse… Vous m'écrivez quelques lignes en m'annonçant des pages pour le lendemain; si vous saviez combien de fois je suis rentré de très loin chez moi pour voir si cette lettre attendue avec tant d'impatience était enfin arrivée, vous seriez vraiment fâché de ne m'avoir pas tenu parole. Que vous êtes paresseux! car j'espère que vous n'êtes pas malade; j'attends toujours votre lettre. Heureusement, mon cher ami, tout va bien…

Tout ce que l'amour a de plus tendre et de plus délicat, je l'ai. Ma ravissante sylphide, mon Ariel, ma vie, paraît m'aimer plus que jamais; pour moi, sa mère répète sans cesse que, si elle lisait dans un roman la peinture d'un amour comme le mien, elle ne la croirait pas vraie. Nous sommes séparés depuis plusieurs jours, je suis enfermé à l'Institut, pour la dernière fois; il faut que j'aie ce prix, d'où dépend en grande partie notre bonheur; je dis comme don Carlos dans Hernani: «Je l'aurai.» Elle se tourmente en y songeant; pour me rassurer dans ma prison, madame Moke m'envoie tous les deux jours sa femme de chambre me donner de leurs nouvelles et savoir des miennes. Dieu! quel vertige quand je la reverrai dans dix ou douze jours! Nous aurons peut-être encore bien des obstacles à vaincre, mais nous les vaincrons. Que pensez-vous de tout cela?.. Cela se conçoit-il? un ange pareil, le plus beau talent de l'Europe! J'ai su que dernièrement M. de Noailles, en qui la mère a une grande confiance, avait tout à fait plaidé ma cause et qu'il était fortement d'avis que, puisque sa fille m'aimait, il fallait me la donner sans regarder tant à l'argent. Oh! mon cher, si vous lui entendiez penser tout haut les sublimes conceptions de Weber et de Beethoven, vous en perdriez la tête. Je lui ai tant recommandé de ne pas jouer d'adagio, que j'espère qu'elle ne le fera pas souvent. Cette musique dévorante la tue. Dernièrement, elle était si souffrante, qu'elle croyait mourir; elle voulut absolument qu'on m'envoyât chercher; sa mère s'y refusa; je la vis le lendemain, pâle, étendue sur un canapé; que nous pleurâmes!.. Elle se croyait attaquée de la poitrine; je pensais que je mourrais avec elle, je le lui dis, elle ne répondit pas; cette idée me ravissait. Depuis qu'elle est guérie, elle m'a grondé beaucoup là-dessus.

– Croyez-vous que Dieu vous ait donné une telle organisation musicale sans dessein? Vous ne devez pas abandonner la tâche qui vous est confiée; je vous défends de me suivre si je meurs.

Mais elle ne mourra pas. Non, ces yeux si pleins de génie, cette taille élancée, tout cet être délicieux paraît plutôt prêt à prendre son vol vers les cieux qu'à tomber flétri sous la terre humide.

Adieu; il faut que je travaille. Je vais instrumenter le dernier air de ma scène. C'est Sardanapale.

Adieu encore; si vous ne m'écrivez pas, vous en serez quitte pour recevoir une cinquième lettre de moi.

Votre fidèle Achate.

Spontini est ici, j'irai le voir à ma sortie de l'Institut.

XXVIII

Paris, 23 août 1830.

Cher et excellent ami,

Vous m'avez laissé bien longtemps sans me donner de vos nouvelles; il a fallu des circonstances aussi extraordinaires pour vous déterminer à mettre ma main à la plume!.. mais point de reproche.

J'ai obtenu le grand prix à l'unanimité, ce qui ne s'est encore jamais vu. Ainsi voilà l'Institut vaincu. Le bruit du canon et de la fusillade a été favorable à mon dernier morceau, que j'achevais alors.

O mon ami, quel bonheur d'avoir un succès qui enchante un être adoré! Mon idolâtrée Camille5 se mourait d'inquiétude quand je lui ai apporté, jeudi dernier, la nouvelle si ardemment désirée. O mon délicat Ariel, mon bel ange, tes ailes étaient toutes froissées, la joie les a relustrées; sa mère même, qui ne voit notre amour qu'avec une certaine contrariété, n'a pu retenir quelques larmes d'attendrissement.

Je ne m'en doutais pas; pour ne pas m'effrayer, elle m'avait toujours caché l'importance immense qu'elle attachait à ce prix; mais je viens de voir ce qu'il en était au fond.

– Le monde, le monde, me dit-elle, croit que c'est une grande preuve de talent; il faut lui fermer la bouche.

 

C'est le 2 octobre que ma Scène sera exécutée publiquement à grand orchestre; ma belle Camille y sera avec sa mère; elle en parle sans cesse. Cette cérémonie, qui ne m'eût paru sans cela qu'un enfantillage, devient une fête enivrante; vous n'y serez pas, mon cher, bien cher ami; vous n'avez jamais vu que mes larmes amères, quand donc verrez-vous dans mes yeux briller celles de la joie?

Le 1er novembre, il y aura un concert au Théâtre Italien. Le nouveau chef d'orchestre, que je connais particulièrement, m'a demandé de lui écrire une ouverture pour ce jour-là. Je vais lui faire l'ouverture de la Tempête de Shakspeare, pour piano, chœur et orchestre. Ce sera un morceau d'un genre nouveau.

Le 14 novembre, je donnerai mon immense concert pour faire entendre la Symphonie fantastique, dont je vous ai envoyé le programme.

Dans le courant de l'hiver, la société des concerts exécutera mon ouverture des Francs Juges; j'en ai la promesse positive. Mais il faut un succès au théâtre, mon bonheur en dépend. Les parents de Camille ne peuvent consentir à notre mariage que lorsque ce pas sera franchi. Les circonstances me favoriseront, je l'espère. Je ne veux pas aller en Italie; j'irai demander au roi de me dispenser de cet absurde voyage et de m'accorder la pension à Paris. Aussitôt que j'aurai touché une somme un peu passable, je vous adresserai ce que vous avez eu la bonté de me prêter si obligeamment. Adieu, mon cher ami; écrivez-moi donc, et ne parlez plus de politique; je n'ai pas eu besoin de faire d'effort pour garder avec vous le silence là-dessus. Adieu, adieu. Je sors de chez madame Moke; je quitte la main de mon adorée Camille, voilà pourquoi la mienne tremble tant et que j'écris si mal. Elle ne m'a pourtant pas joué de Weber ni de Beethoven aujourd'hui.

Adieu.

Cette malheureuse FILLE Smithson est toujours ici. Je ne l'ai jamais vue depuis son retour.

XXIX

Octobre 1830.

Oh! mon cher, inexprimablement cher ami,

Je vous écris des Champs-Élysées, dans le coin d'une guinguette exposée au soleil couchant; je vois ses rayons dorés se jouer à travers les feuilles mortes ou mourantes des jeunes arbres qui entourent mon réduit. J'ai parlé de vous toute la journée avec quelqu'un qui comprend ou plutôt qui devine votre âme. Je vous écris irrésistiblement. Que faites-vous cher, bien cher? Vous vous rongez le cœur, je gage, pour des malheurs qui ne vous touchent qu'en imagination; il y en a tant qui nous déchirent de près, que je me désole de vous voir succomber sous le poids de douleurs étrangères ou très éloignées. Pourquoi? pourquoi?.. Ah! pourquoi!.. Je le comprends mieux que vous ne pensez: c'est votre existence, votre poésie, votre chateaubrianisme.

Je souffre étrangement de ne pas vous voir; enchaîné comme je le suis, je ne puis franchir l'espace qui nous sépare. J'aurais pourtant tant de choses à vous dire… Si ce qui m'arrive d'heureux peut vous distraire de vos sombres pensées, je vous apprends que je vais être exécuté à l'Opéra, dans le courant de ce mois. C'est encore à mon adorée Camille que je dois ce bonheur.

Voici comment:

A sa taille élancée, à son vol capricieux, à sa grâce enivrante, à son génie musical, j'ai reconnu l'Ariel de Shakspeare. Mes idées poétiques, tournées vers le drame de la Tempête, m'ont inspiré une ouverture gigantesque d'un genre entièrement neuf, pour orchestre, chœur, deux pianos à quatre mains et HARMONICA. Je l'ai proposée au directeur de l'Opéra, qui a consenti à la faire entendre dans une grande représentation extraordinaire. Oh! mon cher, c'est bien plus grand que l'ouverture des Francs Juges. C'est entièrement neuf. Avec quelle profonde adoration je remerciais mon idolâtrée Camille de m'avoir inspiré cette composition! Je lui appris dernièrement que mon ouvrage allait être exécuté; elle en a frémi de joie. Je lui ai dit confidentiellement, dans l'oreille, après deux baisers dévorants, un embrassement furieux, l'amour grand et poétique comme NOUS le concevons. Je vais la voir ce soir. Sa mère ne sait pas que je dois être incessamment entendu à l'Opéra. Nous lui en ferons un mystère jusqu'au dernier moment. Vous êtes un homme dominé par l'imagination, donc vous êtes un homme infiniment malheureux;

Et moi aussi. Nous nous convenons à merveille: Mon ami, écrivez moi au moins, puisque nous ne nous voyons pas.

C'est le 30 de ce mois qu'aura lieu le couronnement à l'Institut. Ariel est fier, comme un classique paon, de ma vieille couronne; il ou elle n'y attache pourtant d'autre prix que celui de l'opinion publique; Camille est trop musicale pour s'y tromper. Mais l'Ouverture de la Tempête, Faust, les Mélodies, les Francs Juges, c'est différent: il y a du feu et des larmes là dedans.

Mon cher Ferrand, si je meurs, ne vous faites pas chartreux (comme vous m'en avez menacé), je vous en prie; vivez aussi prosaïquement que vous pourrez; c'est le moyen d'être… prosaïque. J'ai vu Germain dernièrement, nous avons encore beaucoup parlé de vous. Que faire, que dire, qu'écrire de si loin? Quand pourrai-je communiquer mes pensées aux vôtres? J'entends chanter l'ignoble Parisienne. Des gardes nationaux à demi ivres la beuglent dans toute sa platitude.

Adieu; le marbre sur lequel je vous écris me glace le bras. Je pense à la malheureuse Ophélia: glace; froid; terre humide; Polonius mort; HAMLET VIVANT… Oh! elle est bien malheureuse! Par la faillite de l'Opéra-Comique, elle a perdu plus de six mille francs. Elle est encore ici; je l'ai rencontrée dernièrement. Elle m'a reconnu avec le plus grand sang-froid. J'ai souffert toute la soirée, puis je suis allé en faire confidence au gracieux Ariel, qui m'a dit en souriant:

– Eh bien, vous ne vous êtes pas trouvé mal? TU n'es pas tombé à la renverse?..

Non, non, non, mon ange, mon génie, mon art, ma pensée, mon cœur, ma vie poétique! j'ai souffert sans gémir, j'ai pensé à toi; j'ai adoré ta puissance; j'ai béni ma guérison; j'ai bravé, de mon île délicieuse, les flots amers qui venaient s'y briser; j'ai vu mon navire fracassé, et, jetant un regard sur ma cabane de feuillage, j'ai béni le lit de roses sur lequel je devais me reposer. Ariel, Ariel, Camille, je t'adore, je te bénis, je t'aime en un mot, plus que la pauvre langue française ne peut le dire; donnez-moi un orchestre de cent musiciens et un chœur de cent cinquante voix, et je vous le dirai.

Ferrand, mon ami, adieu; le soleil est couché, je n'y vois plus, adieu; plus d'idées, adieu; beaucoup trop de sentiment, adieu. Il est six heures, il me faut une heure pour aller chez Camille, adieu!

XXX

19 novembre 1830.

Mon cher ami,

Je vous écris quelques lignes à la hâte. J'ai passé chez Denain, je lui ai donné cent francs à-compte dont il m'a fait un reçu, et je lui ai laissé un billet de cent autres francs, payable le 15 janvier prochain.

Je cours toute la soirée pour une répétition de ma symphonie que je veux faire après-demain. Je donne le 5 décembre, à deux heures, au Conservatoire, un immense concert dans lequel on exécutera l'ouverture des Francs Juges, le Chant sacré et le Chant guerrier des Mélodies, la scène de Sardanapale avec cent musiciens pour l'INCENDIE, et enfin la Symphonie fantastique.

Venez, venez, ce sera terrible! Habeneck conduira le géant orchestre. Je compte sur vous.

L'ouverture de la Tempête sera donnée, une seconde fois, la semaine prochaine à l'Opéra. Oh! mon cher, neuf, jeune, étrange, grand, doux, tendre, éclatant… Voilà ce que c'est. L'orage, ou plutôt la Tempête marine, a eu un succès extraordinaire. Fétis, dans la Revue musicale, m'a fait deux articles superbes.

Il disait dernièrement à quelqu'un qui observait que j'ai le diable au corps:

– Ma foi, s'il a le diable au corps, il a un dieu dans la tête.

Venez, venez!

Le 5 décembre… un dimanche… orchestre de cent dix musiciens… Francs Juges… Incendie… Symphonie fantastique… Venez, venez!

XXXI

7 décembre 1830.

Mon cher ami,

Cette fois, il faut absolument que vous veniez; j'ai eu un succès furieux. La Symphonie fantastique a été accueillie avec cris et trépignements; on a redemandé la Marche au supplice; le Sabbat a tout abîmé d'effet satanique. On m'a tant engagé à le faire, que je redonne le concert le 25 de ce mois, le lendemain de Noël. – Ainsi, vous y serez, n'est-ce pas? – Je vous attends.

Adieu; je suis tout bouleversé.

Adieu.

Spontini a lu votre poème des Francs Juges; il m'a dit ce matin qu'il voudrait bien vous voir; il part dans dix jours.

XXXII

Le 12 décembre 1830.

Mon cher Ferrand,

Je ne puis donner mon second concert, plusieurs raisons s'y opposent. Je partirai de Paris au commencement de janvier. Mon mariage est arrêté pour l'époque de Pâques 1832, à la condition que je ne perdrai pas ma pension et que j'irai en Italie pendant un an. C'est ma musique qui a arraché le consentement de la mère de Camille! Oh! ma chère Symphonie, c'est donc à elle que je la devrai.

Je serai à la Côte vers le 15 janvier. Il faut absolument vous voir; arrangez tout pour que nous ne nous manquions pas. Vous viendrez à la Côte; vous m'accompagnerez au mont Cenis, ou du moins jusqu'à Grenoble; n'est-ce pas, n'est-ce pas?..

Spontini m'a envoyé hier un superbe cadeau; c'est sa partition d'Olympie du prix de cent vingt francs, et il a écrit de sa main sur le titre: «Mon cher Berlioz, en parcourant cette partition, souvenez-vous quelquefois de votre affectionné Spontini.»

Oh! je suis dans une ivresse! Camille, depuis qu'elle a entendu mon Sabbat, ne m'appelle plus que «son cher Lucifer, son beau Satan».

Adieu, mon cher; écrivez-moi tout de suite une longue lettre, je vous en conjure.

Votre ami dévoué à tout jamais.

XXXIII

La Côte-Saint-André, 6 janvier 1831.

Mon cher ami,

Je suis chez mon père depuis lundi; je commence mon fatal voyage d'Italie. Je ne puis me remettre de la déchirante séparation qu'il m'a fallu subir; la tendresse de mes parents, les caresses de mes sœurs peuvent à peine me distraire. Il faut que je vous voie pourtant avant mon départ. Nous irons passer une huitaine de jours à Grenoble à la fin de la semaine prochaine; de là, je retournerai à Lyon m'embarquer sur le Rhône pour aller prendre à Marseille le paquebot à vapeur qui me conduira à Civita-Vecchia, à six lieues de Rome. Venez me voir ici, ou à Grenoble, ou à Lyon; répondez-moi promptement et positivement là-dessus pour que nous ne nous manquions pas.

J'aurai tant à vous dire, de vous et de moi; tant d'orages ébranlent notre existence à l'un et à l'autre, qu'il me semble que nous avons besoin de nous rapprocher pour leur résister. Nous nous comprenons. C'est si rare.

J'ai quitté Spontini avec la plus vive émotion; il m'a embrassé en me faisant promettre de lui écrire de Rome. Il m'a donné une lettre de recommandation pour son frère, qui est Père dans le couvent de Saint-Sébastien.

Je vous montrerai tout ce que j'ai de lui.

Je suis si triste aujourd'hui, que je ne puis continuer ma lettre.

Vous m'écrirez tout de suite, n'est-ce pas?

O ma pauvre Camille, mon ange protecteur, mon bon Ariel, ne plus te voir de huit ou dix mois! Oh! que ne puis-je, bercé avec elle par le vent du nord sur quelque bruyère sauvage, m'endormir enfin dans ses bras, du dernier sommeil!

Adieu, mon cher; venez, je vous en supplie.

5Célèbre, depuis, comme pianiste, sous le nom de Marie Pleyel.