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Lettres intimes

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LXXXIII

26 novembre 1858.

Cher ami,

Je n'ai rien à vous dire que ceci: j'éprouve le besoin de vous écrire, pourquoi n'y céderais-je pas? vous me pardonnerez bien, n'est-ce pas? je suis malade, triste (voyez combien de je en si peu de lignes!), quelle pitié! toujours je! toujours moi! on n'a des amis que pour soi! et l'on devrait n'être que pour ses amis.

Que voulez-vous? je suis une brute, un léopard, un chat si vous voulez; il y a des chats qui aiment réellement leurs amis, je ne dis pas leurs maîtres, les chats ne reconnaissent pas de maîtres…

En vous écrivant, l'oppression de mon cœur diminue; ne restons plus, comme nous l'avons fait, des années sans nous écrire, je vous en prie.

Nous mourons avec une rapidité effrayante, songez-y… Vos lettres me font tant de bien! Vous avez reçu la partition de l'Enfance du Christ, n'est-ce pas? Il n'y a pas moyen de faire de la musique ici, ou il faudrait être riche comme votre ami Mirès. J'en ai rêvé cette nuit (de la musique, non de Mirès). Ce matin, mon songe m'est revenu; je me suis mentalement exécuté, comme nous l'exécutâmes à Bade, il y a trois ans, l'adagio de la symphonie en si bémol de Beethoven:


et peu à peu, tout éveillé, je suis tombé dans une de ces extases d'outre-terre… et j'ai pleuré toutes les larmes de mon âme, en écoutant ces sourires sonores comme les anges seuls en doivent laisser rayonner. Croyez-moi, cher ami, l'être qui écrivit une telle merveille d'inspiration céleste n'était pas un homme. L'archange Michel chante ainsi, quand il rêve en contemplant les mondes debout au seuil de l'empyrée… Oh! ne pouvoir tenir là sous ma main un orchestre et me chanter ce poème archangélique!..

Redescendons… Ah! on vient me déranger… banalité, vulgarismes, la vie bête!

Plus d'orchestre inspiré! je voudrais avoir là cent pièces de canon pour les tirer toutes à la fois.

Adieu; me voilà un peu soulagé. Pardonnez-moi, pardonnez-moi!

LXXXIV

Paris, 28 avril 1859.

Mon très cher ami,

Tout malade que je suis, j'ai encore la force de ressentir une grande joie quand je reçois de vos nouvelles. Votre lettre m'a ranimé. Elle m'a surpris pourtant au milieu des tracas d'un concert spirituel que j'ai donné samedi dernier (23) au théâtre de l'Opéra-Comique. L'Enfance du Christ y a été mieux exécutée qu'elle n'avait encore pu l'être. Le choix des chanteurs et des musiciens était excellent. Vous me manquiez dans l'auditoire. La troisième partie (l'arrivée à Saïf) surtout a produit un très grand effet d'attendrissement. Le solo du père de famille: «Entrez, pauvres Hébreux,» le trio des Jeunes Israélites, la conversation: «Comment vous nomme-t-on? – Elle a pour nom Marie, etc.,» tout cela a paru toucher beaucoup l'auditoire. On ne finissait pas d'applaudir. Mais, entre nous, ce qui m'a touché bien davantage, c'est le chœur mystique de la fin: «O mon âme!» qui pour la première fois a été exécuté avec les nuances et l'accent voulus. C'est dans cette péroraison vocale que se résume l'œuvre entière. Il me semble qu'il y a là un sentiment de l'infini, de l'amour divin… Je pensais à vous en l'écoutant. Mon très cher ami, je ne sais pas, comme vous, exprimer dans mes lettres certains sentiments qui nous sont communs; mais je les éprouve, croyez-moi bien. En outre, je n'ose pas me livrer trop; il y a tant de choses flatteuses pour moi dans ce que vous m'écrivez!.. J'ai peur de me laisser influencer par vos sympathiques paroles. Avouez-le, ce serait bien misérable de ma part.

J'avais totalement oublié, pardonnez-le-moi, que vous ne deviez plus recevoir le Monde illustré depuis plusieurs mois. Vous avez donc pris un abonnement, puisque vous le lisez encore?.. Sinon, faites-le-moi savoir, et je vous ferai envoyer les numéros qui vous manquent et régulariser les envois. C'est une misère, ne vous en préoccupez pas. Les derniers numéros contiennent (très affaibli) le récit du crime tenté sur moi par Cavé et Habeneck, lors de la première exécution de mon Requiem. Cela fait du bruit. Je reçois fréquemment des lettres en prose et en vers de mes amis inconnus. Cela me console.

Pour répondre à vos questions sur les trois nouvelles œuvres dramatiques du moment, je vous dirai que le Faust de Gounod contient de fort belles parties et de fort médiocres, et qu'on a détruit dans le livret des situations admirablement musicales qu'il eût fallu trouver, si Goethe ne les eût pas trouvées lui-même.

Que la musique d'Herculanum est d'une faiblesse et d'un incoloris (pardon du néologisme) désespérants! que celle du Pardon de Ploërmel est écrite, au contraire, d'une façon magistrale, ingénieuse, fine, piquante et souvent poétique!

Il y a un abîme entre Meyerbeer et ces jeunes gens. On voit qu'il n'est pas Parisien. On voit le contraire pour David et Gounod.

Non, je n'ai fait aucune démarche en faveur des Troyens. Pourtant on en parle de plus en plus. Véron, l'ancien directeur, à qui j'ai lu le livret, s'est épris de passion pour cet ouvrage, et s'en va prônant partout ce qu'il veut bien appeler «le poème». Je laisse dire, je laisse faire, et demeure immobile comme la montagne, en attendant que Mahomet marche à sa rencontre.

Il y a quinze jours, j'étais aux Tuileries; l'empereur m'a vu et m'a serré la main en passant. Il est très bien disposé; mais il a tant d'autres bataillons à commander!.. les Grecs, les Troyens, les Carthaginois, les Numides, cela se conçoit, ne doivent guère l'occuper.

En outre, mon sang-froid s'explique mieux par le découragement où je suis de trouver des interprètes capables. Les chanteurs-acteurs de l'Opéra sont tellement loin de posséder les qualités nécessaires pour représenter certains rôles! Il n'y a pas une Priameïa virgo, une Cassandre. La Didon serait bien insuffisante, et j'aimerais mieux recevoir dans la poitrine dix coups d'un ignoble couteau de cuisine que d'entendre massacrer le dernier monologue de la reine de Carthage.

 
Je vais mourir…
Dans ma douleur immense submergée…
Et mourir non vengée? etc.
 

Shakspeare l'a dit: «Rien n'est plus affreux que de voir déchirer de la passion comme des lambeaux de vieille étoffe…»

Et la passion surabonde dans la partition des Troyens; les morts eux-mêmes ont un accent triste qui semble appartenir encore un peu à la vie; le jeune matelot phrygien qui, bercé au haut du mât d'un navire, dans le port de Carthage, pleure le

 
Vallon sonore
Où, dès l'aurore,
Il s'en allait chantant…
 

est en proie à la nostalgie la plus prononcée; il regrette avec passion les grands bois du mont Didyme… Il aime.

Autre réponse:

Je vais à Bordeaux passer la première semaine de juin pour un concert de bienfaisance où je suis invité à diriger deux scènes de Roméo et Juliette, la Fuite en Égypte et l'ouverture du Carnaval Romain.

Au mois d'août, je retournerai à Bade, y remonter la presque totalité de Roméo et Juliette.

Il s'agit, pour en exécuter le finale, de trouver un chanteur capable de bien rendre le rôle du père Laurent.

Quant à l'orchestre et aux chœurs, je n'aurai rien à désirer, bien certainement. Si vous aviez entendu, l'an dernier, comme ils ont chanté l'adagio, la scène d'amour, la scène du balcon de Juliette, la scène immortelle qui suffirait à faire de Shakspeare un demi-dieu!.. Ah! cher ami, vous eussiez peut-être dit, comme la comtesse Kablergi, le lendemain du concert: «J'en pleure encore!»

Suis-je naïf!..

Vous êtes trop mal portant pour songer à un déplacement; sans quoi, le voyage de Bade, au mois d'août, n'est pas une grande affaire. Nous nous verrions au moins! C'est, en outre, un ravissant pays; il y a de belles forêts, des châteaux de burgraves, du monde intelligent, et des solitudes, sans compter les eaux et le soleil. Mais quoi, nous sommes deux impotents; et je n'ai pas le droit de me plaindre, si je songe combien plus que moi vous êtes maltraité.

Adieu, most noble brother,

 
Let us be patient
Your for ever.
 

LXXXV

29 novembre 1860.

Mon cher Ferrand,

Merci de votre envoi. Je viens de lire Traître ou Héros? C'est vigoureusement écrit, d'un grand intérêt, plein de coloris et de chaleur. Quant à moi, je n'hésite pas à répondre à votre question: Ulloa fut un traître, son action fut infâme; sa victoire, due au mensonge et à la ruse, soulève le cœur; s'il repoussa l'argent, il accepta les distinctions, qui, pour lui, avaient plus de valeur. C'est toujours le même mobile; l'intérêt d'une façon ou l'intérêt d'une autre. Croiriez-vous que, en songeant au poignard de ce brave Ephisio, une larme a jailli de mes yeux, et que j'ai poussé une sorte de rauquement comme un sauvage. Pauvre homme! il a tué le lâche qui avait abandonné sa sœur pour de l'argent; il a bien fait. Par suite, il a tué le juge qui le poursuivait, il a encore bien fait; mais il n'a pas tué son hôte, celui qui lui avait tendu la main, livré son pain, son toit, sa couche… Non, non, s'il y a un héros là dedans, c'est Ephisio.

Cher ami, que devenez-vous? J'ai eu de vos nouvelles par Pennet; il m'a parlé de vos chagrins, de vos tourments de toute espèce. Si je ne vous ai pas écrit alors, vous ne croyez pas que ce soit par indifférence, j'en suis bien sûr. J'étais embarrassé pour vous parler de choses si tristes que vous ne m'avez pas confiées. Maintenant que vous me savez instruit, dites-moi donc si les plus graves difficultés ont été aplanies et comment va votre douloureuse santé. Quant à moi, je monte et je descends dans le plateau de la triste balance; mais je vais toujours. Je viens d'être repris d'une ardeur de travail d'où est résulté un opéra-comique en un acte, dont j'ai fait les paroles et dont j'achève la musique. C'est gai et souriant. Il y aura dans la partition une douzaine de morceaux de musique; cela me repose des Troyens. A propos de ce grand canot que Robinson ne peut mettre à flot, je vous dirai que le théâtre où mon ouvrage doit être représenté s'achève; mais trouverai-je le personnel chantant dont j'ai besoin? voilà la question. Un de mes amis est allé dire au directeur du théâtre Lyrique (que l'on suppose devoir être encore l'an prochain à la tête de cette administration) qu'il tiendrait cinquante mille francs à sa disposition pour l'aider à monter convenablement les Troyens. C'est beaucoup, mais ce n'est pas tout. Il faut tant de choses pour une pareille épopée musicale!

 

Donnez-moi de vos nouvelles, je vous en prie. Comme c'est bien à vous d'avoir songé à m'envoyer votre brochure! Rappelez-moi au souvenir de votre frère.

Mille amitiés sincères.

LXXXVI

Dimanche, 6 juillet 1861.

Vous avez raison, mon cher ami, j'aurais dû vous écrire malgré votre long silence; car je savais par Pennet combien la moindre lettre à rédiger vous coûtait de peine; mais il faut que vous sachiez que, moi aussi, je suis rudement éprouvé par une névralgie intestinale obstinée. A certains jours, je me trouve hors d'état d'écrire dix lignes de suite. Je mets maintenant parfois quatre jours pour achever un feuilleton.

Je suis moins torturé aujourd'hui, et j'en profiterai pour répondre à vos questions.

Oui, les Troyens sont reçus à l'Opéra par le directeur; mais leur mise en scène dépend maintenant du ministre d'État. Or le comte Walewski, tout bienveillant et gracieux qu'il a été pour moi, est, à cette heure, fort mécontent, parce que j'ai refusé de diriger les répétitions d'Alceste à l'Opéra. J'ai décliné cet honneur à cause des transpositions et des remaniements qu'on a été obligé de faire pour accommoder le rôle à la voix de madame Viardot. Ces choses-là sont inconciliables avec les opinions que j'ai professées toute ma vie. Mais les ministres, et surtout les ministres de ce temps-ci, comprennent mal de tels scrupules d'artiste et n'admettent pas du tout qu'on résiste à un de leurs désirs. Je suis donc, pour le quart d'heure, mal en cour. Ce qui n'empêche pas tout le monde musical d'Allemagne et de Paris de me donner raison. J'assisterai seulement à quelques répétitions, et je donnerai les instructions au metteur en scène, pour prouver au ministre que je ne fais pas d'opposition. Le directeur pense que cette complaisance suffira pour calmer la mauvaise humeur du comte Walewski.

On doit monter d'abord un opéra en cinq actes de Gounod (qui n'est pas fini), puis un autre de Gevaert (compositeur belge peu connu); après quoi, on se mettra probablement à l'œuvre pour les Troyens. L'opinion publique et toute la presse me portent tellement, qu'il n'y a pas trop moyen de résister. J'ai, d'ailleurs, fait un changement important au premier acte, pour céder à la volonté de Royer (le directeur). L'ouvrage est maintenant de la dimension à laquelle il voulait le réduire; je n'ai mis aucune raideur dans les conditions auxquelles cet incident a donné lieu. Je n'ai donc plus qu'à me croiser les bras et à attendre que mes deux rivaux aient achevé leur affaire.

Je suis bien résolu à ne plus me tourmenter, je ne cours plus après la fortune, je l'attends dans mon lit.

Pourtant je n'ai pu m'empêcher de répondre avec un peu trop de franchise à l'impératrice, qui me demandait, il y a quelques semaines, aux Tuileries, quand elle pourrait entendre les Troyens:

– Je ne sais trop, madame, mais je commence à croire qu'il faut vivre cent ans pour pouvoir être joué à l'Opéra.

L'ennui et l'inconvénient de ces lenteurs, c'est qu'on fait à l'ouvrage une réputation anticipée qui pourra nuire à son succès. J'ai lu un peu partout le poème; on a entendu, il y a deux mois, des fragments de la partition chez M. Édouard Bertin; on en a beaucoup parlé. Cela m'inquiète.

En attendant, je fais graver la partition de chant et piano, non pour la publier, mais pour qu'elle soit prête à l'époque de la représentation. Savez-vous à qui je l'ai dédiée? On m'a envoyé le titre hier. Il porte en tête ces deux mots: Divo Virgilio.

Je vous assure, cher ami, que c'est écrit en bon style, grandement simple. Je parle du style musical. Ce serait pour moi une joie sans égale de pouvoir vous faire entendre au moins quelques scènes.

Mais le moyen?

A présent, c'est à qui, parmi ces dames de l'Olympe chantant, obtiendra le rôle de Cassandre ou celui de Didon; et celui d'Énée et celui de Chorèbe me font circonvenir par les ténors et les barytons.

J'achève peu à peu un opéra-comique en un acte pour le nouveau théâtre de Bade, dont on termine en ce moment la construction. Je me suis taillé cet acte dans la tragi-comédie de Shakspeare intitulée Beaucoup de bruit pour rien.

Cela s'appelle prudemment Béatrice et Bénédict. En tout cas, je réponds qu'il n'y a pas beaucoup de bruit. – Bénazet (le roi de Bade) fera jouer cela l'an prochain! (si je trouve le moment opportun, ce qui n'est pas sûr). Nous aurons des artistes de Paris et de Strasbourg. Il faut une femme de tant d'esprit pour jouer Béatrice! la trouverons-nous à Paris?..

Je pars pour Bade dans un mois pour y organiser et y diriger le festival annuel. Cette fois, je leur lâche deux morceaux du Requiem, le Tuba mirum et l'Offertoire. Je veux me donner cette joie; et puis il n'y a pas grand mal à faire tous ces riches oisifs un peu songer à la mort.

LXXXVII

14 juillet 1861.

Hélas! cher ami, aller vous faire une visite, nous rafraîchir ensemble le cœur et l'esprit, est un luxe auquel il ne m'est pas permis de songer. Je suis esclave, comme vous l'êtes dans votre cercle d'affaires, de travaux, d'obligations de cent espèces, siam servi, sinon, agnor frementi, comme dit Alfieri, au moins tristes et résignés.

J'ai reçu le nouvel exemplaire de Traître ou Héros? je le ferai lire à Philarète Chasles, qui pourra en parler dans le Journal des Débats; s'il n'écrit rien, je m'adresserai à Cuvillier-Fleury, dont c'est aussi la spécialité. Quant à moi, à la prochaine occasion, j'essayerai d'en parler dans un de mes feuilletons.

Vous ne m'avez pas envoyé la Puissance des nombres. Michel Lévy est l'éditeur qui conviendrait le mieux à la publication de votre recueil. Quand vous voudrez que je lui en parle, donnez-moi de plus amples détails sur l'ouvrage, et dites-moi s'il se composera seulement de nouvelles déjà publiées dans les journaux. C'est la première chose dont il s'informera.

Du 6 août au 28 du même mois, je serai à Bade, où vous pourrez m'écrire en adressant simplement la lettre sans désignation de rue. Mon fils, dont vous avez la bonté de me demander des nouvelles, est en ce moment dans les environs de Naples. Il fait partie du corps d'officiers d'un navire des Messageries impériales. Il a été reçu capitaine au long cours, après de fort sévères examens. Il espère partir prochainement pour la Chine.

Un entrepreneur américain a voulu m'engager pour les États-Désunis cette année; mais ses offres ont échoué contre des antipathies que je ne puis vaincre et le peu d'âpreté de ma passion pour l'argent. Je ne sais pas si votre amour pour ce grand peuple et pour ses mœurs utilitaires est beaucoup plus vif que le mien… J'en doute.

Je ne pourrais, d'ailleurs, sans une haute imprudence m'absenter pour un an de Paris. On peut me demander les Troyens d'un moment à l'autre. Si quelque grave accident arrivait à l'Opéra, on devrait nécessairement recourir à moi. Absent, j'aurais tort.

Adieu, cher ami; je vous serre les mains.

LXXXVIII

27 juillet 1861.

Cher ami,

Je vous écris aujourd'hui parce que j'ai un instant de liberté que je ne retrouverai peut-être pas demain ni après-demain.

Michel Lévy est absent de Paris. Alors, pour ne pas perdre de temps, je suis allé trouver le directeur de la Librairie nouvelle (M. Bourdilliat), et je lui ai proposé la chose en lui remettant la note manuscrite que vous m'avez envoyée et un exemplaire de Traître ou Héros? que je l'ai prié de lire. Il paraît disposé à accepter votre proposition; il me rendra réponse et me fera ses offres lundi prochain. J'ai publié chez lui mes Grotesques de la musique. J'espère réussir pour vous.

Adieu; je vous écrirai plus au long la semaine prochaine avant de partir pour Bade.

LXXXIX

Vendredi, août 1861.

Mon cher Ferrand,

Après trois rendez-vous manqués (non par moi), M. Bourdilliat a fini par me donner une réponse évasive, qui équivaut à un refus. Michel Lévy n'est pas de retour; il sera sans doute à Paris quand je reviendrai de Bade; alors j'essayerai auprès de lui.

Je suis si malade aujourd'hui, que la force me manque pour vous en écrire davantage. Tout cela m'irrite comme doivent irriter les choses absurdes.

Je pars lundi prochain.

XC

8 février 1862.

Mon cher Humbert,

Je vous réponds à la hâte pour vous remercier d'abord de votre amical souvenir et pour vous donner, en quelques lignes, les nouvelles que vous me demandez.

Comment! je ne vous ai pas écrit depuis mon retour de Bade? voilà qui me confond. Oui, oui, le concert a été superbe, et j'ai entendu là notre symphonie d'Harold exécutée pour la première fois comme je veux qu'elle le soit. – Les fragments du Requiem ont produit un effet terrible; mais nous avions fait huit répétitions.

Oui, j'ai reçu votre petit livre Jacques Valperga, et je l'ai lu avec un vif intérêt, malgré le peu de sympathie que m'inspirent ces personnages si tristement historiques.

Je suis un peu moins mal portant que de coutume, grâce à un régime sévère que j'ai adopté.

Le ministre d'État est en très bonnes dispositions pour moi; il m'a écrit une lettre de remerciements à propos de la mise en scène d'Alceste, dont j'ai dirigé à l'Opéra les répétitions. Enfin il a donné l'ordre à Royer de mettre à l'étude les Troyens après l'opéra du Belge Gevaert, qui sera joué au mois de septembre prochain. Je pourrai donc voir le mien représenté en mars 1863. En attendant, je fais répéter chez moi, toutes les semaines, l'opéra en deux actes que je viens de terminer pour le nouveau théâtre de Bade. Béatrice et Bénédict paraîtra à Bade le 6 août prochain. J'ai fait aussi la pièce, comme pour les Troyens, et j'éprouve un tourment que je ne connaissais pas, celui d'entendre dire le dialogue au rebours du bon sens; mais, à force de seriner mes acteurs, je crois que je viendrai à bout de les faire parler comme des hommes.

Adieu, cher ami; voilà toutes mes nouvelles. Je vous serre la main.

Mille amitiés dévouées.

XCI

Paris, 30 juin 1862.

Mon cher Ferrand,

Je ne vous écris que peu de lignes dans ma désolation. Ma femme vient de mourir en une demi-minute, foudroyée par une atrophie du cœur. L'isolement affreux où je suis, après cette brusque et si violente séparation, ne peut se décrire.

Pardonnez-moi de ne pas vous en dire davantage. Adieu, je vous serre la main.