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A travers chants: études musicales, adorations, boutades et critiques

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L'air d'Agathe, dans le Freyschütz, est presque populaire; il a la note.

Combien de morceaux, de Rossini lui-même, ce prince des mélodistes, sont restés dans l'ombre faute d'avoir la note!

Les quatre instruments à vent qui accompagnent la voix dans cet air troublent d'ailleurs tant soit peu la plupart des auditeurs en attirant trop fortement leur attention. Ces instruments ne font pourtant aucun étalage de difficultés inutiles; Beethoven ne les a point traités, comme fit plusieurs fois Mozart du cor de basset, en instruments soli, dans l'acception prétentieuse de ce mot. Mozart, dans Tito, donne à exécuter une espèce de concerto au cor de basset pendant que la prima donna dit qu'elle voit la mort s'avancer, etc. Ce contraste d'un personnage animé des sentiments les plus tristes et d'un virtuose qui, sous prétexte d'accompagner le chant, songe seulement à faire briller l'agilité de ses doigts, est l'un des plus disgracieux, des plus puérils, des plus contraires au bon sens dramatique, des plus défavorables même au bon effet musical. Le rôle dévolu par Beethoven à ses quatre instruments à vent n'est pas le même; il ne s'agit pas de les faire briller, mais d'obtenir d'eux une sorte d'accompagnement parfaitement d'accord avec le sentiment du personnage chantant et d'une sonorité spéciale qu'aucune autre combinaison orchestrale ne saurait produire. Le timbre voilé, un peu pénible même des cors, s'associe on ne peut mieux à la joie douloureuse, à l'espérance inquiète dont le cœur d'Éléonore est rempli; c'est doux et tendre comme le roucoulement des ramiers. Spontini, vers la même époque, et sans avoir entendu le Fidelio de Beethoven, employait les cors avec une intention à peu près semblable pour accompagner le bel air de la Vestale:

 
Toi que j'implore.
 

Plusieurs maîtres, depuis lors, Donizetti entre autres, dans sa Lucia, l'ont fait avec le même bonheur.

Telle est l'évidence de la force expressive propre à cet instrument, dans certains cas, pour les compositeurs familiers avec le langage musical des passions et des sentiments.

Certes ce fut une grande âme tendre qui se répandit en cette émouvante inspiration!

L'émotion causée par le chœur des prisonniers, pour être moins vive, n'en est pas moins profonde.

Une troupe de malheureux sortent un instant de leur cachot et viennent respirer sur le préau. Écoutez, à leur entrée en scène, ces premières mesures de l'orchestre, ces douces et larges harmonies s'épanouissant radieuses, et ces voix timides qui se groupent lentement et arrivent à une expansion harmonique, s'exhalant de toutes ces poitrines oppressées comme un soupir de bonheur. Et ce dessin si mélodieux des instruments à vent qui les accompagne!.. On pourra dire encore ici: «Pourquoi l'auteur n'a-t-il pas donné le dessin mélodique aux voix et les parties vocales à l'orchestre?» Pourquoi! parce que c'eût été une maladresse évidente; les voix chantent précisément comme elles doivent chanter; une note de plus, confiée aux parties vocales, en altérerait l'expression si juste, si vraie, si profondément sentie; le dessin instrumental n'est qu'une idée secondaire, tout mélodieux qu'il soit, et convient surtout aux instruments à vent, et fait on ne peut mieux ressortir la douceur des harmonies vocales si ingénieusement disposées au dessus de l'orchestre. Il ne se trouvera pas, je crois, un compositeur de bon sens, quelle que soit l'école à laquelle il appartienne, pour désapprouver ici l'idée de Beethoven.

Le bonheur des prisonniers est un instant troublé par l'apparition des gardes chargés de les surveiller. Aussitôt le coloris musical change: tout devient terne et sourd. Mais les gardes ont fini leur ronde; leur regard soupçonneux a cessé de peser sur les prisonniers; la tonalité du passage épisodique du chœur se rapproche de la tonalité principale; on la pressent, on y touche; un court silence… et le premier thème reparaît dans le ton primitif, avec un naturel et un charme dont je n'essayerai pas de donner une idée. C'est la lumière, c'est l'air, c'est la douce liberté, c'est la vie qui nous sont rendus.

Quelques auditeurs, en essuyant leurs yeux à la fin de ce chœur, s'indignent du silence de la salle qui devrait retentir d'une immense acclamation. Il est possible que la majeure partie du public soit réellement émue néanmoins; certaines beautés musicales, évidentes pour tous, peuvent fort bien ne pas exciter les applaudissements.

Le chœur des prisonniers de Gaveaux:

 
Que ce beau ciel, cette verdure,
 

est écrit dans le même sentiment. Mais, hélas! comparé à celui de Beethoven, il paraît bien terne et bien plat! Remarquons, en outre, que le compositeur français, fort réservé sur l'emploi des trombones dans le cours de sa partition, les fait précisément intervenir ici, comme s'ils faisaient partie de la famille des instruments doux, au timbre calme et suave. Explique qui pourra cette étrange fantaisie.

Dans la seconde partie du duo, où Rocko apprend à Fidelio qu'ils vont aller ensemble creuser la fosse du prisonnier, se trouve un dessin syncopé d'instruments à vent du plus étrange effet, mais, par son accent gémissant et son mouvement inquiet, parfaitement adapté à la situation. Ce duo et le quintette suivant contiennent de fort beaux passages, dont quelques-uns se rapprochent, par le style des parties de chant, de la manière de Mozart dans le Mariage de Figaro.

Un quintette avec chœur termine cet acte. La couleur en est sombre; elle doit l'être. Une modulation un peu sèche intervient brusquement dans le milieu, et quelques voix exécutent des rhythmes qui se distinguent au travers des autres, sans qu'on puisse voir bien clairement l'intention de l'auteur. Mais le mystère qui plane sur l'ensemble donne à ce finale une physionomie des plus dramatiques. Il finit piano; il exprime la consternation, la crainte… le public parisien ne l'applaudit donc pas: il ne saurait applaudir une telle conclusion, si contraire à ses habitudes.

Avant le lever du rideau pour le troisième acte, l'orchestre fait entendre une lente et lugubre symphonie, pleine de longs cris d'angoisse, de sanglots, de tremblements, de lourdes pulsations. Nous entrons dans le séjour des douleurs et des larmes; Florestan est étendu sur sa couche de paille; nous allons assister à son agonie, entendre sa voix délirante.

L'orchestration de Gluck pour la scène du cachot d'Oreste dans Iphigénie en Tauride est bien belle, sans doute; mais de quelle hauteur ici Beethoven domine son rival! Non pas seulement parce qu'il est un immense symphoniste, parce qu'il sait mieux que lui faire parler l'orchestre, mais, on doit le reconnaître, parce que sa pensée musicale, dans ce morceau, est plus forte, plus grandiose et d'une expression incomparablement plus pénétrante. On sent, dès les premières mesures, que le malheureux enfermé dans cette prison a dû, en y entrant, laisser toute espérance.

Le voici. A un douloureux récitatif entrecoupé par les phrases principales de la symphonie précédente succède un cantabile désolé, navrant, dont l'accompagnement des instruments à vent accroît à chaque instant la tristesse. La douleur du prisonnier devient de plus en plus intense. Sa tête s'égare… l'aile de la mort l'a touché… Pris d'une hallucination soudaine, il se croit libre, il sourit, des larmes de tendresse roulent dans ses yeux mourants, il croit revoir sa femme, il l'appelle, elle lui répond; il est ivre de liberté et d'amour…

A d'autres de décrire cette mélodie sanglotante, ces palpitations de l'orchestre, ce chant continu du hautbois qui suit le chant de Florestan comme la voix de l'épouse adorée qu'il croit entendre; et ce crescendo entraînant, et le dernier cri du moribond… Je ne le puis…

Reconnaissons ici l'art souverain, l'inspiration brûlante, le vol fulgurant du génie…

Florestan, après cet accès d'agitation fébrile, est retombé sur sa couche; voici venir Rocko et la tremblante Éléonore (Fidelio). La terreur de cette scène est amoindrie par le nouveau libretto, où il ne s'agit que de déblayer une citerne au lieu de creuser la fosse du prisonnier encore vivant. (Vous voyez où conduisent tous ces remaniements…)

Rien de plus sinistre que ce duo célèbre, où la froide insensibilité de Rocko contraste avec les aparté déchirants de Fidelio, où le sourd murmure de l'orchestre est comparable au bruit mat de la terre tombant sur une bière qu'on recouvre. Un de nos confrères de la critique musicale a très-justement établi un rapprochement entre ce morceau et la scène des fossoyeurs d'Hamlet. Pouvait-on plus dignement le louer?

Les fossoyeurs de Beethoven terminent leur duo sans coda, sans cabalette, sans éclat de voix; aussi le parterre garde encore à leur égard un rigoureux silence. Voyez le malheur!

Le trio suivant est plus heureux; on l'applaudit, bien qu'il ait aussi une terminaison douce. Les trois personnages, animés de sentiments affectueux, y chantent de suaves mélodies, que les plus harmonieux accompagnements soutiennent sans recherche et sans effort. Rien de plus élégant et de plus touchant à la fois que ce beau thème de vingt mesures exposé par le ténor. C'est le chant dans sa plus exquise pureté, c'est l'expression dans ce qu'elle a de plus vrai, de plus simple et de plus pénétrant. Ce thème est ensuite repris, tantôt en entier, tantôt par fragments, et, après des modulations très-hardies, ramené dans le ton primitif avec un bonheur et une adresse incomparables.

Le quatuor du pistolet est un long roulement de tonnerre, dont la menace augmente sans cesse de violence et aboutit à une série d'explosions. A partir du cri de Fidelio: «Je suis sa femme!» l'intérêt musical se confond avec l'intérêt dramatique; on est ému, entraîné, bouleversé, sans qu'on puisse distinguer si cette violente émotion est due aux voix, aux instruments ou à la pantomime des acteurs et au mouvement de la scène; tant le compositeur s'est identifié avec la situation qu'il a peinte avec une vérité frappante et la plus prodigieuse énergie. Les voix, qui s'interpellent et se répondent en brûlantes apostrophes, se distinguent toujours au milieu du tumulte de l'orchestre et au travers de ce trait des instruments à cordes, semblable aux vociférations d'une foule agitée de mille passions. C'est un miracle de musique dramatique auquel je ne connais de pendant chez aucun maître ancien ou moderne. Le changement du livret a fait un tort énorme et bien regrettable à cette belle scène. L'action ayant été transportée à une époque où le pistolet n'était pas inventé, on a dû renoncer à le donner à Fidelio pour arme offensive; la jeune femme menace maintenant Pizarre avec un levier de fer, incomparablement moins dangereux, pour un tel homme surtout, que le petit tube avec lequel cette faible main peut à coup sûr frapper de mort Pizarre s'il fait le moindre mouvement. D'ailleurs le geste de Fidelio, visant Pizarre au visage, prête à un grand effet de scène. Je vois encore madame Devrient avec le tremblement de son bras qu'elle tenait tendu vers Pizarre en riant d'un rire convulsif.

 

Voilà ce qui résulte de tous ces tripotages de pièces et de partitions, accommodées aux prétendues exigences d'un public qui n'exige rien et s'arrangerait fort qu'on voulût bien lui offrir certains ouvrages tels que leurs auteurs les ont écrits.

Après cet admirable quatuor, les deux époux demeurés seuls chantent un duo non moins admirable, où la passion éperdue, la joie, la surprise, l'abattement empruntent tour à tour à la musique des accents dont rien ne peut donner une idée à qui ne les a pas entendus. Quel amour! quels transports! quelles étreintes! avec quelle fureur ces deux êtres s'embrassent! comme la passion les fait balbutier! Les paroles se pressent sur leurs lèvres frémissantes, ils chancellent, ils sont haletants… ils s'aiment!.. comprenez-vous?.. ils s'aiment! Qu'y a-t-il de commun entre un tel élan d'amour et ces fades duos d'époux unis par un mariage de convenance?.. Au dernier final on entend un vaste morceau d'ensemble dont le rhythme de marche est interrompu d'abord par quelques mouvements lents épisodiques. L'allegro reprend ensuite et va en s'animant graduellement et en augmentant de sonorité jusqu'à la fin. Dans cette péroraison, la majesté d'abord et la verve ensuite éblouissent et entraînent les auditeurs même les plus froids et les plus récalcitrants. Ils disent alors, en approuvant d'un air contraint: «A la bonne heure!» Nous dirons aussi, en les voyant applaudir: «A la bonne heure!» Mais tout le reste de la partition, qui les touche si peu, n'en est pas moins admirable, et, sans vouloir déprécier ce gigantesque finale, plusieurs des morceaux précédents lui sont même de beaucoup supérieurs. Qui sait pourtant si la lumière ne se fera pas plus tôt qu'on ne pense, pour ceux-là même dont l'âme est fermée en ce moment à ce bel ouvrage de Beethoven, comme elle est aussi fermée aux merveilles de la neuvième symphonie, des derniers quatuors et des grandes sonates de piano de ce même incomparable inspiré? Un voile épais semble quelquefois placé sur les yeux de l'esprit, quand on regarde d'un certain côté du ciel de l'art et empêche de voir les grands astres qui l'illuminent; puis tout d'un coup, sans cause connue, le voile se déchire, on voit et l'on rougit d'avoir été aveugle si longtemps.

Ceci me rappelle ce pauvre Adolphe Nourrit. Il m'avouait un jour n'admirer que Macbeth dans l'œuvre entière de Shakspeare, et trouver surtout absurde et inintelligible Hamlet. Trois ans après, il vint me dire avec l'émotion d'un enthousiasme concentré: «Hamlet est le chef-d'œuvre du plus grand poëte philosophe qui ait jamais existé. Je le comprends aujourd'hui. Mon cœur et ma tête en sont remplis, enivrés. Vous avez dû garder de mon sens poétique et de mon intelligence une singulière opinion… Rendez-moi votre estime.» Alas! poor Yorick!

BEETHOVEN DANS L'ANNEAU DE SATURNE
LES MEDIUMS

Le monde musical est en ce moment fort ému; toute la philosophie de l'art semble bouleversée. On croyait généralement, il y a quelques jours à peine, que le beau en musique, comme le médiocre, comme le laid, était absolu, c'est-à-dire qu'un morceau beau, ou laid, ou médiocre pour les gens qui s'intitulent gens de goût, connaisseurs, était également beau, médiocre ou laid pour tout le monde, et par conséquent pour les gens sans goût et sans connaissances. Il résultait de cette opinion consolante que le chef-d'œuvre capable de faire couler les larmes des yeux d'un habitant du nº 58 de la rue de la Chaussée-d'Antin, à Paris, ou de l'ennuyer, ou de le révolter, devait nécessairement produire le même effet sur un Cochinchinois, sur un Lapon, sur un pirate de Timor, sur un Turc, sur un portefaix de la rue des Mauvaises-Paroles. Quand je dis on croyait, je veux désigner par on les savants, les docteurs et les simples de cœur: car en ces questions les grands et les petits esprits se rencontrent, et qui ne se ressemble pas s'assemble. Quant à moi, qui ne suis ni savant, ni docteur, ni simple, je n'ai jamais trop su à quoi m'en tenir sur ces graves sujets de controverse; je crois pourtant que je ne croyais rien; mais à cette heure, j'en suis sûr, me voilà fixé, et je crois au beau absolu beaucoup moins qu'à la corne des licornes. Car pourquoi, je vous prie, ne pas croire à la corne des licornes? Il est archiprouvé maintenant qu'il y a des licornes dans plusieurs parties de l'Himalaya. On connaît l'aventure de M. Kingsdoom. – Le célèbre voyageur anglais, étonné de rencontrer un de ces animaux, qu'il croyait fabuleux (voilà ce que c'est que de croire!), et le regardant avec une attention blessante pour l'élégant quadrupède, la licorne irritée se précipita sur lui, le cloua contre un arbre et lui laissa dans la poitrine un long morceau de corne pour preuve de son existence. Le malheureux Anglais ne pouvait pas en revenir.

Maintenant il faut dire pourquoi je suis certain de croire depuis peu que je ne crois pas au beau absolu en musique. Une révolution a dû s'opérer et s'est opérée réellement dans la philosophie depuis la merveilleuse découverte des tables tournantes (en sapin), et par suite des médiums, et par suite des évocations d'esprits, et par suite des conversations spiritistes. La musique ne pouvait pas rester en dehors de l'influence d'un fait aussi considérable et demeurer isolée du monde des esprits, elle, la science de l'impalpable, de l'impondérable, de l'insaisissable. Beaucoup de musiciens se sont donc mis en rapport avec le monde des esprits (ils auraient dû le faire depuis longtemps). Au moyen d'une table de sapin d'un prix fort modique, sur laquelle on impose les mains, et qui, après quelques minutes de réflexions (de réflexions de la table), se met à lever une ou deux de ses jambes, de façon, malheureusement, à effaroucher la pudeur des dames anglaises, on parvient non-seulement à évoquer l'esprit d'un grand compositeur, mais à entrer même en conversation réglée avec lui, à le forcer de répondre à toutes sortes de questions. Bien plus, en s'y prenant bien, on peut obliger l'esprit du grand maître à dicter une nouvelle œuvre, une composition tout entière sortant brûlante de son cerveau. Comme pour les lettres de l'alphabet, il est convenu que la table, en levant ses jambes et en les laissant retomber sur un parquet, frappe tant de coups pour un ut, tant pour un , tant pour un fa, tant pour une simple croche, tant pour une double croche, tant pour un soupir, pour un demi-soupir, etc., etc. Je sais ce qu'on va me répondre: «Il est convenu, direz-vous? Convenu avec qui? avec les esprits évidemment. Or, avant que cette convention fût établie, comment s'y est pris le premier médium pour savoir des esprits qu'on en convenait?» Je ne puis vous le dire; ce qu'il y a de sûr, c'est que c'est sûr; et puis, dans ces grandes questions, il faut absolument se laisser guider par le sens intérieur, et surtout ne pas chercher la petite bête.

Or donc déjà (comme disent les Russes) on a évoqué dernièrement l'esprit de Beethoven, qui habite Saturne. Mozart habitant Jupiter, c'est connu de tout le monde, il semble que l'auteur de Fidelio eût dû choisir le même astre pour sa nouvelle résidence; mais Beethoven, on ne l'ignore pas, est un peu sauvage, capricieux, peut-être même a-t-il quelque antipathie non avouée pour Mozart. Tant il y a qu'il habite Saturne ou du moins son anneau. Et voilà que lundi dernier un médium très-familier avec le grand homme, et sans craindre de mettre celui-ci de mauvaise humeur, en lui faisant faire à propos de rien un si long voyage, pose les mains sur sa table de sapin pour envoyer à Beethoven, dans l'anneau de Saturne, l'ordre de venir un instant causer avec lui. La table aussitôt de faire des mouvements indécents, de lever les jambes, et de montrer… que l'esprit était proche. Ces pauvres esprits, avouez-le, sont bien obéissants. Beethoven, pendant sa vie terrestre, ne se fût pas dérangé pour aller seulement de la porte de Carinthie au palais impérial, si l'empereur d'Autriche l'eût fait prier de le venir voir, et il quitte maintenant l'anneau de Saturne et interrompt ses hautes contemplations pour obéir à l'ordre (notez-le bien), à l'ordre du premier venu, possesseur d'une table de sapin.

Ce que c'est que la mort, comme cela vous transforme le caractère! et que Marmontel a eu raison de dire dans son opéra de Zémire et Azor:

 
Les esprits, dont on nous fait peur,
Sont les meilleures gens du monde.
 

Il en est ainsi. Je vous ai déjà prévenu qu'en ces questions il ne fallait pas chercher la petite bête.

Beethoven arrive et dit par les pieds de la table: «Me voilà!» Le médium enchanté lui tape sur le ventre… – Allons, me direz-vous, voilà que vous laissez échapper des absurdités! – Bah! – Eh! oui, vous avez déjà parlé de cerveau tout à l'heure à propos d'un esprit; les esprits ne sont pas des corps. – Non… non, mais vous savez bien que ce sont des… semi-corps. On a parfaitement expliqué cela. Ne m'interrompez plus pour d'aussi futiles observations. Je continue mon triste récit. Le médium, qui lui-même est un semi-esprit, frappe donc un semi-coup sur le semi-ventre de Beethoven et prie sans façon le semi-dieu de lui dicter une nouvelle sonate. L'autre ne se le fait pas dire deux fois, et la table aussitôt de gambader… On écrit sous sa dictée. La sonate écrite, Beethoven repart pour Saturne; le médium, entouré d'une douzaine de spectateurs stupéfaits, s'approche du piano, exécute la sonate, et les spectateurs stupéfaits deviennent des auditeurs confondus en reconnaissant que la sonate est non pas une semi-platitude, mais bien une platitude complète, un non-sens, une stupidité.

Comment croire maintenant au beau absolu? Certainement Beethoven, en allant habiter une sphère supérieure, n'a pu que se perfectionner, son génie a dû s'agrandir, s'élever, et, en dictant une nouvelle sonate, il a dû vouloir donner aux habitants de la terre une idée du nouveau style qu'il a adopté dans son nouveau séjour, une idée de sa quatrième manière, une idée de la musique qu'on exécute sur les Érards de l'anneau de Saturne. Et voilà que ce nouveau style est précisément ce que nous autres, musiciens infimes d'un monde infime et soussaturnien, nous appelons le style plat, le style bête, le style insupportable; et, bien loin de nous ravir au cinquante-huitième ciel, cela nous irrite et nous donne des nausées… Ah! c'est à en perdre la raison, si la chose était possible.

Alors il faudra donc croire que le beau et le laid n'étant pas absolus, universels, beaucoup de productions de l'esprit humain, admirées sur la terre, seront méprisées dans le monde des esprits, et je me vois autorisé à conclure (au reste, je m'en doutais depuis longtemps) que des opéras représentés et applaudis journellement, même sur des théâtres que la pudeur me permet de nommer, seraient sifflés dans Saturne, dans Jupiter, dans Mars, dans Vénus, dans Pallas, dans Sirius, dans Neptune, dans la grande et la petite Ourse, dans la constellation du Chariot, et ne sont enfin que des platitudes infinies pour l'univers infini.

Cette conviction n'est pas faite pour encourager les grands producteurs. Plusieurs d'entre eux, accablés par la funeste découverte, sont tombés malades, et pourraient bien, dit-on, passer à l'état d'esprits. Heureusement ce sera long.