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A travers chants: études musicales, adorations, boutades et critiques

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Si, au lieu d'avoir dit si finement:

 
Mais qu'en sort-il souvent?
Du vent.
 

le fabuliste eût écrit:

 
Mais qu'en sort-il souvent?
Il n'en sort que du vent.
 

il eût terminé sa fable par une insupportable platitude. L'analogie de cet exemple avec la question musicale qui nous occupe est frappante. L'entêtement de la routine peut seul la méconnaître ou en nier les conséquences.

Maintenant s'il nous paraît évident que la musique ne peut ni ne doit se conformer aveuglément à l'usage de certaines écoles qui veulent conserver la plus carrée des carrures en tout et partout, si nous trouvons dans cette persistance ridicule à maintenir un préjugé la cause de la fadeur, de la lâcheté de style, de l'exaspérant vulgarisme d'une foule de productions de tous les temps et de tous les pays, nous n'en reconnaîtrons pas moins qu'il est des irrégularités choquantes et qu'il faut éviter avec soin. Gluck (dans Iphigénie en Aulide surtout) en a commis un grand nombre, il faut l'avouer, qui blessent le sentiment de l'harmonie rhythmique. Weber n'en est pas exempt; nous en trouvons même un exemple très-regrettable dans l'un des plus délicieux morceaux d'Obéron, dans le chant des naïades, dont je parlais tout à l'heure. Après la première grande phrase vocale, composée de quatre fois quatre mesures, l'auteur a voulu donner à la voix un court repos. Ce silence est rempli par l'orchestre. Croyant sans doute que l'oreille ne tiendrait aucun compte du fragment instrumental, l'auteur a repris ensuite son chant vocal, rhythmé carrément, comme si la mesure d'orchestre n'existait pas. Mais, selon nous, il s'est trompé. L'oreille souffre de cette addition d'une mesure dans la mélodie; on s'aperçoit parfaitement que le mouvement d'oscillation a été rompu, que la phrase a perdu la régularité du balancement qui lui donne tant de charme. Revenant à ma comparaison de la mélodie avec la versification, je dirai encore que, dans le cas dont il s'agit, le défaut est aussi évident qu'il le serait dans une strophe de vers de dix pieds dont un seul en aurait onze.

De l'instrumentation de Weber je dirai seulement qu'elle est d'une richesse, d'une variété et d'une nouveauté admirables. La distinction encore est sa qualité dominante; jamais de moyens réprouvés par le goût, de brutalités, de non-sens. Partout un coloris charmant, une sonorité vive mais harmonieuse, une force contenue et une connaissance profonde de la nature de chaque instrument, de ses divers caractères, de ses sympathies ou de ses antipathies avec les autres membres de la famille orchestrale; partout enfin les plus intimes rapports sont conservés entre le théâtre et l'orchestre, nulle part ne se trouve un effet sans but, un accent non motivé.

On reproche à Weber sa manière d'écrire pour les voix; malheureusement le reproche est fondé. Souvent il leur impose des successions d'une difficulté excessive, qui seraient à peine convenables pour tout autre instrument que le piano. Mais ce défaut, qui ne s'étend pas aussi loin qu'on veut bien le dire, n'en est pas un quand la bizarrerie du dessin vocal est motivée par une intention dramatique. C'est alors au contraire une qualité; l'auteur en ce cas n'est blâmable qu'aux yeux des chanteurs, obligés de prendre de la peine et de se livrer à des études que la musique banale ne leur impose pas.

Tels sont plusieurs passages vraiment diaboliques du rôle de Gaspard dans le Freyschütz, passages qui, à mon sens, sont des traits évidents de génie.

Sur les vingt morceaux dont se compose la partition d'Obéron, je n'en vois pas un de faible. L'invention, l'inspiration, le savoir, le bon sens brillent dans tous: et c'est presque à regret que nous citerons de préférence aux autres pièces le chœur mystérieux et suave de l'introduction chanté par les génies autour du lit de fleurs où sommeille Obéron; – l'air chevaleresque d'Huon dans lequel se trouve une ravissante phrase déjà présentée au milieu de l'ouverture; – la merveilleuse marche nocturne des gardes du sérail qui termine le premier acte; – le chœur énergique et si rudement caractérisé: «Gloire au chef des croyants!» – la prière d'Huon accompagnée seulement par les altos, les violoncelles et les contre-basses; – la dramatique scène de Rezia sur le bord de l'Océan; – le chant des nymphes confié aujourd'hui à Puck seul, dans la nouvelle version du livret (à tort, selon moi; il devrait être chanté au fond du théâtre, sur l'un des arrière-plans de la mer, par plusieurs voix de choix à l'unisson, et avec une douceur extrême); – le chœur de danse des esprits terminant le second acte; – l'air si gracieusement gai de Fatime; – le duo suivant avec son trait obstiné d'orchestre revenant à intervalles irréguliers; – le trio si harmonieux, si admirablement modulé qu'accompagnent pianissimo les instruments de cuivre; – et enfin le chœur dansé de la scène de séduction, morceau unique dans son genre. Jamais la mélodie n'eut de pareils sourires, le rhythme des caresses plus irrésistibles. Pour que le chevalier Huon échappe aux enlacements de femmes chantant de telles mélodies, il faut qu'il ait la vertu chevillée dans le corps.

L'auditoire a fait répéter quatre morceaux et l'ouverture; la foule, qui pendant trois heures avait bu avec délices cette musique d'une saveur si nouvelle, est sortie dans un état de véritable enivrement. C'est un succès, je le répète, un noble et grand succès.

Le ténor Michot est doué d'une belle voix, d'un timbre riche et sympathique, que l'étude ne tardera pas à assouplir. On le rappelle chaque soir. Le voilà, comme on dit dans les théâtres, posé. Il deviendra, il est déjà un sujet précieux. Madame Rossi-Caccia, après une longue absence de la scène, y a reparu dans le rôle difficile de Rezia, qu'elle chante avec talent. Mademoiselle Girard est une excellente Fatime; que ne peut-elle corriger le tremblement de sa voix! Mademoiselle Borghèse chante et joue bien le rôle du lutin Puck; seulement elle est trop grande; mais le moyen de remédier à cela?.. Grillon s'acquitte fort bien de son rôle de Chérasmin, et Fromant de celui d'Obéron. Quant à l'eunuque Girardot, il excite l'hilarité par son costume, ses poses, sa voix étrange et ses mots.

Désireux de reproduire sans mesquinerie le chef-d'œuvre de Weber, M. Carvalho a ajouté à l'orchestre dix instruments à cordes qu'on n'a pu y introduire qu'en prenant sur les places du public, et enrichi de douze voix de femmes le chœur des génies. La mise en scène d'ailleurs est extrêmement soignée; l'effet de l'apothéose de Titania et d'Obéron est des plus poétiques.

ABOU-HASSAN
OPÉRA EN UN ACTE DU JEUNE WEBER

L'ENLÈVEMENT AU SÉRAIL
OPÉRA EN DEUX ACTES, DU JEUNE MOZART
LEUR PREMIÈRE REPRÉSENTATION AU THÉATRE-LYRIQUE
19 mai 1859.

Abou-Hassan est une sorte de Turc amoureux d'une sorte de jeune Turque; il a mauvaise tête et bon cœur, dit-on; il fait des dettes. Ou lui donne de l'argent; au lieu de l'employer à satisfaire ses créanciers, il achète des présents pour sa belle. Il faut payer enfin; il ne le peut. Or le pacha son maître a pour habitude de donner 1,000 piastres (je ne suis pas sûr de l'espèce de la monnaie) pour les funérailles de chacun de ses serviteurs. Abou-Hassan imagine de contrefaire le mort. Sa maîtresse (c'est peut-être bien sa femme) rivalise de zèle avec lui, et contrefait la morte. Le pacha aura donc à donner deux mille piastres. Cette somme tirera d'affaire nos amoureux. Mais le pacha découvre la ruse, il en rit, il est désarmé, il pardonne. Les amants ou les époux ressuscitent. Tout le monde est content.

Weber avait dix-sept ans, dit-on, quand il écrivit la partition de cette pièce ingénieuse. On dit même que M. Meyerbeer l'aida tant soit peu dans son travail, mais qu'il n'avait alors, lui, que seize ans et demi. De sorte que l'auteur des Huguenots est aujourd'hui dans l'impossibilité la plus absolue de reconnaître les morceaux dont il a orné l'œuvre de son ami, et que si quelque vieux bibliophile venait lui dire avec assurance: «Cet air est de vous,» il serait capable de faire la réponse du bon la Fontaine, à qui on désignait un petit jeune homme comme son fils, et qui répliqua: «C'est bien possible!»

Tant il y a que la partition d'Abou-Hassan contient plusieurs drôleries fort jeunes, d'assez bonne tournure, entre autres un air que Meillet a supérieurement chanté, et qu'on a redemandé avec de grandes acclamations. Meillet d'ailleurs joue son rôle tout entier avec entrain et une verve de bon goût. Il y a obtenu un succès complet de chanteur et d'acteur.

L'opéra de l'Enlèvement au sérail est beaucoup plus vieux que celui d'Abou-Hassan, et Mozart, lorsqu'il l'écrivit, n'avait peut-être pas encore dix sept ans. Les personnes désireuses de savoir au juste ce qu'il en est peuvent consulter le livre de M. Oulibicheff, un Russe qui savait à quelle heure précise l'auteur de Don Giovanni écrivit la dernière note de telle ou telle de ses sonates pour le clavecin, qui tombait pâmé à la renverse en entendant deux clarinettes donner l'accord de tierce majeure (ut mi) dans l'orchestre du premier venu des opéras de Mozart, et qui se levait indigné si ces deux mêmes clarinettes faisaient entendre les deux mêmes notes dans le Fidelio de Beethoven. M. Oulibicheff a conservé toute sa vie un doute cruel, il n'était pas bien sûr que Mozart fût le bon Dieu…

L'Enlèvement est précédé d'une petite ouverture en ut majeur, d'une impayable naïveté et qui a produit peu de sensation; c'est à peine si le parterre y a pris garde. Cela fait, ne vous en déplaise, l'éloge du parterre; car en vérité, si tant est qu'on puisse dire à peu près la vérité là-dessus, le père Léopold Mozart, au lieu de pleurer d'admiration, comme à l'ordinaire, devant cette œuvre de son fils, eût mieux fait de la brûler et de dire au jeune compositeur: «Mon garçon, tu viens de produire là une ouverture bien ridicule; tu as dit ton chapelet avant de la commencer, je n'en doute pas, mais tu vas m'en faire une autre, et cette fois tu diras ton rosaire pour obtenir des saints qu'ils t'inspirent mieux.» Raca! abomination! blasphème! vont s'écrier tous les Oulibicheff, en déchirant leurs vêtements et en se couvrant la tête de cendres, blasphème! abomination! raca! – Holà! calmez-vous, hommes vénérables, ne déchirez pas vos vêtements, couvrez-vous la tête de poudre à poudrer, s'il vous plaît, mais non de cendres, car il n'y a pas de blasphème ni d'abomination dans l'énoncé de notre opinion; il est aujourd'hui tout à fait prouvé que Mozart, à quinze ans surtout, n'était pas le bon Dieu. Sachez en outre que nous l'admirons plus que vous, que nous le connaissons mieux que vous, mais que notre admiration est d'autant plus vive qu'elle n'est le résultat ni d'impressions puériles ni d'absurdes préjugés.

 

La pièce de l'Enlèvement est encore une pièce turque. Il y a l'éternelle esclave européenne qui résiste à l'éternel pacha. Cette esclave a une jolie suivante; elles ont l'une et l'autre de jeunes amants. Ces malheureux s'exposent à se faire empaler pour délivrer leurs belles. Ils s'introduisent dans le sérail, ils y apportent une échelle, voire même deux échelles.

Mais Osmin, un magot turc, homme de confiance du pacha, déjoue leurs projets, enlève une des échelles, arrête les quatre personnages et va les livrer à la fureur du pal, quand le pacha, qui est un faux Turc d'origine espagnole, apprenant que Belmont, l'amant de Constance, est le fils d'un Espagnol de ses amis qui, jadis, lui sauva la vie, se hâte de délivrer nos amoureux et de les renvoyer en Europe, où il est probable qu'ils ont ensuite beaucoup d'enfants.

C'est aussi fort que cela.

Vous dire que Mozart a écrit là-dessus une merveille d'inspiration serait encore plus fort. Il y a une foule de jolis petits morceaux de chant sans doute, mais aussi une foule de formules qu'on regrette d'autant plus d'entendre là que Mozart les a employées plus tard dans ses chefs-d'œuvre, et qu'elles sont aujourd'hui pour nous une véritable obsession.

En général la mélodie de cet opéra est simple, douce, peu originale, les accompagnements sont discrets, agréables, peu variés, enfantins; l'instrumentation est celle de l'époque, mais déjà mieux ordonnée que dans les œuvres des contemporains de l'auteur. L'orchestre contient souvent ce qu'on appelait alors la musique turque, c'est-à-dire la grosse caisse, les cymbales et le triangle, employés d'une façon toute primitive. En outre, Mozart y a fait usage d'une petite flûte quinte, en sol (dite en la à l'époque où les flûtes ordinaires étaient appelées en ré). Quelquefois cet instrument y est réuni en trio aux deux grandes flûtes.

Si le premier air d'Osmin portait le nom d'un compositeur vivant, on aurait le droit de le trouver assez dépourvu d'intérêt; si les trois couplets chantés ensuite par ce personnage étaient dans le même cas, à coup sûr on ne les eût pas bissés. Le chœur, avec accompagnement de musique turque, a le caractère indiqué par le sujet. Le duo à six-huit entre Osmin et la suivante, peu coloré, peu saillant, contenant beaucoup de notes aiguës que le soprano doit lancer à ses risques et périls, est d'un effet assez disgracieux. L'allegro de l'air suivant offre une fâcheuse ressemblance avec l'air populaire parisien, En avant, Fanfan la Tulipe! que Mozart, à coup sûr, n'a jamais connu. Il faut donc retourner la phrase, faire du blâme un éloge, et dire: Le pont-neuf populaire parisien a l'honneur de ressembler au thème d'un allegro de Mozart.

L'air de Belmont, au contraire, est mélodieux, expressif, charmant. Le quatuor, d'une naïveté extrême, prend vers la coda un peu d'animation, grâce à l'intervention d'un trait de violon rapide. Une marche avec sourdines termine bien le premier acte.

L'air de la soubrette est malheureusement entaché de ces traits et de ces vocalisations grotesques employés par Mozart, même dans ses plus magnifiques ouvrages. C'était le goût du temps, dira-t-on; tant pis pour le temps et tant pis pour nous maintenant. Mozart, à coup sûr, eût mieux fait de consulter son goût à lui. La partie de soprano de ce morceau est, d'ailleurs, écrite trop constamment dans le haut. Ce défaut dut être moins sensible à l'époque où le diapason était d'un grand demi-ton plus bas que le diapason actuel.

Les couplets fort plaisants chantés par Bataille et Froment, ont eu les honneurs du bis. L'air en d'Osmin, qui leur succède, offre cette particularité, très-remarquable chez Mozart, d'un thème rhythmé de trois en trois mesures, suivi d'une phrase rhythmée de quatre en quatre. Mozart lui-même ne croyait pas qu'il fût insensé de rhythmer une mélodie autrement que dans la forme dite carrée?.. Tout un système se trouve dérangé par ce fait. Le rôle de Belmont contient encore une gracieuse romance; la chanson du signal, avec son accompagnement de violons en pizzicato, est piquante; mais, à mon sens, le meilleur morceau de la partition serait le duo entre Constance et Belmont, qui la termine. Le sentiment en est fort beau, le style beaucoup plus élevé que tout ce qui précède, la forme plus grande, et les idées en sont magistralement développées.

L'Enlèvement, au dire de presque tous nos confrères de la critique musicale, a été exécuté au Théâtre-Lyrique avec la plus scrupuleuse fidélité. On a seulement mis en deux actes la pièce qui était en trois, interverti l'ordre de succession de quelques morceaux, retiré un grand air du rôle de madame Meillet pour le faire passer dans celui de madame Ugalde, et placé entre les deux actes la fameuse marche turque si connue des pianistes qui jouent Mozart.

Allons! à la bonne heure! voilà ce qu'on doit appeler une scrupuleuse fidélité!..

MOYEN TROUVÉ PAR M. DELSARTE
D'ACCORDER LES INSTRUMENTS A CORDES

SANS LE SECOURS DE L'OREILLE

Entendez-vous, pianistes, guitaristes, violonistes, violoncellistes, contre-bassistes, harpistes, accordeurs, et vous donc, chefs d'orchestre! sans le secours de l'oreille!!! Voilà une découverte immense, incomparable, sans prix, pour nous autres surtout, tristes auditeurs de pianos discordants, de violons, de violoncelles discordants; de harpes discordantes; d'orchestres discordants. L'invention de M. Delsarte va vous mettre dans l'obligation de ne plus nous torturer, de ne plus nous faire suer de douleur, de ne plus nous pousser au suicide. Sans le secours de l'oreille!!! Non-seulement l'oreille devient inutile pour accorder les instruments, mais il est dangereux de la consulter, mais il faut à toute force ne pas la consulter. Quel avantage pour ceux qui n'en ont pas! Jusqu'à présent c'était le contraire, et nous vous pardonnions les tourments que vous nous infligiez; mais à l'avenir, si vos instruments, si vos orchestres ne sont pas d'accord, vous n'aurez point d'excuses, et nous vous dénoncerons à la vindicte publique. Sans le secours de l'oreille!!! secours si souvent inutile et trompeur, et fatal! La découverte de M. Delsarte n'a d'action que sur les instruments à cordes, et c'est beaucoup, c'est énorme. D'où il suit que dans les orchestres dirigés et accordés sans le secours de l'oreille, il n'y aura plus de discordance maintenant qu'entre les flûtes, les hautbois, les clarinettes, les bassons, les cors, les cornets, les trompettes, les trombones, l'ophicléide, le tuba et les timbales. Le triangle pourrait, à la rigueur, être accordé par le nouveau procédé, mais il est généralement reconnu que cela n'est pas nécessaire; de même que pour les cloches, la discordance entre le triangle et les autres instruments fait bien, on aime cela dans tous les théâtres lyriques.

Et les chanteurs, dont vous ne parlez pas, me dira-t-on, sera-t-il possible de les faire chanter juste, de les faire s'accorder? – Les chanteurs? Deux ou trois d'entre eux sont naturellement d'accord. Quelques-uns, avec de bons soins et de la rigueur, pourront être à peu près accordés; mais tous les autres ne furent, ne sont et ne seront d'accord ni individuellement, ni entre eux, ni avec les instruments, ni avec le chef d'orchestre, ni avec le rhythme, ni avec l'harmonie, ni avec l'accent, ni avec l'expression, ni avec le diapason, ni avec la langue, ni avec rien qui ressemble à la précision et au bon sens. Depuis quelque temps ils ne sont même plus d'accord avec les claqueurs, qui menacent de les abandonner. Ce sera bien fait; mais quelle catastrophe!

M. Delsarte a rendu aisément praticable l'accord du piano surtout, au moyen d'un instrument qu'il appelle le phonoptique, et dont il serait trop long de faire ici la description. Il nous suffira de dire qu'il contient une aiguille indiquant le moment précis où deux ou plusieurs cordes sont exactement à l'unisson; en ajoutant que le résultat invariable de l'opération est, pour quiconque en veut prendre la peine, une justesse telle que l'oreille la plus exercée n'en saurait atteindre la perfection.

Les acousticiens ne manqueront pas de s'occuper prochainement de la précieuse invention que nous signalons et dont l'emploi ne saurait tarder à devenir populaire.

LA MUSIQUE A L'ÉGLISE
PAR M. JOSEPH D'ORTIGUE

L'auteur a la probité littéraire et la modestie bien rares aujourd'hui de déclarer dans sa préface qu'il nous présente un volume et non pas un livre. «C'est, dit-il, un choix d'articles relatifs au plain-chant et à la musique d'Église, publiés dans les journaux et les revues depuis environ vingt-cinq ans. Ces articles, écrits souvent à de longs intervalles les uns des autres, disséminés çà et là dans des feuilles fort différentes entre elles de tendance et d'esprit, et s'adressant à diverses classes de lecteurs, soumis en outre à une révision complète, quelques-uns même à une refonte sévère, ces articles pourront être, ainsi réunis, considérés comme voyant le jour pour la première fois. Tel est ce volume. Si les matériaux en sont vieux, l'ensemble pourra présenter quelque nouveauté.» Il en présente beaucoup, en effet, et il joint à cet attrait de la nouveauté l'intérêt de tous les livres vraiment utiles, écrits d'ailleurs d'une façon élégante, correcte et parfaitement claire. Cette dernière qualité pour bien des gens, et je suis du nombre, est d'un prix considérable, rien ne leur étant plus odieux que ce style amphigourique, dont la prétendue profondeur a pour effet bien moins encore de voiler la pensée de l'auteur, d'en rendre la perception difficile, que d'en cacher l'absence. Ce sont des livres que le lecteur ferme d'ordinaire à la quatrième page, en disant: «Je ne sais ce que l'écrivain a voulu dire, et sans doute lui-même ne le sait pas davantage.» Ceci me rappelle un traité d'harmonie composé dans un système fort ingénieux, disait-on, par un savant mathématicien. Je le lus avec une attention qui faillit me rendre malade, sans y rien comprendre. L'auteur, à qui j'avais avoué que le sens de son œuvre m'échappait complétement, m'offrit de venir me l'expliquer. Nous eûmes un long entretien à ce sujet, et les explications verbales ne parvinrent pas plus que la prose écrite à me faire pénétrer la signification de ce traité mystérieux. «Je suis sans doute mal disposé aujourd'hui, dis-je à l'auteur; si vous vouliez bien m'accorder une autre heure d'études, je serais peut-être à cette seconde épreuve plus intelligent.» Nouveau rendez-vous pris. Je m'obstinais, j'étais curieux de savoir si je parviendrais à comprendre. Le théoricien revint, recommença l'exposé de sa doctrine, de ses exemples, l'explication de son système, etc., etc. Je faisais des efforts surhumains d'attention; mon cerveau semblait se tordre dans mon crâne; quant à l'auteur, il suait à grosses gouttes, voyant combien je mettais à l'écouter de bonne volonté sans résultats. Enfin il fallut renoncer à prolonger l'expérience, et je dus dire au démonstrateur: «C'est inutile, monsieur, je n'ai pas la moindre idée de ce que vous voulez me faire entendre. C'est absolument comme si vous me parliez chinois!» Et ce savant avait fait un gros livre pour enseigner l'harmonie à ceux qui ne la savent pas

Rien de pareil, ai-je besoin de le répéter, dans l'ouvrage de M. d'Ortigue; et si je diffère avec lui d'opinion sur quelques points, au moins sais-je bien en quoi et pourquoi cette différence existe. Son ouvrage a pour but principal d'étudier et de faire comprendre la nature de l'art musical religieux, c'est-à-dire de l'art des sons appliqué au service religieux, à chanter les textes sacrés dans les églises catholiques; de démontrer les aberrations des musiciens qui, sans en apprécier l'importance, ont osé entreprendre cette tâche, ainsi que la tolérance coupable des membres du clergé à leur égard, tolérance expliquée par une profonde ignorance du sens expressif de l'art des sons et l'absence de goût. L'ouvrage de M. d'Ortigue se propose, en outre, d'exalter le système musical du plain-chant aux dépens de la musique moderne, aux dépens de la musique, en déclarant le plain-chant seul capable d'exprimer dignement le sentiment religieux. L'auteur, en conséquence, cherche d'une part les moyens de remédier aux innombrables abus de la musique introduite à l'église, et, de l'autre, à tirer le plain-chant de la corruption dans laquelle il est tombé.

 

Ces abus révoltants, dont il donne des exemples, ne sont pas, il est vrai, propres à notre temps; on sait jusqu'à quel degré de cynisme et d'imbécillité étaient parvenus les anciens contre-pointistes qui prenaient pour thèmes de leurs compositions dites religieuses des chansons populaires dont les paroles grivoises et même obscènes étaient connues de tous et qu'ils faisaient servir de fond à leur trame harmonique pendant le service divin. On connaît la messe de l'Homme armé.

La gloire de Palestrina est d'avoir fait disparaître cette barbarie.

Nous avons pourtant vu, il y a trente-cinq ans à peine, de quoi nos prêtres missionnaires étaient capables dans leur niaise affection pour la musique et leur zèle aveugle et sourd. Ils faisaient chanter dans l'église de Sainte-Geneviève, pendant les cérémonies, des cantiques dont les airs étaient empruntés aux vaudevilles du théâtre des Variétés, tels que celui-ci:

 
C'est l'amour, l'amour, l'amour,
Qui fait le monde
A la ronde!
 

Mais le chef-d'œuvre du genre a été fourni plus récemment par un musicien d'une certaine notoriété et qui a osé faire imprimer ledit chef-d'œuvre pour l'édification des âmes religieuses et des gens de bon sens. Ceci n'est pas un conte fait à plaisir; j'ai lu cette monstrueuse partition.

Voici en quels termes en parle M. d'Ortigue:

«J'ai dit dans un précédent article que les Concerts spirituels, publiés à Avignon en 1835, avaient été dépassés par une production plus étrange encore. Ils ont été dépassés en effet, et de beaucoup, par la Messe de Rossini, mise au jour il y a quelques années par ce spirituel, mais trop jovial Castil-Blaze, qui semble avoir voulu couronner sa carrière d'arrangeur par l'arrangement le plus inouï qu'on puisse imaginer, comme s'il avait juré de se porter un défi à lui-même. Je ne ferai qu'indiquer les principaux morceaux de cette Messe de Rossini. Le Kyrie est sur la marche de l'entrée d'Otello. Le Gloria débute par le chœur d'introduction du même ouvrage, qui fournit encore quelques autres fragments jusqu'à la seconde moitié du verset final: Cum Sancto Spiritu, in gloria Dei patris, amen, paroles que l'arrangeur a ajustées sur la strette du quintette de la Cenerentola, morceau bouffe d'une gaieté désopilante, allegro rapide à trois temps. On ne peut se représenter l'effet extravagant et grotesque de ce texte, Cum Sancto Spiritu, débité syllabiquement, une syllabe par croche, sur ce mouvement accéléré. Le reste est à l'avenant. Le Credo s'ouvre par la romance du Barbier de Séville: Ecco ridente il cielo; puis viennent les duos guerriers de Tancrède, d'Otello, un Resurrexit sur des roulades à grands ramages, et enfin l'Et vitam venturi seculi, sur le motif d'Arsace du finale de Semiramide: Atro evento prodigio. Un mot encore. Le Dona nobis pacem est martelé en accords frappés par le chœur sur une cabalette de Tancrède, la plus jolie et la plus pimpante du monde.»

M. d'Ortigue, bien entendu, ne rend pas Rossini responsable de toutes ces extravagances, c'est sur l'arrangeur seul que tombe sa critique. Il blâme vivement l'illustre maître, au contraire, d'avoir écrit certaines parties de son Stabat, qu'il trouve avec raison, ce me semble, plus théâtral dans son ensemble que religieux. Mais ce n'est pas la faute de la musique, de l'art mondain, comme il l'appelle, et il a tort de se laisser entraîner peu à peu à rendre ce bel art responsable des erreurs des musiciens, au point de déclarer qu'il ne saurait exister de véritable musique religieuse hors de la tonalité ecclésiastique. De sorte que l'Ave verum de Mozart, cette expression sublime de l'adoration extatique, qui n'est point dans la tonalité ecclésiastique, ne devrait pas être considéré comme de la vraie musique religieuse. Et c'est là que se décèle chez M. d'Ortigue une partialité pour le plain-chant que nous avouons ne pas partager. Bien plus, il nous est absolument impossible de comprendre comment ce plain-chant, fils de la musique grecque, de la musique des païens, peut lui paraître digne de chanter les louanges du Dieu des chrétiens, quand la musique, découverte moderne des chrétiens eux-mêmes, avec ses richesses de toute espèce que le plain-chant ne possède pas, ne peut y prétendre. C'est précisément la simplicité, le vague, la tonalité indécise, l'impersonnalité, l'inexpression qui font, aux yeux de M. d'Ortigue, le mérite principal du plain-chant. Il me semble qu'une statue récitant avec sa froide impassibilité, et sur une seule note, les paroles liturgiques, devrait alors réaliser l'idéal de la musique religieuse. M. d'Ortigue ne va pas jusque-là, bien que sa théorie eût dû l'y conduire.

Il blâme, au contraire, l'exécution du plain-chant, toujours chanté ou plutôt beuglé dans nos églises par des voix de taureau, accompagnées d'un serpent ou d'un ophicléide. Certes il a grandement raison. A entendre de telles successions de notes hideuses, et à l'accent menaçant, on se croirait transporté dans un antre de druides préparant un sacrifice humain. C'est affreux, mais je dois encore avouer que tous les morceaux de plain-chant que j'ai entendus étaient ainsi exécutés et avaient à peu près ce caractère.

Une discussion approfondie sur ce sujet et sur les questions qui s'y rattachent nous mènerait fort loin, et je crois qu'il serait aisé, tout en partageant l'indignation de notre savant confrère et ami contre les abus qui se sont introduits dans la musique d'Église et les erreurs révoltantes où sont tombés presque tous les grands maîtres en traitant ce genre difficile, je crois, dis-je, qu'il serait aisé de réhabiliter la musique. Elle n'est point coupable du mauvais usage qu'on a fait de sa puissance et de ses richesses. Elle produira d'ailleurs les effets du plain-chant tant qu'elle voudra, quand le plain-chant demeurer a forcément incapable de produire les effets de la musique. Quoiqu'il en soit, il faut louer beaucoup le livre de la Musique à l'église, il faut le recommander à tous les lecteurs qui s'intéressent à la dignité du culte comme à la dignité de l'art. Les membres du clergé surtout, qui par leur position ont à exercer une influence directe sur les mœurs musicales des églises, ne peuvent que gagner à le méditer.

 
Nocturnâ versate manu, versate diurnâ.