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Contes merveilleux, Tome I

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Mais bientôt elle aperçut le véritable pays où ils devaient se rendre, pays de belles montagnes bleues, de bois de cèdres, de villes et de châteaux. Bien avant le coucher du soleil, elle était assise sur un rocher devant l'entrée d'une grotte tapissée de jolies plantes vertes grimpantes, on eût dit des tapis brodés.

–Nous allons bien voir ce que tu vas rêver, cette nuit, dit le plus jeune des frères en lui montrant sa chambre.

–Si seulement je pouvais rêver comment vous aider! répondit-elle.

Et cette pensée la préoccupait si fort, elle suppliait si instamment Dieu de l'aider que, même endormie, elle poursuivait sa prière. Alors il lui sembla qu'elle s'élevait très haut dans les airs jusqu'au château de la fée Morgane qui venait elle-même à sa rencontre, éblouissante de beauté et cependant semblable à la vieille femme qui lui avait offert des baies dans la forêt.

–Tes frères peuvent être sauvés! dit la fée, mais auras-tu assez de courage et de patience? Si la mer est plus douce que tes mains délicates, elle façonne pourtant les pierres les plus dures, mais elle ne ressent pas la douleur que tes doigts souffriront, elle n'a pas de cœur et ne connaît pas l'angoisse et le tourment que tu auras à endurer.

«Vois cette ortie que je tiens à la main, il en pousse beaucoup de cette sorte autour de la grotte où tu habites, mais celle-ci seulement et celles qui poussent sur les tombes du cimetière sont utilisables —cueille-les malgré les cloques qui brûleront ta peau, piétine-les pour en faire du lin que tu tordras, puis tresse-les en onze cottes de mailles aux manches longues, tu les jetteras sur les onze cygnes sauvages et le charme mauvais sera rompu. Mais n'oublie pas qu'à l'instant où tu commenceras ce travail, et jusqu'à ce qu'il soit terminé, même s'il faut des années, tu ne dois prononcer aucune parole, le premier mot que tu diras, comme un poignard meurtrier frappera le cœur de tes frères, de ta langue dépend leur vie. N'oublie pas!»

La fée effleura de l'ortie la main d'Elisa et la brûlure l'éveilla. Il faisait grand jour, et tout près de l'endroit où elle avait dormi, il y avait une ortie pareille à celle de son rêve. Alors elle tomba à, genoux et remercia Notre-Seigneur puis elle sortit de la grotte pour commencer son travail.

De ses mains délicates, elle arrachait les orties qui brûlaient comme du feu formant de grosses cloques douloureuses sur ses mains et ses bras mais elle était contente de souffrir pourvu qu'elle pût sauver ses frères. Elle foula chaque ortie avec ses pieds nus et tordit le lin vert.

Au coucher du soleil les frères rentrèrent. Ils s'effrayèrent de la trouver muette, craignant un autre mauvais sort jeté par la méchante belle-mère, mais voyant ses mains, ils se rendirent compte de ce qu'elle faisait pour eux. Le plus jeune des frères se prit à pleurer et là où tombaient ses larmes, Elisa ne sentait plus de douleur, les cloques brûlantes s'effaçaient.

Elle passa la nuit à travailler n'ayant de cesse qu'elle n'eût sauvé ses frères chéris et tout le jour suivant, tandis que les cygnes étaient absents, elle demeura à travailler solitaire mais jamais le temps n'avait volé si vite. Une cotte de mailles était déjà terminée, elle commençait la seconde.

Alors un cor de chasse sonna dans les montagnes, elle en fut tout inquiète, le bruit se rapprochait, elle entendait les abois des chiens. Effrayée, elle se réfugia dans la grotte, lia en botte les orties qu'elle avait cueillies et démêlées et s'assit dessus.

À ce moment un grand chien bondit hors du hallier suivi d'un autre et d'un autre encore. Ils aboyaient très fort, couraient de tous côtés, au bout de quelques minutes tous les chasseurs étaient là devant la grotte et le plus beau d'entre eux, le roi du pays, s'avança vers Elisa. Jamais il n'avait vu fille plus belle.

–Comment es-tu venue ici, adorable enfant? s'écria-t-il.

Elisa secoua la tête, elle n'osait parler, le salut et la vie de ses frères en dépendaient. Elle cacha ses jolies mains sous son tablier pour que le roi ne vît pas sa souffrance.

–Viens avec moi, dit le roi, ne reste pas ici. Si tu es aussi bonne que belle, je te vêtirai de soie et de velours, je mettrai une couronne d'or sur ta tête et tu habiteras le plus riche de mes palais!

Il la souleva et la plaça sur son cheval, mais elle pleurait et se tordait les mains, alors le roi lui dit:

–Je ne veux que ton bonheur, un jour tu me remercieras!

Et il s'élança à travers les montagnes, la tenant devant lui sur son cheval et suivi au galop par les autres chasseurs.

Au soleil couchant la magnifique ville royale avec ses églises et ses coupoles s'étalait devant eux. Le roi conduisit la jeune fille dans le palais où les jets d'eau jaillissaient dans les salles de marbre, où les murs et les plafonds rutilaient de peintures, mais elle n'avait pas d'yeux pour ces merveilles; elle pleurait et se désolait. Indifférente, elle laissa les femmes la parer de vêtements royaux, tresser ses cheveux et passer des gants très fins sur ses doigts brûlés.

Alors, dans ces superbes atours, elle était si resplendissante de beauté que toute la cour s'inclina profondément devant elle et que le roi l'élut pour fiancée, malgré l'archevêque qui hochait la tête et murmurait que cette belle fille des bois ne pouvait être qu'une sorcière qui séduisait le cœur du roi.

Le roi ne voulait rien entendre, il commanda la musique et les mets les plus rares. Les filles les plus ravissantes dansèrent pour elle. On la conduisit à travers des jardins embaumés dans des salons superbes, mais pas le moindre sourire ne lui venait aux lèvres ni aux yeux, la douleur seule semblait y régner pour l'éternité. Le roi ouvrit alors la porte d'une petite pièce attenante à celle où elle devait dormir, qui était ornée de riches tapisseries vertes rappelant tout à fait la grotte où elle avait habité. La botte de lin qu'elle avait filée avec les orties était là sur le parquet et au plafond pendait la cotte de mailles déjà terminée,—un des chasseurs avait emporté tout ceci comme curiosité.

–Ici tu pourras rêver que tu es encore dans ton ancien logis, dit le roi, voici ton ouvrage qui t'occupait alors, ici, au milieu de tout ton luxe, tu t'amuseras à repenser à ce temps-là.

Quand Elisa vit ces choses qui lui tenaient tant à cœur, un sourire joua sur ses lèvres et le sang lui revint aux joues. Elle pensait au salut de ses frères et baisa la main du roi qui la pressa sur son cœur et ordonna de sonner toutes les cloches des églises. L'adorable fille muette des bois allait devenir reine.

L'archevêque avait beau murmuré de méchants propos aux oreilles du roi, ils n'allaient pas jusqu'à son cœur, la noce devait avoir lieu. C'est l'archevêque lui-même qui devait mettre la couronne sur la tête de la mariée et, dans sa malveillance, il enfonça avec tant de force le cercle étroit sur le front d'Elisa qu'il lui fit mal, mais une douleur autrement lourde lui serrait le cœur, le chagrin qu'elle avait pour ses frères. Sa bouche demeurait muette puisqu'un seul mot trancherait leur vie, mais ses yeux exprimaient un amour profond pour ce roi si bon et si beau qui ordonnait tout pour son plaisir. Jour après jour, elle s'attachait à lui davantage. Oh! si elle osait seulement se confier à lui, lui dire sa souffrance, mais non, il lui fallait être muette, muette elle devait achever son ouvrage. Aussi se glissait-elle la nuit hors de leur lit pour aller dans la petite chambre décorée comme la grotte et là, elle tricotait une cotte de mailles après l'autre. Quand elle fut à la septième, il ne lui restait plus de lin.

Elle savait que les orties qu'il lui fallait employer poussaient au cimetière, mais elle devait les cueillir elle-même, comment pourrait-elle sortir?

«Oh! qu'est-ce que la souffrance à mes doigts à côté du tourment de mon cœur, pensait-elle, il faut que j'ose, Dieu ne m'abandonnera pas!» Le cœur battant comme si elle commettait une mauvaise action, elle sortit dans la nuit éclairée par la lune, descendit au jardin, suivit les longues allées et les rues désertes jusqu'au cimetière. Là elle vit sur une des plus larges pierres tombales un groupe de hideuses sorcières. Elisa était obligée de passer à côté d'elles et elles la fixaient de leurs yeux mauvais, mais la jeune fille récita sa prière, cueillit des orties brûlantes et rentra au château.

Une seule personne l'avait vue: l'archevêque resté debout tandis que les autres dormaient. Ainsi il avait donc eu raison dans ses soupçons malveillants sur la reine, elle n'était qu'une sorcière!

Dans le secret du confessionnal, il dit au roi ce qu'il avait vu, ce qu'il craignait et quand ces paroles si dures sortirent de sa bouche, les saints de bois sculptés secouaient la tête comme s'ils voulaient dire que ce n'était pas vrai, qu'Elisa était innocente.

Des larmes amères coulaient sur les joues du roi, il rentra chez lui avec un doute au cœur. Maintenant, la nuit, il faisait semblant de dormir mais il ne trouvait pas le sommeil, il remarquait qu'Elisa se levait chaque nuit et chaque nuit il la suivait et la voyait disparaître dans sa petite chambre.

Jour après jour, il devenait plus sombre, Elisa le voyait bien mais ne se l'expliquait pas; elle s'inquiétait cependant et que ne souffrit-elle alors en son cœur pour ses frères! Ses larmes coulaient sur le velours et la pourpre royale, elles y tombaient comme des diamants scintillants, et les dames de la cour qui voyaient toute cette magnificence eussent bien voulu être reines à sa place.

Cependant, elle devait être bientôt au terme de son ouvrage, il ne manquait plus qu'une cotte de mailles, encore une fois elle n'avait plus de lin et plus une seule ortie. Il lui fallait encore une fois, la dernière, s'en aller au cimetière en cueillir quelques poignées. Elle redoutait cette course solitaire et les terribles sorcières, mais sa volonté restait ferme et aussi sa confiance en Dieu.

 

Elisa partit donc, mais le roi et l'archevêque la suivaient; ils la virent disparaître à la grille du cimetière et, quand eux-mêmes s'en approchèrent, ils virent les affreuses sorcières assises sur la dalle comme Elisa les avait vues. Alors le roi s'en retourna, il se la figurait parmi les sorcières, elle dont la tête avait, ce même soir, reposé sur sa poitrine.

–C'est le peuple qui la jugera, dit-il.

Le peuple la condamna, elle devait être brûlée vive.

Arrachée aux magnifiques salons royaux, Elisa fut jetée dans un cachot sombre et humide où le vent soufflait à travers les barreaux de la fenêtre; au lieu du velours et de la soie, on lui donna, pour poser sa tête, la botte d'orties qu'elle avait cueillie, les rudes cottes de mailles brûlantes qu'elle avait tricotées devaient lui servir de couvertures et de couette, mais aucun présent ne pouvait lui être plus cher. Elle se remit à son ouvrage en priant Dieu.

Vers le soir elle entendit un bruissement d'ailes de cygnes devant les barreaux: c'était le plus jeune des frères qui l'avait retrouvée. Alors elle sanglota de joie et pourtant elle savait que cette nuit serait sans doute la dernière de sa vie. Mais maintenant, l'ouvrage était presque achevé et ses frères étaient là....

L'archevêque arriva pour passer les heures ultimes avec elle—il l'avait promis au roi—mais elle, secouant la tête, le pria par ses regards et sa mimique de s'en aller, cette nuit même il fallait que son travail fût terminé, sinon tout aurait été inutile, sa douleur, ses larmes et ses nuits sans sommeil. L'archevêque la quitta sur quelques méchantes paroles, mais continua sa besogne.

Les petites souris couraient sur le plancher et traînaient des orties jusqu'à ses pieds afin de l'aider de leur mieux, et un merle se posa devant la fenêtre et siffla toute la nuit pour qu'elle ne perdît pas courage.

Ce n'était pas encore l'aube—le soleil ne se lèverait qu'une heure plus tard—quand les onze frères se présentèrent au portail du château. Ils demandaient qu'on les mène auprès du souverain mais on leur répondit que c'était tout à fait impossible. Sa Majesté dormait et nul n'eût osé le réveiller. Ils supplièrent, ils menacèrent jusqu'à ce que le garde parût et le roi lui-même. À cet instant, le soleil se leva, plus de frères, mais au-dessus du palais, onze cygnes sauvages volaient à tire-d'aile.

Maintenant la foule se pressait, tout le peuple voulait voir brûler la sorcière. Une vieille haridelle traînait la charrette où on l'avait assise vêtue d'une blouse de grosse toile, ses cheveux tombaient autour de son visage d'une mortelle pâleur, ses lèvres remuaient doucement tandis que ses doigts tordaient le lin vert. Même sur le chemin de la mort, elle n'abandonnerait pas l'œuvre commencée, dix cottes de mailles étaient posées à ses pieds, elle tricotait la onzième.

–Voyez la sorcière, qu'est-ce qu'elle marmonne? Elle n'a bien sûr pas de livre de psaumes dans les mains, mais bien toutes ses sorcelleries; arrachez-lui ça, mettez tout en pièces.

Ils se ruaient et se pressaient pour l'atteindre, mais voici venir par les airs onze cygnes blancs, ils se posèrent autour d'elle dans la charrette en battant de leurs larges ailes. La foule, épouvantée, recula.

–C'est un avertissement du ciel, elle est innocente, murmurait-on tout bas.

Déjà le bourreau saisissait sa main, alors en toute hâte elle jeta les onze cottes de mailles sur les cygnes, et à leur place parurent onze princes délicieux, le plus jeune avait une aile de cygne à la place d'un de ses bras, car il manquait encore une manche à la dernière tunique qu'elle n'avait pu terminer.

–Maintenant j'ose parler, s'écria-t-elle, je suis innocente.

Et le peuple, ayant vu le miracle, s'inclina devant elle comme devant une sainte, mais elle tomba inanimée dans les bras de ses frères, brisée par l'attente, l'angoisse et la douleur.

–Oui, elle est innocente! dit l'aîné des frères.

Il raconta tout ce qui était arrivé et, tandis qu'il parlait, un parfum se répandait comme des millions de roses. Chaque morceau de bois du bûcher avait pris racine et des branches avaient poussé formant un grand buisson de roses rouges. À sa cime, une fleur blanche resplendissait de lumière comme une étoile, le roi la cueillit et la posa sur la poitrine d'Elisa. Alors elle revint à elle.

Toutes les cloches des églises se mirent à sonner d'elles-mêmes et les oiseaux arrivèrent, volant en grandes troupes. Le retour au château fut un nouveau cortège nuptial comme aucun roi au monde n'en avait jamais vu.

Le dernier rêve du chêne

Au sommet de la falaise haute et ardue, en avant de la forêt qui arrivait jusqu'aux bords de la mer, s'élevait un chêne antique et séculaire. Il avait justement atteint trois cent soixante-cinq ans; on ne l'aurait jamais cru en voyant son apparence robuste.

Souvent, par les beaux jours d'été, les éphémères venaient s'ébattre et tourbillonner gaiement autour de sa couronne; une fois, une de ces petites créatures, après avoir voltigé longuement au milieu d'une joyeuse ronde, vint se reposer sur une des belles feuilles du chêne.

–Pauvre mignonne! dit l'arbre, ta vie entière ne dure qu'un jour. Que c'est peu! Comme c'est triste!

–Triste! répondit le gentil insecte, que signifie donc ce mot que j'entends parfois prononcer? Le soleil reluit si merveilleusement! l'air est si bon, si doux! je me sens tout transporté de bonheur.

–Oui, mais dans quelques heures, ce sera fini; tu seras trépassé.

–Trépassé? s'écria l'éphémère. Qu'est-ce encore que ce mot? Toi, es-tu aussi trépassé?

–Non, j'ai déjà vécu bien des milliers de jours; nos journées ce sont, à dire vrai, des saisons entières. Mais comment te faire comprendre cela? C'est une telle longueur de temps que cela doit dépasser tout ce que tu peux imaginer.

–En effet, je ne me figure pas bien, reprit l'insecte, ce que cela peut durer, mille jours. N'est-ce pas ce qu'on appelle l'éternité? En tout cas, si tu vis si longtemps, mon existence compte déjà mille moments où j'ai été joyeux et heureux. Et, quand tu mourras, est-ce que tout ce bel univers périra en même temps?

–Non certes, répliqua le chêne, il durera bien plus longtemps que moi; à mon tour, je ne puis me le figurer.

–Eh bien! alors nous en sommes au même point, sauf que nous calculons d'une façon différente.

Et l'éphémère reprit sa danse folle et s'élança dans les airs, s'amusant de l'éclat de ses ailes transparentes qui brillaient comme le plus beau satin; il respirait à pleins poumons l'air embaumé par les senteurs de l'églantier, des chèvrefeuilles, du sureau, de la menthe et par l'odeur du foin coupé; et l'insecte se sentait comme enivré, à force de respirer ces parfum. La journée continua à être splendide; l'éphémère se reposa encore plusieurs fois pour recommencer à tournoyer en ronde avec ses compagnons. Le soleil commença à baisser et l'insecte se sentit un peu fatigué de toute cette gaieté; ses ailes faiblissaient, et tout lentement il glissa le long du chêne jusque sur le doux gazon. Il vint à choir sur la feuille d'une pâquerette, et souleva encore une fois sa petite tête pour embrasser d'un regard la campagne riante et la mer bleue. Puis ses yeux se fermèrent; un doux sommeil s'empara de lui: c'était la mort.

Le lendemain, le chêne vit renaître d'autres éphémères; il s'entretint avec eux aussi et il les vit de même danser, folâtrer joyeusement et s'endormir paisiblement en pleine félicité. Ce spectacle se répéta souvent; mais l'arbre ne le comprenait pas bien; il avait cependant le temps de réfléchir: car si, chez nous autres hommes, nos pensées sont interrompues tous les jours par le sommeil, le chêne, lui, ne dort qu'en hiver; pendant les autres saisons, il veille sans cesse. Le temps approchait où il allait se reposer; l'automne était à sa fin. Déjà les taupes commençaient leur sabbat. Les autres arbres étaient déjà dépouillés, et le chêne aussi perdait tous les jours de ses feuilles.

«Dors, dors, chantaient les vents autour de lui. Nous allons te bercer gentiment, puis te secouer si fort que tes branches en craqueront d'aise. Dors bien, dors. C'est ta trois cent soixante-cinquième nuit. En réalité, comparé à nous, tu n'es qu'un enfant au berceau. Dors, dors bien! Les nuages vont semer de la neige; ce sera une belle et chaude couverture pour tes racines.

Et le chêne perdit toutes ses feuilles, et, en effet, il s'endormit pour tout le long hiver; et il eut bien des rêves, où sa vie passée lui revint en souvenir.

Il se rappela comment il était sorti d'un gland; comment, étant encore un tout mince arbuste, il avait failli être dévoré par une chèvre. Puis il avait grandi à merveille; plusieurs fois, les gardes de la forêt l'avaient admiré et avaient pensé à le faire abattre pour en tirer des mâts, des poutres, des planches solides. Il était cependant arrivé à son quatrième siècle, et aujourd'hui personne ne songeait plus à le faire couper; il était devenu l'ornement de la forêt; sa superbe couronne dépassait tous les autres arbres; et, de loin on l'apercevait de la mer et il servait de point de repère aux marins. Au printemps, dans ses hautes branches, les ramiers bâtissaient leur nid; le coucou y était à demeure et faisait, de là, résonner au loin son cri monotone. L'automne, quand les feuilles de chêne, toutes jaunies, ressemblent à des plaques de cuivre, les oiseaux voyageurs s'assemblaient de toutes parts sur ce géant de la forêt et s'y reposaient une dernière fois avant d'entreprendre le grand voyage d'outre-mer.

Maintenant donc, l'hiver était venu; après avoir longtemps résisté aux aquilons, les feuilles du chêne étaient presque toutes tombées; les corbeaux, les corneilles venaient se percher sur ses branches et taillaient des bavettes sur la dureté des temps, sur la famine prochaine qui s'annonçait pour eux.

Survint la veille du saint jour de Noël, et ce fut alors que le vieux chêne rêva le plus beau rêve de sa vie. Il avait le sentiment de la fête qui se préparait partout sur la terre, là où il y a des chrétiens; il sentait les vibrations des cloches qui sonnaient de toutes parts. Mais il se croyait en été, par une splendide journée. Et voici ce qui lui apparut:

Sa haute et vaste couronne était fraîche et verte; les rayons de soleil y jouaient à travers les branches et le feuillage, et projetaient des reflets dorés. L'air était embaumé de senteurs vivifiantes; des papillons aux milles couleurs voltigeaient de toutes parts et jouaient à cache-cache, puis à qui volerait le plus haut. Des myriades d'éphémères donnaient une sarabande.

Voilà qu'un brillant cortège s'avance: c'étaient les personnages que le vieux chêne avait vus tour à tour passer devant lui pendant la longue suite d'années qu'il avait vécues. En tête marchait une cavalcade, des pages, des chevaliers aux armures étincelantes, qui revenaient de la croisade, des châtelains vêtus de brocart sur des palefrois caparaçonnés, et tenant sur la main des faucons encapuchonnés; le cor de chasse retentit, la meute aboyait, le cerf fuyait. Puis arriva une troupe de reîtres et de lansquenets, aux vêtements bouffants et bariolés, armés de hallebardes et d'arquebuses; ils dressèrent leur tente sous le vieux chêne, allumèrent le feu et, au milieu d'une orgie, ils entonnèrent des chants de guerre et des refrains bachiques.

Toute cette bande bruyante disparut, et l'on vit s'avancer en silence un jeune couple; ils avaient des cheveux poudrés et la dame était couverte de rubans aux couleurs tendres; et le monsieur tailla dans l'écorce du chêne les initiales de leurs deux noms; et ils écoutèrent avec ravissement les sons doux et étranges de la harpe éolienne qui était suspendue dans les branches de l'arbre.

Et, tout à coup, le chêne éprouva comme si un nouveau et puissant courant de vie partant des extrémités de ses racines le traversait de part en part, montant jusqu'à sa cime, jusqu'au bout de ses plus hautes feuilles.

Il lui semblait qu'il grandissait comme autrefois, que, du sein de la terre, il puisait une nouvelle vigueur; et, en effet, son tronc s'élançait, sa couronne s'étendait en dôme, et montait toujours plus haut vers le ciel; et plus le chêne s'élevait, plus il éprouvait de bonheur, et il ne désirait que monter encore au-delà, jusqu'au soleil, dont les rayons brillants le pénétraient d'une chaleur bienfaisante. Et sa couronne était déjà parvenue au-dessus des nuages qui, comme une troupe de grands cygnes blancs, flottaient sous le bleu firmament.

C'était en plein jour, et cependant les étoiles devinrent visibles; elles luisaient de leur plus bel éclat; elles rappelaient au vieux chêne les yeux brillants des joyeux enfants qui souvent étaient venus s'ébattre autour de lui.

 

Au spectacle de cette immensité, on était transporté de la félicité la plus pure. Mais le vieux chêne sentait qu'il lui manquait quelque chose; il éprouvait l'ardent désir de voir les autres arbres de la forêt, les plantes, les fleurs et jusqu'aux moindres broussailles enlevées comme lui et mises en présence de toutes ces splendeurs. Oui, pour qu'il fût entièrement heureux, il les lui fallait voir tous autour de lui, grands et petits, prenant part à sa félicité.

Et ce sentiment agitait, faisait vibrer ses branches, ses moindres feuilles; sa couronne s'inclina vers la terre, comme s'il avait voulu adresser un signal aux muguets et aux violettes cachés sous la mousse, aussi bien qu'aux autres chênes, ses compagnons.

Il lui sembla apercevoir tout à coup un grand mouvement; les cimes de la forêt se soulevaient, les arbres se mirent à pousser, à grandir jusqu'à percer les nues. Les ronces, les plantes, pour s'élever plus vite, quittaient terre avec leurs racines et accouraient au vol. Les plus vite arrivés, ce furent les bouleaux; leurs troncs droits et blancs traversaient les airs comme des flèches, presque comme des éclairs. Et l'on vit arriver les joncs, les genêts, les fougères, et aussi les oiseaux qui, émerveillés du voyage, chantaient à tue-tête leurs plus beaux airs de fête. Les sauterelles juchées sur les brins d'herbes jouaient leur petite musique, accompagnées par les grillons, le susurrement des abeilles et le faux bourdon des hannetons. Tout ce joyeux concert faisait une délicieuse harmonie.

–Mais, dit le chêne, où est donc restée la petite fleur bleue qui borde le ruisseau, et la clochette, et la pâquerette?

–Nous y sommes tous, tous! disaient en chœur les fleurettes, les arbres, les plantes, les habitants de la forêt.

Le vieux chêne jubilait.

–Oui, tous, grands et petits, disait-il, pas un ne manque. Nous nageons dans un océan de délices! Quel miracle!

Et il se sentit de nouveau grandir; soudainement ses racines se détachèrent de terre.» C'est ce qu'il y a de mieux, pensa-t-il; me voilà dégagé de tous liens; je puis m'élancer vers la lumière éternelle et m'y précipiter avec tous les êtres chéris qui m'entourent, grands et petits, tous!

–Tous! dit l'écho. Ce fut la fin du rêve du vieux chêne. Une tempête terrible soufflait sur mer et sur terre.

Des vagues énormes assaillaient la falaise, enlevant des quartiers de roche; les vents hurlaient et secouaient le vieux chêne; sa vigueur éprouvée luttait contre la tourmente, mais un dernier coup de vent l'ébranla et l'enleva de terre avec sa racine; il tomba, au moment où il rêvait qu'il s'élançait vers l'immensité des cieux. Il gisait là; il avait péri après ses trois cent soixante-cinq ans, comme l'éphémère après sa journée d'existence.

Le matin, lorsque le soleil vint éclairer le saint jour de Noël, l'ouragan s'était apaisé. De toutes les églises retentissait le son des cloches; même dans la plus humble cabane régnait l'allégresse. La mer s'était calmée; à bord d'un grand navire qui, toute la nuit, avait lutté, tous les mâts étaient décorés, tous les pavillons hissés pour célébrer la grande fête.

–Tiens, dit un matelot, l'arbre de la falaise, le grand chêne, qui nous servait de point de repère pour reconnaître la côte, a disparu. Hier encore, je l'ai aperçu de loin; c'est la tempête qui l'a abattu.

–Que d'années il faudra pour qu'il soit remplacé, dit un autre matelot. Et encore, il n'y aura peut-être aucun autre arbre assez fort pour grandir, comme lui.

Ce fut l'oraison funèbre prononcée sur la fin du vieux chêne, qui était étendu sur la nappe de neige qui lui servait de linceul; elle était toute à son honneur et bien méritée, ce qui est si rare.

À bord du navire, les marins entonnèrent les psaumes et les cantiques de Noël, qui célèbrent la délivrance des hommes par le Fils de Dieu, qui leur a ouvert la voie de la vie éternelle: «La promesse est accomplie, chantaient-ils. Le Sauveur est né. Oh! joie sans pareille! Alléluia! Alléluia!»

Et ils sentaient leurs cœurs élevés vers le ciel et transportés, tout comme le vieux chêne, dans son dernier rêve, s'était senti entraîné vers la lumière éternelle.

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