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Mont Oriol

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À dater de ce jour, Christiane et Paul semblèrent favoriser la cour ouverte que Gontran faisait à Charlotte.

On invitait plus souvent la jeune fille, on la gardait à dîner, on la traitait enfin comme si elle eût fait déjà partie de la famille.

Elle voyait bien tout cela, le comprenait, s’en affolait! Sa petite tête battait les champs et bâtissait en Espagne de fantastiques palais. Gontran, cependant, ne lui avait rien dit; mais son allure, toutes ses paroles, le ton qu’il prenait avec elle, son air de galanterie plus sérieuse, la caresse de son regard semblaient lui répéter chaque jour: «Je vous ai choisie; vous serez ma femme.»

Et le ton d’amitié douce, d’abandon discret, de réserve chaste qu’elle avait maintenant avec lui, semblait répondre: «Je le sais, et je dirai «oui» quand vous demanderez ma main.»

Dans la famille de la jeune fille on chuchotait. Louise ne lui parlait plus guère que pour l’irriter par des allusions blessantes, par des paroles aigres et mordantes. Le père Oriol et Jacques semblaient contents.

Elle ne s’était point demandé cependant si elle aimait ce joli prétendant dont elle serait sans doute la femme. Il lui plaisait, elle songeait à lui sans cesse, elle le trouvait beau, spirituel, élégant, elle pensait surtout à ce qu’elle ferait quand il l’aurait épousée.

Dans Enval on avait oublié les rivalités haineuses des médecins et des propriétaires des sources, les suppositions sur l’affection de la duchesse de Ramas pour son protecteur, tous les potins qui coulent avec l’eau des stations thermales, pour ne s’occuper que de cette chose extraordinaire: le comte Gontran de Ravenel allait épouser la petite Oriol.

Alors Gontran jugea le moment venu et prenant Andermatt par le bras, un matin, au sortir de table, il lui dit:

– Mon cher, le fer est chaud, battez-le! Voici la situation bien exacte. La petite attend ma demande sans que je me sois avancé en rien, mais elle ne la repoussera pas, soyez-en sûr. C’est le père qu’il faut tâter de telle sorte que nous fassions en même temps vos affaires et les miennes.

Andermatt répondit:

– Soyez tranquille. Je m’en charge. Je vais le sonder aujourd’hui même, sans vous compromettre et sans vous avancer; et quand la situation sera bien nette, je parlerai.

– Parfait.

Puis, après quelques instants de silence, Gontran reprit:

– Tenez, c’est peut-être ma dernière journée de garçon. Je vais à Royat où j’ai aperçu l’autre jour quelques connaissances. Je rentrerai dans la nuit et j’irai frapper à votre porte, pour savoir.

Il fit seller son cheval et s’en alla par la montagne, humant le vent pur et léger, et galopant par moments pour sentir la rapide caresse de l’air effleurer la peau fraîche de ses joues et chatouiller ses moustaches.

La soirée à Royat fut gaie. Il y rencontra des amis que des filles accompagnaient. On soupa longtemps; il revint fort tard. Tout le monde reposait dans l’hôtel du Mont-Oriol quand Gontran se mit à frapper à la porte d’Andermatt.

Personne ne répondit d’abord; puis, comme les coups devenaient violents, une voix enrouée, une voix de dormeur, grommela de l’intérieur:

– Qui est là?

– C’est moi, Gontran.

– Attendez, j’ouvre.

Andermatt apparut en chemise de nuit, la face bouffie, le poil du menton hérissé, la tête enveloppée d’un foulard. Puis, il se remit dans son lit, s’assit, et les mains étendues sur le drap:

– Eh bien, mon cher, ça ne va pas. Voici la situation. J’ai sondé ce vieux renard d’Oriol, sans parler de vous, en disant qu’un de mes amis – j’ai peut-être laissé comprendre qu’il s’agissait de Paul Brétigny – pourrait convenir à une de ses filles, et j’ai demandé quelle dot il leur donnait. Il m’a répondu en demandant à son tour quelle était la fortune du jeune homme; et j’ai fixé trois cent mille francs, avec des espérances.

– Mais je n’ai rien, murmura Gontran.

– Je vous les prête, mon cher. Si nous faisons ensemble cette affaire-là, vos terrains me donneront assez pour me rembourser.

Gontran ricana:

– Fort bien. J’aurai la femme et vous l’argent.

Mais Andermatt se fâcha tout à fait:

– Si je m’occupe de vous pour que vous m’insultiez, c’est fini, brisons là…

Gontran s’excusa:

– Ne vous fâchez pas, mon cher, et pardonnez-moi. Je sais que vous êtes un fort honnête homme, d’une irréprochable loyauté en affaires. Je ne vous demanderais pas un pourboire si j’étais votre cocher, mais je vous confierais ma fortune si j’étais millionnaire…

William, calmé, reprit:

– Nous reviendrons là-dessus tout à l’heure. Terminons à présent la grosse question. Le vieux n’a pas été dupe de mes ruses et m’a répondu: «C’est selon de laquelle il s’agit. Si c’est de Louise, l’aînée, voilà sa dot.» Et il m’a énuméré toutes les terres qui entourent l’établissement, celles qui relient les bains à l’hôtel et l’hôtel au Casino, toutes celles enfin qui nous sont indispensables, celles qui ont pour moi une inestimable valeur. Il donne au contraire à la cadette l’autre côté du mont, qui vaudra aussi beaucoup d’argent plus tard, sans doute, mais qui ne vaut rien pour moi. J’ai cherché, par tous les moyens possibles, à lui faire modifier cette répartition et à intervertir les lots. Je me suis heurté à un entêtement de mulet. Il ne changera pas, c’est décidé. Réfléchissez, qu’en pensez-vous?

Gontran, fort troublé, fort perplexe, répondit:

– Qu’en pensez-vous vous-même? Croyez-vous qu’il ait songé à moi en faisant ainsi les parts?

– Je n’en doute pas. Le rustre s’est dit: «Puisque la petite lui plaît, gardons le sac.» Il a espéré vous donner sa fille en conservant ses meilleures terres… Et puis, peut-être a-t-il voulu avantager l’aînée… Il la préfère… qui sait… elle lui ressemble davantage… elle est plus rusée… plus adroite… plus pratique… Je la crois forte, cette gamine-là… moi, à votre place… je changerais mon bâton d’épaule…

Mais Gontran, abasourdi, murmurait:

– Diable… diable… diable!… Et les terres de Charlotte… vous n’en voulez pas, vous?…

Andermatt s’écria:

– Moi… non… mille fois non!… Il me faut celles qui relient mes bains, mon hôtel et mon Casino. C’est bien simple. Je ne donnerais rien des autres, qui ne pourront se vendre que plus tard, par petits lots, à des particuliers…

Gontran répétait toujours:

– Diable… diable… en voilà une affaire embêtante… Alors vous me conseillez?

– Je ne vous conseille rien. Je pense que vous ferez bien de réfléchir avant de vous décider entre les deux soeurs.

– Oui… oui… c’est juste… je réfléchirai… je vais dormir d’abord… ça porte conseil…

Il se levait; Andermatt le retint:

– Pardon, mon cher, deux mots sur une autre chose. J’ai l’air de ne pas comprendre, mais je comprends très bien les allusions dont vous me piquez sans cesse, et je n’en veux plus.

Vous me reprochez d’être juif, c’est-à-dire de gagner de l’argent, d’être avare, d’être spéculateur à friser la filouterie. Or, mon cher, je passe ma vie à vous prêter cet argent que je gagne non sans peine, c’est-à-dire à vous le donner. Enfin laissons! Mais il y a un point que je n’admets pas! Non, je ne suis point un avare; la preuve c’est que je fais à votre soeur des cadeaux de vingt mille francs, que j’ai donné à votre père un Théodore Rousseau de dix mille francs dont il avait envie, que je vous ai offert, en venant ici, le cheval sur lequel vous avez été à Royat, tantôt.

En quoi donc suis-je avare? En ceci que je ne me laisse pas voler. Et nous sommes tous comme ça dans ma race, et nous avons raison, Monsieur. Je veux vous le dire une fois pour toutes. On nous traite d’avares parce que nous savons la valeur exacte des choses. Pour vous, un piano c’est un piano, une chaise c’est une chaise, un pantalon c’est un pantalon. Pour nous aussi, mais cela représente en même temps une valeur, une valeur marchande appréciable et précise qu’un homme pratique doit évaluer d’un seul coup d’oeil, non point par économie, mais pour ne pas favoriser la fraude.

«Que diriez-vous si une débitante de tabac vous demandait quatre sous d’un timbre-poste ou d’une boîte d’allumettes-bougies? Vous iriez chercher un sergent de ville, Monsieur, pour un sou, oui, pour un sou! tant vous seriez indigné! Et cela parce que vous connaissez, par hasard, la valeur de ces deux objets. Eh bien, moi, je sais la valeur de tous les objets trafiquables; et cette indignation qui vous saisirait si on réclamait quatre sous sur un timbre-poste, je l’éprouve quand on me demande vingt francs pour un parapluie qui en vaut quinze! Comprenez-vous? Je proteste contre le vol établi, incessant, abominable des marchands, des domestiques, des cochers. Je proteste contre l’improbité commerciale de toute votre race qui nous méprise. Je donne le pourboire que je dois donner relatif au service rendu, et non le pourboire de fantaisie que vous jetez, sans savoir pourquoi, et qui va de cinq sous à cent sous, selon le caprice de votre humeur! Comprenez-vous?»

Gontran s’était levé, et, souriant avec cette ironie fine qui allait bien sur sa lèvre:

– Oui, mon cher, je comprends, et vous avez tout à fait raison, d’autant plus raison que mon grand-père, le vieux marquis de Ravenel, n’a presque rien laissé à mon pauvre père, par suite de la mauvaise habitude qu’il avait de ne jamais ramasser la monnaie rendue par les marchands quand il payait un objet quelconque. Il trouvait cela indigne d’un gentilhomme, et donnait toujours la somme ronde et la pièce entière.

Et Gontran sortit d’un air très content.

III. On allait se mettre à table pour dîner, le lendemain…

On allait se mettre à table pour dîner, le lendemain, dans la salle à manger particulière des familles Andermatt et de Ravenel, quand Gontran ouvrit la porte en annonçant:

– Mesdemoiselles Oriol.

Elles entrèrent, gênées, poussées par lui qui riait en s’expliquant:

 

– Voilà, je les ai enlevées toutes les deux, en pleine rue. Ça a fait scandale, d’ailleurs. Je vous les amène de force, parce que j’ai à m’expliquer avec mademoiselle Louise et que je ne pouvais le faire au milieu du pays.

Il leur ôta leurs chapeaux, leurs ombrelles, qu’elles avaient encore, car elles revenaient d’une promenade, les fit asseoir, embrassa sa soeur, serra les mains de son père, de son beau-frère et de Paul, puis, revenant vers Louise Oriol:

– Ah çà, Mademoiselle, voulez-vous me dire, à présent, ce que vous avez contre nous depuis quelque temps?

Elle semblait effarée comme un oiseau pris au filet et que le chasseur emporte.

– Mais rien, Monsieur, rien de rien! Qu’est-ce qui vous a fait croire ça?

– Mais tout, Mademoiselle, tout de tout! Vous ne venez plus ici, vous ne venez plus dans l’arche de Noé (il avait ainsi baptisé le grand landau). Vous prenez des airs revêches quand je vous rencontre et quand je vous parle.

– Mais non, Monsieur, je vous assure.

– Mais oui, Mam’zelle, je vous l’affirme. En tout cas je ne veux point que cela dure et je vais signer la paix avec vous, aujourd’hui même. Oh! vous savez, je suis entêté, moi. Vous aurez beau me faire grise mine, je saurai bien venir à bout de ces manières-là et vous forcer à devenir gracieuse avec nous comme votre soeur, qui est un ange de gentillesse.

On annonça le dîner servi et ils passèrent dans la salle à manger. Gontran prit le bras de Louise.

Il fut plein d’attentions pour elle et pour sa soeur, partageant ses compliments avec un tact admirable, disant à la cadette:

– Vous, vous êtes notre camarade, je vais vous négliger pendant quelques jours. On fait moins de frais pour les amis que pour les autres, vous savez.

Et il disait à l’aînée:

– Vous, je veux vous séduire, Mademoiselle, et je vous préviens en ennemi loyal. Je vous ferai même la cour. Ah! vous rougissez, c’est bon signe. Vous verrez que je suis très gentil quand je m’en donne la peine. N’est-ce pas, mademoiselle Charlotte?

Et elles rougissaient, en effet, toutes les deux; et Louise balbutiait de son air grave:

– Oh! Monsieur, comme vous êtes fou!

Il répondait:

– Bah! vous en entendrez bien d’autres plus tard, dans le monde, quand vous serez mariée, ce qui ne tardera pas. C’est alors qu’on vous en fera, des compliments!

Christiane et Paul Brétigny l’approuvaient d’avoir ramené Louise Oriol; le marquis souriait, amusé par ce marivaudage enfantin; Andermatt pensait: «Pas bête, le gaillard.» Et Gontran, irrité du rôle qu’il lui fallait jouer, porté par ses sens vers Charlotte et par son intérêt vers Louise, murmurait entre ses dents, avec des sourires pour celle-ci:

– Ah! ton gredin de père a cru me jouer; mais je vais te mener tambour battant, ma petite; et tu verras si je m’y prends bien.

Et il les comparait en les regardant l’une après l’autre. Certes, la plus jeune lui plaisait davantage; elle était plus drôle, plus vivante, avec son nez un peu relevé, ses yeux vifs, son front étroit et ses belles dents un peu trop grandes, dans sa bouche un peu trop large.

Cependant, l’autre était aussi jolie, plus froide, moins gaie. Elle n’aurait jamais d’esprit, celle-là, ni de charme dans la vie intime, mais quand on annoncerait à l’entrée d’un bal: «Madame la comtesse de Ravenel», elle pourrait bien porter son nom, mieux que la cadette peut-être, avec un peu d’habitude et de frottement aux gens bien nés. N’importe, il rageait; il leur en voulait à toutes les deux, au père et au frère aussi, et il se promettait de leur faire payer sa mésaventure plus tard, quand il serait le maître.

Lorsqu’on fut revenu dans le salon, il se fit dire les cartes par Louise, qui savait fort bien annoncer l’avenir. Le marquis, Andermatt et Charlotte écoutaient avec attention, attirés malgré eux par le mystère de l’inconnu, par le possible de l’invraisemblable, par cette crédulité invincible au merveilleux qui hante l’homme et trouble souvent les plus forts esprits devant les plus niaises inventions des charlatans.

Paul et Christiane causaient dans l’embrasure d’une fenêtre ouverte.

Elle était misérable depuis quelque temps, ne se sentant plus chérie de la même façon; et leur malentendu d’amour s’accentuait chaque jour par leur faute mutuelle. Elle avait soupçonné ce malheur pour la première fois, le soir de la fête, en emmenant Paul sur la route. Mais, comprenant qu’il n’avait plus la même tendresse dans le regard, la même caresse dans la voix, le même souci passionné qu’autrefois, elle n’avait pu deviner la cause de ce changement.

Il existait depuis longtemps, depuis le jour où elle lui avait crié, avec bonheur, en arrivant au rendez-vous quotidien:

– Tu sais, je me crois enceinte vraiment.

Il avait éprouvé alors, à fleur de peau, un petit frisson désagréable.

Puis, à chacune de leurs rencontres, elle lui parla de cette grossesse qui faisait bondir son coeur de joie; mais cette préoccupation d’une chose qu’il jugeait, lui, fâcheuse, vilaine, malpropre, froissait son exaltation dévote pour l’idole qu’il adorait.

Plus tard, quand il la vit changée, maigrie, les joues creuses, le teint jaune, il pensa qu’elle aurait dû lui épargner ce spectacle et disparaître quelques mois, pour reparaître ensuite plus fraîche et plus jolie que jamais, en sachant faire oublier cet accident, ou peut-être en sachant unir à son charme coquet de maîtresse, un autre charme, savant et discret, de jeune mère, qui ne laisse voir son enfant que de loin, enveloppé de rubans roses.

Elle avait d’ailleurs une occasion rare de montrer ce tact qu’il attendait d’elle, en allant passer l’été à Mont-Oriol et en le laissant à Paris, lui, pour qu’il ne la vît pas défraîchie et déformée. Il espérait bien qu’elle le comprendrait!

Mais, à peine arrivée en Auvergne elle l’avait appelé en des lettres incessantes et désespérées, si nombreuses et si pressantes qu’il était venu par faiblesse, par pitié. Et maintenant, elle l’accablait de sa tendresse disgracieuse et gémissante; et il éprouvait un désir immodéré de la quitter, de ne plus la voir, de ne plus l’entendre chanter sa chanson amoureuse, irritante et déplacée. Il aurait voulu lui crier tout ce qu’il avait sur le coeur, lui expliquer combien elle se montrait maladroite et sotte, mais il ne le pouvait faire, et il n’osait pas s’en aller, et il ne pouvait non plus s’abstenir de lui témoigner son impatience par des paroles amères et blessantes.

Elle en souffrait d’autant plus que, malade, alourdie chaque jour davantage, travaillée par toutes les misères des femmes grosses, elle avait plus besoin que jamais d’être consolée, dorlotée, enveloppée d’affection. Elle l’aimait avec cet abandon complet du corps, de l’âme, de son être entier, qui fait de l’amour, quelquefois, un sacrifice sans réserves et sans limites. Elle ne se croyait plus sa maîtresse, mais sa femme, sa compagne, sa dévouée, sa fidèle, son esclave prosternée, sa chose. Pour elle, il ne s’agissait plus entre eux de galanterie, de coquetterie, de désir de plaire toujours, de frais de grâce à faire encore, puisqu’elle lui appartenait complètement, puisqu’ils étaient liés par cette chaîne si douce et si puissante: l’enfant qui naîtrait bientôt. Dès qu’ils furent seuls dans la fenêtre, elle recommença sa tendre lamentation:

– Paul, mon cher Paul, dis, m’aimes-tu toujours autant?

– Mais oui! Voyons, tu me répètes cela tous les jours, ça finit par être monotone.

– Pardonne-moi! C’est que je ne puis plus le croire, et j’ai besoin que tu me rassures, j’ai besoin de t’entendre me le dire sans cesse, ce mot si bon; et comme tu ne me le répètes plus si souvent qu’autrefois, je suis obligée de le demander, de l’implorer, de le mendier.

– Eh bien oui, je t’aime! Mais parlons d’autre chose, je t’en supplie!

– Oh! que tu es dur!

– Mais non, je ne suis pas dur. Seulement… seulement, tu ne comprends pas… tu ne comprends pas que…

– Oh oui! Je comprends bien que tu ne m’aimes plus. Si tu savais comme je souffre!

– Voyons, Christiane, je t’en conjure, ne me rends pas nerveux. Si tu savais, toi, comme c’est maladroit ce que tu fais là.

– Oh! si tu m’aimais, tu ne parlerais pas ainsi.

– Mais, sacrebleu, si je ne t’aimais plus je ne serais point venu.

– Écoute. Tu m’appartiens, maintenant, tu es à moi, et je suis à toi. Il y a entre nous cette attache d’une vie naissante que rien ne brise; mais promets-moi que si tu ne m’aimais plus, un jour, plus tard, tu me le dirais?

– Oui, je te le promets.

– Tu me le jures?

– Je te le jure.

– Mais alors, tout de même, nous resterions amis, n’est-ce pas?

– Certainement, que nous resterions amis.

– Le jour où tu ne m’aimeras plus d’amour, tu viendras me trouver, et tu me diras: “Ma petite Christiane, je t’aime bien, mais ce n’est plus la même chose. Soyons amis, là, rien qu’amis.”

– C’est entendu, je te le promets.

– Tu me le jures?

– Je te le jure.

– N’importe, j’aurai bien du chagrin! Comme tu m’adorais l’an dernier!

Une voix criait derrière eux:

– Madame la duchesse de Ramas-Aldavarra!

Elle venait en voisine, car Christiane recevait, tous les soirs, les principaux baigneurs, comme reçoivent les princes en leurs royaumes.

Le docteur Mazelli suivait la belle Espagnole avec des airs souriants et soumis. Les deux femmes se serrèrent la main, s’assirent et se mirent à causer.

Andermatt appelait Paul:

– Mon cher ami, venez donc, Mont-Oriol fait les cartes admirablement, elle m’a dit des choses surprenantes.

Il le prit par le bras et ajouta:

– Quel drôle d’être vous êtes, vous! À Paris, nous ne vous voyons jamais, pas une fois par mois, malgré les instances de ma femme. Ici, il a fallu quinze lettres pour vous faire venir. Et depuis que vous êtes arrivé on dirait que vous perdez un million par jour, tant vous avez une tête désolée. Allons, cachez-vous une affaire qui vous chiffonne? On pourrait peut-être vous aider? Il faut nous le dire.

– Rien du tout, mon cher. Si je ne viens pas plus souvent vous voir, à Paris… C’est qu’à Paris, vous comprenez?…

– Parfaitement… je saisis. Mais ici, au moins, il faut être en train. Je vous prépare deux ou trois fêtes qui seront, je crois, très réussies.

On annonçait:

– Madame Barre et Monsieur le professeur Cloche.

Il entra avec sa fille, une jeune veuve, rousse et hardie. Puis, presque aussitôt le même valet cria:

– Monsieur le professeur Mas-Roussel.

Sa femme l’accompagnait, pâle, mûre, avec des bandeaux plats sur les tempes.

Le professeur Rémusot était parti la veille, après avoir acheté son chalet à des conditions exceptionnellement favorables, disait-on.

Les deux autres médecins auraient bien voulu connaître ces conditions, mais Andermatt répondait seulement:

– Oh, nous avons pris de petits arrangements avantageux pour tout le monde. Si vous désiriez l’imiter, on verrait à s’entendre, on verrait… Quand vous serez décidé vous me préviendrez et alors nous causerons.

Le docteur Latonne apparut à son tour, puis le docteur Honorat, sans son épouse qu’il ne sortait pas.

Un bruit de voix maintenant emplissait le salon, une rumeur de causerie. Gontran ne quittait plus Louise Oriol, lui parlait sur l’épaule, et de temps en temps disait en riant à quiconque passait près de lui:

– C’est une ennemie dont je fais la conquête.

Mazelli s’était assis auprès de la fille du professeur Cloche. Depuis quelques jours il la suivait sans cesse; et elle recevait ses avances avec une audace provocante.

La duchesse ne le perdait point de vue, semblait irritée et frémissante. Tout à coup, elle se leva, traversa le salon, et rompant le tête-à-tête de son médecin avec la jolie rousse:

– Dites donc, Mazelli, nous allons rentrer. Je me sens un peu mal à l’aise.

Dès qu’ils furent sortis, Christiane, qui s’était rapprochée de Paul, lui dit:

– Pauvre femme! Elle doit tant souffrir!

Il demanda avec étourderie:

– Qui donc?

– La duchesse! Vous ne voyez pas comme elle est jalouse.

Il répondit brusquement:

– Si vous vous mettez à gémir sur tous les crampons, maintenant, vous n’êtes pas au bout de vos larmes.

Elle se détourna, prête à pleurer vraiment, tant elle le trouvait cruel, et, s’asseyant auprès de Charlotte Oriol qui demeurait seule, surprise, ne comprenant plus ce que faisait Gontran, elle lui dit sans que la fillette pénétrât le sens de ses paroles:

– Il y a des jours où l’on voudrait être mort.

Andermatt, au milieu des médecins, racontait le cas extraordinaire du père Clovis dont les jambes recommençaient à vivre. Il paraissait si convaincu que personne n’eût pu douter de sa bonne foi.

 

Depuis qu’il avait pénétré la ruse des paysans et du paralytique, compris qu’il s’était laissé duper et convaincre, l’année d’avant, par l’envie seule dont il était mordu de croire à l’efficacité des eaux, depuis surtout qu’il n’avait pu se débarrasser, sans payer, des plaintes redoutables du vieux, il en avait fait une réclame puissante et il en jouait à merveille.

Mazelli venait de rentrer, libre, après avoir reconduit sa cliente au logis.

Gontran le prit par le bras:

– Dites donc, beau Docteur, un conseil? Laquelle préférez-vous des petites Oriol?

Le joli médecin lui souffla dans l’oreille:

– Pour coucher, la jeune, pour épouser, l’aînée.

Gontran riait:

– Tiens, nous sommes exactement du même avis. J’en suis ravi!

Puis, allant à sa soeur qui causait toujours avec Charlotte:

– Tu ne sais pas? Je viens de décider que nous irions jeudi au puy de la Nugère. C’est le plus beau cratère de la chaîne. Tout le monde consent. C’est entendu.

Christiane murmura avec indifférence:

– Je veux bien tout ce que vous voudrez.

Mais le professeur Cloche, suivi de sa fille, venait prendre congé, et Mazelli, s’offrant à les reconduire, sortit derrière la jeune veuve.

Tous partirent en quelques minutes, car Christiane se couchait à onze heures.

Le marquis, Paul et Gontran accompagnèrent les petites Oriol. Gontran et Louise allaient devant, et Brétigny, quelques pas en arrière, sentait, sur son bras, trembler un peu le bras de Charlotte.

On se sépara en criant:

– À jeudi, onze heures, pour déjeuner à l’hôtel.

En revenant, ils rencontrèrent Andermatt retenu au coin du jardin par le professeur Mas-Roussel qui lui disait:

– Eh bien, si cela ne vous dérange pas, j’irai causer avec vous demain matin, de cette petite affaire du chalet.

William se joignit aux jeunes gens pour rentrer, et se haussant à l’oreille de son beau-frère:

– Tous mes compliments, mon cher, vous avez été admirable.

Gontran, depuis deux ans, était harcelé par des besoins d’argent qui lui gâtaient l’existence. Tant qu’il avait mangé la fortune de sa mère, il s’était laissé vivre avec la nonchalance et l’indifférence héritées de son père, dans ce milieu de jeunes gens, riches, blasés et corrompus, qu’on cite dans les journaux chaque matin, qui sont du monde et y vont peu, et prennent à la fréquentation des femmes galantes des moeurs et des coeurs de filles.

Ils étaient une douzaine du même groupe qu’on retrouvait tous les soirs au même café, sur le boulevard, entre minuit et trois heures du matin. Fort élégants, toujours en habit et en gilet blanc, portant des boutons de chemise de vingt louis changés chaque mois et achetés chez les premiers bijoutiers, ils vivaient avec l’unique souci de s’amuser, de cueillir des femmes, de faire parler d’eux et de trouver de l’argent par tous les moyens possibles.

Comme ils ne savaient rien que les scandales de la veille, les échos des alcôves et des écuries, les duels et les histoires de jeux, tout l’horizon de leur pensée était fermé par ces murailles.

Ils avaient eu toutes les femmes cotées sur le marché galant, se les étaient passées, se les étaient cédées, se les étaient prêtées, et causaient entre eux de leurs mérites amoureux comme des qualités d’un cheval de courses. Ils fréquentaient aussi le monde bruyant et titré dont on parle, et dont les femmes, presque toutes, entretenaient des liaisons connues, sous l’oeil indifférent, ou détourné, ou fermé, ou peu clairvoyant du mari; et ils les jugeaient, ces femmes, comme les autres, les confondaient dans leur estime, tout en établissant une légère différence due à la naissance et au rang social.

À force d’employer des ruses pour trouver l’argent nécessaire à leur vie, de tromper les usuriers, d’emprunter de tous côtés, d’éconduire les fournisseurs, de rire au nez du tailleur apportant tous les six mois une note grossie de trois mille francs, d’entendre les filles conter leurs roueries de femelles avides, de voir tricher dans les cercles, de se savoir, de se sentir volés eux-mêmes par tout le monde, par les domestiques, les marchands, les grands restaurateurs et autres, de connaître et de mettre la main dans certains tripotages de bourse ou d’affaires louches pour en tirer quelques louis, leur sens moral s’était émoussé, s’était usé, et leur seul point d’honneur consistait à se battre en duel dès qu’ils se sentaient soupçonnés de toutes les choses dont ils étaient capables ou coupables.

Tous, ou presque tous devaient finir, au bout de quelques ans de cette existence, par un mariage riche, ou par un scandale, ou par un suicide, ou par une disparition mystérieuse, aussi complète que la mort.

Mais ils comptaient sur le mariage riche. Les uns espéraient en leur famille pour le leur procurer, les autres cherchaient eux-mêmes sans qu’il y parût, et avaient des listes d’héritières comme on a des listes de maisons à vendre. Ils épiaient surtout les exotiques, les Américaines du Nord et du Sud qu’ils éblouiraient par leur chic, par leur renom de viveurs, par le bruit de leurs succès et l’élégance de leur personne.

Et leurs fournisseurs aussi comptaient sur le mariage riche.

Mais cette chasse à la fille bien dotée pouvait être longue. En tout cas, elle exigeait des recherches, du travail de séduction, des fatigues, des visites, toute une mise en oeuvre d’énergie dont Gontran, insouciant par nature, demeurait tout à fait incapable.

Depuis longtemps, il se disait, sentant chaque jour davantage les souffrances du manque d’argent: «Il faut pourtant que j’avise.» Mais il n’avisait pas, et ne trouvait rien.

Il en était réduit à la poursuite ingénieuse de la petite somme, à tous les procédés douteux des gens à bout de ressources, et, pour finir, aux longs séjours dans la famille, quand Andermatt lui avait tout à coup suggéré l’idée d’épouser une des jeunes Oriol.

Il s’était tu d’abord, par prudence, bien que la jeune fille lui parût, à première vue, trop au-dessous de lui pour consentir à cette mésalliance. Mais quelques minutes de réflexion avaient bien vite modifié son avis, et il s’était aussitôt décidé à faire sa cour en plaisantant, une cour de ville d’eaux, qui ne le compromettrait pas et lui permettrait de reculer.

Connaissant admirablement son beau-frère, il savait que cette proposition avait dû être longuement réfléchie, pesée et préparée par lui, que dans sa bouche elle valait un gros prix difficile à trouver ailleurs.

Nulle peine à prendre en outre, se baisser et ramasser une jolie fille, car la cadette lui plaisait beaucoup, et il s’était dit souvent qu’elle pourrait être fort agréable à rencontrer plus tard.

Il avait donc choisi Charlotte Oriol, et, en peu de temps, l’avait amenée au point nécessaire pour qu’une demande régulière pût être faite.

Or, le père donnant à son autre fille la dot convoitée par Andermatt, Gontran avait dû ou renoncer à ce mariage, ou se retourner vers l’aînée.

Son mécontentement avait été vif, et il avait songé, dans les premiers moments, à envoyer au diable son beau-frère et à rester garçon jusqu’à nouvelle occasion.

Mais il se trouvait justement alors tout à fait à sec, tellement à sec qu’il avait dû demander, pour sa partie du Casino, vingt-cinq louis à Paul, après beaucoup d’autres, jamais rendus. Et puis, il faudrait la chercher, cette femme, la trouver, la séduire. Il aurait peut-être à lutter contre une famille hostile, tandis que, sans changer de place, avec quelques jours de soins et de galanterie, il prendrait l’aînée des Oriol comme il avait su conquérir la cadette. Il s’assurait ainsi dans son beau-frère un banquier qu’il rendrait toujours responsable, à qui il pourrait faire d’éternels reproches, et dont la caisse lui resterait ouverte.

Quant à sa femme, il la conduirait à Paris, en la présentant comme la fille de l’associé d’Andermatt. Elle portait d’ailleurs le nom de la ville d’eaux, où il ne la ramènerait jamais! jamais! jamais! en vertu de ce principe que les fleuves ne remontent pas à leur source. Elle était bien de figure et de tournure, assez distinguée pour le devenir tout à fait, assez intelligente pour comprendre le monde, pour s’y tenir, y faire figure, même lui faire honneur. On dirait: «Ce farceur-là a épousé une belle fille dont il a l’air de se moquer pas mal», et il s’en moquerait pas mal, en effet, car il comptait reprendre à côté d’elle sa vie de garçon, avec de l’argent dans ses poches.