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Les nuits mexicaines

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XXXVII
LE DERNIER COUP DE BOUTOIR

Le lendemain, le soleil se leva radieux dans des flots d'or et de pourpre.

México était en joie.

La ville avait pris ses airs de fête, elle semblait revenue à ses beaux jours de calme et de tranquillité: toute la population était dans les rues; cette foule bigarrée se hâtait avec des cris, des chants et des rires, vers le paseo de Bucareli.

On entendait résonner les musiques militaires, les tambours et les clairons, dans des directions différentes.

Des officiers d'état-major, revêtus d'uniformes ruisselants de broderies d'or et coiffés de chapeaux à plumes, galopaient çà et là pour porter des ordres.

Les troupes quittaient les casernes et se dirigeaient vers le Paseo, où elles se massaient de chaque côté de la grande avenue.

L'artillerie prenait position devant la statue équestre du roi Charles IV, que les léperos s'obstinent à confondre avec Fernando Cortez, et la cavalerie forte de onze cents hommes seulement, se rangeait sur l'Alameda.

Les léperos et les gamins profitaient de l'occasion pour se réjouir en tirant des cohetes (pétards) dans les jambes des promeneurs.

Vers dix heures du matin, de grands cris se firent entendre, ces cris se rapprochèrent rapidement du Paseo.

C'était le peuple qui acclamait le président de la République.

Le général Miramón arrivait au milieu d'un brillant état-major.

L'expression du visage du président était joyeuse, il semblait heureux de ces cris de vive Miramón, poussés sur son passage, et qui lui prouvaient que le peuple l'aimait toujours, et lui témoignait, à sa façon, sa reconnaissance pour l'héroïque résolution qu'il avait prise, de risquer une dernière bataille en rase campagne, au lieu d'attendre l'ennemi dans la ville.

Le général saluait en souriant à droite et à gauche.

Lorsqu'il atteignit l'entrée du Paseo, vingt pièces de canon tonnèrent à la fois et annoncèrent ainsi sa présence aux troupes massées sur la promenade.

Alors, des ordres rapides coururent de rangs en rangs, les soldats s'alignèrent, les musiques des régiments se mirent à jouer, les clairons sonnèrent, les tambours battirent aux champs, le président passa lentement sur le front de bandière et la revue commença.

Les soldats semblaient pleins d'ardeur; la foule leur avait communiqué son enthousiasme, ils criaient à qui mieux mieux: vive Miramón! sur le passage du président.

L'inspection que passait le général était sévère et consciencieuse; ce n'était pas une de ces revues de parade, dont de temps en temps les gouvernants donnent le spectacle au peuple pour le divertir; en quittant la ville ces troupes allaient marcher tout droit à la bataille, il s'agissait de savoir si elles étaient bien réellement en état d'affronter l'ennemi devant lequel, quelques heures plus tard, elles se trouveraient.

Les ordres du général avaient été scrupuleusement exécutés, les soldats étaient bien armés; ils avaient un air martial qui faisait plaisir à voir.

Lorsque le président eût passé dans les rangs en adressant çà et là la parole à des soldats qu'il reconnaissait ou feignait de reconnaître, vieux moyen qui réussit toujours parce qu'il flatte l'amour-propre du soldat, il se plaça au milieu d'un des ronds-points du Paseo et commanda plusieurs manœuvres afin de s'assurer du degré d'instruction des troupes.

Ces manœuvres, dont quelques-unes étaient assez difficiles, furent exécutées avec un ensemble fort satisfaisant. Le président félicita chaleureusement les chefs de corps, puis le défilé commença; seulement, après avoir passé devant le président, les troupes allaient reprendre leurs premières positions et établissaient un campement provisoire.

Miramón, ne voulant pas fatiguer inutilement les soldats en les obligeant à marcher par la grande chaleur, avait résolu de ne partir qu'à la nuit tombante; jusque-là les troupes devaient bivouaquer sur le Paseo.

Parmi les officiers qui composaient l'état-major du président et qui retournèrent avec lui au palais, se trouvaient don Melchior de la Cruz, don Antonio Cacerbar et don Jaime.

Don Melchior, bien qu'il fût assez étonné de rencontrer revêtu du costume militaire celui qu'il ne connaissait que sous le nom de don Adolfo et que, jusqu'alors, il avait supposé s'occuper de contrebande, le salua en souriant avec ironie; don Jaime lui rendit sèchement son salut et se hâta de s'éloigner peu soucieux d'entrer en conversation avec lui.

Quant à don Antonio, comme jamais il n'avait vu don Jaime à visage découvert, il ne le remarqua pas.

Pendant que le président rentrait au palais, don Jaime qui s'était arrêté sur la place Mayor avait mis pied à terre et avait été rejoint par le comte et Dominique, auxquels il avait donné rendez-vous, mais qui ne l'auraient pas reconnu s'il n'avait pas eu la précaution de marcher droit à eux.

– Vous partez avec l'armée? lui demandèrent-ils.

– Oui, mes amis, je pars, répondit-il, mais bientôt je serai de retour ici; malheureusement la campagne ne sera pas longue. Pendant mon absence, redoublez de vigilance, je vous prie; ne perdez pas de vue la maison de ma sœur: un de nos ennemis restera dans la ville.

– Un seul? fit Dominique.

– Oui, mais c'est le plus redoutable des deux. Celui auquel tu as si maladroitement sauvé la vie, Dominique.

– Bon, je le connais, celui-là, répondit le jeune homme, il n'a qu'à bien se tenir.

– Et don Melchior? dit le comte.

– Celui-là, il ne nous inquiétera plus, répondit don Jaime avec une expression singulière; donc, chers amis, veillez attentivement, et ne vous laissez pas surprendre.

– Bon, s'il le faut, nous nous ferons aider par Leo Carral et par nos domestiques.

– Ce sera plus prudent, et même peut-être ferez-vous bien de les loger dans la maison.

– C'est à quoi nous allons songer.

– Maintenant séparons-nous, j'ai affaire au palais; au revoir, mes amis, à bientôt.

Ils se séparèrent.

Don Jaime entra dans le palais; il se dirigea vers le cabinet du président.

L'huissier le connaissait, il ne fit aucune difficulté pour le laisser passer.

Miramón écoutait les rapports que lui faisaient plusieurs batteurs d'estrade, touchant les mouvements de l'ennemi.

Don Jaime s'assit et attendit patiemment que le président eût fini son interrogatoire.

Enfin le dernier batteur d'estrade termina son rapport et se retira.

– Eh bien, dit en riant le président, avez-vous vu l'ambassadeur?

– Certes, hier en vous quittant, général.

– Et la fameuse lettre?

– La voilà, dit-il en la lui tendant.

Le général fit un geste de surprise, prit le papier et le lut rapidement.

– Eh bien? lui demanda don Jaime.

– Nous avons non seulement carte blanche, répondit-il, mais encore je suis prié de sévir contre cet homme, c'est merveilleux; vous avez, sur mon honneur, tenu plus que vous ne promettiez. Comment avez-vous fait?

– J'ai simplement demandé la lettre.

– Vous êtes l'homme le plus mystérieux que je connaisse; à moi de tenir ma promesse, maintenant.

– Rien ne presse.

– Vous ne voulez plus le faire arrêter?

– Au contraire, mais à notre retour seulement.

– Comme il vous plaira; mais, d'ici là, qu'en ferons-nous?

– Nous le laisserons ici, sous les ordres du commandant de place.

– Pardieu, vous avez raison!

Le président écrivit un ordre, le cacheta et appella l'huissier.

– Le colonel Cacerbar est-il là? demanda-t-il.

– Oui, Excellence.

– Qu'il porte cet ordre au commandant de place.

L'huissier prit l'ordre et partit.

– Voilà qui est fait, dit le président.

Don Jaime demeura auprès du général, jusqu'à l'heure du départ.

A la tombée de la, nuit, les troupes commencèrent à défiler sur la place, entourées du peuple qui poussait des vivats.

Lorsque toutes les troupes furent passées, le général quitta le palais à son tour, avec son état-major.

Un nombreux escadron de cavalerie stationnait sur la place.

– Quels sont ces cavaliers? demanda le général.

– Ma cuadrilla, répondit don Jaime en s'inclinant. Ces cavaliers revêtus d'épais manteaux, la tête couverte de chapeaux à larges bords, ne laissaient voir que le bas de leurs visages couvert de barbe.

Ce fut vainement que le président les examina en essayant de voir leurs traits.

– Vous ne les reconnaîtrez pas, lui dit don Jaime à voix basse: ces barbes sont fausses, leur costume lui-même est un déguisement; mais, croyez en ma parole, ils n'en frapperont pas moins de bons coups dans la bataille.

– J'en suis persuadé, et je vous remercie. On se mit en marche.

Don Jaime leva son épée, les cavaliers évoluèrent et se placèrent en arrière-garde; ils étaient trois cents.

Au rebours de la cavalerie mexicaine dont la lance est l'arme de prédilection, ils portaient la carabine, la latte droite des chasseurs d'Afrique français et les pistolets dans les fontes.

A minuit on campa.

Ordre fut donné de ne pas allumer les feux de bivouac.

Vers trois heures du matin un batteur d'estrade arriva.

Il fut aussitôt conduit au président.

– Ah! Ah! C'est toi López; dit le général en le reconnaissant.

– Oui, mon général, répondit López en souriant à don Jaime assis auprès du président et fumant nonchalamment une cigarette.

– Quoi de nouveau? As-tu des nouvelles de l'ennemi? dit Miramón.

– Oui, mon général, et de toutes fraîches.

– Tant mieux; où est-il?

– A quatre lieues d'ici.

– Bon, nous y serons bientôt alors. Quel corps est-ce?

– Celui du général don Jesús González Ortega.

– Bravo, fit joyeusement le président, tu es un garçon précieux; tiens, voilà pour toi.

Il lui mit quelques pièces d'or dans la main.

 

– Donne-moi des détails, reprit-il.

– Le général Ortega amène avec lui onze mille hommes, dont trois mille cavaliers et trente-cinq pièces de canon.

– Les as-tu vus?

– J'ai marché pendant plus d'une heure avec eux.

– Dans quelle disposition sont-ils?

– Dam, général, ils sont enragés après vous.

– Bien, repose-toi, tu as une heure à dormir.

López salua et s'éloigna.

– Enfin, dit Miramón, nous allons donc être en présence.

– Combien avez-vous de troupes, général? demanda don Jaime.

Six mille hommes, dont onze cents cavaliers et vingt pièces de canon.

– Hum, fit don Jaime, contre onze mille!

– Ce n'est pas tout à fait le double, mon ami: le courage suppléera au nombre.

– Dieu le veuille.

A quatre heures le camp fut levé; López servait de guide.

Les troupes, transies de froid étaient dans de mauvaises dispositions.

Vers sept heures du matin, on fit halte; l'armée fut rangée en bataille dans une position assez avantageuse, les pièces mises en batterie.

Don Jaime rangea ses cavaliers derrière la cavalerie régulière.

Puis, toutes les dispositions prises, on déjeuna.

A neuf heures du matin, on commença à entendre ce que les Espagnols appellent un tiroteo: c'étaient les grands-gardes qui se repliaient devant les têtes de colonnes d'Ortega qui débouchaient sur le champ de bataille choisi par Miramón, et qui engageaient la fusillade avec elles.

Rien n'aurait été plus facile au président que d'éviter la bataille; il ne le voulut pas, il avait hâte d'en finir.

Miramón était entouré de ses plus sûrs lieutenants: Vélez, Cobos, Negrete Ayestarán et Márquez.

En apercevant l'ennemi, il monta à cheval, parcourut les rangs de sa petite armée, donna ses instructions d'une voix ferme et brève, essaya de communiquer à tous la vaillante ardeur qui l'enflammait et levant son épée en l'air:

– En avant! cria-t-il d'une voix retentissante.

La bataille commença aussitôt.

L'armée juariste, forcée de se masser sous le feu de l'ennemi, avait un désavantage marqué.

Les soldats de Miramón, excités par l'exemple de leur jeune chef, il n'avait alors que vingt-six ans, combattaient comme des lions et faisaient des prodiges de valeur.

C'est en vain que les Juaristes essayaient de s'établir solidement dans les positions qu'ils avaient choisies; ils furent culbutés à plusieurs reprises par les charges vigoureuses de leurs ennemis.

Malgré la supériorité de leur nombre, les soldats n'avançaient que pas à pas, incessamment refoulés et rompus par l'ennemi.

Les lieutenants de Miramón, dans lesquels son âme semblait être passée, se multipliaient, se mettaient à la tête des troupes, les entraînaient à leur suite et s'enfonçaient avec elles au plus fort de la mêlée: encore un effort, la bataille était gagnée et Ortega contraint à la retraite.

Miramón accourut: il jugea la position d'un coup d'œil infaillible.

Le moment était venu de lancer la cavalerie sur le centre des Juaristes, afin de l'enfoncer par une charge décisive.

Le président cria: En avant!

La cavalerie hésita.

Miramón réitéra l'ordre.

Les cavaliers partirent; mais, au lieu de charger, la moitié passa à l'ennemi et revient la lance haute sur l'autre moitié fidèle encore.

Démoralisés par cette subite désertion, cinquante cavaliers qui restaient encore tournèrent bride et se dispersèrent dans toutes les directions.

L'infanterie, se voyant ainsi lâchement abandonnée, ne combattit plus que mollement.

Les cris de trahison! Trahison! Sauve qui peut! coururent de rangs en rangs.

En vain les officiers essayèrent de ramener les soldats à l'ennemi, ils étaient démoralisés.

Bientôt la fuite devint générale.

L'armée de Miramón n'existait plus. Ortega était vainqueur encore une fois, mais grâce à une trahison indigne, au moment même, où la bataille était perdue pour lui.

Nous avons dit que don Jaime avait pris avec sa cuadrilla position en arrière de la cavalerie de Miramón.

Certes, si trois cents hommes avaient pu changer l'issue de la bataille, ces braves cavaliers auraient accompli ce prodige; même lorsque la déroute était générale, ils combattaient encore avec un acharnement sans égal contre la cavalerie juariste lancée à la poursuite des fuyards.

Don Jaime avait un but en prolongeant ce combat inégal.

Témoin de l'indigne trahison qui avait causé la perte de la bataille, il avait vu l'officier qui, le premier, était passé à l'ennemi avec ses soldats: cet officier était don Melchior, don Jaime l'avait reconnu et il avait juré de s'emparer de lui.

La cuadrilla de l'aventurier n'était pas composée de cavaliers vulgaires, ils en avaient déjà donné la preuve et devaient la donner encore; en quelques mots brefs et rapides, don Jaime fit comprendre son intention.

Les cavaliers poussèrent des cris de rage et chargèrent résolument l'ennemi.

Il y eut une lutte gigantesque de trois cents hommes contre trois mille: la cuadrilla disparut tout entière comme si elle eût été subitement engloutie sous la masse formidable de ses adversaires.

Puis les Juaristes commencèrent à osciller, leurs rangs se disjoignirent, il se fit une trouée et par cette trouée passa la cuadrilla entraînant au milieu d'elle don Melchior prisonnier.

– Au président! Au président! s'écria don Jaime en s'élançant suivi de toute sa troupe vers Miramón qui essayait vainement de rallier quelques détachements.

Les lieutenants de Miramón, qui tous étaient ses amis, ne l'avaient pas abandonné: ils avaient juré de mourir avec lui.

La cuadrilla fournit une dernière charge afin de dégager le général.

Puis, après avoir jeté un regard désolé sur le champ de bataille, Miramón se décida enfin à écouter ses fidèles et à se mettre en retraite; à peine lui restait-t-il de toute son armée un millier d'hommes, les autres étaient morts, dispersés ou passés à l'ennemi.

Les premiers instants de la retraite furent terribles; Miramón était en proie à une immense douleur causée non pas par sa défaite qu'il avait prévue, mais par la lâche trahison dont il avait été victime.

Lorsqu'on ne craignit plus d'être atteint par l'ennemi, le président ordonna une halte pour laisser souffler les chevaux.

Miramón appuyé contre un arbre, les bras croisés sur la poitrine, la tête basse, gardait un silence farouche que ses généraux immobiles près de lui n'osaient se hasarder à rompre.

Don Jaime s'avança et s'arrêtant à deux pas du président.

– Général! dit-il.

Aux accents de cette voix amie, Miramón releva la tête et tendant la main à l'aventurier:

– C'est vous, lui dit-il, mon ami? Oh pourquoi me suis-je obstiné à ne pas vous croire?

– Ce qui est fait est fait, général, répondit rudement l'aventurier, il n'y a plus à y revenir; mais avant de quitter le lieu où nous sommes, vous avez un devoir à remplir, une justice exemplaire à faire.

– Que voulez-vous dire? demanda-t-il avec étonnement.

Les autres généraux s'étaient rapprochés non moins surpris que lui.

– Vous savez pourquoi nous avons été vaincus? reprit l'aventurier.

– Parce que nous avons été trahis.

– Mais le traître, le connaissez-vous, général?

– Non, je ne le connais pas, fit-il avec ressentiment.

– Eh bien, moi, je le connais, j'étais là, lorsqu'il a accompli son lâche projet, je le surveillais car je le soupçonnais depuis longtemps déjà.

– Qu'importe! Ce misérable ne saurait être atteint maintenant.

– Vous vous trompez, général, car je vous l'amène; je suis allé le chercher au milieu de ses nouveaux compagnons, je serais allé jusqu'en enfer pour m'emparer de lui.

A ces paroles, un frémissement de joie courut parmi les chefs et les soldats.

– Vive Dieu! s'écria Cobos, ce misérable mérite d'être écartelé.

– Amenez cet homme, dit tristement Miramón, car son cœur était péniblement affecté d'être contraint de sévir: il va être jugé.

– Ce ne sera pas long, dit le général Negrete, il subira la mort des traîtres, fusillé par derrière.

– Il n'y a qu'à constater son identité, puis le faire exécuter, ajouta Cobos.

Don Jaime fit un geste, don Melchior parut amené par deux soldats.

Il était pâle, défait, ses habits déchirés étaient souillés de sang et de boue; on lui avait attaché les bras derrière le dos.

Les officiers s'étaient formés en cour martiale, sous la présidence du général Cobos.

– Votre nom? demanda celui-ci.

– Don Melchior de la Cruz, répondit-il d'une voix sourde.

– Reconnaissez-vous avoir passé à l'ennemi en entraînant à votre suite les soldats sous vos ordres?

Il ne répondit pas, mais tout son corps fut agité d'un tremblement convulsif.

– La certitude de la trahison de cet homme est acquise au tribunal, reprit Cobos; quel châtiment a-t-il mérité?

– Celui des traîtres, répondirent d'une seule voix les officiers.

– Qu'on l'exécute, dit Cobos.

Le condamné fut amené devant le front de bandière et mis à genoux.

Dix caporaux formèrent un peloton et se placèrent à six pas derrière lui.

Le général Cobos s'approcha alors du condamné.

– Lâche et traître, lui dit-il, tu es indigne du rang auquel tu avais été élevé; au nom de tous nos compagnons je te déclare dégradé et rejeté de parmi les gens d'honneur.

Un soldat enleva alors à don Melchior les insignes de son grade et l'en souffleta.

Le jeune homme poussa un rugissement de tigre à cette insulte, jeta un regard effaré autour de lui et fit un mouvement pour se lever.

– Feu! cria le général Cobos.

Une détonation retentit; le condamné jeta un horrible cri d'agonie et tomba la face contre terre, se débattant dans des convulsions horribles.

– Achevez-le! dit Miramón avec pitié.

– Non, répondit Cobos d'une voix rude; qu'il meure comme un chien: plus il souffrira, plus notre vengeance sera complète.

Miramón fit un geste de dégoût et ordonna de sonner le boute-selle.

On partit.

Deux hommes seuls étaient demeurés près du misérable, le regardant se tordre à leurs pieds dans d'atroces souffrances.

Ces deux hommes étaient le général Cobos et don Jaime.

Don Jaime se pencha vers le mourant, lui releva la tête et le contraignant à fixer sur lui son regard glauque:

– Parricide, traître envers ta patrie et tes frères, lui dit-il d'une voix sourde, ce sont tes frères qui se vengent aujourd'hui; meurs comme un chien que tu es, ton âme ira au démon qui l'attend, et ton corps privé de sépulture, sera la proie des bêtes fauves!

– Grâce! s'écria le misérable en se renversant en arrière, grâce!

Une dernière convulsion agita son corps, ses traits crispés devinrent hideux, il jeta un cri horrible et ne bougea plus. Don Jaime le poussa du pied.

Il était mort.

– Un! dit sourdement l'aventurier en remontant à cheval.

– Hein! fit le général Cobos.

– Rien, c'est un compte que j'établis, répondit-il avec un éclat de rire railleur.

XXXVIII
FACE A FACE

Lorsque le général Miramón arriva à México, la nouvelle de sa défaite était déjà publique.

Il se passa alors un fait singulier: le clergé et l'aristocratie, que toujours le président Miramón avait soutenus et défendus, et dont cependant l'indifférence et l'égoïsme avaient causé la ruine et amené la perte totale, déploraient maintenant la conduite qu'ils avaient tenue envers l'homme qui seul était capable de les sauver.

Si Miramón avait voulu à cette heure suprême faire un appel à la population, elle se serait immédiatement groupée autour de lui et il lui aurait été facile d'organiser une vigoureuse défense.

La pensée ne lui en vint même pas: il était dégoûté du pouvoir, n'aspirait qu'à en descendre et à rentrer dans la vie privée.

Son premier soin, à peine arrivé à México, avait été de réunir le corps diplomatique étranger et de prier ses membres de s'interposer afin de sauver la ville, en faisant cesser un état de guerre qui n'avait plus de raison d'être du moment où México était disposée à ouvrir sans combat ses portes aux troupes fédérales.

Une députation, composée du ministre de France, de celui d'Espagne, du général Berriozábal le prisonnier de Toluca et du général Ayestarán, ami particulier de Miramón, se rendit aussitôt auprès du général Ortega afin d'obtenir une honorable capitulation.

Don Antonio Cacerbar avait essayé de se joindre à la députation; il avait appris la fin déplorable de son ami don Melchior; un sombre pressentiment l'avertissait qu'un sort semblable le menaçait; mais les portes de la ville étaient gardées avec soin, nul ne pouvait sortir sans un laissez-passer visé par le commandant de place: force fut à don Antonio de demeurer à México. Une lettre qu'il reçut lui rendit un peu d'espoir, en lui laissant entrevoir une conclusion, plus prochaine qu'il ne le croyait, des projets dont depuis longtemps il poursuivait l'exécution.

 

Cependant, comme don Antonio Cacerbar était un homme fort prudent, que les sombres machinations auxquelles il avait voué sa ténébreuse existence, l'avaient habitué à se mettre constamment sur ses gardes tout en restant chez lui, ainsi qu'on l'y invitait dans la lettre qu'il avait reçue, il avait convoqué une douzaine de coupe-jarrets émérites, et les avait cachés derrière des tapisseries afin d'être prêt à tout événement.

C'était le jour même du retour de Miramón à México. Il était environ neuf heures du soir. Don Antonio retiré dans sa chambre à coucher lisait, ou plutôt essayait de lire, car sa conscience bourrelée ne lui laissait pas la tranquillité d'esprit nécessaire pour prendre cette innocente distraction, lorsqu'il entendit parler assez haut dans son antichambre; il se leva aussitôt, et se préparait à ouvrir la porte, afin de s'informer de la cause du bruit qu'il avait entendu, lorsque cette porte s'ouvrit et son domestique de confiance parut, servant d'introducteur à plusieurs personnes. Ces personnes étaient au nombre de neuf: six hommes masqués et enveloppés dans des zarapés, et trois dames.

En les apercevant, don Antonio éprouva un tressaillement nerveux, mais se remettant aussitôt, il se tint debout devant sa table, attendant selon toute probabilité qu'un des inconnus se décidât à parler.

Ce fut en effet ce qui arriva.

– Señor don Antonio, dit l'un d'eux en faisant un pas en avant, je vous livre doña Maria duchesse de Tobar, votre belle-sœur, doña Carmen de Tobar, votre nièce, et doña Dolores de la Cruz!

A ces paroles prononcées avec un accent de sanglante ironie, don Antonio fit un pas en arrière, et son visage se couvrit d'une pâleur cadavéreuse.

– Je ne vous comprends pas, dit-il, d'une voix qu'il essayait vainement de rendre ferme mais qui tremblait.

– Ne me reconnaissez-vous donc pas, don Horacio? dit alors doña Maria d'une voix douce; la douleur a-t-elle si complètement changé mes traits qu'il vous soit possible de nier que je suis la malheureuse épouse du frère que vous avez assassiné?

– Que signifie cette comédie? s'écria don Antonio avec violence; cette femme est folle! Et vous, misérable, qui osez vous jouer de moi, prenez garde!

Celui auquel s'adressaient ces paroles ne répondit que par un ricanement de mépris, et élevant la voix:

– Vous voulez des témoins de ce qui va se passer ici, caballero? Vous trouvez sans doute que nous ne sommes pas en nombre suffisant pour entendre ce qui va se dire, soit, j'y consens: sortez de vos cachettes, señores, et vous caballeros, venez.

Au même instant, les tapisseries furent soulevées, lus portes ouvertes, et une vingtaine de personnes entrèrent dans la chambre.

– Ah! Vous avez appelé des témoins, fit don Antonio d'une voix railleuse, que votre sang retombe sur votre tête alors! Et se tournant vers les hommes qui se tenaient immobiles derrière lui: Sus à ces misérables! leur cria-t-il, tuez-les comme des chiens! Et il sauta sur une paire de revolvers à six coups, placés sur une table à sa portée.

Mais personne ne bougea.

– Bas les masques! dit le personnage qui seul jusqu'alors avait parlé, ils sont inutiles maintenant; c'est à visage découvert qu'il nous faut parler à cet homme.

D'un geste il enleva le loup qui lui couvrait le visage; ses compagnons l'imitèrent.

Le lecteur les a reconnus déjà; c'étaient don Jaime, Domingo, le comte Ludovic, Léo Carral, don Diego, et Loïck le ranchero.

– Maintenant, señor, reprit don Jaime, quittez votre nom d'emprunt comme nous avons jeté nos masques; me reconnaissez-vous? Je suis don Jaime de Bivar, le frère de votre belle-sœur; depuis vingt-deux ans je vous suis pas à pas, seigneur don Horacio de Tobar, épiant toutes vos démarches et cherchant la vengeance que Dieu m'accorde enfin, grande et complète ainsi que je l'avais rêvée.

Don Horacio releva fièrement la tête, et toisant du haut en bas don Jaime avec une expression de souverain mépris:

– Eh bien après, mon noble beau-frère, lui dit-il, car ainsi que vous le désirez je renonce à feindre et je consens à vous reconnaître; quelle si belle vengeance et si complète avez-vous donc conquise après vingt-deux ans, noble descendant du cid Campeador? Celle de me contraindre à me tuer? La belle avance! Est-ce qu'un homme de ma trempe n'est pas toujours prêt à mourir? Que pouvez-vous de plus? Rien, en supposant que je roule là sanglant à vos pieds, j'emporterai avec moi dans ma tombe le secret de cette vengeance que vous ne soupçonnez même pas, et dont tous les bénéfices me restent, car je vous léguerai, en mourant, un plus profond désespoir que celui qui dans une nuit a blanchi les cheveux de votre sœur.

– Détrompez-vous, don Horacio, répondit don Jaime; vos secrets je les connais tous, et quant à vous tuer, cette considération n'entre pour moi qu'en seconde ligne dans mon plan de vengeance; je vous tuerai oui, mais par la main du bourreau, vous mourrez, déshonoré; de la mort des infâmes, du garote enfin!

– Tu mens, misérable! s'écria don Horacio avec un rugissement de bête fauve, moi, moi, le duc de Tobar! Noble comme le roi! Moi appartenant à l'une des plus puissantes et des plus anciennes familles d'Espagne! Mourir du garote! La haine t'égare, tu es fou te dis-je! Il y a un ambassadeur de Sa Majesté au Mexique.

– Oui, répondit don Jaime, mais cet ambassadeur t'abandonne à toutes les rigueurs des lois mexicaines.

– Lui, mon ami, mon protecteur, celui qui m'a présenté au Président Miramón? Cela n'est pas, cela ne peut pas être; d'ailleurs qu'ai-je à craindre des lois de ce pays, moi, étranger?

– Oui, un étranger qui a pris du service au Mexique avec un gouvernement pour le trahir au bénéfice d'un autre, cette lettre que tu demandais avec tant d'insistance au colonel don Felipe, et qu'il n'a pas voulu te vendre il me l'a donnée pour rien à moi, et ces lettres si compromettantes pour toi qui t'ont été enlevées à Puebla, grâce à don Estevan que tu ne connais pas et qui est ton cousin, se trouvent en ce moment entre les mains de Juárez; ainsi de ce côté-là tu es perdu sans ressources, car tu te lésais, la clémence n'est pas une des vertus saillantes du señor don Benito Juárez; enfin, ton secret le plus précieux, celui que tu crois si bien gardé, je le possède aussi: je connais l'existence du frère jumeau de doña Carmen, de plus je sais où il est et le puis, si je le veux, faire paraître à l'improviste devant toi: regarde, voici l'homme auquel tu avais vendu ton neveu, ajouta-t-il en désignant Loïck immobile près de lui.

– Oh! murmura-t-il en se laissant tomber sur un fauteuil et se tordant les bras avec désespoir, oh! Je suis perdu.

– Oui, et bien complètement perdu, don Horacio, fit-il avec mépris, car la mort même ne saurait te sauver du déshonneur.

– Parlez, au nom du ciel! s'écria doña Maria en s'approchant de son beau-frère; n'est-ce pas que je ne me suis pas trompée? Que don Jaime a bien dit la vérité, que j'ai un fils enfin! Et que ce fils est le frère jumeau de ma bien-aimée Carmen.

– Oui, murmura-t-il d'une voix sourde.

– Oh! Soyez béni, mon Dieu! s'écria-t-elle avec une expression de joie ineffable; et ce fils vous savez où il est, vous me le rendrez, n'est-ce pas? Je vous en supplie, songez que je ne l'ai jamais vu, que j'ai besoin de ses caresses, où est-il? Dites-le moi.

– Où il est?

– Oui.

– Je ne sais pas, répondit-il froidement.

La malheureuse mère se laissa tomber sur un siège en se cachant la tête dans les mains.

Don Jaime s'approcha d'elle.

– Courage, pauvre femme! lui dit-il doucement.

Il y eut un instant de silence funèbre; dans cette chambre où tant de personnes se trouvaient réunies, seul on entendait le bruit des respirations sifflantes et celui des sanglots étouffés de doña Maria et des deux jeunes filles.

Don Horacio fit un pas en avant.

– Mon noble beau-frère, dit-il d'un ton ferme empreint d'une certaine grandeur, priez, je vous prie, ces caballeros de se retirer dans une pièce attenante; je désire pour quelques instants demeurer seul avec vous et ma belle-sœur.

Don Jaime s'inclina et s'adressant au comte:

– Mon ami, lui dit-il, soyez assez bon pour conduire ces dames dans le salon qui précède cette pièce.

Le comte présenta la main aux jeunes filles et sortit sans répondre, suivi de tous les assistants qui sur un signe de don Jaime se retirèrent silencieusement.