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Les nuits mexicaines

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Ils croisèrent don Melchior dans la cour; le jeune homme ne leur parla pas, mais il les suivit du regard jusqu'à ce qu'ils fussent entrés dans l'appartement de sa sœur.

Un mois s'écoula, sans que rien ne vînt troubler la monotone existence des habitants de l'hacienda.

Le comte et son ami sortaient souvent en compagnie du mayordomo, soit pour aller à la chasse, soit simplement pour se promener; quelquefois, mais rarement, doña Dolores les accompagnait.

Maintenant que le comte n'était plus seul avec elle, elle paraissait moins redouter de se trouver avec lui, parfois même elle semblait y prendre un certain plaisir; elle accueillait favorablement ses galanteries, souriait des saillies qui lui échappaient, et, en toutes circonstances, lui témoignait une entière confiance.

Mais c'était surtout au soi-disant baron qu'elle montrait une préférence marquée, soit que, le connaissant pour ce qu'il était réellement, elle le jugeât sans importance, soit que, par pur caprice de coquetterie féminine, elle se plût à jouer avec cette nature dont elle ne soupçonnait pas l'indomptable énergie, et voulût essayer sur le naïf jeune homme la puissance de ses charmes.

Dominique ne s'apercevait pas, ou feignait de ne pas s'apercevoir de ce manège de la jeune fille; d'une politesse exquise avec elle, d'une prévenance sans bornes, il demeurait cependant dans les strictes limites qu'il s'était posées à lui-même, ne se souciant pas de donner de la jalousie à un homme pour lequel il professait une sincère amitié et qu'il savait être sur le point d'épouser doña Dolores.

Quant à don Melchior, son caractère s'était de plus en plus assombri, ses absences étaient devenues plus longues et plus fréquentes, et, dans les rares occasions où le hasard le mettait en présence des deux jeunes gens, il répondait silencieusement à leur salut, sans daigner leur adresser la parole; définitivement, la répugnance qu'il avait tout d'abord éprouvée pour eux s'était, avec le temps, changée en une bonne et forte haine mexicaine.

Cependant les événements politiques marchaient avec une rapidité toujours croissante; les troupes de Juárez occupaient sérieusement la campagne; déjà des éclaireurs de son parti avaient paru aux environs de l'hacienda; on parlait vaguement de propriétés espagnoles prises d'assaut, pillées, livrées aux flammes, et dont les maîtres avaient été lâchement assassinés après avoir été mis à rançon par les guérilleros.

L'inquiétude était grande à l'Arenal: don Andrés de la Cruz, que sa qualité d'Espagnol ne rassurait que médiocrement sur l'avenir, prenait les précautions les plus exagérées pour ne pas être surpris par l'ennemi; la question de l'abandon de l'hacienda pour se retirer à Puebla avait même été plusieurs fois agitée, mais toujours elle avait été repoussée par don Melchior avec obstination.

Cependant, la conduite étrange que, depuis que le comte se trouvait dans l'hacienda, menait le jeune homme, son affectation à se tenir à l'écart, ses absences fréquentes et prolongées, et, plus que tout, les recommandations de don Olivier, dont la méfiance éveillée depuis longtemps sans doute, et reposant sur des faits connus de lui seul, avaient amené à l'hacienda la présence de Dominique sous le nom de baron de Meriadec, éveillaient les soupçons du comte, soupçons auxquels l'antipathie secrète qu'il éprouvait depuis le premier jour pour Melchior, donnaient presque la force d'une certitude.

Le comte, après de mûres réflexions, s'était résolu de faire part à Dominique et à Léo Carral de ses inquiétudes, lorsqu'un soir, en entrant dans le patio, il rencontra don Melchior à cheval, se dirigeant vers la porte de l'hacienda.

Le comte se demanda alors, comment à une heure aussi avancée (il était environ neuf heures du soir), don Melchior osait, par une nuit sans lune, se hasarder seul, dans la campagne, au risque de tomber dans une embuscade des guérilleros de Juárez, dont les éclaireurs, ce qu'il savait fort bien, rôdaient depuis quelques jours déjà aux environs de l'hacienda.

Cette nouvelle sortie du jeune homme, que rien ne motivait en apparence, dissipa les derniers doutes du comte, et l'affermit dans sa résolution, de prendre immédiatement conseil de ses deux confidents.

En ce moment, Léo Carral traversait le patio; Ludovic l'appela.

Le mayordomo accourut aussitôt.

– Où allez vous donc ainsi? lui demanda le comte.

– Je ne saurais trop vous dire, seigneurie, répondit le mayordomo, je suis ce soir, je ne sais pourquoi, plus inquiet qu'à l'ordinaire, et je vais faire une visite autour de l'hacienda.

– C'est peut-être un pressentiment, dit le comte pensif, voulez-vous que je vous accompagne?

– Je compte sortir et battre un peu l'estrade aux environs, reprit Ño Leo Carral.

– Bien, faites seller mon cheval et celui de don Carlos, nous vous rejoignons dans un instant.

– Surtout, seigneurie, n'emmenez pas de domestiques, faisons nos affaires nous-mêmes, j'ai un projet; évitons toute chance de trahison.

– Convenu, dans dix minutes nous vous rejoindrons.

– Vous trouverez vos chevaux à la porte de la première cour. Je n'ai pas besoin de vous recommander d'être armés.

– Soyez tranquille.

– Le comte rentra chez lui.

Dominique fut bientôt mis au courant des choses; tous deux quittèrent aussitôt après l'appartement, et rejoignirent le mayordomo qui, déjà en selle, les attendait devant la porte ouverte, de l'hacienda.

– Nous voici, dit le comte.

– Partons, répondit laconiquement Leo Carral.

Ils sautèrent sur leurs chevaux, et sortirent sans ajouter une parole.

Derrière eux, la porte de l'hacienda fut doucement refermée.

La rampe qui conduisait à la plaine fut descendue au grand trot.

– Eh! fit le comte au bout d'un instant, que signifie cela, sommes-nous donc montés sur des chevaux spectres, qu'ils ne produisent aucun bruit en marchant?

– Parlez plus bas, seigneurie, répondit le mayordomo, nous sommes probablement entourés d'espions; quant à ce qui vous intrigue si fort, ce n'est qu'une précaution toute simple, les sabots de vos chevaux sont enveloppés dans des sacs de peau de mouton, remplis de sable.

– Diable! reprit Ludovic, il paraît alors que nous allons en expédition secrète.

– Oui, seigneurie, secrète, et surtout fort importante.

– Qu'y a-t-il donc?

– Je me méfie de don Melchior.

– Mais songez donc, mon ami, que don Melchior est le fils de don Andrés, son héritier.

– Oui, mais ainsi que nous disons ici du mauvais côté de la couverture, sa mère était une Indienne, Zapotèque, dont je ne sais pourquoi mon maître se coiffa, car elle n'était ni belle, ni bonne, ni spirituelle; bref, de leur liaison, il résulta un enfant, cet enfant est don Melchior. La mère mourut en couche, en suppliant don Andrés de ne pas abandonner la pauvre créature, mon maître le promit, il reconnut l'enfant et l'éleva, comme s'il eût été légitime lorsque quelques années plus tard, il fit consentir sa femme à conserver l'enfant près d'elle. Il fut donc élevé comme s'il eût été réellement fils légitime, d'autant plus que doña Lucia de la Cruz mourut en ne donnant qu'une fille à son mari.

– Ah! Ah! fit le comte, je commence à entrevoir la vérité.

– Tout alla bien pendant plusieurs années, don Melchior, fort bien traité par son père, en arriva peu à peu à se persuader qu'à la mort de don Andrés la fortune paternelle lui reviendrait en effet; mais il y a un an environ, mon maître reçut une lettre à la suite de laquelle il eut, avec son fils, une longue et sérieuse explication.

– Oui, oui, cette lettre lui rappelait les projets de mariage convenus entre ma famille et la sienne et mon arrivée prochaine.

– Probablement, seigneurie; mais rien ne transpira de ce qui s'était passé entre le père et le fils, seulement on remarqua que don Melchior, qui n'a pas positivement un caractère gai, devint, à partir de cette époque, sombre et acariâtre, recherchant la solitude et ne parlant même à son père que lorsqu'il y était absolument contraint; lui, qui ne faisait que de courtes et rares excursions au dehors, commença à prendre un goût effréné pour la chasse, et se livra à des courses qui souvent duraient plusieurs jours; votre arrivée subite à l'hacienda, lorsque sans doute il espérait encore ne jamais vous voir, augmenta dans des proportions effrayantes ses mauvaises dispositions, et je suis convaincu que désespéré de voir lui échapper sans retour l'héritage que, depuis si longtemps il convoite, il n'hésitera devant rien, serait-ce un crime, pour s'en emparer. Voilà seigneurie, ce qu'il était, je le crois, de mon devoir de vous apprendre; Dieu sait que, si j'ai parlé, ce n'a été que dans une intention pure.

– Tout m'est expliqué maintenant, Ño Léo Carral, je suis, comme vous, persuadé que Melchior médite une odieuse trahison contre l'homme auquel il doit tout et qui est son père.

– Eh bien, dit Dominique, voulez-vous savoir mon opinion? Si l'occasion s'en présente, ce sera œuvre pie de lui loger une balle dans sa méchante cervelle; le monde sera de cette façon débarrassé d'un affreux scélérat.

– Amen! dit le comte en riant.

En ce moment ils atteignirent la plaine.

– Seigneurie, voici où commencent pour nous les difficultés de l'entreprise que nous tentons, dit alors le mayordomo, il nous faut agir avec la plus extrême prudence, et surtout éviter de révéler notre présence aux espions invisibles dont nous sommes sans doute entourés.

– Ne craignez rien, nous serons muets comme des poissons; passez donc devant, sans crainte, nous marcherons dans vos pas à la mode des Indiens sur le sentier de la guerre.

Le mayordomo prit la tête de la file et ils commencèrent à s'avancer assez rapidement dans des sentiers qui s'enchevêtraient les uns dans les autres et qui auraient formé un réseau inextricable pour tout autre que Léo Carral.

 

Ainsi que nous l'avons dit plus haut, la nuit était sans lune, le ciel noir comme de l'encre. Un silence profond, interrompu à longs intervalles par les cris stridents des oiseaux de nuit, planait sur la campagne.

Ils continuèrent à s'avancer ainsi sans échanger une parole pendant environ une demi-heure, enfin le mayordomo s'arrêta.

– Nous sommes arrivés, dit-il à voix basse, descendez de cheval, ici nous sommes en sûreté.

– Croyez-vous? dit Dominique; il m'a semblé pendant la marche entendre des cris d'oiseaux de nuit trop bien imités pour être vrais.

– Vous avez raison, reprit Léo Carral; ce sont les sentinelles ennemies qui s'avertissent, nous avons été éventés, mais grâce à la nuit et à ma connaissance des chemins, nous avons, provisoirement du moins, dépisté ceux qui se sont mis à notre poursuite, ils nous cherchent dans une direction opposée à celle où nous sommes.

– C'est aussi ce que j'ai cru comprendre, répondit Dominique.

Le comte écoutait avidement cette conversation, mais vainement, ce que disaient les deux hommes était de l'hébreu pour lui; pour la première fois depuis qu'il était au monde le hasard le plaçait dans une situation aussi singulière; aussi l'expérience lui manquait-elle complètement; il était loin de se douter qu'il avait traversé tous les avant-postes d'un campement ennemi, avait passé à portée de pistolets des sentinelles embusquées à droite et à gauche et échappé par miracle peut-être vingt fois à la mort.

– Señores, débarrassez les chevaux des sacs dont ils n'ont plus besoin, tandis que j'allumerai une torche d'ocote, dit alors Léo Carral.

Les jeunes gens obéirent, ils reconnaissaient tacitement le mayordomo pour chef de l'expédition.

– Eh bien, est-ce fait? demanda au bout d'un instant le mayordomo.

– Oui, répondit le comte, mais nous n'y voyons goutte, vous n'allumez donc pas votre torche?

– Elle est allumée, mais il serait par trop imprudent d'en montrer ici la lumière; suivez-moi entraînant vos chevaux par la bride.

Il reprit la tête, pour les guider, et ils avancèrent de nouveau, mais à pied, cette fois.

Bientôt une lueur brilla devant eux, et les éclaira assez pour leur laisser distinguer les objets qui les entouraient.

Ils étaient dans une grotte naturelle; cette grotte s'ouvrait au fond d'un couloir assez tortueux pour que la lueur de la torche ne fût pas aperçue du dehors.

– Où diable sommes-nous ici? demanda le comte avec surprise.

– Vous le voyez, seigneurie, dans une grotte.

– Très bien, mais vous aviez une raison pour nous amener ici.

– Certes, j'en avais une, seigneurie, et cette raison la voici: cette grotte, par un souterrain assez long, communique avec l'hacienda; ce souterrain a plusieurs issues dans la campagne et deux dans l'hacienda même. Des deux issues qui aboutissent à l'hacienda, il en est une que moi seul connais, aujourd'hui même j'ai bouché l'autre; mais, redoutant que don Melchior aie pendant ses promenades au dehors découvert la grotte où nous sommes, j'ai voulu la visiter cette nuit, afin de la murer solidement en dedans, et empêcher ainsi que nous soyons surpris.

– Parfaitement raisonné, Ño Leo Carral; les pierres ne manquent pas, nous nous mettrons à l'œuvre lorsque vous voudrez.

– Un instant, seigneurie, assurons-nous d'abord que d'autres ne nous ont pas précédés ici.

– Hum! Cela me semble assez difficile.

– Vous croyez, dit-il avec une légère ironie dans la voix.

Il prit la torche qu'il avait plantée dans un coin et se pencha sur le sol, mais presqu'aussitôt il se redressa en poussant un cri de colère et de rage.

– Qu'avez-vous? s'écrièrent les deux jeunes gens avec anxiété.

– Voyez, dit-il en leur indiquant le sol.

Le comte regarda.

– Nous sommes joués, dit-il au bout d'un instant, il est trop tard.

– Mais expliquez-vous, au nom du ciel! Je ne comprends rien à ce que vous dites, moi, s'écria le comte.

– Tiens mon ami, reprit Dominique, vois-tu comme le sable est foulé? Remarques-tu ces empreintes de pas qui courent dans tous les sens?

– Eh bien?

– Eh bien, mon pauvre ami, ces empreintes sont celles laissées par les hommes conduits probablement par don Melchior, et qui ont pris ce chemin pour s'introduire dans l'hacienda, où peut-être ils sont déjà.

– Non, reprit le mayordomo, les empreintes sont toutes fraîches; ils ne sont entrés que quelques minutes avant nous. L'avance qu'ils ont n'est rien, car arrivés au bout du souterrain il leur faudra démolir le mur que j'ai construit, et il est solide, ne nous décourageons donc pas encore, peut-être Dieu permettra-t-il que nous atteignions l'hacienda à temps; venez, suivez-moi, hâtez-vous, abandonnez les chevaux; ah! C'est le ciel qui m'a inspiré de ne pas boucher la seconde issue.

Agitant alors la torche pour en raviver la flamme, le mayordomo s'élança en courant dans une galerie latérale, suivi par les deux jeunes gens.

Le souterrain montait en pente douce; la route qu'ils avaient suivie pour venir à la grotte, tournait autour de la colline sur laquelle l'hacienda était bâtie; de plus, il leur avait fallu faire de nombreux détours et marcher avec circonspection, c'est-à-dire assez lentement, de peur d'être surpris, ce qui leur avait demandé un laps de temps assez considérable; mais cette fois il n'en était plus ainsi, ils couraient en ligne droite devant eux, ils accomplirent ainsi en moins d'un quart d'heure ce qui, a cheval, avait exigé près d'une heure à travers la campagne, et ils arrivèrent dans le jardin.

L'hacienda était silencieuse.

– Éveillez vos domestiques pendant que je sonnerai la cloche d'alarme, dit le mayordomo; peut-être sauverons-nous l'hacienda!

Il se précipita vers la cloche dont les vibrations redoublées eurent bientôt réveillé les habitants de l'hacienda qui accoururent à demi vêtus, ne comprenant rien à ce qui se passait.

– Aux armes! Aux armes! criaient le comte et ses deux compagnons.

En deux mots, don Andrés fut mis au fait de la situation, et pendant qu'il faisait placer sa fille dans son appartement sous la garde de serviteurs dévoués, et organisait la défense autant du moins que le permettaient les circonstances, le mayordomo suivi des deux jeunes gens et de leurs domestiques, s'était élancé dans le jardin.

Ludovic et doña Dolores n'avaient échangé qu'une parole.

– Je vais là, chez mon père, avait-elle dit.

– J'irai vous y retrouver.

– Je vous attends, nul autre que vous ne m'approchera?

– Je vous le jure.

– Merci.

Ils s'étaient séparés.

Arrivés dans le jardin, les cinq hommes entendirent distinctement les coups pressés que les assaillants frappaient contre la muraille.

Ils s'embusquèrent à portée de pistolet de l'issue, derrière des massifs d'arbres et de fleurs.

– Mais ces gens sont donc des bandits, s'écria le comte, pour venir de cette façon piller les honnêtes gens?

– Pardieu! Si ce sont des bandits, répondit en ricanant Dominique, bientôt vous les verrez à l'œuvre et vous n'en douterez plus.

– Alors, attention! dit le comte, et recevons-les comme ils le méritent.

Cependant les coups redoublaient dans le souterrain; bientôt une pierre se détacha, puis une autre, puis une troisième, et une brèche assez grande s'ouvrit béante dans le mur.

Les guérilleros s'élancèrent avec un hurlement de joie qui se changea aussitôt en rugissement de rage.

Cinq coups de feu confondus en un seul, avaient éclaté comme un formidable roulement de tonnerre.

La bataille commençait.

XVI
L'ASSAUT

A l'effroyable décharge qui les avait accueillis en semant la mort parmi eux, les guérilleros s'étaient rejetés en arrière avec épouvante, surpris par ceux qu'ils comptaient surprendre, préparés à piller mais non à combattre, leur première pensée fut de prendre la fuite, et un désordre indescriptible se mit dans leurs rangs.

Les défenseurs de l'hacienda, dont le nombre s'était considérablement accru, profitèrent de cette hésitation pour faire pleuvoir sur eux une grêle de balles.

Cependant il fallait prendre un parti: ou avancer sous les balles, ou renoncer à l'expédition.

Le propriétaire de l'hacienda était riche, les guérilleros le savaient; depuis longtemps déjà ils désiraient s'emparer de ces richesses qu'ils convoitaient et qu'à tort ou à raison, ils supposaient cachées dans l'hacienda; il leur en coûtait de renoncer à cette expédition préparée de longue main et dont ils se promettaient de si magnifiques résultats.

Cependant les balles pleuvaient toujours sur eux sans qu'ils osassent se hasarder à franchir la brèche. Leurs chefs, plus intéressés qu'eux encore à la réussite de leurs projets firent cesser toute hésitation en s'armant résolument de pics et de marteaux non seulement pour agrandir la brèche, mais encore pour éventrer complètement le mur, car ils comprenaient que ce n'était que par une irruption soudaine et irrésistible qu'ils parviendraient à renverser l'obstacle que leur opposaient les défenseurs de l'hacienda.

Ceux-ci continuaient bravement à tirailler, mais leurs coups étaient perdus pour la plupart, les guérilleros travaillant à l'abri et se gardant bien de se montrer devant la brèche.

– Ils ont changé de tactique, dit le comte à Dominique; ils s'occupent maintenant à renverser le mur, bientôt ils reviendront à l'assaut, et, ajouta-t-il en jetant un triste regard autour de lui, nous serons forcés, les hommes qui nous accompagnent ne sont pas capables de résister à une attaque vigoureuse.

– Tu as raison, ami, la situation est grave, répondit le jeune homme.

– Que faire? répondit le mayordomo.

– Ah! Une idée! s'écria tout à coup Dominique en se frappant le front; vous avez de la poudre ici?

– Oui, grâce à Dieu, elle ne nous manque pas, mais à quoi bon?

– Faites-en apporter un baril le plus tôt possible, je réponds du reste.

– C'est facile.

– Allez alors.

Le mayordomo s'éloigna en courant.

– Que veux-tu faire? demanda le comte.

– Tu verras, répondit le jeune homme dont le regard étincelait; pardieu, c'est une triomphante idée qui m'est venue-là. Ces bandits s'empareront probablement de l'hacienda, nous sommes trop faibles pour leur résister et ce n'est pour eux qu'une affaire de temps, mais vive Dieu il leur en cuira!

– Je ne te comprends pas!

– Ah! continua le jeune homme en proie à une exaltation fébrile, ah, ils veulent s'ouvrir un large passage, je me charge de leur en faire un, moi, sois tranquille.

En ce moment, le mayordomo revenait portant non pas un, mais trois barillets de poudre sur une brouette; chacun de ces barils contenait cent vingt livres de poudre environ.

– Trois barils! reprit joyeusement Dominique. Tant mieux, nous aurons chacun le nôtre ainsi.

– Mais que veux-tu faire?

– Je veux les faire sauter. Vive Dieu! s'écria-t-il. Allons! A l'œuvre, imitez-moi.

Il prit un baril et le défonça; le comte et Léo Carral firent de même.

– Maintenant, dit-il en s'adressant aux peones effrayés de ces préparatifs sinistres, en arrière vous autres, mais continuez toujours à tirer pour les inquiéter.

Les trois hommes demeurèrent seuls avec les deux domestiques du comte, qui n'avaient pas voulu abandonner leur maître.

En quelques mots Dominique expliqua son projet à ses compagnons.

Ils se chargèrent des barils, et se glissant silencieusement derrière les arbres, ils s'approchèrent de la grotte.

Les assiégeants, occupés à démolir intérieurement le mur, et n'osant se risquer devant la brèche à cause du feu continuel des peones, ne voyaient pas ce qui se passait au dehors, il fut donc assez facile aux cinq hommes d'arriver jusqu'au pied même du mur que démolissaient les guérilleros, sans être découvert.

Dominique plaça les trois barils de poudre à toucher le bas du mur, et sur ces barils il entassa, aidé par ses compagnons, toutes les pierres qu'il put trouver, puis il prit son mechero, en retira la mèche dont il coupa un bout long de dix centimètres au plus, il alluma cette mèche et la planta dans un des barils.

– En retraite! En retraite! dit-il à demi-voix, le mur ne tient plus. Voyez il penche, dans un instant il tombera.

Et, donnant l'exemple à ses compagnons, il s'éloigna en courant.

Presque tous les défenseurs de l'hacienda, au nombre d'une quarantaine environ et ayant don Andrés à leur tête, étaient réunis à l'entrée de la huerta.

– Pourquoi courez-vous si fort? demanda-t-il aux jeunes gens; est-ce que les bandits arrivent.

– Non, non, répondit Dominique, pas encore, mais vous aurez bientôt de leurs nouvelles.

 

– Où est doña Dolores, demanda le comte.

– Dans mon appartement avec ses femmes, parfaitement en sûreté.

– Tirez donc, vous autres, cria Dominique aux peones.

Ceux-ci recommencèrent un feu d'enfer.

– Raimbaut, dit le comte à voix basse, il faut tout prévoir, allez avec Lanca Ibarru, sellez cinq chevaux; qu'un des chevaux ait une selle de femme, vous me comprenez, n'est-ce pas?

– Oui, monsieur le comte.

– Vous mènerez ces chevaux à la porte qui est au fond de la huerta. Vous m'attendrez là avec Ibarru, bien armés tous deux; allez.

Raimbaut s'éloigna aussitôt, aussi tranquille et aussi calme que si rien d'extraordinaire ne se passait en ce moment.

– Ah! fit avec un soupir de regret don Andrés, si Melchior était ici, il nous serait bien utile.

– Il y sera bientôt, soyez tranquille, señor, répondit avec ironie le comte.

– Mais où peut-il être?

– Hum! Qui sait?

– Ah! Ah! fit Dominique, il se passe quelque chose là-bas.

En effet, les pierres vigoureusement ébranlées sous les coups répétés des guérilleros commençaient à tomber au dehors. La brèche s'élargissait rapidement, enfin un pan de mur se détacha d'un seul bloc et se renversa du côté du jardin.

Les guérilleros poussèrent un grand cri, jetèrent leurs pics et saisissant leurs armes, ils se préparèrent à s'élancer au dehors. Mais tout à coup, une explosion terrible se fit entendre, la terre trembla comme agitée par une convulsion volcanique, un nuage de fumée monta vers le ciel et des masses de débris lancés par l'explosion, retombèrent projetés dans toutes les directions.

Un horrible cri d'agonie traversa l'espace, puis ce fut tout: un silence de mort plana sur cette scène.

– En avant! En avant! s'écria Dominique.

Les dégâts causés par la mine étaient terribles; l'entrée du souterrain complètement bouleversée et entièrement bouchée par des masses de terre et de pierres amoncelées n'avait livré passage à aucun des assiégeants. Çà et là seulement du milieu des débris sortaient les restes défigurés de ce qui un instant auparavant était des hommes. La catastrophe avait du être épouvantable, mais le souterrain en avait gardé le secret.

– Oh! Dieu soit béni! Nous sommes sauvés, s'écria don Andrés.

– Oui, oui, s'écria le mayordomo, si d'autres assaillants ne se présentent point d'un autre côté.

Soudain, comme si le hasard eût voulu lui donner raison, de grands cris se firent entendre, mêlés à des coups de feu, et une flamme subite, qui s'éleva des communs de l'hacienda, éclaira le paysage d'une lueur sinistre.

– Aux armes! Aux armes! s'écrièrent des peones en accourant effarés; les guérilleros! Les guérilleros!

Et en effet, on vit bientôt apparaître, aux reflets rougeâtres de l'incendie qui dévorait les bâtiments, les noires silhouettes d'une centaine d'hommes qui accouraient en brandissant leurs armes et en poussant des hurlements de fureur.

A quelques pas, devant ces bandits, s'avançait un homme tenant un sabre d'une main et une torche de l'autre.

– Don Melchior! s'écria le vieillard avec désespoir.

– Pardieu, je vais l'arrêter, moi, dit Dominique en le couchant en joue.

Don Andrés se jeta sur l'arme qu'il releva.

– C'est mon fils! dit-il.

Le coup alla se perdre dans l'espace.

– Hum! Je crois que vous vous repentirez de lui avoir sauvé la vie, señor, répondit froidement Dominique.

Don Andrés, entraîné par le comte et par Dominique, était entré dans son appartement dont les peones avaient barricadé à la hâte toutes les issues et faisaient par les fenêtres un feu nourri sur les assiégeants.

Don Melchior avait des intelligences avec les partisans de Juárez. Réduit, ainsi que le mayordomo l'avait fort bien dit au comte, au désespoir par le prochain mariage de sa sœur et la perte inévitable de la fortune dont il avait conservé si longtemps l'espoir d'être le seul héritier, le jeune homme n'avait plus gardé de mesure et sous certaines conditions acceptées par Cuellar, quitte à ne pas les tenir plus tard, il avait proposé à celui-ci de lui livrer l'hacienda; et toutes les mesures avaient en conséquence été prises.

Il avait alors été convenu qu'une partie de la cuadrilla sous les ordres d'officiers résolus, tenterait une surprise par le souterrain dont le jeune homme avait précédemment livré le secret.

Puis en même temps que cette troupe opérerait, l'autre moitié de la cuadrilla sous les ordres de Cuellar lui-même et guidée par don Melchior, escaladerait silencieusement les murs de l'hacienda du côté des corales, que, sans doute, on négligerait de garder pour demeurer à la défense des bâtiments dont ils étaient assez éloignés.

Nous avons rapporté quel avait été le succès de cette double attaque.

Cuellar, il l'ignorait encore, avait perdu à cette affaire, sa première moitié de la cuadrilla engloutie tout entière sous les débris du souterrain effondré; avec ce qui lui restait d'hommes, il soutenait en ce moment un combat acharné contre les peones de l'hacienda qui sachant qu'ils avaient affaire à la bande de Cuellar, le plus féroce et le plus sanguinaire de tous les guérilleros de Juárez, et que cette bande n'accordait pas de quartier, se battaient avec cette énergie du désespoir qui décuple les forces.

Cependant le combat se prolongeait; les peones embusqués dans les appartements avaient garni les fenêtres avec tout ce qui leur était tombé sous les mains et tiraient à couvert sur les assaillants disséminés dans les cours et auxquels ils causaient des pertes sensibles.

Cuellar était furieux non seulement de cette résistance imprévue, mais encore du retard incompréhensible des soldats de sa cuadrilla qui étaient entrés par la grotte et qui depuis longtemps déjà auraient dû l'avoir rejoint.

Il avait à la vérité entendu le bruit de l'explosion de la mine, mais comme alors il se trouvait assez loin encore de l'hacienda, dans une direction diamétralement opposée à celle où cette explosion avait eu lieu, le bruit n'était parvenu à ses oreilles que sourd et indistinct et il ne s'en était pas autrement préoccupé, mais le retard inexplicable de ses compagnons dans ce moment où leur secours aurait été si nécessaire commençait à lui causer de vives inquiétudes, et il se préparait à envoyer quelques-uns de ses hommes à la découverte, avec mission de hâter l'arrivée des retardataires, lorsque tout à coup des cris de victoire partirent de l'intérieur même des bâtiments qu'il attaquait et plusieurs guérilleros apparurent aux fenêtres en agitant joyeusement leurs armes.

C'était grâce à don Melchior que ce succès décisif avait été obtenu. Tandis que le gros des assiégeants attaquait les bâtiments de face il s'était, accompagné de quelques hommes résolus, glissé dans l'ombre et par une fenêtre basse, que dans le premier moment de confusion on avait oublié de barricader comme les autres, il s'était introduit dans l'intérieur et avait apparu à l'improviste devant les assiégés que sa présence avait terrifiés et sur lesquels ceux qui l'accompagnaient s'étaient précipité le sabre haut et le pistolet au poing.

Ce ne fut plus alors un combat mais une horrible boucherie; les peones, malgré leurs prières, étaient saisis par leurs vainqueurs, poignardés et précipités par les fenêtres dans les cours.

Les guérilleros inondèrent bientôt tous les bâtiments de l'hacienda, poursuivant de chambre en chambre et massacrant sans pitié les malheureux peones.

Ils atteignirent ainsi un grand salon dont les larges portes à deux battants étaient ouvertes, mais arrivés là, non seulement ils s'arrêtèrent, mais encore ils reculèrent avec un instinctif mouvement de frayeur devant le spectacle terrible qui s'offrit à leurs regards.

Ce salon était splendidement éclairé par une quantité de bougies placées dans tous les candélabres et sur tous les meubles.

Dans un angle du salon, une barricade avait été élevée au moyen de meubles entassés les uns sur les autres; derrière cette barricade, doña Dolores s'était réfugiée ainsi que toutes les femmes et les enfants des peones de l'hacienda; à deux pas en avant de la barricade, quatre hommes se tenaient droits et immobiles ayant un fusil d'une main et un pistolet de l'autre: ces quatre hommes étaient: don Andrés, le comte, Dominique et Leo Carral; deux barils de poudre défoncés étaient placés près d'eux.