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Bouvard et Pécuchet

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Ce qui enrageait Sorel, c'était le toupet d'avoir dressé un piège aux abords de son logement, le gredin se figurant qu'on n'aurait pas l'idée d'en soupçonner dans cet endroit.

Dauphin prit le genre pleurard.

– Je marchais dessus, je tâchais même de le casser. On l'accusait toujours; il était bien malheureux!

Sorel, sans lui répondre, avait tiré de sa poche, un calepin, une plume et de l'encre pour écrire un procès-verbal.

– Oh non? dit Pécuchet.

Bouvard ajouta: Relâchez-le, c'est un brave homme!

– Lui! un braconnier!

– Eh bien, quand cela serait! Ils se mirent à défendre le braconnage. On sait d'abord, que les lapins rongent les jeunes pousses; les lièvres abîment les céréales, sauf la bécasse peut-être…

– Laissez-moi donc tranquille. Et le garde écrivait, les dents serrées.

– Quel entêtement murmura Bouvard.

– Un mot de plus, je fais venir les gendarmes.

– Vous êtes un grossier personnage! dit Pécuchet.

– Vous, des pas grand'chose, reprit Sorel.

Bouvard s'oubliant, le traita de butor, d'estafier! – et Eugène répétait: La paix, la paix tandis que le père Aubain gémissait à trois pas d'eux sur un mètre de cailloux.

Troublés par ces voix, tous les chiens de la meute sortirent de leurs cabanes; on voyait à travers le grillage, leurs prunelles ardentes, leurs mufles noirs, et courant çà et là, ils aboyaient effroyablement.

– Ne m'embêtez plus s'écria leur maître ou bien, je les lance sur vos culottes!

Les deux amis s'éloignèrent, contents d'avoir soutenu le Progrès, la

Civilisation.

Dès le lendemain, on leur envoya une citation à comparaître devant le tribunal de simple police, pour injures envers le garde – et s'y entendre condamner à cent francs de dommages et intérêts sauf le recours du ministère public, vu les contraventions par eux commises. Coût six francs, soixante-quinze centimes. Tiercelin, huissier.

Pourquoi un ministère public? La tête leur en tourna. Puis se calmant, ils préparèrent leur défense.

Le jour désigné, Bouvard et Pécuchet se rendirent à la Mairie, une heure trop tôt. Personne – des chaises et trois fauteuils entouraient une table couverte d'un tapis; une niche était creusée dans la muraille pour recevoir un poêle, et le buste de l'Empereur occupant un piédouche dominait l'ensemble.

Il flânèrent jusqu'au grenier, où il y avait une pompe à incendie, plusieurs drapeaux, – et dans un coin par terre d'autres bustes en plâtre: Napoléon sans diadème, Louis XVIII, avec des épaulettes sur un frac, Charles X, reconnaissable à sa lèvre tombante, Louis-Philippe, les sourcils arqués, la chevelure en pyramide. L'inclinaison du toit lui frôlait la nuque et tous étaient salis par les mouches et la poussière. Ce spectacle démoralisa Bouvard et Pécuchet. Les gouvernements leur faisaient pitié quand ils revinrent dans la grande salle.

Ils y trouvèrent Sorel et le garde champêtre, l'un ayant sa plaque au bras, l'autre un képi.

Une douzaine de personnes causaient, incriminées, pour défaut de balayage, chiens errants, manque de lanterne ou avoir tenu pendant la messe un cabaret ouvert.

Enfin Coulon se présenta, affublé d'une robe en serge noire et d'une toque ronde avec du velours dans le bas. Son greffier se mit à sa gauche. Le Maire en écharpe, à droite. – Et on appela, de suite, l'affaire Sorel contre Bouvard et Pécuchet.

Louis-Martial-Eugène Lenepveur, valet de chambre à Chavignolles (Calvados), profita de sa position de témoin, pour épandre tout ce qu'il savait sur une foule de choses étrangères au débat.

Nicolas-Juste Aubain, manouvrier, craignait de déplaire à Sorel et de nuire à ces messieurs, il avait entendu de gros mots, en doutait cependant, allégua sa surdité.

Le juge de paix le fit se rasseoir, puis s'adressant au garde:

Persistez-vous dans vos déclarations?

– Certainement.

Coulon ensuite demanda aux deux prévenus, ce qu'ils avaient à dire.

Bouvard soutenait n'avoir pas injurié Sorel, mais en défendant Dauphin avoir défendu l'intérêt de nos campagnes. Il rappela les abus féodaux, les chasses ruineuses des grands seigneurs.

– N'importe! la contravention.

– Je vous arrête! s'écria Pécuchet. Les mots contravention, crime et délit ne valent rien. – Prendre la peine, pour classer les faits punissables, c'est prendre une base arbitraire. Autant dire aux citoyens: Ne vous inquiétez pas de la valeur de vos actions. Elle n'est déterminée que par le châtiment du Pouvoir; du reste, le Code pénal me paraît une oeuvre irrationnelle, sans principes.

– Cela se peut, répondit Coulon. Et il allait prononcer son jugement:

Attendu…

Mais Foureau qui était ministère public se leva. On avait outragé le garde dans l'exercice de ses fonctions. Si on ne respecte pas les propriétés, tout est perdu. Bref, plaise à M. le juge de paix d'appliquer le maximum de la peine.

Elle fut de dix francs, sous forme de dommages et intérêts envers Sorel.

– Très bien prononça Bouvard.

Coulon n'avait pas fini: – Les condamne à cinq francs d'amende comme coupables de la contravention relevée par le ministère public.

Pécuchet se tourna vers l'auditoire: L'amende est une bagatelle pour le riche mais un désastre pour le pauvre. Moi, ça ne me fait rien! Et il avait l'air de narguer le tribunal.

– Je m'étonne, dit Coulon, que des Messieurs d'esprit…

– La loi vous dispense d'en avoir répliqua Pécuchet. Le juge de paix siège indéfiniment, tandis que le juge de la cour suprême est réputé capable jusqu'à soixante-quinze ans, – et celui de première instance ne l'est plus à soixante-dix.

Mais sur un geste de Foureau, Placquevent s'avança. Ils protestèrent.

– Ah! si vous étiez nommés au concours!

– Ou par le conseil général.

– Ou un comité de prud'hommes!

– D'après un titre sérieux.

Placquevent les poussait; – et ils sortirent, hués des autres prévenus croyant se faire bien voir par cette marque de bassesse.

Pour épancher leur indignation, ils allèrent le soir chez Beljambe.

Son café était vide, les notables ayant coutume d'en partir vers dix heures. On avait baissé le quinquet; les murs et le comptoir s'apercevaient dans un brouillard.

Une femme survint.

C'était Mélie.

Elle ne parut pas troublée, – et en souriant, leur versa deux bocks.

Pécuchet mal à son aise, quitta vite l'établissement.

Bouvard y retourna seul, divertit quelques bourgeois par des sarcasmes contre le maire, et dès lors fréquenta l'estaminet.

Dauphin, six semaines après fut acquitté, faute de preuves. Quelle honte! On suspectait ces mêmes témoins, que l'on avait crus déposant contre eux.

Et leur colère n'eut plus de bornes, quand l'Enregistrement les avertit d'avoir à payer l'amende. Bouvard attaqua l'Enregistrement comme nuisible à la propriété.

– Vous vous trompez! dit le Percepteur.

– Allons donc! Elle endure le tiers de la charge publique! Je voudrais des procédés d'impôts, moins vexatoires, un cadastre meilleur, des changements au Régime hypothécaire, et qu'on supprimât la Banque de France, qui a le privilège de l'usure.

Girbal n'était pas de force, dégringola dans l'opinion, et ne reparut plus.

Cependant Bouvard plaisait à l'aubergiste; il attirait du monde; et en attendant les habitués, causait familièrement avec la bonne.

Il émit des idées drôles sur l'instruction primaire. On aurait dû, en sortant de l'école, pouvoir soigner les malades, comprendre les découvertes scientifiques, s'intéresser aux Arts! – Les exigences de son programme le fâchèrent avec Petit; et il blessa le Capitaine en prétendant que les soldats au lieu de perdre leur temps à la manoeuvre feraient mieux de cultiver des légumes.

Quand vint la question du libre échange, il ramena Pécuchet; – et pendant tout l'hiver, il y eut dans le café, des regards furieux, des attitudes méprisantes, des injures et des vociférations, avec des coups de poing sur les tables qui faisaient sauter les canettes.

Langlois et les autres marchands, défendaient le commerce national; Voisin filateur, Oudot gérant d'un laminoir et Mathieu orfèvre l'industrie nationale, les propriétaires et les fermiers l'agriculture nationale, chacun réclamant pour soi des privilèges, au détriment du plus grand nombre. – Les discours de Bouvard et de Pécuchet alarmaient.

Comme on les accusait de méconnaître la Pratique, de tendre au nivellement et à l'immoralité, ils développèrent ces trois conceptions.

Remplacer le nom de famille par un numéro matricule.

Hiérarchiser les Français, – et pour conserver son grade, il faudrait de temps à autre, subir un examen.

Plus de châtiments, plus de récompenses, mais dans tous les villages une chronique individuelle qui passerait à la Postérité.

On dédaigna leur système.

Ils en firent un article pour le journal de Bayeux, une note au Préfet, une pétition aux Chambres, un mémoire à l'Empereur.

Le journal n'inséra pas leur article; le Préfet ne daigna répondre; les

Chambres furent muettes, et ils attendirent longtemps un pli du Château.

De quoi s'occupait l'Empereur? de femmes sans doute!

Foureau leur conseilla plus de réserve de la part du sous-préfet.

Ils se moquaient du sous-préfet, du Préfet, et des Conseils de Préfecture, voire du Conseil d'État, la Justice administrative étant une monstruosité, car l'administration par des faveurs et des menaces gouverne injustement ses fonctionnaires. Bref ils devenaient incommodes; – et les notables enjoignirent à Beljambe de ne plus recevoir ces deux particuliers.

Alors Bouvard et Pécuchet voulurent se signaler par une oeuvre qui forçant les respects, éblouirait leurs concitoyens – et ils ne trouvèrent pas autre chose que des projets d'embellissement pour Chavignolles.

 

Les trois quarts des maisons seraient démolies; on ferait au milieu du bourg une place monumentale, un hospice du côté de Falaise, des abattoirs sur la route de Caen et au pas de la Vaque, une église romane et polychrome.

Pécuchet composa un lavis à l'encre de Chine, n'oubliant pas de teinter les bois en jaune, les prés en vert, les bâtiments en rouge; les tableaux d'un Chavignolles idéal, le poursuivaient dans ses rêves! Il se retournait sur son matelas. Bouvard, une nuit, en fut réveillé!

– Souffres-tu?

Pécuchet balbutia: – Haussmann m'empêche de dormir.

Vers cette époque, il reçut une lettre de Dumouchel pour savoir le prix des bains de mer de la côte normande.

– Qu'il aille se promener avec ses bains! Est-ce que nous avons le temps d'écrire? Et quand ils se furent procuré une chaîne d'arpenteur, un graphomètre, un niveau d'eau et une boussole, d'autres études commencèrent.

Ils envahissaient les demeures; souvent les bourgeois étaient surpris d'y voir ces deux hommes plantant des jalons dans les cours. Bouvard et Pécuchet annonçaient d'un air tranquille ce qui en adviendrait. Le Public s'inquiéta car enfin, l'autorité se rangerait peut-être à leur avis?

Quelquefois, on les renvoyait brutalement. Victor escaladait les murs et montait dans les combles pour y appendre un signal, témoignait de la bonne volonté et même une certaine ardeur.

Ils étaient aussi plus contents de Victorine.

Quand elle repassait le linge elle poussait son fer sur la planche, en chantonnant d'une voix douce, s'intéressait au ménage, fit une calotte pour Bouvard, et ses points de piqué lui valurent les compliments de Romiche.

C'était un de ces tailleurs qui vont dans les fermes, raccommoder les habits. On l'eut quinze jours à la maison.

Bossu, avec des yeux rouges, il rachetait ses défauts corporels par une humeur bouffonne. Pendant que les maîtres étaient dehors il amusait Marcel et Victorine, en leur contant des farces, tirait sa langue jusqu'au menton, imitait le coucou, faisait le ventriloque, et le soir s'épargnant les frais d'auberge, allait coucher dans le fournil.

Or un matin, de très bonne heure, Bouvard sentant une envie de travail vint y prendre des copeaux, pour allumer son feu.

Un spectacle le pétrifia.

Derrière les débris du bahut, sur une paillasse Romiche et Victorine dormaient ensemble.

Il lui avait passé le bras sous la taille – et son autre main, longue comme celle d'un singe, la tenait par un genou, les paupières entre-closes, le visage encore convulsé dans un spasme de plaisir. Elle souriait, étendue sur le dos. Le bâillement de sa camisole laissait à découvert sa gorge enfantine marbrée de plaques rouges par les caresses du bossu. Ses cheveux blonds traînaient, et la clarté de l'aube jetait sur tous les deux une lumière blafarde.

Bouvard, au premier moment avait ressenti comme un heurt en pleine poitrine. Puis une pudeur l'empêcha de faire un pas, un geste. Des réflexions douloureuses l'assaillaient.

– Si jeune! perdue! perdue!

Ensuite il alla réveiller Pécuchet, d'un mot lui apprit tout.

– Ah! le misérable!

– Nous n'y pouvons rien! Calme-toi!

Et ils furent longtemps à soupirer l'un devant l'autre. Bouvard, sans redingote les bras croisés, Pécuchet au bord de sa couche, pieds nus, et en bonnet de coton.

Romiche devait partir ce jour-là, ayant terminé son ouvrage. Ils le payèrent d'une façon hautaine, silencieusement.

Mais la Providence leur en voulait.

Marcel les conduisit à pas de loup dans la chambre de Victor; – et leur montra au fond de sa commode une pièce de vingt francs. Le gamin l'avait prié de lui en fournir la monnaie.

D'où provenait-elle? d'un vol, bien sûr! et commis durant leurs tournées d'ingénieurs.

Si on la réclamait ils auraient l'air complices.

Enfin ayant appelé Victor ils lui commandèrent d'ouvrir son tiroir; la pièce n'y était plus.

Tantôt, pourtant, ils l'avaient maniée et Marcel était incapable de mentir. Cette histoire le révolutionnait tellement que depuis le matin, il gardait dans sa poche une lettre pour Bouvard.

Monsieur,

Craignant que M. Pécuchet ne soit malade, j'ai recours a votre obligeance. De qui donc la signature? Olympe Dumouchel, née Charpeau.

Elle et son époux demandaient dans quelle localité balnéaire, Courseulles, Langrune ou Ouistreham, se trouvait la compagnie la moins bruyante? tous les moyens de transport, le prix du blanchissage, mille choses.

Cette importunité les mit en colère contre Dumouchel, puis la fatigue les plongea dans un découragement plus lourd.

Ils récapitulèrent tout le mal qu'ils s'étaient donné, tant de leçons, de précautions, de tourments.

– Et songer disaient-ils que nous voulions autrefois, faire d'elle une sous-maîtresse! et de lui dernièrement un piqueur de travaux!

– Si elle est vicieuse ce n'est pas la faute de ses lectures.

– Moi, pour le rendre honnête, je lui avais appris la biographie de

Cartouche.

– Peut-être ont-ils manqué d'une famille, des soins d'une mère.

– J'en étais une! objecta Bouvard.

– Hélas reprit Pécuchet. Mais il y a des natures dénuées de sens moral; – et l'éducation n'y peut rien.

– Ah! oui! c'est beau, l'éducation.

Comme les orphelins ne savaient aucun métier, on leur chercherait deux places de domestiques, – et puis à la grâce de Dieu! ils ne s'en mêleraient plus! – Et désormais Mon oncle et Bon ami les firent manger à la cuisine.

Mais bientôt ils s'ennuyèrent, leur esprit ayant besoin d'un travail, leur existence d'un but!

D'ailleurs que prouve un insuccès? Ce qui avait échoué sur des enfants, pouvait être moins difficile avec des hommes? Et ils imaginèrent d'établir un cours d'adultes.

Il aurait fallu une conférence pour exposer leurs idées. La grande salle de l'auberge conviendrait à cela, parfaitement.

Beljambe, comme adjoint, eut peur de se compromettre, refusa d'abord, puis changea d'opinion, le fit dire par la servante. Bouvard dans l'excès de sa joie, la baisa sur les deux joues.

Le maire était absent, l'autre adjoint Marescot pris tout entier par son étude, ainsi la conférence aurait lieu et le tambour l'annonça, pour le dimanche suivant à trois heures.

La veille seulement, ils pensèrent à leur costume.

Pécuchet, grâce au ciel, avait conservé un vieil habit de cérémonie a collet de velours, deux cravates blanches, et des gants noirs. Bouvard mit sa redingote bleue, un gilet de nankin, des souliers de castor, et ils étaient fort émus en traversant le village.

Ici s'arrête le manuscrit de Gustave Flaubert