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Le notaire de Chantilly

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XI

Le lendemain, en s'éveillant, Léonide trouva, sur un fauteuil auprès de son lit, un cachemire noir que Maurice lui envoyait de Paris.

Victor Reynier seul était de retour.

C'était dimanche, jour de bonheur et de coquetterie pour les habitants de Chantilly, qui, vers les deux heures, lorsque le soleil est moins chaud l'été, et l'air moins froid l'hiver, débouchent de tous les corridors de la forêt, ou y pénètrent par ses arcades de verdure, bordent la pièce d'eau, et, marchant par groupes, par familles, s'étalent sur un océan de gazon incommensurable à l'œil.

Le dimanche passe inaperçu dans les grandes villes soumises à la chrétienté, à Paris surtout; à la campagne, il transpire de toutes parts. Est-ce parce que les roues des moulins et des usines se taisent, parce que les bûcherons ne fendent plus les arbres, parce que moins de charrettes écrasent le pavé de la grande route, parce que la forge du maréchal-ferrant ne retentit plus; mais, à la campagne, le dimanche est peint dans l'air et sur la terre. Ainsi que ses habitants, le village ou le bourg semble avoir pris ses vêtements de fête, ses souliers neufs, sa veste de velours, le haut col de chemise. Les arbres même participent de cette sainte oisiveté: ils sont plus beaux le dimanche que dans la semaine; la rivière, si la localité a une rivière, paraît plus limpide, plus paresseuse: elle se promène; et, vers l'après-midi, quand les oiseaux chantent au bruit des cloches, on dirait, pour se servir d'une expression du Midi, que le soleil revient des vêpres.

– Ma sœur, dit Reynier, je veux être le premier à vous applaudir sous ce cachemire; il vous ira à ravir. J'ai l'orgueil d'être pour quelque chose dans le choix de la couleur. Maurice prétendait que le vert vous siérait mieux; moi, j'ai insisté pour le tissu noir, et je l'ai emporté, sauf du moins votre avis. Nous ne l'avons acheté qu'à condition. Essayez-le donc, ma sœur.

– En robe du matin, fou que vous êtes?

– Les bayadères sont encore moins vêtues que vous lorsqu'elles déploient leurs châles sur leurs épaules nues; elles n'en sont pas moins bien pour cela.

– Il faut vous satisfaire.

Et Léonide, qui en brûlait d'envie, déplia le cachemire pour en admirer les magnifiques palmes orange, et, avec cette volupté du toucher que les femmes seules possèdent, elle le rejeta sur son cou et sur ses bras demi-nus, qui doublèrent de blancheur et de finesse.

– C'est ma couleur qui a gagné, mon goût est infaillible. Vous êtes délicieuse, ma sœur; on le garde, n'est-ce pas?

– N'est-il pas un peu long?

– C'est riche, c'est majestueux, Léonide. Long! quelle hérésie! Les châles ne sont longs que pour les gens qui vont à pied.

– Mais il me semble alors…

– Il vous semble mal, ma sœur. Vous avez tort de toujours douter ainsi; patientez, ce cachemire ne sera pas usé à Chantilly.

– Vrai, mon frère? – vous êtes superbe en me disant cela – vrai?

– Est-ce que je mens jamais? Écoutez-moi bien.

– Je vous écoute de toutes les forces de mon âme.

– Maintenant, ma sœur, il n'y a presque plus de raison pour le cacher: Maurice possédera bientôt tout un quartier de Paris.

– Un quartier de Paris! Nous y aurons au moins un hôtel?

– Ce quartier va être démoli de fond en comble, rasé.

– Vous êtes fou, mon frère.

– Vous aviez promis de ne pas m'interrompre. Je vous apprends, si vous ne le savez déjà, que le gouvernement, pour favoriser le commerce, a le projet de construire hors de Paris un immense entrepôt. Ceci n'est plus un secret. Les fonds sont votés, les devis sont au ministère où les plans se discutent; mais ce qui est un secret pour tout le monde, excepté pour nous, c'est l'endroit où sera élevé cet entrepôt. On suppose que le gouvernement est indécis entre la plaine de Grenelle et le Gros-Caillou. Pour nous il n'y a plus de doute, l'entrepôt sera à Saint-Denis. Je ne vous dirai pas de quelle reconnaissance positive nous avons indemnisé le secrétaire du ministre qui, par distraction, a laissé échapper cette révélation. Ceci est la métaphysique des affaires: vous n'entendez rien à la métaphysique.

– Je le veux bien, mon frère; mais à quoi cela vous a-t-il servi de savoir que l'entrepôt serait à Saint-Denis et non ailleurs?

– C'est ce que j'allais vous épargner la peine de me demander, ma sœur.

– Une fois instruit des projets du ministère, j'ai été chez un mécanicien célèbre autant que riche, et lui ai offert d'entrer en marché avec lui pour un chemin de fer de Saint-Denis à la Chapelle. Vous connaissez assez Paris pour savoir que la Chapelle est un bourg considérable à l'extrémité du faubourg Saint-Denis. Comme ce mécanicien ne supposait aucun intérêt bien vif caché sous ma proposition, il l'a acceptée à des conditions très-avantageuses pour moi, me prenant sans doute pour un de ceux qui font des montagnes russes ou s'occupent exclusivement de l'agrément des Parisiens, enfin pour un directeur de théâtre à pied. Nous avons conclu marché. Nous voilà donc, Maurice et moi, acquéreurs du chemin de fer de Saint-Denis à La Chapelle; mais un chemin de fer ne passe pas sur le toit des maisons, il faut les abattre pour le tracer, et, avant de les abattre, les acheter. Ne se doutant pas le moins du monde de la réalisation d'un entrepôt à Saint-Denis, les quatre cinquièmes des propriétaires des maisons de la Chapelle ont vendu, et ils se sont estimés trop heureux de vendre des masures inhabitables.

– Je vous demande encore une fois pardon, Victor, mais je ne comprends pas pourquoi vous feriez un chemin de fer de Saint-Denis à la Chapelle.

– C'est ma faute, Léonide. Nous autres hommes d'affaires, nous sommes comme les savants, toujours portés à mettre les autres à notre point de vue, au lieu de nous placer au leur. Suivez-moi. Ne faut-il pas que les marchandises de l'entrepôt arrivent à Paris pour la consommation? Nous leur traçons un chemin de fer qui, en cinq minutes, vomira aux limites de la ville de Paris les milliers de dépôts lancés de Saint-Denis. Le commerce en jettera des cris de joie! Voilà notre opération. Et le beau, l'inouï en ceci, c'est que nous ne livrerons aucune action que le chemin de fer ne soit en pleine activité. Elles se vendront au poids du diamant. Je ne compte plus avec les bénéfices du moment où tout sera en train. Incalculable!.. J'en ai le vertige. Pourvu que Maurice ne se mêle pas de diriger lui-même les affaires, pourvu qu'il me laisse exploiter son crédit, je vous garantis, ma sœur, que dans deux ans, notre nid à tous sera fait; un nid d'aigle! Jusqu'à présent il est assez docile; il se charge d'avoir des fonds, et moi du soin de les tripler parfois en quelques heures à la Bourse, d'où je cours à la Chapelle acheter des maisons pour les démolir. Il n'a pas de raison pour se plaindre. Cette dernière spéculation est miraculeuse, superbe! on m'en attribuera l'honneur. En bonne justice, il revient à Maurice qui, d'un autre côté, n'a pas à souffrir pour sa réputation en cas de revers, rien n'étant en son nom, rien ne pouvant l'être.

– Excellent Victor! Ah! si Maurice avait la moitié de votre ambition…

– Non pas, ma sœur, non pas; alors vous vous passeriez de moi, et je ne veux pas penser que votre reconnaissance pour moi vous est onéreuse. Je vous fais riche: faites-moi heureux; je serai encore votre débiteur. Mariez-moi, ma sœur!

– Mais, à propos, Victor, je ne pensais plus…

– A notre plaisanterie du cabinet, n'est-ce pas?

– Justement, mon frère.

– Êtes-vous disposée, ma sœur?

– Tout à fait.

– Alors je suis à vos ordres.

– Allons!

– Que ce châle vous sied bien!

– Oui, mais personne ne le verra.

– Tout Paris.

– Sur votre honneur?

– Sur mon honneur. Avez-vous les clefs des tiroirs?

– Toutes.

– Marchons, Léonide. Charmante étourderie que la nôtre! il faut bien tuer le dimanche. Marchez devant moi. Ce châle est sublime.

De plus en plus la pelouse se garnissait. Un bon et dernier soleil d'automne appelait toute la population à jouir de ses rayons obliques. Ces sortes de défis portés par l'avant-dernière saison aux pantalons nankins, aux vestes de toile, aux gilets blancs, aux petites robes d'indienne, aux fichus de soie qu'on avait déjà renfermés avec le sachet de lavande, sont joyeusement acceptés. On se déguise en été encore un jour; demain on se plaindra sans doute du rhume, et l'on boira en infusion les dernières feuilles de tilleul pour lesquelles on a compromis son gosier.

Pas un habitant n'est resté chez lui; il n'en est pas un qui, en foulant la pelouse, ne s'arrête en extase devant la grille du jardin de Maurice. On aime à voir avec quel attachement foncier le notaire du pays s'y inféode, au milieu de ces murs tapissés d'arbustes, en scellant aux angles du parterre de beaux vases de porcelaine, honneur de la manufacture de Chantilly, et en greffant des sujets exotiques sur les arbres indigènes, goûts simples qui prouvent le sage emploi du temps, qui attestent la pensée arrêtée d'une longue résidence. Bien aimé celui qui ne néglige pas les emblêmes parlants du calme domestique au sein de sa petite ville: on le respecte. La discipline du soldat se lit dans l'éclat de ses boutons; la bonne renommée du fonctionnaire rural, dans la toilette de ses buis, dans la symétrie de ses plates-bandes. Le style est l'homme; l'horticulture, c'est le notaire.

Ces pauvres rentiers, courbés par l'âge, qui sont venus mourir à Chantilly, où le cimetière est si plein de fleurs et d'oiseaux, ont leur fortune là, dans cette jolie maison. Ils ne sont pas fâchés qu'elle soit belle et visible. En lui souriant, ils sourient à leurs quinze cents francs, à leurs mille écus; ils respirent les fleurs à travers la grille et envoient une bénédiction à l'ange gardien assis sur leur fortune. En approchant, ils saluent comme si le maître de la maison était là; ils ont aperçu son chapeau de paille sur un banc. Et, toutes mystérieuses, toutes discrètes, les petites ouvrières en dentelle de Gouvieux éprouvent un frémissement au cœur en songeant que leurs bons parents ont déposé là leur dot pour qu'elle grandisse comme elles; et la dot, n'est-ce pas le mari?

 

– Ma sœur, courons au plus pressé, dit Victor en portant la main sur les papiers déposés la veille par M. Clavier. – Sont-ils lourds!

– Allons-nous lire tout cela, mon frère? reprit Léonide qui tremblait d'effroi, mais qui n'osait pas devant Reynier se repentir de cette démarche?

– Lire tout cela! mais non; ce sont des titres de propriété. Bornons-nous à la récapitulation et à la volonté du testateur.

– Hâtez-vous, Victor!

– Parbleu, c'est fait. Lisez: ceci résume tout: «Je lègue enfin à mademoiselle Caroline de Meilhan toutes les propriétés susmentionnées et s'élevant à la somme de quinze cent mille francs, mais à la condition expresse que ladite demoiselle Caroline de Meilhan n'épousera aucun homme noble, de quelque nation qu'il soit, à peine de nullité du testament, et de voir passer mon legs universel à la commune de Chantilly.»

– Nous ne sommes pas nobles, au moins, ma sœur?

– Silence! on vient; écoutez! Non, je ne me trompe pas: c'est le pas de monsieur Anastase, le premier clerc. Courez à l'escalier, à la porte; renvoyez-le… je ne sais comment… mais renvoyez-le!

Reynier était déjà à la porte de la rue.

Léonide ouvrit le corsage de sa robe et y coula le dépôt fait la veille par le colonel Debray: c'était le plan de campagne de la Vendée.

Quand Victor entra, elle chantait.

– Ce n'était rien, ma sœur; vous vous êtes sottement effrayée. Mais, pour plus de précaution, et afin qu'une seconde fois vous ne me causiez pas la même terreur, j'ai donné deux tours de clef à la porte d'entrée. Nous n'attendons personne; et, si Maurice arrivait, il serait obligé de sonner. Voulez-vous être convaincue, ma sœur, de ce mépris que je vous inspirais hier pour ces mystères dont vous demandiez la clef à Maurice? Asseyez-vous dans ce fauteuil et laissez-moi vous instruire.

Ouvrez ce registre et lisez-y à votre aise le sommaire des actes qui ont eu lieu jour par jour, et concernant les habitants des cantons du département de l'Oise et de quelques départements circonvoisins.

«Aujourd'hui, avoir annulé, par un dernier codicille, le testament de M. Dufour, et reporté sur sa nièce, qu'il doit épouser, tous les biens originairement légués à sa sœur.»

– Monsieur Dufour va épouser sa nièce! Il a soixante ans, elle vingt. Le monde avait donc raison de le supposer, cette femme est un démon. Mais si l'on avertissait la sœur de monsieur Dufour?

– Que dites-vous, Léonide? et la réputation de Maurice?

– Mais c'est une infamie.

– Sans doute; mais songez que la société ne qualifie pas autrement la violation d'un secret légal, quel qu'il soit. Lisez encore.

«Acte de la demoiselle Dufour, par lequel elle déclare vouloir que les biens qui lui reviendront de la succession de son frère soient, après sa mort, donnés à sa servante et non à ses deux cousins qui participeront à l'héritage dans la faible proportion du droit rigoureux que leur accorde la loi.»

Eh bien! Léonide, irez-vous maintenant prévenir les deux cousins, monsieur Dufour ou sa sœur?

– Ceci me surprend étrangement.

– Vous n'êtes pas au bout. La dernière pièce n'est pas la moins curieuse:

«Projet des cousins de mademoiselle Dufour, de présenter une requête au tribunal, tendant à faire déclarer inhabile à tester, pour cause de folie, ladite demoiselle.»

– Ah! c'est trop fort! le frère déshérite la sœur, la sœur ses cousins, et les cousins accuseront celle-ci de folie en plein tribunal! Et tout le canton croit cette famille bien unie, la cite pour modèle!

– Mais c'est peut-être juste; connaissons-nous les autres familles? Mon Dieu! ce qu'on sait n'est rien auprès de ce qu'on ignore, ma sœur. Désirez-vous apprendre maintenant quelque particularité sur la famille Duplan?

– Tout autant que cela vous plaira, Victor. Madame Duplan est cette petite personne si fière que nous avions cet été pour voisine de campagne, et dont le titre de dame de Haut-Lieu nous amusait tant. Son grand colonel de mari chassait toujours aux canards sauvages dans nos étangs. Qu'ont-ils à démêler ici? Voyons.

– «Ce dossier, – est-il écrit de la main de Maurice, – contient l'acte de naissance de mademoiselle Louise Bougival, à laquelle monsieur Duplan ne pouvant léguer ses biens, vu qu'il est marié à New-York depuis quinze ans, donne et laisse, par mon entremise, un capital de deux cent cinquante mille francs. De ladite somme que j'ai touchée en numéraire, je suis chargé d'acheter à la demoiselle Bougival un hôtel à Paris et une maison de campagne à Vineuil.»

– Madame Duplan n'est pas madame Duplan, la femme du colonel aux canards sauvages! elle n'est que sa maîtresse! Ah! madame du Haut-Lieu! Ah! Maurice, vous saviez tout cela, et ne m'en appreniez rien!

– Deux cent cinquante mille francs touchés par Maurice; que diable en a-t-il fait? murmura Reynier avec quelque humeur.

– Ce qu'il en a fait, c'est bien simple, mon frère; il en a acheté ou il en achètera un hôtel à Paris et une campagne à Vineuil.

– Sans doute, ma sœur! fit Reynier en se pinçant les lèvres. Quelle question!

– Ah! madame du Haut-Lieu! ne cessait de répéter Léonide, vous avez des armes aux panneaux de vos voitures, des valets à livrée aurore, des tourelles à votre château, où, quand vous donnez des fêtes, vous n'invitez pas la famille de votre notaire! c'est bien! mais alors on ne met pas de si petites gens dans la confidence de sa condition.

– Silence donc, ma sœur, dit Reynier en posant la main sur la bouche de Léonide; silence! n'abusez pas de la confession. C'est ici le paradis terrestre pour une femme, j'en conviens; mais n'allez pas vous damner en touchant à l'arbre de la science.

– Lirons-nous encore, ma sœur, ce dossier? c'est celui du maréchal-ferrant, notre voisin.

– Le mari de la belle Picarde?

– Il y a, ma foi, de tout ici. C'est d'abord son bail avec la ville pour ses ateliers dans les dépendances du château.

– Passons cela, Victor; à quoi bon?

– Son contrat de mariage.

– Oui, avec une très-jolie femme, la plus jolie du pays, peut-être. Il n'en est pas plus gai; voilà pourtant à peine trois mois qu'il est en ménage.

– Son testament sous enveloppe.

– Son testament! il n'a pas vingt-huit ans, sa santé est de fer, – il paraît le plus insouciant des hommes.

– Cela se voit encore à la manière dont il a cacheté cette pièce importante.

– Que faites-vous, Victor?

– Ne craignez rien, c'est le sacrifice d'un pain à cacheter. Voyons ce que peuvent être les dernières volontés d'un maréchal-ferrant.

«Dégoûté de la vie, je demande pardon à Dieu d'y avoir mis fin. L'affreuse conduite de ma femme m'a poussé au suicide et à la vengeance criminelle dont je l'ai fait précéder. Je dispose de mes biens comme suit.»

– Oh! cet homme va tuer sa femme, se tuer ensuite, et personne ne l'en empêchera, et nous le savons! Je lui écrirai.

– Alors Maurice ira au bagne.

Un violent coup de sonnette retentit. Victor et Léonide se turent, pâlirent tous deux. Dans leur égarement, il leur fut impossible de trouver un pain à cacheter pour sceller le testament dans l'enveloppe.

La sonnette ébranla de nouveau la maison.

– Fuyons d'ici, s'écrie avec épouvante Léonide, c'est Maurice!

– Quelle extravagance! répond Reynier, qui, non moins terrifié que sa sœur, se précipite sur le carré, passe dans l'autre corps de logis, du côté de la pelouse, soulève le coin de la jalousie, et aperçoit la laitière qui sonnait pour la troisième fois.

– C'est votre laitière, revint-il annoncer à Léonide; que veut-elle?

– J'avais oublié que tous les dimanches elle nous apporte un fromage à la crème. Ne répondez pas. Cette sorcière m'a-t-elle troublée!

Quand Reynier eut recacheté les dispositions testamentaires du maréchal-ferrant, il prit Léonide par la main et la conduisit dans sa chambre à coucher, devant la fenêtre qu'il venait de quitter.

– Voyez-vous, là-bas, le long du bois, contre les arbres, les chevaliers de l'arc qui s'exercent depuis Nemrod à mettre dans le but?

– Très-bien, Victor.

– Apercevez-vous un gros homme qui se ploie comme son arc, tant il rit de grand cœur?

– Je crois le distinguer.

– C'est le maréchal-ferrant qui doit tuer sa femme et se tuer ensuite.

– Pouvez-vous plaisanter sur cela, Victor?

– Et que fait-il lui-même?

– Le jour baisse, ma sœur; dans deux heures Maurice sera de retour; courons remettre en ordre les cartons que nous avons déplacés. La science des conspirateurs est de ne pas laisser plus de trace là où ils ont passé que par où ils sont revenus.

Rentrés dans le cabinet de Maurice, Léonide et Victor, qu'une communauté d'audace avait affranchis de toute pudeur l'un envers l'autre, convinrent, pour en avoir plus tôt fini avec ce qu'il leur restait encore de cartons à visiter, de fouiller chacun de son côté sans perdre un temps précieux dans des communications inutiles à leur but.

Tandis que, muets et absorbés par leurs recherches, Léonide et Victor soulèvent des rames d'affaires de famille, descendent dans le cœur de toutes, celui-ci pour s'arrêter à chaque chiffre de fortune, celle-là pour rire de pitié à toutes les découvertes recueillies par sa témérité, les bonnes gens de Chantilly se dirigent vers le carrefour de Diane, où l'heure de la danse va bientôt sonner. L'air devient plus sonore; la voix argentine des enfants éclate, mêlée au sifflement des hirondelles rasant le peu de gazon que n'ont pas tondu les moutons et l'automne. Déjà l'on entend un petit violon aigre préludant à la contre-danse, et comme les nymphes des bas-reliefs antiques, se donnant la main, soulevant des robes légères, cadençant des pas lourds, les jeunes filles de Creil, de Chantilly et de Coye, s'élancent dans la forêt. La danse et la musique s'appellent. Le soleil est tombé; des feuilles jaunes tournoient et s'envolent. Au zénith, une étoile luit; le soir vient: c'est le soir.

Au coucher du soleil, il n'y a pas un méchant sur la terre: c'est l'heure où l'on meurt.

Léonide enfonça ses deux mains dans un carton, y plongea un regard de terreur et de joie, comprima un papier, comme s'il eût dû s'envoler: puis elle se tourna pour voir si son frère l'observait.

Reynier avait fixé son attention sur le dossier de M. Clavier, dont il copiait sur son album le titre des principales pièces.

Sûre de n'être pas remarquée, Léonide parcourut avidement une pièce qui portait le nom de Lefort.

– Ah! murmura-t-elle, voici enfin qui va tout m'apprendre.

Ce nom se détachait du milieu de plusieurs lignes écrites de la main de Maurice; il reparaissait de distance en distance, tantôt précédé de celui de Jules, tantôt de celui d'Hortense. Dans les premiers moments, il fut impossible à Léonide, tant l'émotion brouillait sa vue, de saisir autre chose que ces noms.

Un peu plus calme, elle ne comprit pas pourtant que cette note, à peine lisible, chargée de chiffres mal tracés, de mots abrégés, d'autres effacés, obscurément rétablis, n'offrait un sens complet qu'à celui qui en avait fait la base d'une future rédaction.

Léonide eut la fatale intelligence de ces mots hachés: Jeune enfant. – Quarante mille francs sur sa tête – Reconnu par elle et par Jules – Hortense – nommée comme sa mère.

Elle s'écria mentalement: Mais ceci ne permet aucun doute; c'est la reconnaissance d'un enfant d'Hortense et de Jules, né avant leur mariage; c'est le résultat du voyage de mademoiselle Hortense à Compiègne, l'explication de la réparation pressante dont Jules parlait à Maurice dans ses lettres; oui, – je tiens la vérité, et elle ne m'échappera pas! – Aujourd'hui il s'ensuivrait pour eux trop d'éclat à rectifier cette naissance à l'état civil. En dotant cet enfant, son avenir est sauvé, sauf à le reconnaître légalement plus tard; tout cela est très-intelligible; et c'est à ce vil accident que j'ai été sacrifiée! Il y a eu de la honte et de la douleur pour moi: il y aura de la honte et de la douleur pour elle.

– Vous parlez, je crois, ma sœur?

– Oui!.. je disais qu'il serait temps de nous retirer.

– Je le pensais aussi, Léonide. Avez-vous exhumé quelque chose qui vous dédommageât de vos recherches, ma sœur? Moi, rien, ou à peu près.

– Moi, rien non plus.

– En vérité, ma sœur, on n'a jamais été, comme nous, plus téméraire avec plus d'innocence.

– Ah! mon Dieu; je regrette presque d'avoir alarmé ma conscience à si peu de frais.

 

– Je n'ai jamais vu qu'un jeu en tout ceci, Léonide.

– Un véritable jeu d'enfant, Victor.

– Que voulez-vous, nous aurons d'une manière ou d'une autre, comme je le disais tantôt, passé notre dimanche.

– Nous n'aurons pas besoin, je pense, de nous jurer le secret.

– Le secret de quoi, ma sœur?

– C'est ce que je me dis.

– Nous ne dirons rien à personne, Léonide, parce que ceci ne vaut guère la peine d'être divulgué.

– Je vous le jure.

– Je vous le jure aussi.

Pendant le cours de ces plaisanteries, faites d'un ton étrange par le frère et la sœur, qui n'étaient dupes ni l'un ni l'autre de leur indifférence, les cartons furent replacés et le rideau tomba sur les dernières clartés éparses dans le cabinet de Maurice.

Léonide et Victor en sortirent.

Sur le carré, Victor prit la main de sa sœur et lui dit: – Il ne dépend plus que de vous que je sois heureux.

– Je vous entends. Demain, mademoiselle de Meilhan dînera chez nous.

– Vous possédez la divine prévoyance de tout ce qui est bien, ma sœur; merci!

– Venez, Victor; allons faire un tour de promenade sur la pelouse, en attendant Maurice.

Le ciel était rempli d'étoiles, l'air d'harmonies délicieuses.