Le Ciel De Nadira

Text
0
Kritiken
Leseprobe
Als gelesen kennzeichnen
Wie Sie das Buch nach dem Kauf lesen
Schriftart:Kleiner AaGrößer Aa

Chapitre 7

Hiver 1060 (452 de l’hégire), Rabaḍ de Qasr Yanna

Quand Idris termina de se prosterner pour la ṣalāt du coucher du soleil, il put se rendre compte qu’Apollonia, contrevenant à l’interdiction, embrassait son frère. Sans que la jeune fille ne s’aperçoive de rien il la tira par son voile en lui découvrant les cheveux, et ensuite en agrippant ses cheveux déliés, il la traîna par terre, en arrière, tandis qu’elle se démenait des jambes. Idris en avait assez de cette présence qui rendait encore plus ennuyeuse une tâche déjà tellement désagréable, et donc, pour lui donner une leçon, une fois pour toute, il décida qu’il l’aurait battue avec la corde, de la même manière qu’il l’avait fait le jour précédent avec Corrado. Il commença à frapper où il pouvait en visant surtout son visage. Apollonia en attendant, essayait de se couvrir avec ses bras tandis qu’elle hurlait.

Un peu plus loin Corrado tremblait, il fermait les yeux et les serrait fort, en proie aux douleurs de la fièvre. Il vit soudain l’image d’un homme… un homme adulte, dénudé de la tête au pieds et lié au poteau d’un mat. Cet homme toutefois, ne criait pas sous les coups de son bourreau, mais il supportait fièrement en serrant les poings.

“ Roul, que font-ils à cet homme ? ” demanda Corrado à personne.

La scène qui se consumait devant son regard avait réveillé un traumatisme d’enfance. Cependant, si Corrado avait été pleinement conscient, il aurait sans aucun doute tenté de déraciner le poteau où il était lié, dans l’intention de se venger contre celui qui s’acharnait en ce moment sur sa sœur.

Par hasard, Umar se chargea de le faire arrêter juste au moment où ceux-ci se préparaient à monter sur la terrasse.

Apollonia, ayant eu la permission de rester tranquillement dans un coin, s’accroupit avec les épaules contre le mur, et versa des larmes entre ses genoux.

Quand Umar établit l’horaire de la libération du prisonnier, Apollonia pleura encore plus fort, se sentant soulagée pour quelque chose dont elle ne voyait pas la fin.

Par la suite, Idris pris par les rênes les destriers des trois invités et les conduisit dans les étables près de la maison.

“ Ne me fais pas regretter de m’être arrêté quand il y a peu, Umar me l’a demandé. ” dit le garde en fixant Apollonia.

La jeune fille ne pouvait risquer de contrevenir encore une fois à l’interdiction, et cela non pas, par peur d’être encore une fois battue, mais par crainte d’être obligée de rentrer chez elle.

“ Mon frère, mon frère ! Je suis là, je ne pars pas. ”

Puis elle s’approcha encore un peu en se traînant sur le sol à l’aide de ses jambes et de ses mains ; elle restait cependant à au moins quatre pas de distance.

“ Corrado, mon souffle et ma vie, tu dois résister encore un peu, mon Frère, réponds-moi, fais-moi comprendre que ton âme bat encore dans ta poitrine. ”

Elle s’approcha à demi pas en avant et dit :

“ Je sais bien que ta jalousie envers moi est celle d’un frère envers une sœur… mais on ne peut dire la même chose de ma dévotion pour toi… ” Malgré l’esprit troublé et l’incompréhension de l’autre, Apollonia, avec difficulté, disait ce qu’elle tenait enfermé dans son cœur depuis des an-nées, ce sentiment qui l’avait plusieurs fois fait éprouver de la honte devant l’icône de la Vierge.

“ Ne me juge pas comme une sœur fidèle, car pour Michele je ne serais probablement pas restée ici avec tant de sacrifices… Ne me juge pas pour ces actions, Corrado, car ce que tu découvrirais t’éloignerait de moi… et pour moi cela serait pire que de te voir mourir. ”

Quand Idris retourna dans la cour, elle fini de confesser ce qui aurait provoqué son exclusion du village, une marginalité plus grande que celle qu’elle vivait déjà par le fait d’être chrétienne.

La nuit tombée, le muezzin sonna l’adhān de la nuit. Idris alors s’assit sur le muret, suffisamment loin pour ne pas entendre la jeune fille, mais assez près pour intervenir au cas où, comme précédemment, elle se serait trop approchée.

“ Encore quelques heures et je te ramène à la maison ” dit Apollonia en souriant.

Toutefois elle redevint sérieuse quand elle se rendit compte de ne plus sentir ses orteils, et quand elle imagina l’effet encore plus grave que ce froid pouvait provoquer chez son frère. Elle commença à trembler à cause de la température, elle essaya de réchauffer ses mains en soufflant dans ses poings.

“ Fillette, rentre chez toi ! Ne vois-tu pas que tu trembles ? ” Idris l’encourageait en la voyant dans cet état.

“ Je ne partirai pas… il ne reste maintenant que peu de temps. ” répondit-elle au contraire à Corrado.

Ses yeux noisettes regardaient vers le haut le visage de son frère, tandis que les larmes gelaient juste sous ses paupières, n’ayant pas la juste inclination pour glisser vers le bas.

“ Un peu de foi en Dieu te serait si utile en ce moment… ” pensa Apollonia par rapport à Corrado, connaissant son apathie envers les arguments religieux.

“ Je sais, mon frère, que tu refuses de croire qu’il existe un Dieu capable de permettre tout le mal qui t’est arrivé. Je sais que le Christ et tous les saints t’ont déjà déçus une fois, quand tes prières ne furent pas accueillies tandis que tu espérais le retour de ton père. ”

“ Rabel de Rougeville. ” murmura Corrado.

Apollonia se tut subitement ; son frère était encore conscient. Avait-il entendu peu avant, sa déclaration d’amour…

“ Corrado, mon frère, eh bien tu es vivant ! ”

“ Rabel de Rougeville ! ” répétait-il sur un ton plus élevé et en un souffle, presque en pleurant et presque en criant.

“ Rappelle-toi le saint qui protège ton père, appelle-toi à lui ! ” l’invita Apollonia pour tenter de le tenir éveillé et conscient.

“ Saint André… ”

“ ‘Agìou Andréas35. ” répéta Apollonia en Grec, c’est à dire la langue de la liturgie chrétienne en Sicile.

En famille, Apollonia s’exprimait dans une sorte de latin parlé par le peuple et elle faisait de même, tant avec les chrétiens de Qasr Yanna qu’avec les nombreux indigènes convertis à l’islamisme. Quand toutefois, il s’agissait de prier, elle rafraîchissait son vieux grec… pour dire vrai même légèrement incompris. Au contraire, au Rabaḍ, étant un lieu restreint et habité en majorité par des circoncis, Apollonia et sa famille s’ex-primaient en arabe ; celui de la Sicile, désormais particulier par rapport à la langue du prophète. Parfois, elle utilisait même quelques paroles berbères qu’elle avait appris en entendant parler les femmes de cette lignée au puits, et les hommes dans les champs.

Apollonia ferma les yeux et les mains jointes elle commença à réciter ses prières en invoquant Marie mère de Dieu, la Vierge, en faveur de Corrado. Naturellement elle priait à voix basse vu qu’il était interdit à un non musulman de faire entendre ses propres oraisons aux oreilles d’un croyant… et Idris était même trop proche.

“ Mariám Theotókos, ‘et Parthénos36…» commença t-elle.

Corrado entendit la voix d’Apollonia tout comme il entendait en ce mo-ment la voix de ses souvenirs, réveillés par l’image de la Madonne et des saints auxquels sa sœur s’adressait.

Chapitre 8

Début de l’été 1040 (431 de l’hégire), vallées à l’est de Tragina

Les bannières indomptables s’agitaient au vent ; ce jour là le vent était incertain, même Dieu probablement ne savait de quel côté être… tout comme, au jugement des postérités incrédules, Dieu était confus par rap-port à qui il devait soutenir dans cette bataille. D’un côté, au cri de ”Alla-hu Akbar37”, les sarrasins de Sicile et d’Afrique – arrivés en support des premiers – prêts à rechasser l’envahisseur. De l’autre côté, vantant ” Le Christ gagne ”, les hommes à la solde de Constantinople, pour lesquels les envahisseurs étaient les autres.

Invités par leur commandant, à l’abri entre Jebel38 et les Nébrodes, les hommes de Abd-Allah se prosternaient vers La Mecque et involontaire-ment vers l’armée ennemie. Les autres aussi étaient recueillis dans la prière, toutefois, non pas en une unique oraison harmonieuse, mais certains en latin et d’autres en grec.

 

Le camp avait été monté à environ miles à l’est de la montagne contre laquelle est protégée la ville de Tragina39, et ici, parmi les tentes, Conrad avait observé son père s’éloigner avec l’armée toute entière, juste quelques heures auparavant.

A l’exception de la présence d’un modeste village de marchands et paysans, il s’agissait d’une zone éloignée des centres habités, riche en bois d’un côté, sur les versants des montagnes les plus hautes, et de collines herbeuses adaptent au pâturage de l’autre côté. Un fleuve s’écoulait juste-ment au point le plus bas de la vallée, et de cela un petit ruisseau perdurait malgré l’été, assurant l’approvisionnement en eau aux soldats.

Maintenant Conrad fixait le point au fond de la rue où il avait vu son père pour la dernière fois. Le matin, il l’avait aidé à porter sa cotte de maille avec une croix rouge sur la poitrine, sur sa tunique blanche. Il faisait déjà chaud durant les premières heures après l’aube, il avait donc tenu son casque à l’abri du soleil, pour qu’il soit plus frais quand son père l’au-rait mis. Comme dernier geste, avant de monter à cheval, Rabel avait froissé les cheveux de son fils et en échange Conrad lui avait passé la bannière et le casque. Puis un regard et il se confondit dans la marée humaine de soldats, en avançant vers la clairière juste hors du camp ; ici Georges Maniakès avait harangué ses troupes. Conrad était donc monté sur le tabouret à peine libéré par un frère bénédictin et avait essayé de trouver Rabel parmi les hommes réunis là au fond. Puis il avait vu Roul, sa tête et ses épaules planaient au dessus des autres, et il avait imaginé que son père pouvait être là.

Ils savaient tous qu’il s’agissait de la bataille la plus importante de l’entière campagne sicilienne, toutefois Rabel avait essayé de cacher sa tension ce jour là, durant toutes les heures où il avait été avec son fils.

“ Les autres, sont-ils nombreux ? ” avait demandé Conrad.

Les guetteurs parlent surtout d’infanteries. Nous, nous avons un cheval ! ”

“ Cette fois, je pourrai assister à la scène… ”

“ Conrad, mon fils, je te l’aurai répété cent fois : reste ici avec les femmes, la servitude et les moines… ” expliqua Rabel, qui continua :

“ Mais si les choses devaient tourner mal, aux premiers signes, sauve-toi sur la colline et cache-toi. ”

“ Y a t-il cette possibilité ? Tancred et Roul disent que les choses iront comme elles ont été jusqu’à présent, c’est vrai, mais nous connaissons la situation. Et puis, évite de décourager les soldats ! ”

Ainsi Rabel avait encouragé son fils.

Il était déjà midi et dans le camp on respirait toute l’inquiétude pour cette difficile attente. De temps en temps quelqu’un revenait du camp pour communiquer des nouvelles concernant l’avancement de la bataille. Certaines parmi les jeunes filles de la servitude pleuraient car certainement liées à quelque soldat avec qui était né une liaison. Puis, un prêtre du camp s’approcha de Conrad qui était encore assit sur le tabouret, sous le soleil, et lui dit :

“ Mon fils, ton père rentrera prématurément si tu restes là à fixer le fond de la route. ”

Conrad le regarda du bas vers le haut. ” Voici un morceau de pain ! ” ajouta t-il.

Le garçon l’attrapa et le mordit.

“ Si tu as besoin de quelque chose pour occuper ton esprit outre que ton estomac, viens auprès de moi. ”

Il le porta sur la colline sans végétation, aux tonalités dorées car brûlées par le soleil. Le sommet était dépourvu de terre, tout comme un grand ro-cher gris ardoise à la surface dentelée. La fronde d’une olive, la seule pré-sente, enracinée sur le côté de la formation rocheuse, était occupée par un petit troupeau de chèvres, et par un vieux berger qui avait plus de rides sur le visage que d’années. Le prêtre tourna par derrière et entra par une ouverture du rocher. Conrad fut étourdi en voyant que l’intérieur de la roche était assez spacieux pour permettre la présence d’au moins vingts hommes, et était complètement peint de couleurs vives, en ayant tout au-tour des parois des images de l’histoire de la bible et de la vie des saints; le style était typiquement celui des peintures sacrées de l’Orient. Un petit prie-Dieu au fond et une croix au mur indiquaient le lieux où l’on se prosternait.

“ Père, vous êtes étranger, parti pour suivre l’armée, comment connaissez-vous cet endroit ? ”

“ Les frères du rite grec s’y réunissent depuis des siècles pour prier. Ce sont eux qui me l’ont indiqué. Mais maintenant prie le Seigneur et la Madonne, afin que ton père rentre sain et sauf. ” conclut le religieux avant de le laisser seul.

Ce fut ainsi que Conrad se retrouva seul, à genoux, les yeux fermés, serrant le crucifix sur sa poitrine, et priant pour que Dieu ramène son père.

Quand il rentra du camp c’était déjà le soir. Il rentra dès qu’il vit que certains hommes à cheval étaient rentrés de la bataille, et il accéléra quand il se rendit compte qu’un d’entre eux était le gros Roul ; le sang sur son hache danoise et sur la cotte de mailles était encore frais.

“ Jeune homme, où étais-tu ? ” demanda le guerrier dès que Conrad s’approcha auprès d’eux.

“ Un prêtre m’a conduit sur les falaises… ” expliqua l’autre, toutefois il ne voulut pas révéler pourquoi il y était allé de peur que son intimité soit ridiculisée

Son visage changea…. Si son père était rentré sain et sauf, il aurait sans aucun doute été au premier rang parmi ces hommes. Tout d’un trait, le vi-sage de Roul lui apparut triste, comme si sa fureur avait été mortifiée par un évènement néfaste. Seulement maintenant, il comprenait ce qui se cachait derrière cette couverture humaine de soldats du nord dont Raoul était à l’ouverture du rang.

“ Où est mon père ? ” demanda t-il, même s’il imaginait déjà la réponse.

“ Nous avons gagné, mon fils. ” dit Tancred, un autre parmi les plus proches de Rabel, peut être pour tenter de contrebalancer le désespoir du jeune garçon, celui-ci brandissait encore sa longue pique et portait un manteau rouge.

“ Oui, ceux qui sont restés, nous les avons fait fuir. ” intervint un autre. ” Ça a été une grande victoire ! ” exclama quelqu’un dans le groupe.

“ Le vent aussi nous a été favorable aujourd’hui… mais le vent le plus terrible, c’est encore une fois nous de la compagnie normande qui l’avons porté. ” ajouta Tancred.

Toutefois Conrad, pendant que ce dernier parlait, ouvrit un passage par-mi les hommes.

Rabel était étendu sur le sol. Sa gorge était marquée d’une grosse tâche de sang, vraisemblablement là où il avait reçu le coup mortel ; un coup qui avait été donné avec une incroyable puissance, vu qu’il avait trans-percé la cotte en maille. Sa chevelure blonde était découverte, quelqu’un l’avait évidemment libéré de son casque et de sa capuche.

Conrad restait là, à le fixer immobile, sans avoir le courage de s’approcher. Son esprit n’avait jamais imaginé que tout cela pouvait réellement arriver.

A ce point Roul appuya une main sur son épaule et lui dit :

“ L’armée s’est livrée à l’exécution… d’autres parmi nous sont tombés sur le champ et attendent que nous allions les recueillir… mais nous… nous, mon cher Conrad, nous ne pouvions pas nous livrer au pillage, ou nous mettre à penser aux autres morts, quand le fils d’un des nôtres attend son père avec angoisse. ”

“ Tu ne me l’aurais porté avec autant d’urgence si son souffle avait déjà été absent sur le champ de bataille. ” dit Conrad, tandis que deux premières larmes rayaient ses pommettes.

Roul se pencha alors et essaya de le consoler.

“ Non, Conrad, non… ton père est vraiment tombé durant la bataille ! ” Il mentait pour ne pas le culpabiliser, mais Conrad n’était pas aussi stupide que pour le croire. Rabel avait rendu son dernier soupir là, dans le camp, dans l’espoir de voir pour la dernière fois le visage de son fils ; le linge imbibé de sang mis autour du cou indiquait qu’ils avaient essayé, durant longtemps, de prolonger son agonie, dans l’attente du retour de Conrad.

“ C’est toi qui doit lui fermer les yeux. ” le poussa aux épaules Roul face à face avec ces yeux bleus, Conrad ne put retenir son désespoir.

En attendant, les femmes, les moines, la réserve qui défendait le camp et la servitude avaient formé un cercle autour de la scène. Conrad entrevit une sorte de dérision dans les yeux de son père, mais naturellement c’était uniquement la voix dans sa tête qui le lui suggérait, il se sentait coupable d’avoir été absent.

“ Père ! ” hurla t-il avant de se jeter sur sa poitrine.

“ Il n’y a rien à voir ! ” hurla encore plus fort Roul, en s’adressant à la foule.

“ Maudits grecs ! ” condamna t-il donc à voix basse.

Avec cette phrase Roul mettait en évidence tout son mépris pour les personnes de ce lieu, naturellement les chrétiens, retenus ” grecs ” de par leur religion de rite oriental. Toutefois cette exclamation d’intolérance incluait également Georges Maniakès et les troupes régulières qui le suivaient, vu les mauvais rapports du général avec les hommes des contingents auxiliaires.

Les personnes s’en allèrent, effrayées par la réaction de Roul, Conrad au contraire se sauva, il voulait trouver le prêtre qui l’avait découragé de sa fidèle attente.

Roul suivi le jeune garçon, tandis qu’ils cherchait le maudit religieux parmi les tentes.

“ Mon fils, arrête ! Quel diable cherche-tu ? ”

“ Ce prêtre qui m’a convaincu de monter sur les falaises. ” ” Qui est-il ? ”

“ Il parlait notre langue. ”

Puis, il pensa le chercher directement dans l’église rupestre, et il couru pour grimper sur la colline. Arrivé au sommet il entendit le bêlement des chèvres mais ne vit pas le berger… ensuite, il entra à l’intérieur. La lumière du crépuscule était en train de disparaître, les couleurs vives qui l’avaient frappé à midi avaient disparu et à l’intérieur de la grotte, on percevait une sorte de pénombre. Roul toutefois le suivait avec une torche, et quand il mit pied dans la grotte, la lumière reprit. Conrad à ce moment là, était en train de jeter des poings de terre contre la peinture du Christ et contre celui de la Madonne, n’ayant rien d’autre sur lequel offenser ces murs en pierre. Il pleurait fort, et maintenant la colère contre le geste bien intentionné du prêtre avait laissé place à la colère envers Dieu et envers ses prières ignorées.

Roul était un homme brut, avec des manières profanes, mais quand il vit le sacrilège de Conrad, soit par peur, soit par superstition, il le bloqua par derrière en le soulevant d’un seul bras.

“ Non, Conrad, eux n’y sont pour rien. ”

“ Ils ne m’ont pas écouté ! ” cria le jeune garçon de toutes ses forces, mais l’environnement clos brisa sa voix.

“ Tu attendais des miracles ? ” ” Ce prêtre me l’a dit ! ”

A cela, il le relâcha et l’obligea à le regarder dans les yeux.

“ Écoute-moi, mon fils… ton père m’a fait jurer que je me serais occupé de toi, et mon honneur m’interdit de ne pas respecter la promesse faite à un ami mourant. ” Jusqu’à ce que je t’aie conduit à Rougeville dans ta famille ”… c’est ce qu’il m’a fait jurer. ”

“ Je ne connais pas ma famille. ” répondit Conrad, en sanglotant et en pleurant, maintenant, les yeux fermés car la lumière de la torche les brûlait et les rougissait.

“ Peu m’importe, je ne manquerai pas à ce jurement qui implique mon honneur, et le sang de ton père, uniquement parce que tu as quelque chose de contraire à dire. ”

“ Que t’a-t’il dit d’autre ? ”

“ Que tu devais être courageux, mon fils. Donc maintenant, descend au camp et ait le courage de le regarder en face. Les hommes de notre lignée ont l’habitude d’être d’indomptables guerriers qui méprisent la mort. Et si tu es en colère c’est une bonne chose… tu auras plus de ferveur dans la bataille. Mais ne t’en prends pas aux saints… tu dois t’en prendre aux vivants ! ”

“ C’est pour ce motif que je cherchais ce prêtre. ”

“ Laisse tomber ce prêtre… Ce sont ceux qui ont tué ton père que tu dois haïr, c’est vers ces bêtes que tu dois trouver ta vengeance. ”

“ Qui ? ”

“ Nous sommes sur cette terre depuis deux ans et tu me demandes ”qui ” ? Tu n’as donc pas vu les yeux de ces personnes de l’Afrique ? Tu n’as pas vu comment leur regards méditent des iniquités envers toi ? Même les gens de Akhal, qui est notre alliée, nous regardent avec haine. Ils ont tués, ils ont violés les femmes des personnes qui étaient là avant eux, et ils les ont obligés à s’agenouiller devant leur Dieu. Ils ont sali le sang de ces per-sonnes en le rendant méprisable quand ils ont mis enceintes ces jeunes filles.

 

Eux, les barbares mahométans, ce sont eux qui ont tué ton père ! ”

“ Vous avez dit que vous vous battiez uniquement pour la compensation et que les motifs de cette guerre ne vous intéressaient pas.

“ Mon enfant, si tu ne haïs pas ton ennemi tu ne peux survivre durant la bataille. ”

“ cela signifie que mon père n’a pas assez haït ? ”

“ Ton père avait l’âme d’un roi… il aurait été juste qu’il commande et non qu’il descende dans la bataille. Cependant toi, mon jeune Conrad, la haine que tu éprouveras en pensant au sacrifice de ton père, te servira durant la bataille. Tu deviendras un excellent guerrier, j’en suis certain. Toutefois, pour ce soir ne pense pas à la vengeance, pense uniquement à honorer ton père. Iras-tu au camp pour lui fermer les yeux ? ”

Conrad s’essuya d’une main le visage et répondit : ” J’irai. ”

“ Roul donc, en regardant tout autour de lui, commenta :

“ Nous enterrerons ton père ici, sous les yeux vigilants du Seigneur et de tous les saints. Je ne vois pas de meilleur endroit dans les alentours. ”

“ Les moines du rite grec y viennent prier. ”

“ cela signifie qu’ils seront heureux de veiller pour ce martyre du christianisme. ”

Ils descendirent au camp, et ensuite, après avoir fermé les yeux du pauvre Rabel et préparé le corps, ils remontèrent en un cortège solennel jusque l’intérieur de l’église rupestre. Ils déposèrent le corps sous la croix du prie-Dieu et, les religieux, les femmes et les soldats nobles, veillèrent en se serrant autour du jeune garçon durant toute la nuit.

Le lendemain à l’aube, le prêtre que Conrad avait détesté, qu’il découvrit s’appeler Jacob, fit les offices de l’enterrement, ils enterrèrent Rabel dans une fosse creusée à l’intérieur de la grotte, au milieu d’une clôture faite en plaques d’ardoises. Ils couvrirent le cadavre avec le bouclier qui lui avait appartenu, celui qui terminait avec une pointe, une pointe typique du peuple normand et pour terminer ils jetèrent de la terre.

Conrad resta là pour veiller ce lieu durant un jour entier, même après l’enterrement. Il dormi recroquevillé près du prie- Dieu, il ne mangea rien et pleura plusieurs fois. Au dehors de cette grotte, la vie l’attendait, la vie sans son père, et il était certain qu’il ne s’en serait sorti seul, jamais, au grand jamais. D’ailleurs Rabel était là, enterré sous ses pieds, et il l’aurait attendu fidèlement ; cette fois sans que personne ne puisse le distraire. Il se sentait mourir chaque fois qu’il pensait que les dernières paroles que son père aurait voulu lui dire étaient mortes dans sa bouche. Puis il fixait les saints sur la parois rocheuse et, au contraire de ce que Roul lui avait dit, il ne parvenait pas à ne pas les haïr.

35Agìou Andréas: ‘agìou en grec signifie ”saint”. Dans ce cas ”Saint André”.
36Mariám Theotókos, ‘et Parthénos: du grec ”Marie Mère de Dieu, la Vierge”.
37Allahu Akbar: littéralement ”Dieu est le plus grand”. Il s’agit d’une expression arabe commune dans le monde islamique et présente dans le Coran, dans la ṣalāt et dans l’adhān.
38Jebel: littéralement ”mont”. En Sicilien, utilisé sans appellation, indiquait le mont par antonomase, c’est à dire l’Etna. A l’époque normande on finit par appeler le volcan ”mont Jebel” au point qu’il devint ”Mongibello”, c’est à dire ”mont mont”.
39Tragina: antique nom de la localité de Troina, dans la province d’Enna.