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La Coupe; Lupo Liverani; Le Toast; Garnier; Le Contrebandier; La Rêverie à Paris

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LXII

Et son âme se transformait comme les nuages épars au flanc de la montagne. Son ardente volonté se fondait comme la neige, son besoin de domination s'effaçait comme la nuit. Une nouvelle lumière, plus pure que celle de l'aube pénétrait dans son cerveau; des chants plus suaves que ceux de la brise résonnaient dans ses oreilles. Elle pensait à la douce Bertha et se sentait douce à son tour. Quand l'enfant fut reposée, elle se pencha vers ses petites lèvres roses, en obtint un baiser et redescendit heureuse vers la demeure d'Hermann et de Bertha.

LXIII

«Voilà votre fille, leur dit-elle; j'ai voulu éprouver votre amitié. Reprenez votre bien. J'en connais le prix désormais, car j'ai senti que sa mère ne l'avait pas acheté trop cher par la souffrance. J'ai compris aussi ton droit, Hermann! L'homme qui asservit et pille la terre obéit à la prévoyance paternelle; la mort est au bout de sa tâche, mais il a cette compensation de l'amour pendant sa vie. J'offenserais la justice au ciel et sur la terre, si je prétendais posséder à la fois l'amour et l'immortalité.»

LXIV

Elle les quitta tout aussitôt pour ne pas voir leur joie et retourna dans la solitude, où elle pleura tout le jour. Elle entendit au loin l'assemblée tumultueuse de ses compagnes qui continuaient à s'agiter sur les sommets du sanctuaire; mais cela lui était indifférent. L'orgueil de sa caste immortelle ne parlait plus à son cœur, attendri par de saintes faiblesses. Elle reconnaissait qu'elle n'avait jamais aimé ses nobles sœurs et que le baiser d'un petit enfant lui avait été plus doux que toutes les gloires.

LXV

La nuit qui termina ce jour, unique dans la longue vie de Zilla, monta livide dans un ciel lourd et brouillé. La lune se leva derrière la brisure des roches désolées, et, bientôt voilée par les nuages, laissa tomber des lueurs sinistres et froides sur les flancs verdâtres du ravin. Zilla vit, au bord du lac morne et sans transparence, des feux épars et des groupes confus. Dans une vive auréole blanche, elle reconnut la reine assise au milieu des jeunes fées qui semblaient lui rendre un dernier hommage, car peu à peu elles s'éloignaient et la laissaient seule.

LXVI

Elles allaient se joindre à d'autres troupes incertaines qui tantôt augmentaient et brillaient d'un rouge éclat dans la nuit, tantôt s'atténuaient ou se perdaient dans des foules errantes. Quelques danses flamboyèrent au bord du lac, quelques étincelles jaillirent dans les roseaux; mais tout s'opéra en silence; aucun chant terrible ou sublime n'accompagna ces évolutions mystérieuses, et Zilla se prit à s'étonner de voir s'accomplir des rites qui lui étaient inconnus.

LXVII

Elle se souvint que, si elle aimait là quelqu'un, c'était la reine, toujours si douce et si grave. Elle voulut savoir ce qu'elle avait ordonné, et la chercha au bord du lac; mais toute lumière avait disparu, et Zilla, fit retentir son cri cabalistique qui l'annonçait à ses sœurs. Ce cri, auquel mille voix avaient coutume de répondre, se perdit dans le silence, et Zilla voyant qu'un grand événement avait dû bouleverser toutes les lois du sabbat, fut saisie d'effroi et de tristesse.

LXVIII

Elle cria de nouveau d'une voix mal assurée; mais elle ne put dire les paroles consacrées par le rite: sa mémoire les avait perdues. En ce moment elle vit la reine auprès d'elle. «Tout est accompli, Zilla; je ne suis plus reine. Mon peuple se disperse et me quitte; regarde!..» La lune, qui se dégageait des nuées troubles, fit voir à Zilla de longues files mouvantes qui gravissaient les hauteurs perdues dans la brume et s'y perdaient à leur tour comme des rêves évanouis.

LXIX

Vers le nord, c'était le lent défilé des anciennes, procession de noires fourmis qui se collaient aux rochers, si compacte que l'on n'en distinguait pas le mouvement insensible. Celles-là fuyaient le voisinage de l'homme, leur ennemi, et s'en allaient chercher dans les glaces du pôle le désert sans bornes et la solitude sans retour. Vers le sud, les jeunes couraient haletantes, disséminées, ne tournant aucun obstacle, se pressant comme pour escalader le ciel. Celles-ci voulaient conquérir une île déserte dans les régions qu'embrase le soleil, et la peupler d'enfants volés dans toutes les parties du monde.

LXX

A l'orient et à l'occident, d'autres foules diverses d'âge et d'instinct prétendaient se mêler à la race humaine, lui enseigner la science occulte, la corriger de ses erreurs, la châtier de ses vices ou la récompenser de ses progrès. «Tu vois, dit la reine à Zilla, que toutes s'en vont à la poursuite d'un rêve. Dévorées par l'ennui, elles cherchent à ressaisir la puissance et l'activité qui leur échappent. Les vieilles croient fuir l'homme à jamais; elles se trompent; l'homme les atteindra partout et les détrônera jusque dans la solitude où meurt le soleil.

LXXI

«Les jeunes se flattent de former une race nouvelle avec le mélange de toutes les races, et de changer, sur une terre encore vierge, les instincts et les lois de l'humanité. Elles n'y parviendront pas; l'homme ne sera gouverné et amélioré que par l'homme, et les autres, celles qui, en le prenant tel qu'il est, se vantent de changer les sociétés qu'il a créées et où il s'agite, ne se leurrent pas d'une moins folle ambition. L'homme civilisé ne croit plus qu'à lui-même, et les puissances occultes ne gouvernent plus que les idiots.

LXXII

«Je leur ai dit ces vérités, Zilla! J'ai voulu leur démontrer que, devenues immortelles, nous étions devenues stériles pour le bien, et qu'avant de boire la coupe, nous avions été plus utiles dans la courte période de notre vie humaine que depuis mille ans de résistance à la loi commune. Elles n'ont pas voulu me croire, elles prétendent qu'elles peuvent et doivent partager avec l'homme l'empire de la terre, conserver malgré lui les sanctuaires inviolables de la nature et protéger les races d'animaux qu'il a juré de détruire.

LXXIII

«Elles m'accusent d'avoir entravé leur élan, de les avoir forcées à respecter les envahissements de la race humaine, à fuir toujours devant elle, à lui abandonner les plus beaux déserts, comme si ce n'était pas le droit de ceux qui se reproduisent de chasser devant eux les neutres et les stériles. En vain, je leur ai dit que, n'ayant ni besoins ni occupations fécondes, ni extension possible de nombre, elles pouvaient se contenter d'un espace restreint; elles ont crié que je trahissais l'honneur et la fierté de leur race.

LXXIV

«Enfin elles m'ont demandé de quel droit je les gouvernais, puisque, leur ayant donné la coupe de l'immuable vie, je ne savais pas leur donner l'emploi de cette puissance, et j'ai dû leur avouer que je m'étais trompée en leur faisant ce présent magnifique dont j'avais depuis reconnu le néant et détesté la misère. Alors le vertige s'est emparé d'elles, et toutes m'ont quittée, les unes avec horreur, les autres avec regret, toutes avec l'effroi de la vérité et le désir immodéré de s'y soustraire.

LXXV

«Et maintenant, Zilla, nous voilà seules ici… J'y veux rester, moi, afin d'essayer l'emploi d'une découverte à laquelle depuis mille ans je travaille. Ne veux-tu pas rejoindre tes sœurs qui s'en vont, ou bien espères-tu vivre calme dans cette solitude en veillant sur la famille d'Hermann? – Je veux rester avec toi, répondit Zilla; toi seule as compris la lente et terrible agonie de mon faux bonheur. Si tu ne peux m'en consoler, au moins je ne t'offenserai pas en te disant que je souffre.

LXXVI

– Songe à ce que tu dis, ma chère Zilla. Si rien ne peut te consoler, mieux vaut chercher le tumulte et l'illusion avec tes compagnes. Moi, je ne suis peut-être pas ici pour longtemps, et bientôt tu ne me verras peut-être plus.» Zilla se rappela que la reine lui avait parlé d'un remède suprême contre l'ennui, remède dont elle prétendait faire usage et dont elle n'avait pas voulu lui révéler le secret terrible. Elle l'implora longtemps avant d'obtenir d'être initiée à ce mystère; enfin la reine céda et lui dit: «Suis-moi.»

LXXVII

Par mille détours effrayants qu'elle seule connaissait, la reine conduisit Zilla dans le cœur du glacier, et pénétrant avec elle dans une cavité resplendissante d'un bleu sombre, lui montrant sur un bloc de glace en forme d'autel une coupe d'onyx où macérait un philtre inconnu, elle lui dit: «A force de chercher le moyen de détruire le funeste effet de la coupe de vie, je crois avoir trouvé enfin la divine et bienfaisante coupe de mort. Je veux mourir, Zilla, car, plus que toi, je suis lasse et désespérée.

LXXVIII

«J'ai souffert en silence, et j'ai savouré goutte à goutte, de siècle en siècle, le fiel des vains regrets et des illusions perdues; mais ce qui m'a enfin brisée, c'est la pensée que nous devions finir avec ce monde, en châtiment de notre résistance aux lois qu'il subit. Nous avons cherché notre Éden sur la terre, et non-seulement les autres habitants de la terre se sont détournés de nous, mais encore la terre elle-même nous a dit: «Vous ne me possédez pas; c'est vous qui m'appartenez à jamais, et mon dernier jour sera le vôtre.»

LXXIX

«Zilla, j'ai vu le néant se dresser devant moi, et l'abîme des siècles qui nous en sépare m'est apparu comme un instant dans l'éternité. Alors j'ai eu peur de la mort fatale, et j'ai demandé passionnément au Maître de la vie de me replacer sous la bienfaisante loi de la mort naturelle. – Je ne t'entends pas, répondit Zilla, pâle d'épouvante: est-ce qu'il y a deux morts? et veux-tu donc mourir comme meurent les hommes? – Oui, je le veux, Zilla, je le cherche, je l'essaie, et j'espère qu'enfin mes larmes ont fléchi Celui que nous avons bravé.

 
LXXX

– Le Maître de la vie t'a-t-il pardonné ta révolte? T'a-t-il promis que ton âme survivrait à cette mort? – Le Maître de la vie ne m'a rien promis. Il m'a fait lire cette parole dans les hiéroglyphes du ciel étoilé: La mort, c'est l'espérance.– Eh bien! attendons la mort de la planète; ne doit-elle pas s'endormir dans la même promesse? – Elle, oui, elle a obéi à ses destinées; mais nous qui les avons trouvées trop redoutables et qui nous en sommes affranchies, nous n'avons point de droit à l'universel renouvellement.

LXXXI

«Et maintenant, adieu, ma chère Zilla: c'est ici que je veux demeurer pour me préparer à l'expiation. Retourne aux enivrements de la lumière, et si tu ne peux oublier ton mal, reviens partager mon sort. – J'espère, dit Zilla, que ton poison sera impuissant; mais jure-moi que tu ne feras pas cette horrible expérience sans m'appeler auprès de toi.» La reine jura, et Zilla quitta le glacier avec empressement: elle avait hâte de revoir le soleil, les eaux libres, les nuages errants et les fleurs épanouies. Elle aimait encore la nature et la trouvait belle.

LXXXII

Elle courut à la demeure d'Hermann, voulant s'habituer à la vue de son bonheur. Elle le trouva consterné. Bertha était malade; le chagrin que l'enlèvement de sa fille lui avait causé avait allumé la fièvre dans son sang. Elle avait le délire et redemandait sans cesse avec des cris l'enfant qu'elle tenait dans ses bras sans la reconnaître. Zilla courut chercher des plantes salutaires et guérit la jeune femme. La joie revint dans le chalet; mais Zilla resta honteuse et triste: elle y avait fait entrer la douleur.

LXXXIII

Elle crut que maître Bonus s'en ressentait aussi: il ne parlait presque plus et ne pouvait marcher. «Il n'est pas malade, lui dit Hermann; il n'a pas eu de chagrin, il n'a pas compris le nôtre. Il n'a d'autre mal que la vieillesse. Il ne veille plus et ne dort plus. Ses heures sont noyées dans un rêve continuel. Il ne souffre pas, il sourit toujours. Nous croyons qu'il va mourir, et nous avons tout essayé en vain pour prolonger sa vie. – Vous désirez donc qu'il ne meure pas? dit la fée.

LXXXIV

– Nous ne désirons pas l'impossible, répondit Hermann. Nous regretterons ce vieux compagnon et nous prolongerons autant que possible le temps qui lui reste à passer avec nous; mais nous sommes soumis à la loi que nous impose le Maître de la vie. Zilla s'approcha du vieillard et lui demanda s'il voulait qu'elle essayât de lui rendre ses forces. Maître Bonus se prit à rire et la remercia d'un air enfantin. «Vous avez assez fait pour moi, dit-il; vous m'avez sauvé du supplice. Depuis, grâce à vous, j'ai vécu de longs jours paisibles, et il ne serait pas juste d'en vouloir davantage.»

LXXXV

Quand la fée revint le voir, il souffrait un peu et se plaignait faiblement. «J'ai bien de la peine à mourir, lui dit-il. – Tu peux hâter ta fin, lui répondit la fée. Pourquoi l'attendre, puisqu'elle est inévitable?» Maître Bonus sourit encore. «La vie est bonne jusqu'au dernier souffle, madame la fée, et la raison, d'accord avec Dieu, défend qu'on en retranche rien. – Et après? Que crois-tu trouver de l'autre côté de cette vie? – Je le saurai bientôt, dit le moribond; mais, tant que je l'ignore, je ne m'en tourmente pas.»

LXXXVI

Zilla le vit bientôt mourir. Ce fut comme une lampe qui s'éteint. Hermann et Bertha amenèrent leurs enfants pour donner un baiser à son front d'ivoire. «Que faites-vous donc là? dit la fée. – Nous respectons la mort, répondit Bertha, et nous bénissons l'âme qui s'en va. – Et où va-t-elle? demanda encore la fée inquiète. – Dieu le sait, répondit la femme. – Mais vous, ne craignez-vous rien pour cette âme de votre ami? – On m'a appris à espérer. – Et toi, Hermann? – Vous ne m'avez rien appris là-dessus, répondit-il; mais Bertha espère, et je suis tranquille.»

LXXXVII

Zilla comprit la douceur de cette mort naturelle après l'accomplissement de la vie naturelle; mais la mort violente, la mort imprévue, la mort du jeune et du fort, elle en était effrayée, et elle souhaita de consulter la reine. Cependant la reine ne reparaissait pas, et Zilla n'osait retourner vers elle. Une nuit, son fantôme vint l'appeler; elle le suivit et trouva sa grande amie paisible et souriante au fond de son palais de saphir. «Zilla, lui dit-elle, l'heure est venue, il faut que tu m'assistes.

LXXXVIII

«Mais auparavant je veux te donner beaucoup de secrets que j'ai découverts pour guérir les maladies, panser les blessures, et tout au moins diminuer les souffrances. Tu les donneras à Hermann, afin qu'autant que possible il détourne de lui et des siens la mort prématurée et la souffrance inutile. Dis-lui d'abord qu'il cherche à nous surpasser dans cette science, car l'homme doit s'aider lui-même et combattre éternellement. Ses maux sont le châtiment de son manque de sagesse et le résultat de son ignorance.

LXXXIX

«Par la sagesse, il détruira l'homicide; par la science, il repoussera la maladie. Adieu, ma sœur. Mourir n'est rien pour qui a bien vécu. Quant à moi, j'ignore à quel supplice je m'abandonne, car j'ai commis un grand crime; mais je ne dois pas craindre de l'expier et de refaire connaissance avec la douleur. – Vas-tu donc mourir? s'écria Zilla en cherchant à renverser la coupe fatale. – Je l'ignore, répondit la reine en la retenant d'une main ferme. Je sais qu'avec ce breuvage je détruis la vertu maudite de la coupe de vie.

XC

«Mais je ne sais pas si je vais devenir mortelle ou mourir. Peut-être vais-je reprendre mon existence au point où elle était quand je l'ai immobilisée. Alors j'aurai quelques jours de bonheur sur la terre; mais je ne les ai pas mérités, et je ne les demande pas. Ne nous berçons pas d'un vain espoir, Zilla. Regarde ce que je vais devenir, et, si je suis foudroyée, laisse ma dépouille ici, elle y est tout ensevelie d'avance. Si je lutte dans l'horreur de l'agonie, répète-moi le mot que j'ai lu à la voûte du ciel: «La mort, c'est l'espérance.»

XCI

– Attends, s'écria Zilla. Et si je veux mourir aussi, moi?» La reine lui donna une formule magique en lui disant: «Tu pourras composer toi-même ce poison. Je ne veux pas que tu le boives sans avoir eu le temps de réfléchir. Donne-moi la bénédiction de l'amitié. Mon âme est prête.» Zilla se jeta aux genoux de la reine et la supplia d'attendre encore; mais la reine, craignant de faiblir devant ses larmes, la pria d'aller chercher une rose pour qu'elle pût encore contempler une pure expression de la beauté sur la terre avant de la quitter peut-être pour toujours.

XCII

Quand Zilla revint, la reine était assise près du bloc de glace, la tête nonchalamment appuyée sur son bras; l'autre main était pendante, la coupe vide était tombée sur le bord de sa robe. Zilla crut qu'elle dormait; mais ce sommeil, c'était la mort. Zilla avait vu mourir bien des humains et ne s'en était point émue, n'ayant voulu en aimer aucun. En voyant que l'immortelle avait cessé de vivre, elle fut frappée de terreur. Cependant elle espéra encore que cette mort n'était qu'une léthargie, et elle passa trois jours auprès d'elle, attendant son réveil.

XCIII

Le réveil ne vint pas, et Zilla vit raidir lentement cette figure majestueuse et calme. Elle s'enfuit désespérée. Elle revint plusieurs fois. La glace conservait ce beau corps et ne permettait pas à la corruption de s'en emparer; mais elle pétrifiait de plus en plus l'expression de l'oubli sur ses traits et changeait en statue cette merveille de la vie. Zilla, en la regardant, se demandait si elle avait jamais vécu. Ce n'était plus là son amie et sa reine. C'était une image indifférente à ses regrets.

XCIV

Peu à peu la jeune fée se fit à l'idée de devenir ainsi, et elle résolut de suivre le destin de son amie; mais quand elle eut composé le philtre de mort, elle le plaça sur le bloc de glace et s'enfuit avec horreur. Depuis qu'elle se savait libre de mourir, elle sentait le charme de la vie et ne s'ennuyait plus. Le printemps, qui venait d'arriver, semblait le premier dont elle eût apprécié l'incomparable sourire. Jamais les arbres n'avaient eu tant d'élégance, jamais les prés fleuris n'avaient exhalé de si suaves odeurs.

XCV

Elle épiait dans l'herbe le réveil des insectes engourdis par l'hiver, et quand elle surprenait le papillon dépouillant sa chrysalide, elle tremblait en se demandant si c'était là l'emblème de l'âme échappant aux étreintes de la mort. Elle se sentait appelée par la reine dans le royaume des ombres, elle la voyait en songe et l'interrogeait; mais le fantôme passait sans lui répondre, en lui montrant les étoiles. Elle essayait d'y lire la promesse qui avait enhardi son amie. La peur de la destruction l'empêchait d'en saisir le chiffre mystérieux.

XCVI

Elle voyait Bertha tous les jours et s'attachait plus tendrement que jamais à sa petite fille. Les autres enfants d'Hermann lui semblaient beaux et bons; mais la mignonne qu'elle préférait absorbait tous ses soins. L'enfant était délicate, plus intelligente que ne le comportait son âge, et quand la fée la tenait sur ses genoux, elle commençait à parler et à dire des choses qui semblaient lui venir d'une autre vie. Elle ne regardait ni les blancs agneaux ni les fleurs nouvelles; elle tendait sans cesse ses petits bras vers les nuages, et un jour elle cria le mot ciel, que personne ne lui avait appris.

XCVII

Un jour l'enfant devint pâle, laissa tomber sa tête blonde sur l'épaule de Zilla, et lui dit: Viens! La fée crut qu'elle l'invitait à la mener promener; mais Bertha fit un grand cri: l'enfant était morte. Zilla essaya en vain de la ranimer. Tous les secrets qu'elle savait y perdirent leur vertu. L'âme était partie. «Ah! méchante fée! s'écria Bertha dans la fièvre de sa douleur, je le savais bien que ma fille mourrait! C'est depuis la nuit qu'elle a passée avec toi sur la montagne qu'elle a perdu sa fraîcheur et sa gaieté. C'est ton funeste amour qui l'a tuée!»

XCVIII

Zilla ne répondit rien. Bertha se trompait peut-être; mais la fée sentait bien que cette mère affligée ne l'aimerait plus. Hermann éperdu essaya en vain d'adoucir leurs blessures. Zilla quitta le chalet et courut au glacier. Elle osa donner un baiser au cadavre impassible de la reine, et elle but la coupe; mais, au lieu d'être foudroyée, elle se sentit comme renouvelée par une sensation de confiance et de joie, et elle crut entendre une voix d'enfant qui lui disait: «Viens donc!»

XCIX

Elle retourna au chalet; L'enfant était couchée dans une corbeille de fleurs; sa mère priait auprès d'elle, entourée de ses autres beaux enfants, qui s'efforçaient de la consoler et qu'elle regardait avec douceur, comme pour leur dire: «Soyez tranquilles, je ne vous aimerai pas moins.» Le père creusait une petite fosse sous un buisson d'aubépine. Il versait de grosses larmes, mais il préparait avec amour et sollicitude la dernière couchette de son enfant. En voyant la fée, il lui dit: «Pardonne à Bertha!»

C

Zilla se mit aux genoux de la femme: «C'est toi qui dois me pardonner, lui dit-elle, car je vais suivre ton enfant dans la mort. Elle m'a appelée, et c'est sans doute qu'elle va revivre dans un meilleur monde et qu'il lui faut une autre mère. Ici je n'ai su lui faire que du mal; mais il faut que je sois destinée à lui faire du bien ailleurs, puisqu'elle me réclame. – Je ne sais ce que tu veux dire, répondit la mère. Tu as pris la vie de mon enfant, veux-tu donc aussi m'emporter son âme? – L'âme de notre enfant est à Dieu seul, dit Hermann; mais si Zilla connaît ses desseins mystérieux, laissons-la faire. – Mettez l'enfant dans mes bras,» dit la fée. Et quand elle tint ce petit corps contre son cœur, elle entendit encore que son esprit lui disait tout bas: «Allons, viens! – Oui, partons!» s'écria la fée. Et, se penchant vers elle, elle sentit son âme s'exhaler et se mêler doucement, dans un baiser maternel, à l'âme pure de l'enfant. Hermann fit la tombe plus grande et les y déposa toutes deux. Durant la nuit, une main invisible y écrivit ces mots: «La mort, c'est l'espérance.»