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Histoire du véritable Gribouille

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– Pourquoi me regardez-vous, et pourquoi ne dormez-vous pas?

Gribouille, qui n'était pas du tout si simple que l'on croyait, ne fit semblant de rien, et, se levant, il demanda la permission d'aller voir la fête, puisqu'aussi bien le bruit l'empêchait de dormir.

– Allez, allez, vous êtes libre, lui dit le valet qui aimait bien autant être débarrassé de lui.

Gribouille s'en alla donc droit devant lui, monta des escaliers, en descendit, traversa plusieurs chambres, et vit quantité de choses auxquelles il ne comprit rien du tout, mais qui ne laissèrent pas de le divertir. Dans une de ces chambres il y avait beaucoup de messieurs habillés de noir et de dames très-parées qui jouaient aux cartes et aux dés en se disputant des monceaux d'or.

Dans une autre salle, d'autres hommes noirs et d'autres femmes parées et bariolées dansaient au son des instruments. Ceux qui ne dansaient pas avaient l'air de regarder, mais ils bourdonnaient si bruyamment qu'on n'entendait plus la musique.

Ailleurs on mangeait debout, d'un air affamé et pas moitié aussi proprement que Gribouille avait coutume de le faire. On allait d'une chambre à l'autre, on se poussait, on mourait de chaud, et tout ce monde agité paraissait triste ou en colère. Enfin le jour parut, et on ouvrit les fenêtres. Gribouille, qui s'était assoupi sur une banquette, crut voir s'envoler, par ces fenêtres ouvertes, de grands essaims de bourdons, de frelons et de guêpes, et quand il ouvrit les yeux il se trouva seul dans la poussière. Les lustres s'éteignaient, les valets, harassés, se jetaient en travers sur les canapés et sur les tables. D'autres faisaient main basse sur les restes des buffets. Gribouille s'en fut achever paisiblement son somme sous les arbres du jardin, lequel était fort beau et tout rempli de fleurs magnifiques.

Quand il s'éveilla, bien rafraichi et bien reposé, il vit devant lui un gros et grand monsieur tout habillé de velours noir tirant sur le violet, et ressemblant si fort à celui qu'il avait vu en rêve, sous le chêne du carrefour Bourdon, qu'il pensa que ce fut le même. Il ne put s'empêcher de lui dire…

– Hé bonjour, monsieur le Bourdon, comment vous portez-vous, depuis hier matin?

– Gribouille, répondit le riche seigneur avec la même voix ronflante et le même grasseyement que Gribouille avait entendus dans son rêve, je suis bien aise de vous voir; mais je suis étonné de ce que vous me demandez, car c'est la première fois que nous nous rencontrons. Je sais que vous êtes arrivé cette nuit, mais j'étais couché, et je ne vous ai point vu.

Gribouille, pensant qu'il avait dit une sottise en parlant de son rêve comme d'une chose que M. Bourdon devait se rappeler, chercha à réparer ses paroles imprudentes en lui demandant s'il n'était point malade.

– Moi, point du tout, je me porte au mieux, répondit M. Bourdon; pourquoi me demandez-vous cela?

– C'est à cause, reprit Gribouille de plus en plus interdit, que vous donniez un grand bal et que je pensais que vous y seriez.

– Non, cela m'aurait beaucoup ennuyé, répondit M. Bourdon. J'ai donné une fête pour montrer que je suis riche, mais je me dispense d'en faire les honneurs. Ça, parlons de vous, mon cher Gribouille; vous avez bien fait de venir me voir, car je vous veux du bien.

– C'est donc à cause que je m'appelle Gribouille? demanda Gribouille qui n'osait faire de questions raisonnables dans la crainte de faire encore quelque bévue.

– C'est à cause que vous vous appelez Gribouille, répondit M. Bourdon; cela vous étonne, mais apprenez, mon enfant, que, dans ce monde, il ne s'agit pas de comprendre ce qui nous arrive, mais d'en profiter.

– Eh bien, monsieur, dit Gribouille, quel bien est-ce que vous voulez me faire?

– C'est à vous de parler, répondit le seigneur.

Gribouille fut bien embarrassé, car, de tout ce qu'il avait vu, rien ne lui faisait envie, et d'ailleurs tout lui semblait trop beau et trop riche pour qu'il fût honnête de le désirer. Quand il eut un peu réfléchi, il dit:

– Si vous pouviez me faire un don qui me fît aimer de mes parents, je vous serais fort obligé.

– Dites-moi d'abord, fit M. Bourdon, pourquoi vos parents ne vous aiment point, car vous me semblez un fort gentil garçon.

– Hélas! monsieur, reprit Gribouille, ils disent comme ça que je suis trop bête.

– En ce cas, dit M. Bourdon, il faut vous donner de l'esprit.

Gribouille, qui, dans son rêve, avait déjà refusé l'esprit, n'osa pas cette fois montrer de la défiance.

– Et que faut-il faire, dit-il, pour avoir de l'esprit?

– Il faut apprendre les sciences, mon petit ami. Sachez que je suis un habile homme et que je puis vous enseigner la magie et la nécromancie.

– Mais comment, dit Gribouille, apprendrai-je ces choses-là, dont je ne connais même pas le nom, si je suis trop simple pour apprendre quoi que ce soit?

– Ces choses-là ne sont point difficiles, répondit M. Bourdon, je me charge de vous les montrer; mais, pour cela, il faut que vous veniez demeurer avec moi et que vous soyez mon fils.

– Vous êtes bien honnête, monsieur, dit Gribouille, mais j'ai des parents, je les aime et ne les veux point quitter. Quoiqu'ils aient d'autres enfants qu'ils aiment mieux que moi, je puis leur être nécessaire, et il me semble que ce serait mal de ne plus vouloir être leur fils.

– C'est comme vous voudrez, dit M. Bourdon, je ne force personne. Bonjour, mon cher Gribouille, je n'ai pas le temps de causer davantage avec vous, puisque vous ne voulez pas rester avec moi. Si vous changez d'avis, ou si vous souhaitez quelque autre chose, venez me trouver. Vous serez toujours bien reçu.

Et là-dessus M. Bourdon entra dans une charmille, et Gribouille se trouva tout seul.

Quand Gribouille revint à la maison de son père et qu'il se vit près d'arriver, il se sentit tout joyeux, car il se dit en lui-même: Sans le savoir, M. Bourdon m'a donné le moyen de me faire aimer de mes parents; car, lorsqu'ils sauront qu'on m'a proposé de les quitter pour devenir le fils d'un homme si riche, et que j'ai refusé d'avoir d'autres parents que ceux que le bon Dieu m'a donnés, on verra bien que je ne suis pas un mauvais cœur. Mon père et ma mère m'embrasseront, et ils commanderont à mes frères et sœurs de m'embrasser aussi.

Du plus loin qu'il aperçut la mère Brigoule, qui l'attendait avec impatience au bout de son verger, il se mit à courir et voulut, d'un air riant, se jeter dans ses bras, mais elle, sans lui en donner le temps:

– Qu'apportes-tu? lui dit-elle, où est le cadeau qu'on t'a fait?

Et quand elle vit qu'il n'apportait rien, elle voulut le battre, pensant qu'il avait perdu en chemin ce qu'on lui avait donné; mais Gribouille la pria de l'écouter, lui disant qu'après elle le pourrait gronder et punir s'il avait manqué à son devoir. Alors il rapporta mot pour mot l'entretien qu'il avait eu avec M. Bourdon, mais, au lieu de l'embrasser et de le remercier, sa mère prit une branche de saule et commença à le fouailler, en criant après lui. Le père Bredouille arriva et demanda ce que c'était.

– Voyez ce coquin, ce mauvais cœur, cet âne, dit la mère tout enragée, il n'a pas voulu être le fils et l'héritier d'un homme qui est plus riche que le roi. Il est si sot, qu'il n'a même pas songé, en le quittant, à lui demander un beau sac d'écus ou une bonne place pour nous dans sa maison, ou un joli morceau de terre pour augmenter notre avoir.

Le père Bredouille battit Gribouille à son tour, et si fort, que la mère, qui craignait qu'il ne le fît mourir, le lui retira des mains en disant:

– En voilà assez pour une fois.

Gribouille, désolé, demanda à ses parents ce qu'il devait faire pour leur plaire, disant que, s'il lui fallait aller demeurer avec M. Bourdon, il s'y soumettait. Mais tandis que sa mère, qui l'aimait encore un peu pour lui-même, et qui eût été flattée de le voir riche et bien vêtu, disait oui; son père, qui ne croyait pas à sa bonté et qui ne jugeait pas possible l'oubli de tant d'outrages qu'on avait faits à Gribouille, disait non. Il aimait mieux l'envoyer de temps en temps chez M. Bourdon, espérant que celui-ci lui donnerait de l'argent qu'il rapporterait à la maison, par crainte d'être battu.

Or donc, au bout de deux ou trois jours, on l'habilla misérablement, on lui mit une veste toute déchirée, de gros sabots aux pieds, un sarrau bien malpropre, et on l'envoya ainsi chez M. Bourdon pour faire croire que ses parents n'avaient pas le moyen de l'habiller, et pour faire pitié à ce riche seigneur. En même temps on lui commanda de demander une grosse somme.

Gribouille, qui aimait tant la propreté, fut bien humilié de se présenter sous ces méchantes guenilles, et il en avait les larmes aux yeux. Mais M. Bourdon ne l'en reçut pas plus mal; car, malgré sa brusquerie et sa grosse voix, il avait l'air d'un bon homme et surtout paraissait aimer Gribouille sans que Gribouille pût deviner pourquoi.

– Gribouille, lui dit-il, je ne suis pas fâché de voir que vous songiez à vous-même. Prenez tout ce qu'il vous plaira.

Il le conduisit alors dans une grande cave qui était si pleine d'or, de diamants, de perles et de pierreries, qu'on marchait dessus, et encore y en avait-il plus de sept grands puits très-profonds qui étaient remplis jusqu'aux bords.

Gribouille, pour obéir à ses parents, prit seulement de l'or, car il ne savait pas que les diamants sont encore plus précieux. On lui avait dit d'en prendre le plus possible, il en mit donc dans toutes ses poches, mais avec aussi peu de plaisir que si ce fussent des cailloux; car il ne voyait pas à quoi tout cela lui pourrait servir.

Il remercia M. Bourdon avec plus d'honnêteté que de contentement, et s'en retourna, disant: Cette fois, je ferai voir à mes parents que j'ai obéi, et peut-être qu'ils m'embrasseront.

Comme il se trouvait fatigué de porter tant d'or et qu'il se trouvait à passer non loin du carrefour Bourdon, il se détourna un peu du chemin pour aller s'y reposer. Il mangea quelques glands du vieux chêne, qu'il connaissait pour meilleurs que ceux des autres chênes de la forêt, étant doux comme sucre et tendres comme beurre. Puis il but au ruisseau et se disposait à faire un somme, lorsqu'il vit ses trois frères et ses trois sœurs se jeter sur lui, le pincer, le mordre, l'égratigner, et lui enlever tout son trésor.

 

Gribouille défendait son or comme il pouvait, disant: Laissez-le-moi porter à la maison pour que mon père et ma mère voient que j'ai fait leur volonté, et après cela vous me le prendrez si vous voulez. Mais ils ne l'écoutaient point et continuaient à le voler et à le maltraiter, lorsque tout à coup il se fit un grand bruit dans le chêne, comme si dix mille grosses contre-basses y donnaient un concert, et aussitôt un essaim de gros frelons, guêpes et bourdons de différentes espèces s'abattit sur les frères et sœurs de Gribouille, et se mirent à les piquer si fort en les poursuivant, qu'ils arrivèrent à la maison tout enflés, les uns presque aveugles, les autres ayant des mains grosses comme la tête, tous quasi défigures et criant comme des damnés. Cependant Gribouille, qui s'était trouvé au milieu de l'essaim, n'avait pas une seule piqûre, et il avait pu ramasser son or et l'apporter à la maison.

Tandis que Brigoule lavait et pansait ses autres enfants, Bredouille, qui ne songeait qu'à l'argent, s'occupait d'interroger et de fouiller Gribouille, et, cette fois, il le complimentait et lui reprochait seulement d'être un paresseux et un douillet qui aurait eu la force d'en apporter le double.

On mit les autres enfants au lit, car ils étaient fort malades, et plusieurs pensèrent en crever.

Mais, dès le lendemain, Bredouille ayant voulu compter l'or avec sa femme, il fut bien étonné de le voir se fondre dans ses doigts et se répandre sur la table en liqueur jaune et poissante, qui n'était autre chose que du miel, et encore du miel très-mauvais et plus amer que sucré.

– Pour le coup, dit Brigoule en lavant sa table avec beaucoup de colère, M. Bourdon est sorcier, et il nous sera difficile de l'affiner. Il ne nous faut point mettre mal avec lui, et, au lieu de lui demander de l'argent, il faut lui faire des présents. Il m'a semblé qu'il aimait le miel plus qu'il ne convient à un homme raisonnable, et c'est sans doute pour nous en demander qu'il nous fait cette malice. – Cela me paraît clair, répondit Bredouille, envoyons-lui du meilleur de nos ruches, et je pense que pour cela il nous payera bien.

Le jour suivant, on mit sur un âne un beau baril de miel superbe, et on envoya Gribouille chez M. Bourdon.

Mais Gribouille ne fut pas plutôt arrivé auprès du figuier où il avait entendu et vu des choses si surprenantes, qu'une grande clameur d'abeilles sortit de l'arbre, se jeta sur l'âne, qui prit le galop et s'enfuit, laissant là son baril, et criant comme un âne qu'il était.

Alors Gribouille, à qui tout cela donnait bien à penser, vit paraître devant lui deux dames d'une beauté merveilleuse, escortées de tant d'autres dames et damoiselles, qu'il était impossible de les compter. La plus grande de toutes était habillée richement et comme portée en l'air par une quantité d'autres. A ses côtés, une jeune princesse fort belle voltigeait gracieusement.

– Imprudent, dit la reine (car, à son manteau royal et à sa manière de se faire porter sur le dos des autres, Gribouille vit bien que c'était une tête couronnée), tu as deux fois mérité la mort, car tu t'es fait le libérateur et le complaisant du roi des bourdons, notre ennemi mortel. Mais la princesse ma fille, que tu vois ici présente, m'a deux fois demandé ta grâce. Elle prétend que tu peux nous rendre service, et nous allons voir si l'on peut compter sur toi.

– Ordonnez-moi ce que vous voudrez, madame la reine, répondit Gribouille, je n'ai jamais eu dessein de vous offenser, et je vous trouve si belle, que j'aurais du plaisir à vous servir.

– Petit enfant, dit alors la reine d'un ton radouci, car elle aimait les compliments, écoute bien ce que je vais te dire. Laisse là ce pauvre chiffon de miel que tu portais au roi des bourdons, et porte-lui ces paroles qui lui plairont davantage. Dis-lui que la reine des abeilles est lasse de la guerre, qu'elle reconnaît que les frelons et les bourdons sont maintenant trop nombreux et trop forts pour être défaits en bataille rangée. Les industrieux sont contraints de faire part aux conquérants des richesses qu'ils ont amassées et de signer un traité de paix. Je sais bien que le roi des bourdons se croit si fort qu'il prétend nous imposer des conditions humiliantes, mais je sais aussi qu'il ambitionne la main de ma fille et qu'il n'espère pas l'obtenir. Va lui dire que je la lui donne en mariage, à condition qu'il laissera nos ruches en paix, et qu'il se contentera d'une forte part de nos trésors que ma fille lui apportera en dot.

Ayant ainsi parlé, la reine disparut ainsi que sa fille et toute sa cour, et Gribouille ne vit plus qu'un grand amas d'abeilles qui se pendaient en grappes aux branches du figuier.

Il reprit sa course et alla raconter à M. Bourdon comme quoi ses parents l'ayant chargé d'un baril de beau miel, la reine des abeilles le lui avait ôté, et le discours qu'elle l'avait chargé de faire au roi des bourdons.

– Comme vous êtes très-savant, ajouta Gribouille, peut-être pourrez-vous m'enseigner où je trouverai ce roi-là, à moins que vous ne le soyez vous-même, ce que j'ai toujours soupçonné, sans avoir pour cela mauvaise opinion de vous.

– Fantaisies, rêveries que tout cela, dit M. Bourdon en riant. C'est bien, c'est bien, Gribouille, vous avez fait votre commission. Parlons de vous, mon enfant, vous voyez que vous n'aurez jamais raison avec vos parents, ils sont trop fins et vous ne l'êtes pas assez. Voulez-vous rester avec moi? vous n'aurez plus jamais rien à craindre de leur part, et vous deviendrez un si habile homme, que vous commanderez à toute la terre.

Gribouille soupira et ne répondit point. Et là-dessus M. Bourdon lui tourna le dos, car il ne s'arrêtait jamais longtemps à la même place, et, bien qu'on ne lui vit jamais rien faire, il avait l'air d'être toujours très-occupé et grandement pressé.

Toutes les fois que M. Bourdon lui parlait de le garder et de l'instruire, Gribouille se sentait comme transi de peur sans savoir pourquoi. Il retourna chez ses parents et leur raconta tout ce qui lui était arrivé. Il avait bien peur d'avouer que la reine des abeilles avait repris le miel et mis l'âne en fuite, mais il le fallait bien, et, pour s'excuser, il fut forcé de dire qu'il n'avait pas eu affaire à de simples abeilles, mais à une reine, à toute sa cour et à toute son armée.

Il s'attendait à être traité de menteur et de visionnaire; mais Bredouille, qui croyait aux sorciers parce qu'il avait essayé de l'être, se gratta l'oreille et dit à sa femme: – Il y a de la magie dans tout cela. Gribouille est en passe de devenir plus riche qu'un roi, puisqu'il est à même de devenir sorcier. Il est bien simple pour cela, mais il dépend de M. Bourdon de lui ouvrir l'esprit. Laissons-le faire, car, si nous nous y opposons, il nous ruinera et fera périr nos enfants. J'ai dans l'idée que ces frelons qui les ont si bien mordus n'étaient pas des insectes de petite volée. Envoyons-lui donc Gribouille, car, si Gribouille devient aussi riche qu'un roi, par amour-propre il élèvera sa famille aux plus hautes dignités.

Alors, s'adressant à Gribouille: Petit, lui dit-il, retournez de ce pas chez M. Bourdon. Dites-lui que votre père vous donne à lui, et gardez-vous d'en marquer le moindre déplaisir. Restez avec lui, je vous le commande, et, si vous ne le faites, soyez assuré que je vous ferai mourir sous le bâton.

Gribouille, ainsi congédié, partit en pleurant. Sa mère eut un petit moment de chagrin et sortit pour le reconduire un bout de chemin, puis elle le quitta après l'avoir embrassé, ce qui fit tant de plaisir au pauvre Gribouille, qu'il accepta son sort dans l'espérance d'être aimé et caressé par ses parents lorsqu'il viendrait les voir.

M. Bourdon reçut fort bien Gribouille. Il le fit richement habiller, lui donna une belle chambre, le fit manger à sa table, et envoya quérir trois pages pour le servir. Puis il commença à le faire instruire dans l'art de la magie.

Mais Gribouille ne fit pas grand progrès. On lui faisait faire des chiffres, des chiffres, des calculs, des calculs, et cela ne l'amusait guère, d'autant plus qu'il ne comprenait guère à quoi cela pourrait lui servir. Sa richesse ne le rendait point heureux. Il était content d'être propre, et c'est tout. Il voyait fort peu M. Bourdon, qui paraissait toujours grandement affairé et qui lui disait en lui tapant sur la joue: Apprends les chiffres, apprends les calculs avec le maître que je t'ai donné; quand tu sauras cela, je serai ton maître moi-même, et je t'apprendrai les grands secrets.

Gribouille aurait bien voulu aimer M. Bourdon, qui lui faisait tant de bien; mais il n'en pouvait venir à bout. M. Bourdon était railleur sans être plaisant, bruyant sans être gai, prodigue sans être généreux. On ne savait jamais à quoi il pensait, si toutefois il pensait à quelque chose. Il était quelquefois brutal, et le plus souvent indifférent. Il avait une manie qui répugnait à Gribouille, c'était de ne vivre que de miel, de sirops et de confitures, ce qui ne l'empêchait pas d'être gros et gras, mais ce dont il usait avec tant de voracité qu'il en était malpropre. Gribouille n'aimait point à l'embrasser parce qu'il avait toujours la barbe poissée.

Cependant, malgré la dépense que faisait M. Bourdon, il devenait chaque jour plus riche, et, comme le royaume de ce pays-là était gouverné par un monarque très-faible et très-ruiné, M. Bourdon achetait toutes ses terres, toutes ses métairies, toutes ses forêts; bientôt il lui acheta ses courtisans, ses serviteurs, ses troupeaux et ses armées. Le roi devint si pauvre, si pauvre, que, sans l'aide de quelques domestiques fidèles qui le nourrissaient, il serait mort de faim. Il conservait le titre de roi, mais il n'était plus que le premier ministre de M. Bourdon, qui lui faisait faire toutes ses volontés et qui était le roi véritable.