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Francia; Un bienfait n'est jamais perdu

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VALROGER

D'une femme comme vous, c'est possible.

LOUISE

Quelle femme suis-je donc?

VALROGER

Un sphinx! Je n'ai jamais vu tant d'aplomb dans le dédain.

LOUISE

Et moi, je n'ai jamais vu tant d'obstination dans la méfiance. Voyons, par quoi faut-il vous jurer que je vous aime?

VALROGER, (riant)

Vous m'aimez, vous!

LOUISE

De tout mon coeur!

VALROGER, (à part)

C'est une folle! (Haut.) Jurez-le sur l'honneur, si vous voulez que je vous croie.

LOUISE

L'honneur d'une femme? Vous n'y croyez pas. Dans les mélodrames, on jure par son salut éternel; mais vous n'y croyez pas davantage.

VALROGER

Par votre amitié pour madame de Louville!

LOUISE

Encore mieux: par l'innocence de ma fille!

VALROGER

Quel âge a-t-elle?

LOUISE

Six ans.

VALROGER

J'y crois. Donc vous m'aimez, comme ça, tout doucement, de tout votre coeur, comme le premier venu?

LOUISE

Je n'aime pas le premier venu. Écoutez-moi, vous allez comprendre que je ne ris pas, et que mon affection pour vous est très-sérieuse.

VALROGER

Ah! voyons cela, je vous en prie!

LOUISE

Vous souvenez-vous d'un jeune garçon qui s'appelait Ferval?

VALROGER

Non, pas du tout!

LOUISE

Augustin de Ferval.

VALROGER

C'est très-vague…

LOUISE

Alors, puisqu'il faut mettre les points sur les i, vous vous souviendrez peut-être d'une certaine demoiselle qui s'appelait Aline, et qui n'était pas du tout reine de Golconde?

VALROGER

Eh bien! madame?

LOUISE

Eh bien! monsieur, cette jolie personne, que vous protégiez, fut prise au sérieux par un jeune provincial, mauvaise tête…

VALROGER

J'y suis, je me souviens! Il y a de cela cinq ou six ans. Vous le connaissez, ce petit Ferval?

LOUISE

C'était mon frère, un enfant qui eut la folie de vous provoquer et dont vous n'avez pas voulu tirer vengeance, car, après lui avoir laissé la satisfaction de vous envoyer une balle, vous avez riposté sur lui avec une arme chargée à poudre. Il ne l'a jamais su; mais des amis à vous l'ont dit en secret à sa mère, qui l'a répété à sa soeur. Vous voyez bien que cette soeur ne peut pas rire quand elle prétend qu'elle vous aime!

VALROGER

Alors on a bien raison de prétendre qu'un bienfait n'est jamais perdu, car votre amitié doit être une douce chose; pourtant…

LOUISE

Pourtant?..

VALROGER

Vous avez tort de l'offrir pour si peu, madame! C'est un excitant dangereux.

LOUISE

Dangereux pour qui?

VALROGER

Pour moi.

LOUISE

Pourquoi me répondez-vous comme cela, voyons? A quoi bon poursuivre l'escarmouche de convention et garder le ton plaisant, quand je vous dis tout bonnement les choses comme elles sont?

VALROGER

C'est que vous oubliez vos propres paroles: je suis un méchant, et j'ai le coeur froid comme glace.

LOUISE

Je n'ai jamais cru cela.

VALROGER

Eh bien! vous avez eu tort; il fallait le croire.

LOUISE

Pourquoi mentez-vous? Je ne comprends plus.

VALROGER

Je ne mens pas. Je suis amoureux de vous.

LOUISE

Si c'était vrai, cela ne prouverait pas que vous eussiez le coeur froid.

VALROGER

Attendez! je suis amoureux de vous à ma manière, sans vous aimer.

LOUISE

Je comprends; ma confiance vous-humilie, ma loyauté vous blesse. Vous vous vengez en me disant une chose que vous jugez offensante.

VALROGER

Oui, madame, j'ai l'intention de vous offenser.

LOUISE

Pourquoi?

VALROGER

Pour que vous me détestiez.

LOUISE

Parce que l'amitié d'une honnête femme vous fait l'effet d'un outrage?

VALROGER

C'est comme ça. Je ne veux pas de la vôtre.

LOUISE

Vous êtes brutalement sincère!

VALROGER

Oui. Je suis un séducteur percé à jour, comme vous êtes une coquette classique.

LOUISE

Alors me voilà déjouée et rembarrée! Je suis coquette tout de bon, et j'ai voulu me frotter à un vindicatif plus malin que moi, qui me remet à ma place et compte faire de moi un exemple. Est-ce cela?

VALROGER

Précisément.

LOUISE

Comment vais-je sortir de là?

VALROGER

Vous n'en sortirez pas.

LOUISE, (élevant la voix avec intention.)

C'est-à-dire que vous allez faire pour moi ce que vous comptiez faire pour madame de Louville?

VALROGER

Oui, madame.

LOUISE

Vous viendrez me voir?

VALROGER

Tous les jours.

LOUISE

Et si la porte vous est fermée?..

VALROGER

Je resterai sous la fenêtre. Je coucherai dans le jardin, sous un arbre.

LOUISE

Je suis sauvée! vous vous enrhumerez!

VALROGER

Je tousserai à vous empêcher de dormir. Vous m'enverrez de la tisane!

LOUISE

Vous refuserez de la boire?

VALROGER

Au contraire. Je la boirai.

LOUISE

Et alors?

VALROGER

Alors vous aurez pitié de moi, vous me recevrez.

LOUISE

Et puis après?

VALROGER

Je reviendrai.

LOUISE

Je me laisserai compromettre?

VALROGER

Non! vous fuirez, mais je vous suivrai partout. Partout vous me trouverez pour ouvrir la voiture et vous offrir la main.

LOUISE

C'est bien connu, tout ça.

VALROGER

Tout est connu. Je n'ai rien découvert de neuf, il n'y a rien de mieux que les choses qui réussissent toujours.

LOUISE

Alors c'est cela, c'est bien cela qui s'appelle compromettre une femme?

VALROGER

Pas du tout! Compromettre une femme, c'est se servir des apparences qu'on a fait naître pour la calomnier ou la laisser calomnier. Je ne calomnie pas, moi. Je suis homme du monde et gentilhomme. Je dirai à toute la terre que je fais des folies pour vous en pure perte, ce qui sera vrai jusqu'au jour où vous en ferez pour moi.

LOUISE

Et pourquoi en ferai-je?

VALROGER

Parce que la folie est contagieuse.

LOUISE

Et je deviendrai folle, moi?

VALROGER

Ne vous fiez pas au passé.

LOUISE

Vous savez bien que je n'en tire pas vanité. Pourtant ce qui est passé est acquis.

VALROGER

Non! vous l'avez dit vous-même, votre vertu a été aidée par l'absence de péril. Pourtant vous avez dû allumer des passions; mais il y a à peine un homme sur mille qui soit doué d'assez de persévérance pour consacrer des mois et des années à la conquête d'une femme… Or je sais, je vois que vous n'avez pas rencontré cet homme-là.

LOUISE

Et vous vous piquez de l'être?

VALROGER

Je le suis.

LOUISE

Ça vous amuse?

VALROGER

C'est mon unique amusement.

LOUISE

Vous êtes né hostile et vindicatif, comme on naît poète ou rôtisseur?

VALROGER

Le bonheur de l'homme est de développer ses instincts particuliers.

LOUISE

Même les mauvais?

VALROGER

Enfin vous reconnaissez que je suis mauvais?

LOUISE

C'est à quoi vous teniez? Vous vouliez faire peur; sans cela vous croyez votre effet manqué, et la confiance vous humilie. C'est une manie que vous avez, je le vois bien; avec moi, elle ne sera pas satisfaite. Je vous crois bon.

VALROGER

Vous éludez la question. Si je suis tel que je m'annonce, vous devez me haïr.

LOUISE

Et vous voulez être haï?

VALROGER

Oui; pour commencer, cela m'est absolument nécessaire.

LOUISE

Eh bien! comme, en ne vous accordant pas le commencement, je serai, espérons-le, préservée de la fin, je déclare que, méchant ou non, je ne puis haïr le bienfaiteur de mes pauvres et le sauveur de mon frère.

VALROGER

Vaine invocation au passé! Vous me haïrez quand même!

LOUISE

Comment vous y prendrez-vous?

VALROGER

D'abord je vais faire la cour à madame de Louville.

LOUISE, (regardant vers une portière en tapisserie.)

A quoi bon, si je n'en suis pas jalouse?

VALROGER

Vous m'avez demandé grâce pour elle. Il faut que je sois inexorable pour vous prouver que je ne vaux rien.

 
LOUISE, (lui montrant la portière, dont les plis sont agités.)

Vous pouvez lui faire la cour; à présent qu'elle a tout entendu, elle saura se défendre. Vos plans sont livrés, et peut-être… (Elle va à la fenêtre.) Cette voiture qui roule… Oui, c'est un renfort qui lui arrive.

VALROGER

Son mari?

LOUISE

Précisément.

VALROGER

Si madame de Louville est hors de cause, on se passera de ce moyen-là.

LOUISE

C'est tout ce que je voulais. Merci, mon cher monsieur; elle est sauvée, et moi, je ne vous crains pas.

VALROGER

Merci, ma chère madame, voilà que vous acceptez le défi!

LOUISE

Le défi de quoi? Vous voulez que je vous craigne pour arriver à vous aimer? C'est un prologue inutile, puisque nous voici d'emblée au dénoûment. Ce que vous voulez, ce n'est pas l'amour, vous en êtes rassasié, vous n'y tenez pas, et c'est ma vertu, c'est-à-dire ma tranquillité seule, que vous voudriez ébranler. Eh bien! sachez que, dans les âmes fermées aux malsaines agitations de la passion folle, il y a des émotions plus douces et plus pures qu'on peut être fier d'avoir fait naître et de conserver toujours jeunes. Il n'est pas humiliant d'être maternellement aimé par une femme mûre, et il ne serait pas du tout glorieux de lui tourner ridiculement la tête.

VALROGER

Une femme mûre!..

LOUISE

J'ai trente-six ans, mon bon monsieur!

VALROGER

Ce n'est pas vrai, votre fille n'en a que six!

LOUISE

Mais mon fils en a quinze!

VALROGER

Allons donc!

LOUISE

Je n'ai pas son extrait de naissance dans ma poche, sans cela… Mais vous voilà calmé et un peu honteux, convenez-en, de vous être trompé, vous si clairvoyant, sur l'âge d'une femme. Vous verrez mon fils, cela vous guérira tout à fait, car vous viendrez chez moi, tous les jours si vous voulez, et sans être condamné à coucher préalablement sous un arbre. Vous vous enrhumerez pour d'autres, il y aura toujours de la tisane chez moi. Vous me trouverez toujours entourée d'êtres qui ne me quittent jamais, mon fils, ma fille et mon neveu, le fils de cet Augustin de Ferval à qui vous avez sauvé la vie en dépit de lui-même; plus ma mère qui vous bénit et prie pour vous tous les jours, plus ma belle-soeur, la femme du même Augustin, qui est dans le secret, et qui vous regarde comme un saint, tout perverti que vous passez pour être. Voyez s'il y aura moyen d'entrer chez nous comme un loup dans une bergerie! Tout ce cher monde s'est réjoui en vous sachant fixé près de nous. Notre pauvre Augustin n'est plus, il est mort l'an dernier, et c'est son deuil que je porte; mais nous vous devons de l'avoir conservé six ans, de l'avoir vu heureux, marié et père. Sa femme et son enfant sont des trésors qu'il nous a laissés. Toute cette famille reconnaissante, grands et petits, vous sautera au cou et aux jambes, et, quand vous aurez été bien et dûment embrassé sur les deux joues comme un ami qu'on attendait depuis longtemps et à qui l'on ne sait comment faire fête, vous sentirez que vous êtes un homme de chair et d'os comme les autres, – non le spectre de don Juan, le héros d'un autre siècle et d'un autre pays. Vous laisserez fondre la glace artificielle amassée autour de ce coeur-là, qui est vivant et humain, puisqu'il est généreux et compatissant. Votre génie du mal rira de lui-même et vous laissera consentir à aimer les honnêtes gens, à les protéger même, ce qui est bien plus facile que de leur tendre des pièges, et bien moins triste que de se battre les flancs pour les méconnaître. Vous garderez votre science, vos ruses pour celles qui les provoquent et qui ont de quoi mettre à ce jeu-là. On vous pardonnera d'avoir ce goût bizarre, vous, honnête homme, de perdre votre temps à contempler, à étudier, à mesurer la faiblesse de notre sexe, tout en excitant sa perversité. Tenez! on vous pardonnera tout, même d'être incorrigible. On pensera que ce métier de punisseur des torts féminins est une tâche navrante, et que vous devez être un homme malheureux. On s'efforcera de vous soigner comme un malade, ou de vous distraire comme un convalescent; si par moments vous êtes tenté de faire la guerre à vos amis, ils se diront: c'est une épreuve; il veut savoir si nous méritons l'estime qu'il nous accorde. Alors on se tiendra de son mieux pour vous montrer qu'on y attache le plus grand prix. Et, si on ne réussit pas à mettre dans votre existence une affection pure et bienfaisante, on en aura beaucoup de chagrin, je vous en avertis, parce que l'amitié, qui n'est pas une chose convulsive, n'est pas non plus une chose froide. Donc vous aurez, sans vous donner aucune peine pour cela, un triomphe assuré chez nous, celui d'avoir touché, ému, réjoui ou attristé des âmes qui ne sont pas banales, et qui ne se donnent pas à tout le monde.

VALROGER

Tenez, madame de Trémont, je vous aime tant, telle que vous êtes, que je me regarderais comme un sot et comme un lâche si j'avais prémédité d'entamer cette noble et touchante sérénité. Vous avez fort bien compris que je valais mieux que cela, que d'ailleurs je n'eusse jamais osé menacer sérieusement une personne telle que vous; mais je cesse de rire, et vous rends les armes. On me l'avait bien dit: vous êtes la plus sincère, la plus tendre et la plus forte des femmes, et il y a longtemps que je sais une chose, c'est que la bonté est l'arme la plus solide de votre sexe. Toute vertu sans modestie est provocation, comme toute résistance sans conviction est grimace. Je suis heureux et fier de vous répéter que je vous comprends, que je vous respecte… Et, puisque vous m'acceptez pour frère, voulez-vous consacrer ce lien qui m'honore?

LOUISE

Comment?

VALROGER

Vous avez parlé tout à l'heure de m'embrasser sur les deux joues…

LOUISE

C'était une métaphore!

VALROGER

Pourquoi ne serait-ce pas la formule qui scelle un pacte d'honneur?

LOUISE.

N'avez-vous pas encore une autre raison à donner?

VALROGER

Une autre raison?

LOUISE

Vous ne voulez pas la dire! Non! ce n'en est pas une pour vous. Vous avez trop de générosité pour exiger une réparation; mais voulez-vous savoir une chose? C'est qu'au moment où vous êtes entré ici, si j'avais écouté mon premier mouvement, je vous aurais sauté au cou; ne prétendez pas que c'eût été une reconnaissance exagérée. Je sais tout, monsieur de Valroger, je sais qu'une de ces joues-là a été frappée par le gant de mon pauvre étourdi de frère, et, comme je ne sais pas laquelle…

VALROGER

Toutes deux, madame, toutes deux!

LOUISE

Je ne dis pas le contraire; mais toute réparation demande des témoins, et justement en voici qui nous arrivent. (Elle l'embrasse sur les deux joues devant M. de Louville et sa femme qui viennent d'entrer. Anne pousse un grand cri de surprise, M. de Louville éclate de rire. Valroger met un genou en terre et baise la main de Louise.)

VALROGER

Merci, madame, merci!

M. DE LOUVILLE, (riant.)

Bravo, mon cher! voilà qui s'appelle enlever d'assaut les citadelles imprenables.

VALROGER

C'est-à-dire que c'est moi la forteresse, et que je me suis rendu à discrétion! (Bas, pendant que Louise va en riant auprès d'Anna.) Dites-moi, Louville, est-ce qu'il n'y a pas moyen d'épouser cette femme-là?

M. DE LOUVILLE

Allons donc! Elle a peut-être quarante ans!

VALROGER

En eût-elle cinquante!

M. DE LOUVILLE

Ah bah! mais elle a aimé son mari, elle adore son fils… Non, c'est impossible!

VALROGER

C'est dommage; c'eût été pour moi le seul moyen de devenir un homme sérieux!

FIN