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Correspondance, 1812-1876. Tome 3

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CCCXXII
A MAURICE SAND, A PARIS

Nohant, 24 décembre 1850.

Cher mignon, je t'écris encore par Mancel le Vieil; car je ne sais pas si tu demeures au n° 1, 3, 5 ou 7. C'est curieux, ni Lambert ni moi ne nous en souvenons. J'ai, sur mon carnet, 5 ou 7, et dans mon souvenir à moi, 1 ou 3. Je ne veux pas que le facteur aille crier ton nom chez tous les portiers de la place et de la rue Furstemberg. Envoie-moi ton numéro; car, si Manceau et toi ne vous voyez pas tous les jours, ça pourrait retarder des lettres pressées.

J'ai reçu ta seconde. Je te vois posant l'auteur à ma place, sur le théâtre de la Porte-Saint-Martin. Ce soir, nous avons fait un paquet d'airs berrichons, de boeufs, de jougs, de charrettes (dessinés) que nous envoyons à Bocage. Dis-lui que j'ai retrouvé une mine de musique dans le sieur Jean Chauvet, maçon qui fait des trous dans mon mur, pour le calorifère. Pour charmer ses ennuis, il chantait sans s'apercevoir que je l'écoutais. Il chante juste et avec le vrai chic berrichon; je l'ai emmené au salon et j'ai noté trois airs dont un fort joli; après quoi, je l'ai fait bien boire et manger, là, tout son saoul. Il a été retrouver ses camarades, et, leur faisant tâter sa chemise toute trempée de sueur, il leur a dit: «J'ai jamais tant peiné de ma vie! c'te dame et ce monsieur (c'était Muller) m'ont fait asseoir sur une chaise; et puis les v'là de causer et de se disputer à chaque air que je leur disais; et v'là qu'ils disaient que je faisais du bémol, du si, du sol, du diable, que j'y comprenais rien, et j'avais tant d'honte que je pouvais pus chanter. Mais, tout de même, je suis bien content, parce que, puisque je sais du bémol, du si, du sol et du diable, j'ai pas besoin d'être maçon. Je m'en vas aller à Paris, où on me fera bin boire, bin manger pour écouter mes chansons.»

Là-dessus, tous les autres maçons se sont mis à gueuler dans les corridors pour me faire entendre qu'ils savent tous chanter, depuis le maître maçon, qui chante du Donizetti comme un savetier, jusqu'au goujat, qui imite assez bien le chant du cochon. Mais ça ne me touche pas, et chacun envie le sort de Jean Chauvet.

Le calorifère va vite. On monte aujourd'hui l'appareil dans la cave, et c'est très ingénieux. M. Montelier dîne avec nous le dimanche, et nous régale des histoires les plus espérituelles. Mais, c'est égal, il est intelligent en diable dans sa partie. C'est un ouvrier très fort, et plein d'amour-propre, ce qui fait qu'il ne rate pas ses travaux. Cependant ne chantons pas victoire, le calorifère ne fonctionne pas encore!

La Tournite fait des vol-au-vent succulents, des meringues mirobolantes, et, comme tu aimes ses fricots, tout est pour le mieux.

Mais revenons à Claudie. Si le père Fauveau et le Ronciat sont mauvais, ne te gêne pas pour le bien dire à Bocage, et tâche qu'il ait un ensemble comme pour le Champi. Surveille bien la mise en scène du chariot, la tenue et l'aiguillée du boiron, que ça soit naïf et ne fasse pas rire. Dis à Bocage que, s'il ne joue pas, ça me fera bien de la peine. Mais je crois qu'il jouera et qu'il veut seulement se faire prier. Prie-le donc sérieusement; il fait la coquette, mais n'aie pas l'air de t'en apercevoir.

Je suis bien contente que Delacroix t'ait encouragé, cette fois. S'il faut que tu ailles en Belgique et en Hollande, eh bien, tu iras au printemps. Pourquoi pas? Ça peut te faire du bien, certainement, et ça t'intéressera. Si j'avais de l'argent, j'irais bien avec toi; mais il faut que je pense à en gagner et non à en dépenser; car je voudrais te faire faire ton atelier. Ça te serait si commode et si agréable! M. Monteller a fait un très bon plan, tout pareil à celui dont tu avais marqué les dimensions, mais simple et, il me semble, mieux entendu que celui de M. Regnault. Il dit que ça ne coûtera que moitié de ce que disait M. Regnault. Il établit ses dépenses, et dit que, s'il s'en charge, en quatre mois, il pourra te mettre la clef dans la main. c'est-à-dire tout terminé, vitrage, chauffage, boiseries, peintures, tout en un mot.

Bonsoir, mon cher mignon; je t'embrasse de toute mon âme. Le Paloignon19 t'embrasse et part le 17. Lambrouche t'embrasse et attendra ou que j'aille à Paris, si la pièce va vite, ou que Manceau vienne me tenir compagnie, si la pièce va plus loin; car je ne voudrais pas rester inutilement des semaines à Paris dans ce moment-ci, où les capitaux ne pleuvent pas encore. Écris-moi le plus souvent que tu pourras. Marquis a été triste le jour de ton départ et il a flairé Paloignon, qui avait pris ta place à table, puis s'en est allé, d'un air de dégoût.

P.S.—Paloignon s'est endormi encore aujourd'hui dans son pavillon. Il est venu dîner à l'entremets. Il devient très violent et très pédant au domino. Hier au soir, il voulait tuer Aucante, parce que celui-ci ne bouchait pas la pose.

Je viens de recevoir une charmante lettre d'Emmanuel. Va donc le voir. Parle-lui de nous, de Claudie, etc. Il demeure toujours rue Neuve-des-Petits-Champs, 55. Dis à Manceau de lui porter une épreuve de mon portrait. Voici ce qu'il me dit; lis-le à Manceau:

«Et, à propos, je viens d'entendre dire qu'on a vu un chef-d'oeuvre à Paris: la gravure de ton portrait de Couture, gravure superbe d'un des jeunes artistes commensaux de Nohant (quel charmant calembour!). Est-ce que, par hasard, tu te figures que je ne veux pas une des premières épreuves?»

N'oublie pas de porter un Gribouille à Camille et d'envoyer une épreuve de mon portrait, quand ça se pourra, à Clotilde et à ma tante.

CCCXXIII
A M. CHARLES PONCY, A TOULON

Nohant, 25 décembre 1850.

Cher enfant,

Je suis toute malade depuis quinze jours et'accablée d'une grosse correspondance pour la pièce qu'on va jouer à Paris un de ces jours. Je dois m'y rendre aussitôt après la première représentation, si la pièce ne tombe pas; auquel cas je n'ai pas besoin de m'en occuper plus après qu'auparavant. Mais, pour le moment, il faut répondre à mille questions de détail, et j'en ai la tête cassée. J'aime bien à écrire, à composer; j'aime bien mon art, mais je n'en aime pas le métier, et tout ce qui est relatif à l'exécution matérielle m'est odieux. J'ai un ami dévoué, et des plus compétents, qui s'en occupe à ma place et qui joue même le principal rôle, bien qu'il ait renoncé au théâtre.

C'est Bocage, qui se donne un mal affreux pour moi, et que je suis obligée de seconder par correspondance, n'ayant pas le courage de me fourrer en personne dans cette pétaudière.

Maurice est à Paris, qui fait de la peinture et attend l'Exposition (laquelle s'ouvre aujourd'hui). Je suis seule ici avec le petit Lambert, que vous ne connaissez pas, je crois, quoiqu'il soit avec nous depuis six ans. Mais je crois qu'il était absent quand vous êtes venu. C'est le plus gentil de mes enfants, et il a beaucoup de talent pour la peinture. Mais nous sommes comme des corps sans âme quand Maurice n'est pas ici.

Je travaille tant que je peux, mais je ne peux guère, étant souffrante et sans cesse interrompue par des lettres pressées, et mille détails d'affaires et d'intérieur. Les artistes et les poètes n'ont jamais le temps de faire ce qu'ils préfèrent à toute autre occupation, soyez-en convaincu. Les banalités du monde en distrayent beaucoup. Les soins de l'intérieur, qui ne sont, après tout, que les soucis et les devoirs de la famille, en dérangent d'autres qui n'ont pourtant pas a se faire le reproche de sacrifier aux vanités d'ici-bas.

Vous enragez, vous, avec vos chiffres et cette dure nécessité de penser au pain du corps avant celui de l'âme! C'est peut-être un rude bienfait de la Providence, qui nous prive de nos joies intellectuelles pour nous en rendre la jouissance plus complète et plus féconde quand, par hasard, nous pouvons la saisir au vol.

Vous ne me parlez plus de votre édition des chansons. Avez-vous épuisé toute la première? Après ma pièce, si elle me rapporte quelques sous, je pourrai vous prendre d'autres exemplaires, s'il vous en reste sur les bras.

Bonsoir, mon cher fils. Impossible de vous écrire plus longtemps; je suis trop fatiguée. Mais je pense toujours à vous, et je vous aime toujours, et j'aime toujours Désirée et Solange, que j'embrasse de toute mon âme. Augustine est venue passer les vacances avec nous. Elle est heureuse; elle a un bon mari, un bel enfant; elie est à Lunéville, où elle vit passablement avec la modeste place de son mari et les leçons de musique qu'elle donne.

Boris est en Angleterre. Mais nous n'avons pas de ses nouvelles depuis assez longtemps. Aucante est ici ce soir. Il vous serre les mains. C'est un brave jeune homme.

Voici le jour de l'an qui approche. Dites tout ce qu'il y a de plus gentil à Désirée pour moi ce jour-la, et je la charge de vous répondre aussi, pour moi, tout ce qu'il y a de plus affectueux, et que Solange vous donne à tous deux un baiser de ma part à votre réveil.

CCCXXIV
A MAURICE SAND, A PARIS

Nohant, 9 janvier 1851

Mon enfant,

Tu me dis aujourd'hui que tout va bien pour Claudie et qu'on va jouer. Arage m'écrit, de son côté, que le bruit court que ça va à la diable et qu'il va y avoir un procès. Je pense qu'il est mal informé et que tu l'es bien. Cependant, s'il y avait quelque chose de vrai dans ce qu'il a entendu dire, tâche d'empêcher ça. Je ne veux pas être fourrée dans trente-six procès à la fois. Je les déteste; la solution n'en est jamais équitable, pour ceux qui, comme moi, ne s'en occupent pas, et cela me donne, à mon début dans la carrière dramatique, une apparence de chicanerie qui m'est désagréable. Dis à Bocage que je n'en veux absolument pas, pour mon compte.

 

J'irai à la seconde ou à la troisième représentation, c'est-à-dire aussitôt que je saurai que la première est un fait accompli; car, de se fier au jour annoncé, même la veille, tu vois si c'est possible, et ce qui me serait arrivé si j'avais compté sur le 28.

Tâche donc de savoir positivement de Bocage si c'est vrai ou faux qu'on joue ma pièce; car, si cela doit traîner un an, et un procès ne dure pas moins (c'est même court), il vaut mieux que tu reviennes ici. Mais qu'il réfléchisse que ces coups de tête-là sont une ruine pour moi; que le premier effet d'un procès sera de me faire interdire par la direction le droit de faire jouer d'autres pièces avant la fin du procès, et qu'il peut y en avoir pour dix-huit mois et deux ans; ce sera comme pour le Champi, dont nous n'entendrons plus parler avant 1852, et qui serait à nous si on n'avait pas cassé les vitres.

Ne le blesse pas, ne le tourmente pas pour le passé. Ce qui est fait est fait, et il ne faut pas revenir sur les faits accomplis; mais, pour ce qui est à faire, on peut se préserver, et, encore une fois, je veux que la pièce soit jouée telle quelle, et qu'elle tombe, plutôt que d'être conquise au prix d'un procès.

Bonsoir, mon cher mignon; je t'embrasse de toute mon âme.

CCCXXV
A JOSEPH MAZZINI, A LONDRES

Nohant, 22 janvier 1851.

Oui, mon ami, je la reçois avec reconnaissance et avec bonheur, cette chère bague dont je n'ai pas besoin pour penser à vous tous les jours de ma vie, mais qui sera pour moi une relique sacrée dont mon fils héritera. Il en est digne; car il a la religion des souvenirs, comme nous.

En disant que je pense à vous tous les jours de ma vie, je ne me sers pas d'une formule vaine. Je mentirais si je disais que je pense tous les jours à tous mes amis. Mais, comme les chrétiens out certains bienheureux de préférence, auxquels ils s'adressent chaque soir dans leurs prières, je puis dire que j'ai certaines affections sérieuses sur cette terre et ailleurs, dont la commémoration se fait naturellement dans mon âme chaque fois qu'elle s'élève vers Dieu, dans la douleur et dans la foi. Oui, je vois bien qu'il faut que vous alliez en Italie tôt ou tard. Je sais bien que vous lui devez votre vie ou votre mort. C'est notre lot à tous de vivre ou de mourir pour nos principes. Pour vous, l'éventualité est plus prochaine en apparence que pour nous. Ce n'est pas moi qui vous dirai de craindre la souffrance, de reculer devant les périls, et d'éviter la mort. Je vous le dirais, d'ailleurs, sans vous ébranler. La douleur et l'effroi qui me serrent le coeur à cette idée, je ne dois même pas vous en parler; mais vous seriez mon propre fils, que je ne vous détournerais pas de votre devoir. Que nos amis soient parmi nous ou dans une meilleure vie, nous les sentons toujours en nous et nous les aimons de même; nous nous sommes dit cela l'un à l'autre et nous le pensons bien profondément. Pourtant, cette idée de séparation ici-bas répugne à la nature, et le coeur saigne malgré lui. Que Dieu nous donne la force de croire assez pour que cette douleur ne soit pas le désespoir! Mais enfin, fût-elle le désespoir, acceptons tout. L'âme a ses agonies et doit subir ses tortures, comme le corps.

Il faut que je vous dise maintenant que, depuis trois semaines, je suis fort tourmentée et indignée à cause de vous. Imaginez-vous que j'ai traduit en français voire lettre au pape, et que je l'ai accompagnée de réflexions qui, loin d'être violentes et subversives, sont, au contraire, chrétiennes et vraies. J'ai envoyé tout cela à Paris, pour que mes amis le fissent publier dans un journal. Je crois que la Réforme, qui est dans nos idées plus que les autres, l'aurait accepté sans objection; mais la Réforme n'a qu'un petit nombre de lecteurs, et je tenais à ce que votre lettre eût un certain retentissement en France, surtout dans un moment où notre Assemblée vient de discuter si pauvrement la question italienne, et où le jésuite Montalembert et autres cerveaux despotiques et étroits vous ont personnellement lancé leur anathème méprisable. Je tenais beaucoup à montrer que ces beaux chrétiens étaient des hérétiques, et vous un chrétien beaucoup plus sincère et plus orthodoxe. Eh bien, le Siècle a gardé mon manuscrit quinze jours et a fini par le rendre, en disant qu'il manquait de place pour le publier; ce qui n'est qu'un prétexte pour éviter de se compromettre dans l'esprit des bourgeois voltairiens. On a porté votre lettre et mes réflexions au Constitutionnel, qui a promis de les insérer, mais qui les tient depuis plusieurs jours sans en rien faire. De sorte que j'ignore si, comme le Siècle, il ne se ravisera pas. J'ai écrit hier pour leur dire que, s'ils étaient effrayés de mes idées, je les autorisais à les supprimer entièrement, pourvu qu'ils publiassent ma traduction de votre lettre. Nous verrons s'ils auront un peu de coeur et de courage; mais je suis honteuse pour la presse française non seulement que vous n'y ayez pas un défenseur spontané, mais encore qu'on ait tant de peine à laisser entendre une voix qui s'élève dans le désert pour dire que vous n'êtes ni un jacobin ni un impie.

Au reste, notre ami Borie, que vous avez vu chez moi, a pris plusieurs fragments de cette traduction et a fait de son côté un bon article, qu'il a envoyé au Journal du Loiret, en même temps que j'envoyais le mien avec la traduction complète à Paris. Il a mieux réussi que moi. Cet article a été publié, il y a quelques jours, et j'attends, pour vous l'envoyer, que j'y puisse joindre le mien. J'ai vu aujourd'hui Leroux, à qui j'ai remis un exemplaire de votre texte italien, et qui va s'en occuper sérieusement dans la Revue sociale. Il ne sera pas autant que moi de votre avis. Il rendra justice à la pureté et à l'élévation de vos idées et de vos sentiments; mais il est possédé aujourd'hui d'une rage de pacification, d'une horreur pour la guerre, qui va jusqu'à l'excès et que je ne saurais partager.

Blâmer la guerre dans la théorie de l'idéal, c'est tout simple; mais il oublie que l'idéal est une conquête, et qu'au point où en est l'humanité, toute conquête demande notre sang.

Il vous envoie probablement ses travaux quotidiens. Le voilà qui croit tenir la science religieuse, politique et sociale, et qui s'annonce avec beaucoup d'audace comme possédant un dogme, une organisation, un principe de subsistance; c'est beaucoup dire! Cette admirable cervelle a touché, je le crains, la limite que l'humanité peut atteindre. Entre le génie et l'aberration, il n'y a souvent que l'épaisseur d'un cheveu. Pour moi, après un examen bien sérieux, bien consciencieux, avec un grand respect, une grande admiration et une sympathie presque complète pour tous ses travaux, j'avoue que je suis forcée de m'arrêter, et que je ne puis le suivre dans l'exposé de son système. Je ne crois pas, d'ailleurs, aux systèmes d'application à priori. Il y faut le concours de l'humanité et l'inspiration de l'action générale. Enfin, lisez et dites-moi si j'ai tort et si vous le croyez dans le vrai. Je tiens beaucoup à votre jugement. J'en ai même besoin pour sonder encore le mien propre. Je vous demande donc de donner deux ou trois heures à cette lecture, et d'en consacrer encore une ou deux, s'il le faut, à résumer pour moi votre opinion. Ne craignez pas de me faire payer un gros port de lettre. Je n'ai pas encore discuté avec Leroux, j'étais tout occupée de l'écouter et de le faire expliquer. Et puis il était aujourd'hui dans une sorte d'ivresse métaphysique, et il n'eût rien entendu.

Adieu, mon ami; permettez-moi d'affranchir ce paquet, que je vais grossir de ma réponse à miss Hays. Je ne me souciais pas de répondre, je l'avoue. Une personne qui avait débuté par des altérations ne me paraissait pas très bien venue à me demander une consécration de la fidélité de sa traduction. Et puis il me semblait que mistress Ashurst, votre amie, ayant traduit aussi quelque chose, je ne devais pas créer à une autre un monopole. Je conclus de votre lettre que mistress Ashurst a renoncé à ce travail et je fais ce que vous me dites. Mais je vous envoie ma lettre à miss Hays, pour que, réflexion faite, vous en agissiez comme vous trouverez bon.

Adieu encore, mon ami et mon frère. Bénissez-moi, j'en vaudrai mieux.

GEORGE.

Mon fils et ses amis vous aiment.

CCCXXVI
A MADAME AUGUSTINE DE BERTHOLDI, A LUNÉVILLE

Nohant, 24 janvier 1851

Ma chère fille,

J'ai reçu à Paris ta lettre de félicitation. Claudie a réussi, en effet, au delà de toute prévision. Succès de larmes, succès d'argent. Tous les jours, salle comble, pas un billet donné, pas même une place pour Maurice. La pièce est admirablement jouée. Bocage est magnifique; le public pleure, on se mouche comme au sermon. Enfin on dit que jamais, de mémoire d'homme, on n'a vu une première représentation comme celle qui a eu lieu et à laquelle je n'ai pas assisté. Tous mes amis sont bien contents, et Maurice aussi.

Moi, je ne nie suis pas laissée détempser par tous ces compliments. J'ai passé huit jours-là-bas, et je reviens ici reprendre un travail qui m'intéresse plus que celui qui est terminé. Le travail en train a des attraits que l'on ne sait pas et qui l'emportent sur celui du travail accompli et livré au public. Et puis, cette vie de Paris, tu sais comme je l'aime peu et comme elle me fatigue. Je me trouve ici mieux que partout ailleurs.

J'attends Maurice dans quelques jours. Je travaille à la belle surprise que nous voulons lui faire et qui est presque prête. C'est la suppression du mur qui séparait le théâtre du billard. A présent, ces deux pièces sont jointes par une belle arcade. Le public n'en dépassera pas la limite et verra à distance l'effet dans la partie de la salle qu'il occupait autrefois.

Sur les côtés, les coulisses sont artistement prolongées et imitent des loges grillées, où les acteurs (sans être vus du public) seront bien assis et assisteront à la pièce, quand ils ne seront pas en scène. Le billard roulera sur des bandes de bois qui permettront qu'on le place le long de la fenêtre, et toute la salle de billard pourra être pleine de spectateurs.

La toile ne s'ouvre plus en deux, elle monte sur un cylindre. Enfin, c'est un bijou que notre petit théâtre, et on y fera encore les épreuves des pièces destinées aux grandes scènes de Paris, et tu viendras encore y faire les jeunes premières. Maurice ne s'attend à rien de tout cela.

J'ai vu à Paris, ma tante, toujours forte et gaie; mon oncle, Clotilde, tous bien portants et me parlant de toi.

Bonsoir, ma mignonne; j'embrasse Bertholdi de tout mon coeur, pour son contentement à la lecture des journaux qui lui ont appris le succès de Claudie; je l'embrasse aussi pour toi et pour lui, ça fait trois. Toi, je te bige mille fois, ainsi que mon petit amour de George.

19Sobriquet du peintre Villevieille, paysagiste distingué, mort tout jeune.