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Césarine Dietrich

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On me présenta aussi madame Féron, veuve d'un sous-officier tué en Crimée et jouissant d'une petite pension qui, jointe à son travail de repasseuse de fin, la faisait vivre modestement. Elle aidait Marguerite aux soins de son ménage et promenait l'enfant au Luxembourg, n'acceptant pour compensation à cette perte de temps que la gratuité du loyer. On me montra l'appartement, bien petit, mais prenant beaucoup d'air sur les toits, et tenu avec une exquise propreté. Les deux femmes avaient des chambres séparées, une pièce plus grande leur servait d'atelier et de salon; la salle à manger et la cuisine étaient microscopiques. Je remarquai un cabinet assez spacieux en revanche, où Paul avait transporté quelques livres, un bureau, un canapé-lit et quelques petits objets d'art.

– Tu travailles donc, même ici? lui dis-je.

– Quelquefois, quand monsieur mon fils fait des dents et m'empêche de dormir; mais ce n'est pas pour me donner le luxe d'un cabinet que j'ai loué cette pièce.

– Pourquoi donc?

– Vous ne devinez pas?

– Non.

– Eh bien! c'est pour vous, ma petite tante; c'est notre plus jolie chambre et la mieux meublée; elle est tout au fond, et vous pourriez y dormir et y travailler sans entendre le tapage de M. Pierre.

– Tu désires donc que je vienne demeurer avec toi?

– Non, ma tante, vous êtes mieux à l'hôtel Dietrich; mais vous n'y êtes pas chez vous, et je vous ai toujours dit qu'un caprice de la belle Césarine pouvait, d'un moment à l'autre, vous le faire sentir. J'ai voulu avoir à vous offrir tout de suite un gîte, ne fût-ce que pour quelques jours. Je ne veux pas qu'il soit dit que ma tante peut partir, dans un fiacre, du palais qu'elle habite, avec l'embarras de savoir où elle déposera ses paquets, et la tristesse de se trouver seule dans une chambre d'hôtel. Voilà votre pied-à-terre, ma tante, et voici vos gens: deux femmes dévouées et un valet de chambre qui, sous prétexte qu'il est votre neveu, vous servira fort bien.

J'embrassai mon cher enfant avec un attendrissement profond. Toute la famille me reconduisit jusqu'en bas, et je ne m'en allai pas sans promettre de revenir bientôt. Il fut convenu que je ne verrais plus Paul que chez lui, les jours où il aurait congé. Si d'une part j'étais effrayée de le voir engagé, à vingt-quatre ans, dans une liaison que sa jeune paternité rendrait difficile à rompre, d'autre part je le voyais à l'abri des fantaisies de Césarine comme des vengeances du marquis, et j'étais soulagée de l'anxiété la plus immédiate, la plus poignante.

Césarine s'aperçut vite de ce rassérènement et de l'émotion qui l'avait précédé.

– Qu'as-tu donc? me dit-elle dès que je fus rentrée; tu es restée longtemps, et tu as pleuré.

Je le niai.

– Tu me trompes, dit-elle; ton neveu doit être revenu… malade peut-être? mais il est hors de danger, cela se voit dans tes yeux.

– Si mon neveu était tant soit peu malade, même hors de danger je ne serais pas rentrée du tout. Donc ton roman est invraisemblable.

– J'en chercherai un autre, dix autres s'il le faut, et je finirai par trouver le vrai. Il y a eu ce matin un drame dans ta vie, comme on dit.

– Eh bien! peut-être, répondis-je, pressée que j'étais de détourner de Paul, une fois pour toutes, ses préoccupations. Mon neveu m'a causé aujourd'hui une grande surprise. Il m'a révélé qu'il était marié.

– Ah! la bonne plaisanterie! s'écria Césarine en éclatant de rire, bien qu'elle fût devenue très-pâle; voilà tout ce que tu as imaginé pour me dégoûter de lui? Est-ce qu'il aurait pu se marier sans ton consentement?

– Parfaitement! Il est majeur, émancipé de ma tutelle.

– Et il ne t'aurait pas seulement fait part de son mariage, ce modèle des neveux?

– Dans un mariage d'amour, on ne veut consulter personne, si l'on craint d'inquiéter ses amis. Heureusement il a fait un bon choix. J'ai vu sa femme aujourd'hui.

– Elle est jolie?

– Elle est jolie et elle est belle.

– Plus que moi, j'imagine?

– Incontestablement.

– Quels contes tu me fais!

– J'ai embrassé leur fils, un enfant adorable.

– Leur fils! le fils de ton neveu? Est-ce que ton neveu est en âge d'avoir un fils? C'est un marmot que tu veux dire?

– Un marmot, soit. Il a un an déjà.

– Pauline, jure que tu ne te moques pas de moi!

– Je te le jure.

– Alors c'est fini, dit-elle, voilà ma dernière illusion envolée comme les autres!

Et, se détournant, l'étrange fille mit sa figure dans ses mains et pleura amèrement.

Je la regardais avec stupeur, me demandant si ce n'était pas un jeu pour m'attendrir et m'amener à la rétractation d'un mensonge. Voyant que je ne lui disais rien, elle sortit avec impétuosité. Je la suivis dans sa chambre, où M. Dietrich, étonné de ne pas nous voir descendre pour dîner, vint bientôt nous rejoindre. Césarine ne se fit pas questionner, elle était dans une heure d'expansion et pleurait de vraies larmes.

– Mon père, dit-elle, viens me consoler, si tu peux, car Pauline est très-indifférente à mon chagrin. Son neveu est marié! marié depuis longtemps, car il est déjà père de famille. J'ai fait le roman le plus absurde; mais ne te moque pas de moi, il est si douloureux! Cela t'étonne bien: pourquoi? ne te l'avais-je pas dit, qu'il était le seul homme que je pusse aimer? Il avait tout pour lui, l'intelligence, la fermeté, la dignité du caractère et la pureté des moeurs, cette chose que je chercherais en vain chez les hommes du monde, à commencer par le marquis! Je ne m'étais pas dit, sotte fille que je suis, qu'un jeune homme ne pouvait rester pur qu'à la condition de se marier tout jeune et de se marier par amour. Maintenant je peux bien chercher toute ma vie un homme qui n'ait pas subi la souillure du vice. Je ne le rencontrerai jamais, à moins que ce ne soit un enfant idiot, dont je rougirais d'être la compagne, car je sais le monde et la vie à présent. Il ne s'y trouve plus de milieu entre la niaiserie et la perversité. Mon père, emmène-moi, allons loin d'ici, bien loin, en Amérique, chez les sauvages.

– Il ne me manquerait plus que cela! lui dit en souriant M. Dietrich; tu veux que nous nous mettions à la recherche du dernier des Mohicans?

Il ne prenait pas son désespoir au sérieux; elle le força d'y croire en se donnant une attaque de nerfs qu'elle obtint d'elle-même avec effort et qui finit par être réelle, comme il arrive toujours aux femmes despotes et aux enfants gâtés. On se crispe, on crie, on exhale le dépit en convulsions qui ne sont pas précisément jouées, mais que l'on pourrait étouffer et contenir, si elles étaient absolument vraies intérieurement. Bientôt la véritable convulsion se manifeste et punit la volonté qui l'a provoquée, en se rendant maîtresse d'elle et en violentant l'organisme. La nature porte en elle sa justice, le châtiment immédiat du mal que l'individu a voulu se faire à lui-même.

Il fallut la mettre au lit et dîner sans elle, tard et tristement. Je racontai toute la vérité à M. Dietrich. Il n'approuva pas le mensonge que j'avais fait à Césarine, et parut étonné de me voir, pour la première fois sans doute de ma vie, disait-il, employer un moyen en dehors de la vérité. Je lui racontai alors les menaces de M. de Rivonnière et lui avouai que j'en étais effrayée au point de tout imaginer pour préserver mon neveu. M. Dietrich n'attacha pas grande importance à la colère du marquis; il m'objecta que M. de Rivonnière était un homme d'honneur et un homme sensé, que dans la colère il pouvait déraisonner un moment, mais qu'il était impossible qu'il ne fût pas rentré en lui-même dès le lendemain de son emportement.

– Et alors, lui dis-je, vous allez dissuader Césarine, lui faire savoir que mon neveu est encore libre? Vous la tromperiez plus que je ne l'ai trompée: il n'est plus libre.

Il me promit de ne rien dire.

– Je n'ai pas fait le mensonge, dit-il, je feindrai d'être votre dupe, d'autant plus que je n'admettrais pas qu'un jeune homme, lié comme il l'est maintenant, put songer au mariage.

Césarine fut comme brisée durant quelques jours, puis elle reprit sa vie active et dissipée, et parut même encourager à sa manière quelques prétentions de mariage autour d'elle. Tous les matins il y avait assaut de bouquets à la porte de l'hôtel, tous les jours, assaut de visites dès que la porte était ouverte.

Je voyais de temps en temps Paul et Marguerite rue d'Assas. Je me confirmais dans la certitude que cette association ne les rendait heureux ni l'un ni l'autre, et que l'enfant seul remplissait d'amour et de joie le coeur de Paul. Marguerite était à coup sûr une honnête créature, malgré la faute commise dans son adolescence; mais cette faute n'en était pas moins un obstacle au mariage qu'elle désirait, et que, pas plus que moi, Paul ne pouvait admettre. Un jour, ils se querellèrent devant moi en me prenant pour juge.

– Si je n'avais pas eu un enfant, disait Marguerite, je n'aurais jamais songé au mariage, car je sais bien que je ne le mérite pas; mais depuis que j'ai mon Pierre, je me tourmente de l'avenir et je me dis qu'il méprisera donc sa mère plus tard, quand il comprendra qu'elle n'a pas été jugée digne d'être épousée? Ça me fait tant de mal de songer à ça, qu'il y a des moments où je me retiens d'aimer ce pauvre petit, afin d'avoir le droit de mourir de chagrin. Ah! je ne l'avais pas comprise, cette faute qui me paraît si lourde à présent! Je trouvais ma mère cruelle de me la reprocher, je trouvais Paul bon et juste en ne me la reprochant pas; mais voilà que je suis mère et que je me déteste. Je sais bien que Paul n'abandonnera jamais son fils, il n'y a pas de danger, il est trop honnête homme et il l'aime trop! mais moi, moi, qu'est-ce que je deviendrai, si mon fils se tourne contre moi?

– Il te chérira et te respectera toujours, répondit Paul. Cela, je t'en réponds, à moins que, par tes plaintes imprudentes, tu ne lui apprennes ce qu'il ne doit jamais savoir.

 

– Comme c'est commode, n'est-ce pas! de cacher aux enfants que leurs parents ne sont pas mariés! Pour cela, il faudrait ne jamais me quitter, et qu'est-ce qui me répond que tu ne te marieras pas avec une autre!

Je crus devoir intervenir.

– Il est du moins certain, dis-je à Marguerite, qu'il est devenu très-difficile à mon neveu de faire le mariage honorable et relativement avantageux auquel un homme dans sa position peut prétendre. L'abandon qu'il vous fait de sa liberté, de son avenir peut-être, devrait vous suffire, ma pauvre enfant! Songez que jusqu'ici tous les sacrifices sont de son côté, et que vous n'auriez pas bonne grâce à lui en demander davantage.

– Vous avez raison, vous! répondit-elle en me baisant les mains; vous êtes sévère, mais vous êtes bonne. Vous me dites la vérité; lui, il me ménage, il est trop fier, trop doux, et j'oublie quelquefois que je lui dois tout, même la vie!

Elle se soumettait. C'était une bonne âme, éprise de justice, mais trop peu développée par le raisonnement pour trouver son chemin sans aide et sans conseil. Quand elle avait compris ses torts, elle les regrettait sincèrement, mais elle y retombait vite, comme les gens qu'une bonne éducation première n'a pas disciplinés. Elle avait des instincts spontanés, égoïstes ou généreux, qu'elle ne distinguait pas les uns des autres et qui l'emportaient toujours au delà du vrai, Paul était un peu fatigué déjà de ses inquiétudes sans issue, de sa jalousie sans objet, en un mot de ce fonds d'injustice et de récrimination dont une femme déchue sait rarement se défendre. Je sortis avec lui ce jour-là, et je lui reprochai de traiter Marguerite un peu trop comme une enfant.

– Puisque ce malheureux lien existe, lui dis-je, et que tu crois ne devoir jamais le rompre, tâche de le rendre moins douloureux. Élève les idées de cette pauvre femme, adoucis les aspérités de son caractère. Il ne me semble pas que tu lui dises ce qu'il faudrait lui dire pour qu'au lieu de déplorer le sort que tu lui as fait, elle le comprenne et le bénisse.

– J'ai dit tout ce qu'on peut dire, répondit-il; mais c'est tous les jours à recommencer. Les vrais enfants s'instruisent et progressent à toute heure, je le vois déjà par mon fils; mais les filles dont le développement a été une chute n'apprennent plus rien. Marguerite ne changera pas, c'est à moi d'apprendre à supporter ses défauts. Ce qu'elle ne peut pas obtenir d'elle-même, il faut que je l'obtienne de moi, et j'y travaille. Je me ferai une patience et une douceur à toute épreuve. Soyez sûre qu'il n'y a pas d'autre remède: c'est pénible et agaçant quelquefois; mais qui peut se vanter d'être parfaitement heureux en ménage? Je pourrais être très-légitimement marié avec une femme jalouse, de même que je pourrais être pour Marguerite un amant soupçonneux et tyrannique. Croyez bien, ma tante, que dans ce mauvais monde où l'on s'agite sous prétexte de vivre, on doit appeler heureuse toute situation tolérable, et qu'il n'y a de vrai malheur que celui qui écrase ou dépasse nos forces. Si je n'avais pas une maîtresse, je serais forcé de supprimer l'affection et de ne chercher que le plaisir. Les femmes qui ne peuvent donner que cela me répugnent. C'est une bonne chance pour moi d'avoir une compagne qui m'aime, qui m'est fidèle et que je puis aimer d'amitié quand, l'effervescence de la jeunesse assouvie, nous nous retrouverons en face l'un de l'autre. Cela mérite bien que je supporte quelques tracasseries, que je pardonne un peu d'ingratitude, que je surmonte quelques impatiences. Et, quand je regarde ce bel enfant qu'elle m'a donné, qui est bien à moi, qu'elle a nourri d'un lait pur et qu'elle berce sur son coeur des nuits entières, je me sens bien marié, bien rivé à la famille et bien content de mon sort.

Paul était libre ce jour-là. Je l'emmenai dîner avec moi chez un

restaurateur, et nous causâmes intimement. J'étais libre moi-même. M.

Dietrich avait été surveiller de grands travaux à sa terre de Mireval;

Césarine avait dû dîner chez ses cousines.

Nous approchions du printemps. Je rentrai à neuf heures et fus fort surprise de la trouver dînant seule dans son appartement.

– Je suis rentrée à huit heures seulement, me dit-elle. Je n'ai pas dîné chez les cousines, je ne me sentais pas en train de babiller. Je me suis attardée à la promenade, et j'ai fait dire à ma tante de ne pas m'attendre. Ne me gronde pas d'être rentrée à la nuit, quoique seule. Il fait si bon et si doux que j'ai pris fantaisie de courir en voiture autour du lac à l'heure où il est désert; cette heure où tout le monde dîne est décidément la plus agréable pour aller au bois de Boulogne. Où as-tu donc dîné, toi? J'espérais te trouver ici.

– J'ai dîné avec mon neveu.

– Et avec sa femme? dit-elle en me regardant avec une ironie singulière.

Sais-tu qu'il te trompe, ton neveu, et qu'il n'est pas marié du tout?

– C'est tout comme, répondis-je. Il est peut-être plus enchaîné que s'il était marié.

– Enchaîné est le mot, et je vois que tu y mets de la franchise.

– Je ne sais ce que tu veux dire.

– Ni ce que tu dis, ma bonne Pauline, tu t'embrouilles, tu n'y es plus; mais moi je sais toute la vérité.

– Quoi! que sais-tu?

– Écoute: avant d'aller au bois faire mes réflexions, j'avais été faire connaissance avec la belle Marguerite.

– Tu railles!

– Tu vas voir. Je savais que tous les soirs M. Paul quittait son bureau pour aller passer la nuit rue d'Assas chez une madame Féron qui y louait ou qui était censée y louer un appartement. Je savais encore que ton neveu ne s'y rendait que bien rarement dans le jour; or, comme il était quatre heures et que j'étais résolue à connaître la vérité aujourd'hui.

– Pourquoi aujourd'hui?

– Parce que M. Salvioni, ce noble italien qui me suit partout et que ma tante Helmina protège, m'avait fait hier à l'Opéra une déclaration assez pressante pendant le ballet de la Muette. Il est très-beau, ce descendant des Strozzi. Il a de l'esprit, de la poésie et un petit accent agréable. Il me plairait, si je pouvais l'aimer; mais j'ai encore pensé à ton neveu et j'ai promis de répondre clairement le surlendemain, c'est-à-dire demain. Il me fallait donc savoir aujourd'hui si tu ne m'avais pas fait un petit conte pour m'endormir. J'ai donc demandé au portier madame Féron, et on m'a fait monter dans un taudis assez propre, où un gros bébé piaillait sur les genoux d'une assez belle créature. Bertrand était monté avec moi, et, comme il n'y a pas d'antichambre dans ces logements-là, il a dû m'attendre sur le carré. Je suis entrée avec aplomb, j'ai demandé madame Paul Gilbert à madame Féron qui m'ouvrait la porte et qui était trop laide et trop vieille pour me faire supposer que ce fût elle. Elle a paru troublée de cette demande, et comme elle hésitait à répondre, Marguerite s'est levée avec son marmot dans les bras, en me disant assez effrontément:

– Madame Paul Gilbert, c'est moi. Qu'est-ce qu'il y a pour votre service?

– Je croyais trouver ici, ai-je répondu, la tante de M. Gilbert, mademoiselle de Nermont.

– Elle est sortie avec Paul il n'y a pas un quart d'heure.

– Tant pis, je venais la prendre pour faire une course dans le quartier; elle m'avait donné rendez-vous ici.

» – Alors c'est qu'elle va peut-être revenir? Si vous voulez l'attendre?

» – Volontiers, si vous voulez bien le permettre.

»Et elle de dire avec toute la courtoisie dont une blanchisseuse est capable:

» – Comment donc, ma petite dame! mais asseyez-vous. Féron, prends donc le petit, fais-lui manger sa soupe dans la cuisine. Il ne mange pas bien proprement ni bien sagement encore, le pauvre chéri, et madame ne serait pas bien contente de l'entendre faire son sabbat. Ferme les portes, qu'on ne l'entende pas trop!

» – Voilà un bel enfant! lui dis-je en feignant d'admirer le bébé qu'on emportait à ma grande satisfaction. Quel âge a-t-il donc?

» – Un an et un mois, il est un peu grognon, il met ses dents.

» – Il est bien frais, – très-joli!

» – N'est-ce pas qu'il ressemble à son père?

» – À M. Paul Gilbert?

» – Dame!

» – Je ne sais pas, je le connais très-peu. Je trouve que c'est à vous que l'enfant ressemble.

» – Oui? tant pis! j'aimerais mieux qu'il ressemble à Paul.

» – C'est-à-dire que vous aimez votre mari plus que vous-même?

» – Oh ça, c'est sûr! il est si bon! Vous connaissez donc sa tante et pas lui?

» – Je l'ai vu une ou deux fois, pas davantage.

» – C'est peut-être vous qui êtes… Eh non! que je suis bête! mademoiselle Dietrich ne sortirait pas comme ça toute seule.

» – Vous avez entendu parler de mademoiselle Dietrich?

» – Oui, c'est la tante à Paul qui est sa… comment dirai-je? sa première bonne, c'est elle qui l'a élevée.»

Je t'en demande bien pardon, ma Pauline, mais voilà les notions éclairées et délicates de mademoiselle Marguerite sur ton compte. Je suis forcée par mon impitoyable mémoire de te redire mot pour mot ses aimables discours.

– C'est, repris-je, mademoiselle de Nermont qui vous a parlé de mademoiselle Dietrich?

» – Non, c'est Paul, un jour qu'il avait été au bal la veille chez son papa. Il paraît que c'est des gens très-riches, et que la demoiselle avait des perles et des diamants peut-être pour des millions.

» – Ce qui était bien ridicule, n'est-ce pas?

» – Vous dites comme Paul: mais moi, je ne dis pas ça. Chacun se pare de ce qu'il a. Moi, je n'ai rien, je me pare de mon enfant, et, quand on me le ramène du Luxembourg ou du square, en me disant que tout le monde l'a trouvé beau, dame! je suis fière et je me pavane comme si j'avais tous les diamants d'une reine sur le corps.» Cette gentille naïveté me réconcilia bien vite avec Marguerite. Je ne la crois pas mauvaise ni perverse, cette fille, et en la trouvant si commune et si expansive je ne me sentais plus aucune aversion contre elle. C'est une de ces compagnes de rencontre qu'un homme pauvre doit prendre par économie et aussi par sagesse. Quand il arrive un enfant, on s'y attache par bonté; mais on ne les épouse pas, ces demoiselles, et un moment vient où on ne les garde pas.

– Tu parles de tout cela, ma chère, comme un aveugle des couleurs. Tu ne peux pas apprécier…

– Je te demande pardon, ton élève est émancipée, et tout ce que tu as fort bien fait de lui laisser ignorer quand elle était une fillette, – peu curieuse d'ailleurs, – elle a été condamnée à l'apprendre en voyant le monde, en observant ce qui s'y passe, en entendant ce que l'on dit, en devinant ce que l'on tait. Tu sais fort bien que je porte sur la liaison de M. Paul un jugement très-sensé, car cela s'appelle une liaison, pas autrement; c'est un terme décent et poli pour ne pas dire une accointance. Tu trouves que le vrai mot est grossier dans ma bouche? Je le trouve aussi; mais tu m'as attrapée en appelant cela un mariage, et j'ai été forcée d'entrer dans l'examen des faits grossiers qu'on appelle la réalité. Jusque-là pourtant j'étais assez ingénue pour croire à un lien légitime; mais Marguerite est bavarde et maladroite. Comme je lui témoignais de l'intérêt, elle s'est troublée, et, quand j'ai parlé de lui apporter de vieilles dentelles à remettre à neuf, elle m'a tout avoué avec une sincérité assez touchante.

» – Non, m'a-t-elle dit, ne revenez pas vous-même, car je vois bien que vous êtes une grande dame, et peut-être que vous seriez fâchée d'être si bonne pour moi quand vous saurez que je ne suis pas ce que vous croyez.»

Et, là-dessus, des encouragements de ma part, une ou deux paroles aimables qui ont amené un déluge de pleurs et d'aveux. Je sais donc tout, l'aventure avec M. Jules l'étudiant, la noyade, le sauvetage opéré par ton neveu, l'asile donné par lui chez la Féron, et puis la naissance de l'enfant après des relations avouées assez crûment (elle me prenait pour une femme), enfin l'espérance qui lui était venue d'être épousée en se voyant mère, la résistance invincible de Paul appuyée par toi, les petits chagrins domestiques, ses colères à elle, sa patience à lui. Le tout a fini par un éloge enthousiaste et comique de Paul, de toi et d'elle-même, car elle est très-drôle, cette villageoise. C'est un mélange d'orgueil insensé et d'humilité puérile. Elle se vante de l'emporter sur tout le monde par l'amour et le dévouement dont elle est capable… Elle se résume en disant:

– C'est moi la coupable (la fautive); mais j'ai quelque chose pour moi, c'est que j'aime comme les autres n'aiment pas. Paul verra bien! qu'il essaye d'en aimer une autre!»

C'est après m'avoir ainsi ouvert son coeur qu'elle a commencé à se demander qui je pouvais bien être.

 

« – Ne vous en inquiétez pas, lui ai-je répondu. Mon nom ne vous apprendrait rien. Je m'intéresse à vous et je vous plains, que cela vous suffise. Votre position ne me scandalise pas. Seulement vous avez tort de prendre le nom de M. Gilbert. Est-ce qu'il vous y a autorisée?

» – Non, il me l'a défendu au contraire. Comme il ne veut recevoir ici aucun de ses amis, il cache son petit ménage, et l'appartement n'est ni à son nom ni au mien. Je dois me cacher aussi à cause de ma mère, qui me repincerait, je suis encore mineure, et je ne sors que le soir au bras de Paul, dans les rues où il ne fait pas bien clair. Quand vous avez demandé madame Paul Gilbert, j'ai eu un moment de bêtise ou de fierté; mais personne ne me connaît sous ce nom-là. À vrai dire, personne ne me connaît. Je ne me montre pas. C'est madame Féron qui achète tout, qui fait les commissions, qui porte l'ouvrage, qui promène le petit. Moi, je m'ennuie bien un peu d'être enfermée comme ça, mais je travaille de mes mains, et je tâche que ma pauvre tête ne travaille pas trop…»

Je lui ai promis d'aller la voir, et je tiendrai parole, car je veux encore causer avec elle. J'avais peur de te voir revenir, bien que j'eusse un prétexte tout prêt pour motiver devant Marguerite ma présence chez elle. Je lui ai dit que l'heure du rendez-vous que tu m'avais donné était passée, et que j'étais forcée de m'en aller.

« – Tant pis, a-t-elle dit en me baisant les mains; je vous aime bien, vous, et je voudrais causer avec vous toute la journée. Si, au lieu de me prendre d'amour pour Paul, j'avais rencontré une jolie et bonne dame comme vous, qui m'aurait prise avec elle, je serais plus heureuse, et, sans me vanter, pour coudre, ranger vos affaires, vous blanchir, vous servir et vous faire la conversation, j'aurais été bonne fille de chambre.

» – Ça pourra venir, lui ai-je répondu en riant: qui sait? Si M. Gilbert vous renvoyait, je vous prendrais volontiers à mon service.»

Le mot renvoyer a frappé un peu plus fort que je ne l'eusse souhaité. Elle s'est récriée, et un instant j'ai cru que notre amitié allait se changer en aversion. Elle est violente, la chère petite; mais j'ai su étouffer l'explosion en lui disant:

« – Je vois bien que vous n'êtes pas de ces personnes qu'on renvoie; mais il y a manière d'éloigner les personnes fières: quelquefois un mot blessant suffit.

» – Vous avez raison; mais jamais Paul ne me dira ce mot-là. Il a le coeur trop grand. Il n'aurait qu'une manière de me renvoyer, comme vous dites: c'est de me faire voir qu'il serait malheureux avec moi; alors je n'attendrais pas mon congé, je le prendrais.

» – Et l'enfant, qu'en feriez-vous?

» – Oh! l'enfant, il ne voudrait pas me le laisser, il l'aime trop!

» – Est-ce qu'il l'a reconnu?

» – Bien sûr qu'il l'a reconnu, même qu'il l'a fait inscrire fils de mère inconnue, afin que ma famille, qui est mauvaise, n'ait jamais de droits: sur lui.

» – Alors vous n'en avez pas non plus sur votre enfant? Vous le perdriez en vous séparant de M. Gilbert?

« – C'est cela qui me retiendrait auprès de lui, si je m'y trouvais malheureuse, mais s'il était malheureux lui, mon pauvre Paul, je lui laisserais son Pierre… et je n'irais pas vous trouver, ma petite dame, je n'aurais plus besoin de rien. Je m'en irais mourir de chagrin dans un coin…»

Voilà sur quelles conclusions nous nous sommes séparées.

– Fort bien, et après cela tu as été réfléchir au bois de Boulogne; peut-on savoir ta conclusion, à toi?

– La voici: Paul me convient tout à fait, je l'aime, et c'est le mari qu'il me faut.

– Sauf à faire mourir de chagrin la pauvre Marguerite? Cela ne compte pas?

– Cela compterait, mais cela n'arrivera pas. Je serai très-bonne pour elle, je lui ferai comprendre ce qu'elle est, ce qu'elle vaut, ce qu'elle pèse, ce qu'elle doit accepter pour conserver l'estime de Paul et mes bienfaits, que je ne compte pas lui épargner.

– Et l'enfant?

– Son père, marié avec moi, aura le moyen de l'élever, et je lui serai très-maternelle; je n'ai pas de raisons pour le haïr, cet innocent! Marguerite pourra le voir; on les enverra à la campagne, ils n'auront jamais été si heureux.

– Avec quelle merveilleuse facilité tu arranges tout cela!

– Il n'y rien de difficile dans la vie quand on est riche, équitable et d'un caractère décidé. Je suis plus énergique et plus clairvoyante que toi, ma Pauline, parce que je suis plus franche, moins méticuleuse. Ce qu'il t'a fallu des années pour savoir et apprécier, sauf à ne rien conclure pour l'avenir de ton neveu, je l'ai su, je l'ai jugé, j'y ai trouvé remède en deux heures. Tu vas me dire que je ne veux pas tenir compte de l'attachement de Paul pour sa maîtresse et de l'espèce d'aversion qu'il m'a témoignée; je te répondrai que je ne crois ni à l'aversion pour moi ni à l'attachement pour elle. J'ai vu clair dans la rencontre unique et mémorable qui a décidé du sort de ce jeune homme et du mien; je vois plus clair encore aujourd'hui. Il se croyait lié à un devoir, et sa défense éperdue était celle d'un homme qui s'arrache le coeur. Aujourd'hui il souffre horriblement, tu ne vois pas cela; moi, je le sais par les aveux ingénus et les réticences maladroites de sa maîtresse. Il n'espère pas de salut, il accepte la triste destinée qu'il s'est faite. C'est un stoïque, je ne l'oublie pas, et toutes les manifestations de cette force d'âme m'attachent à lui de plus en plus. Oui, cette fille déchue et vulgaire qu'il subit, ce marmot qu'il aime tendrement (les vrais stoïques sont tendres, c'est logique), cet intérieur sans bien-être et sans poésie, ce travail acharné pour nourrir une famille qui le tiraille et qu'il est forcé de cacher comme une honte, cette fierté de feindre le bonheur au milieu de tout cela, c'est très-grand, très-beau, très-chaste en somme et très-noble. Ton neveu est un homme, et c'est une femme comme moi qu'il lui faut pour accepter sa situation et l'en arracher sans déchirement, sans remords et sans crime. Marguerite pleurera et criera peut-être même un peu, cela ne m'effraye pas. Je me charge d'elle; c'est une enfant un peu sauvage et très-faible. Dans un an d'ici elle me bénira, et Paul, mon mari, sera le plus heureux des hommes.

– De mieux en mieux! C'est réglé ainsi pour l'année prochaine? Quel mois, quel jour le mariage?

– Ris tant que tu voudras, ma Pauline, je suis plus forte que toi, te dis-je; je n'ai pas les petits scrupules, les inquiétudes puériles. J'ai la patience dans la décision; ta verras, petite tante! Et sur ce embrasse-moi; je suis lasse, mais mon parti est pris, et je vais-dormir tranquille comme un enfant de six mois.

Elle me laissa en proie au vertige, comme si, abandonnée par un guide aventureux sur une cime isolée, j'eusse perdu la notion du retour.

N'avait-elle pas raison en effet? n'était-elle pas plus forte que moi, que Marguerite, que Paul lui-même? Trop absorbé par l'étude, il ne pouvait pas, comme elle, analyser les faits de la vie pratique et en résoudre les continuelles énigmes. Qui sait si elle n'était pas la femme qu'elle se vantait d'être, la seule qu'il pût aimer, le jour où il verrait la loyauté et la générosité qui étaient toujours au fond de ses calculs les plus personnels? Une tête si active, une âme tellement au-dessus de la vengeance et des mauvais instincts, une si franche acceptation des choses accomplies, une telle intelligence et tant de courage pour mener ses entreprises les plus invraisemblables à bonne fin, n'était-ce pas assez pour rassurer sur les caprices et pardonner la coquetterie?

Je me trouvais revenue au point où Césarine m'avait amenée lorsque les menaces du marquis de Rivonnière m'avaient fait reculer d'effroi. Où était-il, le marquis? que devenait-il? avait-il oublié? était-il absent? Si l'on eût pu me rassurer à cet égard, le roman de Césarine ne m'eût plus semblé si inquiétant et si invraisemblable.