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Œuvres complètes de lord Byron, Tome 8

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ADAH

La paix soit avec lui.

CAÏN

Mais avec moi! -

(Ils sortent.)

FIN DE CAÏN.

L'ILE,

OU
CHRISTIAN ET SES CAMARADES
AVERTISSEMENT

Le morceau suivant est fondé en partie sur la relation du soulèvement de l'équipage la Bonté, dans les mers du Sud, en 1789, et en partie sur la Relation des îles Tonga, par Marnier.

Chant Premier

1. L'instant de la veille matinale était arrivé. Le vaisseau avançait avec grâce, traçant sur les flots un sentier mobile. La vague entr'ouverte par la proue se courbait en sillons complaisans devant la majestueuse charrue. L'onde immense embrassait toute la perspective, et derrière s'évanouissaient maints rivages de la Mer du Sud. La nuit paisible, déjà nuancée d'argent, opposait encore sa mourante obscurité aux atteintes de l'aube naissante. Les dauphins, avertis de l'approche du jour, s'élançaient au-dessus des flots, comme pour aspirer plus tôt ses premières lueurs. Les étoiles détournaient de l'océan leurs scintillans regards, et disparaissaient devant une clarté plus radieuse. La voile reprenait sa blancheur naguère obscurcie; une brise rafraîchissante glissait sur les vents. Déjà même la pourpre de l'Océan annonçait la venue du soleil; – mais un coup sera tenté avant qu'il n'apparaisse.

2. Le vaillant chef dormait dans sa cabine, confiant dans ceux qui faisaient la veille. Il rêvait des rivages désirés de la vieille Angleterre, de ses travaux récompensés, de ses dangers évanouis; son nom était ajouté à la liste glorieuse de ceux qui avaient visité les pôles, séjour des orages. Le plus difficile était passé, rien ne pouvait justifier de nouvelles inquiétudes; pourquoi donc le sommeil avait-il pour lui des dangers? Hélas! son tillac était foulé par un pied indiscipliné; des mains plus inhabiles voulaient diriger la voile du vaisseau; de jeunes cœurs, languissant après je ne sais quelle île favorisée du soleil, où l'été dure toute l'année, où les femmes sourient pendant tout l'été; des hommes éloignés de leur patrie, et qui, trop long-tems voyageurs, n'avaient jamais revu la maison natale, ou l'avaient trouvée toute changée, et demi-barbare, préféraient une fraîche et douce grotte sauvage à l'incertitude des flots. – Puis le souvenir des fruits savoureux que donnait une terre incultivée; des forêts qui ne connaissaient d'autres sentiers que ceux qu'ils y frayèrent; des champs sur lesquels l'abondance étendait sa corne fortunée; des terres, domaine commun et indépendant d'un seul possesseur… Puis le vœu que les siècles n'ont jamais étouffé dans le cœur de l'homme-de ne connaître d'autre maître que sa volonté; la terre offrant à sa surface des mines non exploitées; la liberté qu'on y trouvait d'appeler chaque grotte sa propre demeure; ce jardin commun ouvert devant tous les pas, où la nature traite en tendre mère tout un peuple charmé des délices du désert; leurs coquillages, leurs fruits, seule opulence qu'ils connaissent; leurs canots toujours retenus à l'entour des rivages; leur chasse, leur gibier, leurs armes, leur aspect enfin si étrange aux yeux d'un Européen: – tels étaient les objets et la contrée qui réveillaient les désirs de ces marins, – désirs qu'ils devaient chèrement expier.

3. Debout, brave Bligh! l'ennemi est à la porte! debout! debout! – Hélas! il est trop tard! derrière ta case se tient le féroce rebelle proclamant déjà le règne de la rage et de la terreur. Tes membres sont enchaînés, la baïonnette touche ton sein, les mains qui tremblaient à ta voix te saisissent; traîné sur le tillac, tu ne verras plus l'obéissant gouvernail ou la voile attentive attendre tes ordres pour suivre une direction, ou se développer; cet esprit sauvage qui voudrait étouffer à force de délire le sentiment de sa révolte, fait briller autour de toi les yeux encore étonnés de ceux qui redoutent le chef qu'ils sacrifient: car jamais l'homme ne peut étourdir le cri de la conscience, s'il ne porte à ses lèvres la coupe passionnée de la rage.

4. C'est en vain que, bravant l'œil de la mort, ta poitrine menacée implore ceux de tes compagnons restés loyaux: – ils ne viennent pas; ils sont rares: il faut qu'ils consentent à ce qu'applaudissent des cœurs plus indociles. En vain tu cherches la cause: la malédiction est leur seule réponse, ou la menace de quelque chose de pire. A tes yeux brille le poignard homicide; sur ta gorge reste suspendue la baïonnette effilée; les mousquets chargés t'environnent, et semblent prêts à terminer tes jours. Tu les y encourages, en leur criant: Feu! Mais des cœurs impitoyables admirent encore, et quelque souvenir de leur ancien respect les arrête, plutôt que la voix méconnue de leurs devoirs; ils ne voudraient pas perdre leur ame en répandant le sang: ils préfèrent t'abandonner à la merci des flots.

5. «Disposez la chaloupe!» c'est le cri du nouveau chef; et qui jamais osa dire non à la révolte dans la première impétuosité de son ivresse, dans les saturnales d'un pouvoir inattendu? La chaloupe est disposée avec tout l'empressement de la haine; et déjà de légères planches te séparent seules de l'abîme qui doit t'engloutir; de faibles provisions te promettent une fin que leurs mains te refusent: c'est justement ce qu'il faut d'eau et de pain pour garantir quelques jours le moribond de la mort; de plus, quelques cornes, un peu de toile, des livres, unique trésor des hermites de l'Océan; quelques cordages sont ensuite ajoutés, aux instances de ceux qui n'espéraient plus pour toi que dans l'air et les flots; puis enfin ce mobile et tremblant vassal des pôles, cette aiguille sensible, ame de la navigation.

6. Et maintenant, le chef élu par lui-même juge à propos d'étouffer le premier sentiment de son crime; il réveille ainsi ses compagnons: – «A boire!» tant il craint que la passion ne cède bientôt à la voix de la raison! «De l'eau-de-vie pour les héros!» Ainsi jadis s'était écrié Burke; – et sans doute cette liqueur peut conduire à la gloire. Nos héros partagèrent cette opinion; au milieu de bruyans applaudissemens, ils vidèrent la coupe. Huzza! huzza! Otaïti! tel fut leur cri; étrange exclamation de la part des fils de la révolte! Comment cette île délicieuse, cette terre chérie de la nature, des cœurs aimans, des fêtes sans périls, des mœurs aimables, étrangères à l'art, cette opulence commune, cet amour sans inquiétude; comment tout cela pouvait-il avoir des charmes pour de grossiers marins ballottés sous leurs mâts par chaque souffle de vent? Et maintenant, par quels nouveaux crimes se préparent-ils à réaliser les vains désirs de la vertu, le repos? Hélas! telle est notre nature! notre but est le même à tous, seulement nous suivons des routes diverses; nos moyens, notre naissance, notre pays, notre gloire, notre fortune, nos goûts, tout cela est plus puissant sur notre faible poussière que tout ce qui est en dehors du misérable cercle de notre égoïsme. Cependant murmure encore au-dedans de nous-mêmes une faible voix troublant le silence de l'intérêt ou le tumulte de la gloire; quelle que soit notre foi, quelque terre que nous foulions, Dieu fait toujours entendre son oracle, la conscience de l'homme!

7. La chaloupe est chargée du brave et triste petit nombre demeuré fidèle au chef; quelques-uns, restés sur le tillac du vaisseau-maintenant jouet d'un moral naufrage-faisaient des vœux tardifs pour partager le sort d'un capitaine que leurs yeux voyaient s'éloigner; d'autres calculaient pour lui de nouveaux malheurs, plaisantaient à la vue lointaine de sa faible voile, à l'idée de cette faible barque, si fragile et si chargée. Oh! combien il est plus assuré, plus tranquille, le tendre nautile 36, pilote maritime de sa couche imperceptible, la fée, le génie de la mer. Lui, quand l'ouragan siffle et jaillit en éclairs sur les ondes, demeure en sûreté, – son port est dans la ville, – il triomphe sur les armadas du genre humain, qui ébranlent le monde, et fléchissent sous la verge des vents.

8. Quand tout fut prêt sur le vaisseau, qui maintenant avouait un révolté pour son maître, – un matelot, moins endurci que ses compagnons, témoigna cette pitié inutile, faite seulement pour irriter le malheur. D'un regard inquiet, il veillait sur les mouvemens de son ancien chef, et cherchait même, à force de signes, à lui exprimer son compatissant repentir. Déjà même il avançait un humide flacon jusqu'à ses lèvres arides et desséchées; mais bientôt, observé lui-même, ce gardien fut éloigné, et la pitié cessa de percer le nuage que la sédition étendait autour du brave chef. Alors s'approcha l'audacieux et sombre jeune homme que, pour son malheur, avait trop aimé le capitaine; il s'écria, en désignant la chaloupe abandonnée: «Partez! tout retard coûterait la vie!» Et pourtant, même en ce dernier instant, il n'avait pas étouffé toute sympathie. Un mot pouvait encore ramener le remords dans cette ame violente et passionnée; et ce que les autres ne soupçonnaient pas, la victime put le reconnaître. Quand Bligh, avec un ton de reproche amer, lui demanda qu'était devenu le souvenir des anciens bienfaits; – qu'étaient devenues ses espérances d'une gloire supérieure à celle des mille écussons pompeux de la Grande-Bretagne? ses lèvres tremblantes semblèrent céder devant une force invincible. «C'est cela! c'est cela! prononça-t-il; je suis damné! damné!» Il n'en dit pas davantage; mais, poussant dans sa barque son maître, il le confia au faible esquif. Sa langue ne put articuler d'autres accens; mais combien d'idées dans ses brusques adieux!

 

9. Le large soleil des régions arctiques s'élevait sur les ondes; la brise tantôt s'engouffrait, tantôt ressortait de ses humides grottes. Son aile capricieuse s'éloignait, puis revenait effleurer les sillons de l'Océan, comme les cordes d'une harpe éolienne. D'une rame désespérée et presque silencieuse, déjà l'esquif se creusait un chemin redouté vers une roche à peine visible, qui dressait, comme un lointain nuage, son front au-dessus des flots. La chaloupe et le vaisseau ne se réuniront plus! mais ce n'est pas à moi de dire les infortunes de Bligh, leurs dangers continuels, leurs rares espérances; leurs jours de péril, leurs nuits de désespoir; leur courage toujours le même, quand il semblait le plus inutile; la famine dévorante, rendant un fils méconnaissable à l'œil même de sa mère; les autres maux, assez horribles pour faire trêve à la faim, jusqu'à ce qu'elle n'eût plus sur eux de prise; les fureurs et les égards de la mer, tantôt les couvrant de son abîme, tantôt les laissant briser de leurs rames fatiguées les vagues qui ne cédaient qu'à tous leurs efforts réunis. – Une fièvre continue, une soif sèche, qui leur faisait saluer, comme un bonheur, les nuages qui glaçaient leurs os nus, savourer avec délices la froide humidité des nuits orageuses, et presser avidement la toile tendue sur leur tête, pour recueillir quelques gouttes de pluie. Il leur fallut fuir mainte horde sauvage, pour redemander un asile plus sûr encore aux flots impitoyables. Et pourtant, il fut accordé à ces spectres animés de raconter leurs dangers passés, et des angoisses telles que jamais les annales de l'humide abîme n'en avaient retracées, pour arracher de la terreur aux hommes, aux femmes des larmes.

10. Laissons-les à leur destin, il ne sera ignoré ni impuni. La justice aura son jour; la discipline violée prendra leur défense, et la marine insultée proclamera le cri des lois. Nous allons suivre les pas du rebelle, qu'une vengeance éloignée ne saurait épouvanter. Arrière! arrière! sur les vagues! ses yeux reverront la baie désirée; et les rivages heureux où les lois ne sont pas connues recevront les matelots mis hors la loi de leur pays. – La nature, et cette déesse de la nature-la femme-les rappelle vers une terre où rien, sauf leur conscience, ne songera à les accuser; où tout le monde jouit sans querelle des biens de la terre; où le pain lui-même est cueilli comme un fruit 37; où nul ne séquestre pour lui seul les champs, les forêts, les rivières: – âge sans or, où ce métal ne trouble pas les songes, et n'a pas, ou n'avait pas alors, envahi ces rivages. Depuis, l'Europe y porta ses vastes connaissances, ses coutumes, ses mœurs, mais au prix d'une multitude de vices qu'elle enseigna aux fils de ces contrées. Mais loin de nous ces images! Voyons les insulaires tels qu'ils étaient; bons par les leçons de la nature, vicieux sous ses inspirations. Huzza! Otaïti! tel fut le cri lancé d'un commun accord par le rapide vaisseau. La brise s'élève; la voile, naguère détendue, et maintenant gonflée, précède joyeusement le souffle des vents. En plus rapides rubans se pressent les ondes autour du vaisseau; la vague jaillit plus haute sous les coups de la proue. Ainsi l'Argo soulevait-il la virginale écume de l'Euxin; mais ceux qu'il portait jetaient vers leurs foyers un regard de regret: – ceux-là renoncent pour jamais à la leur, et leur barque rebelle s'en éloigne aussi rapidement que le corbeau en s'envolant de l'arche sainte. Et pourtant leur projet est d'aller partager de nouveau le nid de la colombe, et de courber sous le joug de l'amour leur front indomptable.

Chant Deuxième

1. Combien doux étaient les chants de Toobonai, alors que le soleil d'été descendait sur la baie de corail 38! Viens, disaient les jeunes filles; avançons vers le plus frais ombrage de l'îlette: nous y écouterons le ramage des oiseaux! la colombe des bois enverra, du milieu des arbres, son roucoulement, semblable à la voix des dieux partie de Bolotoo; nous cueillerons les fleurs qui naissent sur la couche des morts: les plus fraîches s'élèvent où repose la tête des guerriers. Nous nous assiérons en face du crépuscule; nous verrons les suaves rayons de la lune glisser au travers des branches du tooa, et le bruissement léger de leurs soupirs charmera nos oreilles, quand nous nous reposerons sous leur abri. Ou bien gravissons le précipice: nous contemplerons les flots venant combattre le gigantesque rocher, qui bientôt les repousse dédaigneusement en écumantes colonnes. Qu'elles sont belles! et qu'ils sont heureux ceux qui, libres des travaux et du tumulte de l'existence, se contentent de regarder du rivage l'espace que l'Océan remplit tout entier! L'Océan lui-même se complaît dans l'azur de sa surface; et souvent il vient, à la clarté de la lune, peigner en cet endroit sa flottante chevelure.

2. Oui, – nous cueillerons les fleurs du sépulcre; nous rivaliserons de plaisir avec les esprits des bocages promis; puis nous plongerons, et nous jouirons au sein des vagues; puis nous déposerons nos membres sur le tendre gazon; bientôt, humides encore de nos premiers jeux, nous oindrons nos corps de l'huile embaumée; nous laisserons les fleurs cueillies sur les tombes, et nous nous parerons des guirlandes empreintes du souvenir des braves. Mais voici la nuit; le Mooa dissipe nos projets: déjà, près de nous, retentit le bruissement des mâts. Et pourtant le flambeau, signal de la danse, répand ses étincelles cadencées sur le gazon de Marli. Nous aussi, courons-y; là, nous nous rappellerons l'heureux souvenir de maintes fêtes, avant que Fiji n'eût soufflé dans la trompe guerrière, avant que les ennemis ne parussent dans leurs canots à la portée de nos rivages. Hélas! par eux se flétrit la fleur du genre humain; hélas! par eux les ronces se dressent à l'envi dans nos champs; et par eux est oublié le ravissement que nous éprouvions à errer à la lueur de la lune, avec l'amour pour unique compagnon de nos pas. Résignons-nous: – ils nous ont appris à manier une massue, à inonder nos champs d'une pluie de flèches. Qu'ils recueillent la moisson qu'ils nous ont forcé de semer. Mais cette nuit doit être toute entière aux fêtes; demain il nous faudra partir. Frappez la danse! emplissez la large coupe! – demain nous pouvons mourir. Enveloppons nos membres dans des vêtemens d'été; autour de nos reins déployons le blanc de Tappa; que des guirlandes fraîches comme le printems même forment notre couronne, et qu'autour de nos épaules brillent les grains de l'hooni: ses vives couleurs contrasteront avec la teinte de feu des poitrines qui battent sous elles.

3. Mais la danse a cessé. – Ah! restez encore! arrêtez! ne déposez pas le sourire de fête. C'est demain que nous partons pour le Mooa; demain, non pas cette nuit: – la nuit appartient encore à la tendresse. Jeunes enchanteresses de la joyeuse Licoo, rendez-nous les guirlandes que nous préférons au sein du plaisir! Que vos formes sont charmantes! comme chacun de nos sens excité, ravi et doublé, rend hommage à votre beauté! Ainsi les fleurs qui parsèment le rocher de Mataloco, portent leurs parfums jusqu'aux bornes de l'humide horizon. Nous aussi, nous nous rendrons à Licoo; mais, ô mon cœur, que dis-je? nous irons? – et demain il nous faut partir!

4. Tels étaient les chants-harmonie des jours que l'approche des flottes européennes n'avait pas encore infectés. Sans doute, ces insulaires avaient leurs vices-ceux que la nature tolère-et résultats de la barbarie. – Nous avons les uns et les autres: ceux qui naissent de l'excès de la civilisation, ceux qui, chez les peuples sauvages, inspirent le plus d'horreur. Qui n'a pas vu le règne de l'hypocrisie, – les prières d'Abel réunies aux forfaits de Caïn, qui ne les a pas vus, dis-je, peut, de son balcon, voir la preuve que notre vieux monde est mille fois plus perverti que le nouveau; – mais il n'est plus de nouveau monde, si ce n'est aux lieux où Colombie vient de voir naître deux gigantesques enfans de la liberté; où le Chimboraço peut à son gré promener son regard de Titan sur les flots, les airs et la terre, sans y rencontrer un esclave!

5. Telle était l'épopée des jours de tradition; les chants auxquels se rattachait la gloire des morts, quand la gloire n'avait d'autre expression que celle d'une mélodie presque divine. Ces chants ne satisfont pas l'œil glacé du sceptique, mais ils livrent à la puissance de l'harmonie une histoire entière. C'est un Achille enfant, qui, la lyre du Centaure en main, apprend à surpasser la vertu des tems passés. Le simple couplet d'une vieille et chère ballade, répété par les roches, se confondant avec le vagissement des ondes, parti de la pelouse humectée par un murmurant ruisseau, ou multiplié par les échos prolongés des montagnes, a, sur les cœurs naïfs, plus de pouvoir que toutes les colonnes érigées par les favoris de la victoire. Il garde son éloquence, quand les hiéroglyphes ne sont plus qu'une source de conjectures ou de rêveries pour les sages ou les savans. Primitive et virginale expression du cœur, il nous attendrit, quand les monumens de l'histoire nous fatiguent. Telle était cette chanson barbare, – car le chant est né chez les barbares; – telle en inspirait la solitude des hommes du nord, qui vinrent nous conquérir, et telle en inspirera toujours la contrée que nul ennemi lointain ne sera venu détruire ou civiliser. Quelle impression plus vive et plus puissante produiraient aujourd'hui sur les cœurs les artifices de notre savante musique?

6. Alors ces mélodies, inconnues aujourd'hui, traversaient suavement le gracieux silence des airs, la douce sieste d'une journée d'été, le calme après-midi de Toobonai; alors chaque fleur était épanouie, l'air était un immense parfum, un léger souffle commençait à balancer le palmier, la première impression de la brise encore silencieuse effleurait les ondes comme pour transporter la fraîcheur dans la grotte avide. C'était l'asile de la chanteuse et du jeune étranger qui lui avait appris les douloureux plaisirs de l'amour, plaisirs toujours enivrans, mais surtout pour les cœurs qui ne savent pas encore qu'on puisse les perdre, et qui s'élancent comme des martyrs sur leur bûcher funéraire, tellement ravis dans leur délirant enthousiasme, que rien dans la vie ne leur semblerait comparable aux joies de cette mort: aussi meurent-ils réellement. Qu'est-ce, en effet, pour eux, que les autres promesses de la vie, à côté de l'idée seule de cet entraînement, de cette exaltation de toutes les forces de la nature? Aussi nos rêves d'une meilleure vie sont-ils renfermés dans l'espoir d'aimer éternellement encore.

7. Là était assise l'aimable sauvage du désert, enfant par les années, femme par les formes, quand on se reporte à l'enfance de nos froids climats, où rien n'atteint une prompte maturité, à l'exception du crime. Mais c'était l'enfant d'un monde enfant, et comme la nature, charmante, animée et naïve; noire comme la nuit, mais la nuit avec tous ses astres, ou comme la grotte étincelante de stalactites. Ses yeux étaient un langage et un charme; ses contours, ceux d'Aphrodite sur son char de coquillage, et au milieu d'un riant cortége d'Amours. Voluptueuse comme la première approche du sommeil, et pourtant pleine de vie, – car ses joues, brunies par les feux du tropique, se nuançaient souvent d'une aimable rougeur; le sang des brûlans climats colorait son cou, et traçait un sillon radieux sur la pâleur obscure de ses épaules, comme on voit dans l'onde ténébreuse les rameaux du corail attirer le plongeur vers les grottes qu'ils rougissent. Telle était la fille des mers du Sud. Telle qu'une vague dont la force pouvait soulever la barque fortunée des autres, heureuse de leur bonheur, triste de leurs seules peines; son sein brûlant, énergique, et pourtant fidèle, ne recelait pas de joie égale à celle qu'elle donnait. Ses espérances n'allaient pas au-delà de l'expérience, cette pierre de touche glaciale, dont le contact dépouille ordinairement tous les objets de leurs radieuses couleurs. Elle ne redoutait pas les maux; elle n'en connaissait aucun, ou, si elle en connaissait, ils étaient bientôt-trop tôt-oubliés. Ses souris et ses larmes passaient avec la rapidité du vent ridant la surface des lacs, et troublant, sans le briser, leur délicat miroir. Bientôt la sérénité remontera d'une profondeur non sondée, ou descendra des sources pures de la montagne, jusqu'à ce qu'enfin un tremblement de terre, bouleversant la grotte de la Naïade, en dissipera les ondes, les chassera devant lui dans quelque cavité déserte, devenue le réceptacle d'un marais fétide. La fille des îles partagera-t-elle leur destin? Hélas! le changement éternel agite la vague incertaine de l'humanité; mais ceux qui tombent, comme tomberont les mondes eux-mêmes, renaîtront du moins, s'ils ont bien vécu, en esprits supérieurs à l'univers écrasé.

 

8. Et lui, quel est-il, cet enfant du Nord aux yeux bleus, venu d'îles moins inconnues à l'homme, mais presqu'aussi sauvages? Quel est ce jeune homme aux cheveux blonds, sorti des Hébrides, là où grondent les vagues agitées du Pentland? Balancé dans son berceau par les vents mugissans; né au milieu des orages, avec un corps et une ame créés pour les orages; le premier objet sur lequel s'ouvrirent ses jeunes yeux fut la blanche écume de l'océan, et depuis ce moment l'océan fut sa patrie. Compagnon gigantesque de ses rêveries et de son âpre solitude, ce fut le seul Mentor de sa jeunesse partout où les flots portèrent sa barque. Quant à lui, jouet des vagues et des vents, c'était un être insouciant qui s'abandonnait au hasard. Nourri des légendes merveilleuses de son pays natal, se livrant avec ardeur à l'espérance, mais ferme dans les revers, le désespoir était la seule des sensations qu'il ne connût pas. Sous le ciel de l'Arabie, il eût été le plus intrépide des enfans errans de ces déserts de sable, ses lèvres immobiles endurant la soif avec autant de patience qu'Ismaël lui-même porté sur le vaisseau du désert 39; sur les rivages du Chili. Cacique orgueilleux; dans les montagnes d'Hellas, Grec rebelle; né sous une tente, peut-être un nouveau Tamerlan; élevé pour le trône, qui sait s'il eût été digne de régner? car l'ame ambitieuse qui, pour s'élever à la domination, a détruit la route qu'elle devait parcourir; créée pour le pouvoir, et n'ayant d'autre proie qu'elle-même, est forcée de rétrograder 40, et de se plonger dans la douleur pour y chercher le plaisir. Dans une condition plus humble, avec une éducation vertueuse, ce même esprit qui fit un Néron, la honte de Rome, aurait pu devenir l'imitateur du héros qui porta si glorieusement son nom 41; mais laissez-lui encore tous ses vices, quel étroit théâtre pour eux si vous ne leur donnez un trône!

9. Tu souris, lecteur. – Pour celui qui voit les choses d'un œil facile à se laisser éblouir, de telles comparaisons semblent prises bien haut à propos du nom obscur d'un être dont le sort n'a rien de commun avec la gloire, Rome, le Chili, Hellas ou l'Arabie. Tu souris? j'y consens: il vaut mieux sourire que de soupirer; cependant il aurait pu être tout ce que j'ai dit. C'était un homme dont l'esprit ambitieux l'entraînait toujours en avant, formé pour devenir un héros patriote ou un chef despotique; pour faire la gloire ou le malheur d'une nation. Il était né sous des auspices qui font l'homme plus grand ou plus abject que l'imagination même n'a osé le rêver. Mais tout ceci n'est que chimères; dites enfin, qu'est-il dans ces lieux? – c'est un frais adolescent, un jeune mutin affranchi par la révolte; c'est le blond Torquil, qui ne connaît pas plus d'entraves que les vagues écumeuses de l'océan, – c'est l'époux de la fiancée de Toobonaï.

10. Les yeux fixés sur les flots, il était assis auprès de Neuah, de Neuah qui, parmi les filles de l'île, est comparable à cette plante qui, sans cesse tournée vers le soleil, en a reçu le nom. Noble, mais d'une noblesse qui fait sourire nos généalogistes qui n'ont pas d'armoiries pour ces contrées inconnues; issue d'une longue race d'hommes libres et vaillans, race de preux ne connaissant pas l'usage des vêtemens, et formant une chevalerie sauvage dont les huttes couvertes de mousse s'élèvent le long des rivages de la mer. J'ai vu la tienne, Achille, et n'ai pas vu autre chose! Mais quand ces étrangers porteurs de la foudre arrivèrent dans leurs vastes canots ceints de traits de flamme, hérissés de grands arbres qui, plus hauts que le palmier, semblaient, pendant le calme, avoir pris racine dans les profondeurs de l'océan, et, lorsque les vents se réveillaient, déployaient des ailes aussi larges que le nuage qui s'étend à l'horizon; et, semblables à des cités de la mer, commandaient aux flots, et enchaînaient presque les vagues turbulentes, la jeune sauvage, dans son léger esquif, agitant mollement sa pagaïe, s'élança sur la surface des ondes, comme les rennes à travers les neiges, glissant doucement sur le bord écumeux des brisans, légère comme une Néréide sur son char marin42, elle contempla, pleine d'étonnement et d'admiration, cette construction gigantesque refoulant chaque vague sous sa pesante masse. L'ancre est jetée, le vaisseau repose au sein de l'océan; et tandis qu'une foule d'embarcations légères forment autour de lui une chaîne mobile, il semble un lion majestueux endormi aux rayons du soleil, et dont un essaim d'abeilles bourdonnantes entourent la flottante crinière.

11. Les hommes blancs débarquèrent. Est-il besoin de dire le reste? le nouveau monde étendit sa main noire à l'ancien. Chacun d'eux était une merveille pour l'autre, et l'attrait de la surprise et de l'admiration fit bientôt place à un sentiment plus bienveillant. Parmi ces enfans du soleil, l'accueil des pères fut affectueux; celui des filles, agitées par de plus douces passions, le fut bien plus encore. Ils s'unirent par de tendres liens. Les enfans des tempêtes s'aperçurent que la beauté peut être jointe à une peau noire, et les filles de l'île admirèrent à leur tour cette teinte plus pâle, qui paraît si blanche aux climats qui ne connaissent pas la neige. La course, la chasse, la liberté d'errer sur ce sol, où chaque cabane était la leur; le plaisir de jeter un filet à la mer, de s'élancer dans ces légers canots qui voguent sur cet archipel, au sein bleuâtre duquel s'élèvent ces îles heureuses; ce sommeil rafraîchissant obtenu par de joyeux travaux; ce palmier qui nous représente la plus majestueuse Dryade des forêts, où l'enfance du jeune Bacchus fut cachée, et dont la cime, ombrageant la vigne renfermée dans son sein, est si élevée que l'aigle bâtit rarement son nid plus haut; le festin composé de caviar et d'ignames; ce cocotier qui porte à la fois la coupe, le lait et le fruit; l'arbre à pain qui, sans le secours de la charrue et du moissonneur, donne l'abondant produit d'un champ cultivé, tandis que ses pains, offrandes de la nature, cuisant sans l'aide d'un feu artificiel, dans des forêts qui ne sont encore ni achetées ni vendues, chassent la famine de leur sein fertile, et offrent une denrée sans prix à l'homme qui la recueille. Tous ces trésors, et les douces voluptés des eaux et des bois, les joies folâtres de ces solitudes peuplées, adoucirent les mœurs de ces farouches aventuriers, et les disposant à sympathiser avec un peuple moins éclairé, mais plus heureux, firent plus que l'éducation européenne n'avait pu faire en civilisant les enfans de la civilisation!

12. Parmi eux, on remarquait plus d'un couple amoureux, et entre ceux-ci, Neuah et Torquil n'étaient pas le moins aimable. Tous deux enfans des îles, quoique d'îles bien éloignées l'une de l'autre; tous deux nés sous cette étoile qui préside à la mer, ils avaient été nourris tous deux au milieu de ces beautés primitives de la nature qu'on chérit jusqu'au tombeau lorsqu'elles ont attiré nos premiers regards, et excité notre intérêt dans l'enfance. Celui dont les monts bleuâtres de l'Écosse frappèrent d'abord les yeux, aimera chaque cime qui lui offrira une teinte semblable; il saluera dans chaque rocher la figure bien connue d'un ami; et à l'aspect d'une montagne, ses bras s'ouvriront comme pour l'étreindre contre son cœur. Long-tems j'ai erré dans des pays qui ne sont pas le mien, adorant les Alpes, chérissant les Apennins, prosterné devant le Parnasse et devant la cime escarpée du mont Ida, berceau de Jupiter, et de l'Olympe dominant majestueusement la mer. Mais ce n'était pas seulement les souvenirs de l'antiquité ni cette belle nature qui me jetaient dans des ravissemens extatiques: – les émotions de l'enfance lui avaient survécu dans le jeune homme; et sur le mont Ida, cherchant des yeux Troie et Loch na Gar, ma mémoire attachait des souvenirs celtiques aux monts Phrygiens, et confondait les cascades d'Écosse avec la fontaine limpide de Castalie. Pardonne, ombre universelle d'Homère! pardonne, ô Phébus! aux écarts de mon imagination: – ce fut dans le nord que je puisai le premier sentiment des beautés de la nature, et que j'appris à adorer vos scènes sublimes 43.

36Espèce de coquillage.
37L'arbre à pain, si fameux, et que l'expédition du capitaine Bligh avait pour but de transplanter.
38Les trois premiers couplets sont empruntés à une chanson favorite des insulaires de Tonga, traduite en prose dans la Relation des îles Tonga, par Mariner. Toobonai n'est cependant pas l'une de ces îles; mais elle fut l'une de celles où se réfugièrent les mutins. J'ai altéré et ajouté; cependant j'ai conservé de l'original tout ce que j'ai pu.(Note de Lord Byron.)
39Le vaisseau du désert est une figure orientale, en parlant d'un chameau ou d'un dromadaire: et ils méritent bien cette métaphore; le premier par sa patience, le second par sa légèreté à la course.
40Lucullus, ayant trouvé des charmes dans la frugalité, prodigua les navets dans sa ferme sabine.(POPE.)
41Le consul Néron qui fit cette marche incomparable dont Annibal fut la dupe, et qui défit Asdrubal, accomplissant ainsi un fait d'armes presque sans exemple dans les annales militaires. La première nouvelle qu'Annibal eut de son retour fut par la tête d'Asdrubal jetée dans son camp. Annibal, en la voyant, s'écria, avec un soupir, que Rome allait maintenant devenir la maîtresse du monde. Et cependant, c'est peut-être grâce à cette victoire du consul Néron que l'empereur du même nom régna par la suite; mais l'infamie de l'un a surpassé la gloire de l'autre. Quand on entend prononcer le nom de Néron, qui songe au consul? telles sont les choses humaines!
42Il y a dans le texte: sur son traîneau marin.
43Étant très-enfant (j'avais a peu près huit ans), ayant été attaqué de la fièvre scarlatine, à Aberdeen, je fus transporté dans les montagnes par le conseil des médecins. Là, il m'arriva quelquefois de passer l'été, et c'est de ce moment que je date mon penchant pour les pays montagneux. Je n'oublierai jamais l'effet que produisit sur moi, quelques années après, en Angleterre, le spectacle d'un objet que je n'avais pas vu depuis long-tems, même en miniature, d'une montagne de la chaîne des Malvernes. À mon retour à Cheltenham, je la contemplais tous les soirs, au coucher du soleil, avec une émotion que je ne puis décrire. Ceci était bien d'un enfant; mais je n'avais que treize ans, et c'était pendant les vacances.