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Œuvres complètes de lord Byron, Tome 11

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Note 35: (retour) «Avalanches, dont un souffle peut attirer la masse destructive, venez et m'écrasez! J'entends à chaque instant, au-dessus, au-dessous de moi, le craquement produit par votre chute fréquente.

»Le brouillard bouillonne autour des glaciers; des nuages s'élèvent en ondoyant au-dessous de moi: leur couleur blanche et sulfureuse ressemble à l'écume de l'Océan infernal déchaîné contre nous!» (MANFRED.)

»Nous effleurons légèrement les brisans escarpés de cette mer de glace, montagne transparente ressemblant à l'Océan soulevé par une tempête furieuse soudainement glacée.» (Idem.)

Note 36: (retour) «Comme ces pins frappés de mort, dépouillés de leur écorce et de leurs branches, débris d'un seul hiver.» (Idem.)

24 septembre.

«Levés à cinq heures, partis à sept. Nous avons traversé le glacier noir, avec le mont Wetterhorn à notre droite. Après avoir passé la montagne de Scheideck, nous sommes arrivés au glacier du mont Rose, qui passe pour le plus grand et le plus beau de la Suisse. Dans mon opinion, le glacier de Bossons à Chamouny est aussi beau: Hobhouse ne pense pas de même. À la chute de Reichenbach, qui a deux cents pieds de haut, nous nous sommes arrêtés pour faire reposer nos chevaux. Arrivés dans la vallée d'Oberland, la pluie est survenue, et nous a un peu trempés; cependant, en huit jours, nous n'avons eu que quatre heures de pluie. Nous avons atteint ensuite le lac de Brientz et la ville de Brientz, où nous avons changé de vêtemens. Dans la soirée, quatre paysannes suisses de l'Oberland sont venues nous chanter des airs de leur pays; deux d'entre elles avaient de belles voix: les airs aussi avaient quelque chose de si original, de si sauvage et en même tems de si doux! Les chants sont finis, mais j'entends en bas les sons d'un violon, qui ne présagent rien de bon pour ma nuit: je vais descendre voir la danse.»

25 septembre.

«Il paraît que toute la ville de Brientz s'était rassemblée ici-dessous. La walse et la musique étaient délicieuses; il n'y avait que des paysans, mais ils dansent beaucoup mieux qu'en Angleterre: les Anglais ne savent pas walser et ne le sauront jamais. Il y avait un homme qui tenait sa pipe à la bouche, ce qui ne l'empêchait pas de danser aussi bien que les autres: – il y en avait qui dansaient par deux, d'autres par quatre, mais tous très-bien. Je me suis couché, quoique la fête ait continué là-bas tard et matin. Brientz n'est qu'un village. – Je me suis levé de bonne heure, et me suis embarqué sur le lac. Nous étions dans une longue barque avec des femmes pour ramer: lorsque nous avons atteint le rivage, une autre femme a sauté dedans. Il paraît que c'est ici l'usage que les barques soient dirigées par les femmes; car, de trois femmes et de cinq hommes que nous avions dans la nôtre, toutes les femmes prirent la rame, et il n'y eut qu'un seul homme qui en fit autant.

»Nous sommes arrivés à Interlachen en trois heures; il y a un joli lac, pas si grand que celui de Thoun. Nous avons dîné à Interlachen; une jeune fille m'a donné des fleurs, en m'adressant des paroles que je n'ai pas comprises, parce qu'elle parlait allemand: – je ne sais pas si ce qu'elle m'a dit était joli, mais je l'espère, car la fille l'était. Nous nous sommes embarqués de nouveau sur le lac de Thoun; j'ai dormi pendant une partie du chemin: nous avions fait faire le tour à nos chevaux. Nous avons trouvé des gens sur le bord, qui faisaient sauter un rocher avec de la poudre. L'explosion eut lieu tout près de notre barque, ne nous ayant avertis qu'une minute auparavant: – c'était pure sottise de leur part; mais un peu plus tôt, ils auraient pu nous faire tous sauter. J'ai été à Thoun dans la soirée. Le tems a été passable tout le jour; mais comme la partie la plus sauvage de notre excursion est achevée, cela nous est à peu près égal: dans tous les endroits où cela nous importait le plus, nous avons eu un grand bonheur, quant à la chaleur et à la sérénité de l'atmosphère.»

26 septembre.

«Étant sorti des montagnes, mon journal doit être aussi plat que ma route. De Thoun à Berne; le chemin est beau; des haies, des villages, de l'industrie, et tous les signes possibles de notre insipide civilisation. De Berne à Fribourg; canton différent et catholique. Nous avons traversé un champ de bataille où les Suisses ont battu les Français dans une des dernières guerres contre la république française. J'ai acheté un chien. – La plus grande partie de ce voyage s'est faite à cheval, à pied ou à dos de mulet.»

28 septembre.

«J'ai vu l'arbre planté en l'honneur de la bataille de Morat, il y a trois cent-quarante ans: il commence à se sentir des ravages du tems. J'ai quitté Fribourg après avoir vu la cathédrale qui a une haute tour. Nous avons atteint les fourgons de bagage des religieuses de la Trappe, qui se transportent en Normandie; puis ensuite une voiture pleine de religieuses. Nous avons suivi les bords du lac de Neufchâtel, qui sont agréables et gracieux, mais pas assez montagneux, du moins le Jura ne paraît presque rien après avoir vu les Alpes bernoises. Nous sommes arrivés à Yverdun à la nuit; il y a une longue file de gros arbres sur le bord du lac, d'un très-beau sombre. L'auberge était presque pleine: – il y avait une princesse allemande; – nous avons trouvé des chambres.»

29 septembre.

«J'ai traversé un pays beau et florissant, mais pas montagneux. Le soir, nous sommes arrivés à Aubonne, dont l'entrée et le pont ressemblent un peu à Durham, et qui domine, sans contredit, la plus belle vue qu'on puisse avoir du lac de Genève. C'était à la clarté du crépuscule; nous avons vu la lune se réfléchir dans le lac, et un bois sur la hauteur offrant de grands arbres très-majestueux. Ici Tavernier, le voyageur oriental, acheta ou fit bâtir le château, parce que le site lui parut ressembler et être comparable à celui d'Érivan, ville frontière de la Perse. Ce fut ici qu'il termina ses voyages, et moi cette petite excursion; car je ne suis qu'à quelques heures de Diodati, et je n'ai plus grand'chose à voir, et encore moins à dire.»

Ce journal est terminé par le passage suivant qui est plein de mélancolie. «J'ai été fort heureux, quant au tems, dans ce petit voyage de treize jours; heureux aussi en compagnon, ayant avec moi M. Hobhouse; heureux dans tous nos projets, et exempts même de ces petits accidens et de ces retards qui rendent souvent les voyages désagréables dans des pays moins sauvages. Je suis un amant de la nature et un admirateur de la beauté; je puis supporter la fatigue et rire des privations, et j'ai vu quelques-uns des sites les plus majestueux du monde. Mais au milieu de tout ceci, des souvenirs amers, et surtout celui plus récent encore de chagrins domestiques, qui doit m'accompagner jusqu'à la tombe, m'ont poursuivi jusqu'ici; et ni la musique du berger, ni le craquement de l'avalanche, ni le torrent, ni la montagne, le glacier, la forêt ou le nuage n'ont pu un moment soulever le poids qui accable mon cœur, et parvenir à me faire oublier mon misérable individu, au milieu de la majesté, de la puissance et de la gloire de cette nature qui m'entourait de toutes parts.»..........

À son arrivée à Genève, Lord Byron avait trouvé, parmi les habitans de Sécheron, M. et Mme Shelley, qui, depuis quinze jours environ, étaient venus demeurer dans cet hôtel, avec une de leurs parentes. C'était la première fois que Lord Byron et M. Shelley se voyaient, quoique long-tems auparavant, et lorsque ce dernier était un tout jeune homme (ayant quatre ou cinq ans de moins que lui), il eût envoyé au noble poète un exemplaire de sa Reine Mab, accompagné d'une lettre dans laquelle, après avoir rapporté, dans toute leur étendue, les accusations qu'il avait entendu porter contre lui, il ajoutait que, si ces accusations étaient dénuées de vérité, il se trouverait heureux et honoré de faire sa connaissance. Il paraît que le livre seul arriva à sa destination, – la lettre ayant été égarée, – et l'on sait que Lord Byron avait exprimé la plus haute admiration pour les vers qui ouvrent le poème.

Il n'y avait donc de part et d'autre aucun éloignement à faire connaissance, lorsqu'ils se rencontrèrent à Genève de cette manière: aussi se lièrent-ils presqu'aussitôt intimement. Entre les goûts qui leur étaient communs, celui de la promenade en bateau n'était pas le moins vif, et dans cette belle contrée tout les invitait à s'y livrer. Chaque soir, tant qu'ils habitèrent le même hôtel à Sécheron, ils s'embarquaient sur le lac, accompagnés des dames et de Polidori, et c'est aux sensations et aux idées qui lui furent inspirées dans ces excursions, qui se prolongeaient souvent pendant les heures du clair de lune, que nous devons quelques-unes de ces stances charmantes, dans lesquelles le poète s'est livré avec tant d'ardeur au sentiment passionné qu'il avait pour les beautés de la nature.

Ici s'exhale du rivage le parfum vivifiant des jeunes fleurs brillantes de la fraîcheur de l'enfance; de la rame suspendue tombent une à une de légères gouttes d'eau dont le bruit vient caresser l'oreille..... ...............................

Par intervalle quelqu'oiseau fait entendre du buisson un cri soudain, puis se tait. On dirait qu'il y a sur la montagne un murmure qui se répand dans les airs; mais c'est un effet d'imagination, car c'est en silence que la rosée du soir épanche ses larmes avec amour, et se dissout elle-même en pleurs.

Une personne qui a été de ces parties, m'a décrit ainsi une de leurs soirées. «Quand la bise ou le vent du nord-est souffle, les eaux du lac sont chassées vers la ville, et, réunies au Rhône, qui suit avec impétuosité le même cours, elles forment un courant très-rapide dans le port. Un soir, nous nous étions abandonnés sans réflexion à son cours; lorsque nous nous trouvâmes presque jetés sur les pilotis, et il fallut toute la force de nos rameurs pour se rendre maître des flots. Les vagues, grosses et agitées, étaient capables d'inspirer. – Nous étions tous animés par notre lutte avec les élémens. Je vais vous chanter une chanson albanienne, s'écria Lord Byron; ainsi disposez-vous à être sentimental, et donnez-moi toute votre attention. Il nous fit entendre une espèce de hurlement bizarre et sauvage, mais qui, disait-il, était une parfaite imitation du genre albanien, et se mit à rire en même tems de notre désappointement, car nous nous étions attendus à quelque mélodie orientale bien mélancolique.»

 

Quelquefois la société, débarquait sur le rivage pour se promener et dans ces occasions, Lord Byron restait en arrière des autres, traînant nonchalamment sa canne après lui, et tout en marchant, donnant une forme et une construction à la foule de ses pensées. Souvent aussi, étant dans le bateau, il s'appuyait sur un des côtés, d'un air distrait, et se livrait en silence à cette même occupation qui absorbait toute son attention.

La conversation de M. Shelley, tant par l'étendue de ses lectures poétiques que par les méditations bizarres et mystiques auxquelles son système de philosophie l'avait conduit, était d'un genre à intéresser vivement l'attention de Lord Byron, et à le détourner des idées et des objets qui le mettaient en rapport avec la société, pour le jeter dans une route moins battue, et des pensées plus abstraites. – S'il est vrai que le contraste soit un accessoire piquant dans des liaisons de ce genre, il eût été difficile de trouver deux êtres plus faits pour aiguiser leurs facultés par la discussion, car il était peu de points d'intérêt commun sur lesquels ils fussent du même avis, et pour être convaincu que cette différence provenait de la conformation respective de leur esprit, il ne faut que jeter les yeux sur le riche et brillant labyrinthe dans lequel nous égarent les vers de M. Shelley.

Dans Lord Byron, l'idéal ne faisait jamais oublier la réalité. Quoique l'Imagination eût mis à sa disposition son vaste domaine, il n'était pas moins homme de ce monde, que souverain privilégié du sien. C'est pourquoi les créations les plus subtiles et les plus fantastiques de son esprit sont toujours animées par un air de vérité et de vie. Il en était bien autrement de Shelley: son imagination (et il en avait assez pour tout une génération de poètes) était le prisme à travers lequel il contemplait tous les objets, les faits ainsi que les théories, et non-seulement la plus grande partie de ses vers, mais même les méditations politiques et philosophiques auxquelles il se livrait, toutes passées à ce même creuset, à force de raffinement, ne présentaient plus rien de réel. S'étant annoncé comme docteur et réformateur du monde à un âge où il ne pouvait connaître de ce monde que ce qu'il en avait imaginé, les persécutions qu'il essuya dès le début de cette entreprise de jeune homme ne firent que le confirmer davantage dans les vues paradoxales qu'il avait conçues des misères humaines et des moyens d'y remédier, et au lieu d'attendre des leçons de l'expérience, et de ceux qui peuvent former autorité, avec un courage admirable, si le but en eût été sage, il se mit à faire la guerre à l'une et aux autres. Il résulta de ce début dans le monde, marqué par une opiniâtreté malheureuse, que ses opinions et ses facultés reçurent une impulsion directement contraire à leur pente naturelle, et sa vie fut trop courte pour qu'il eût le tems d'y revenir. Avec une ame naturellement animée d'une piété ardente, il refusa toujours de reconnaître une providence suprême, et substitua à sa place un système idéal et abstrait d'amour universel. Appartenant à l'aristocratie par sa naissance, et aussi, comme je l'ai entendu dire, par sa tournure et ses manières, il était cependant en politique partisan de l'égalité, et porta ses idées d'utopie, jusqu'au point de devenir sérieusement l'avocat de la communauté des biens. Avec cette délicatesse de sentimens, poussée jusqu'au romanesque, qui répand tant de grâces sur ses moindres poèmes, il pouvait envisager entre les sexes un changement de relations qui aurait tendu à des résultats aussi grossiers que ses argumens étaient subtils et raffinés; et quoique généreux et bienfaisant à un degré qui semblait exclure toute idée d'égoïsme, il ne se faisait pas scrupule, dans l'orgueil de son système, d'inquiéter gratuitement la foi de ses semblables, et, sans lui présenter un bien équivalent, de ravir au malheureux une espérance, qui, fût-elle fausse, vaudrait encore mieux que les plus utiles vérités de ce monde.

Ce qui prouvait, de la manière la plus remarquable, les penchans opposés de ces deux amis, dont l'un avait depuis long-tems des opinions arrêtées et positives, et dont l'autre était toujours porté vers les innovations et les idées visionnaires, c'était la différence de leurs idées en fait de philosophie. Lord Byron croyait, avec la généralité du genre humain, à l'existence du bien et du mal, tandis que Shelley avait raffiné sur la théorie de Berkeley, non-seulement au point de résoudre toute la création en esprit, mais jusqu'à ajouter à ce système métaphysique une espèce de principe régulateur de puissance imaginaire, d'amour et de beauté, que très-certainement l'évêque philosophe n'avait jamais songé à substituer à la divinité. C'était généralement sur ces sujets et sur la poésie, que roulait leur conversation, et comme on doit le supposer d'après la facilité de Lord Byron à recevoir de nouvelles impressions, les opinions de son ami n'étaient pas sans quelqu'influence sur son esprit. On trouve çà et là, au milieu des morceaux les plus énergiques, et des plus belles descriptions qui abondent dans le troisième chant de Childe Harold, des traces de cette mysticité d'expression, de cette sublimité d'idées qui se perd dans tout ce qu'elle a de vague, et qui forment le caractère bien prononcé des écrits de l'homme extraordinaire qui était devenu son ami. Dans une des notes de Lord Byron, nous trouvons cette allusion rapide au système favori de Shelley, sur la divinité universelle de l'amour: – «Mais ce n'est pas tout, les sensations qui vous sont inspirées par l'air qu'on respire à Clarens et aux rochers de Meillerie, sont d'un ordre plus noble et plus étendu que le simple intérêt qu'on peut prendre à une passion individuelle. C'est un sentiment de l'existence de l'amour dans tout ce que sa capacité a de plus vaste et de plus sublime, et de notre participation personnelle à ses bienfaits et à sa gloire: c'est le grand principe de l'univers, plus condensé dans ces lieux, mais non moins manifeste, et en présence duquel, bien que nous sachions en faire partie, nous oublions notre individualité, pour admirer la beauté de l'ensemble.»

Une autre preuve de la facilité avec laquelle il adopta les goûts et les prédilections de son nouvel ami, nous frappe encore dans la couleur assez prononcée d'un si grand nombre de ses plus belles strophes, et qui rappelle, d'une manières si évidente, la manière et le genre des pensées de M. Wordsworth. Étant naturellement, par sa passion pour l'abstrait et l'idéalisme, l'admirateur du poète des lacs, M. Shelley ne laissa échapper aucune occasion de faire remarquer à Lord Byron les beautés de son auteur favori, et il n'est pas étonnant qu'après s'être une fois laissé persuader de le lire, l'esprit du noble poète, en dépit de quelques préjugés politiques et personnels, qui survécurent malheureusement à ce court accès d'admiration, ait non-seulement subi l'influence, mais même, en quelque sorte, reflété les couleurs d'un des poètes les plus originaux et les plus inspirés que ce siècle (si fertile en rimeurs quales ego et Cluvienus) ait eu la gloire de produire.

Quand Polidori était de leur société, ce qui arrivait généralement (à moins que d'autres plaisirs ne l'attirassent ailleurs), les sujets métaphysiques, sur lesquels roulait ordinairement leur conversation, étaient presque toujours mis de côté pour faire place aux saillies originales de ce jeune homme bizarre, qui, par sa vanité, servait constamment de but aux railleries et aux sarcasmes de Lord Byron. Fils d'un gentilhomme italien des plus respectables, et qui, à ce que j'ai entendu dire, avait été dans sa jeunesse secrétaire d'Alfieri, Polidori paraît avoir été doué de talens et de dispositions qui, s'il eût vécu, auraient pu faire de lui un membre utile de sa profession et de la société. À l'époque dont nous parlons, cependant, il semblerait que son ambition des distinctions surpassait de beaucoup ses facultés et ses moyens d'y atteindre. C'est pourquoi son esprit, flottant entre un sentiment d'ardeur et d'insuffisance, était constamment possédé d'une fièvre de vanité, et il paraît avoir alternativement amusé et irrité son noble protecteur auquel il ne laissait souvent d'autre ressource, pour éviter de se livrer à la colère, que de se mettre à rire. Entr'autres prétentions, il s'était mis dans la tête de briller comme auteur, et un jour il arriva chez M. Shelley, avec un manuscrit de sa composition, et insista absolument pour qu'ils en subissent la lecture. Pour alléger un peu le poids de cette tribulation, Lord Byron se chargea de l'office de lecteur, et d'après ce que j'ai entendu dire, il dut être difficile de conserver son sérieux pendant cette scène. En dépit de l'œil jaloux que l'auteur tenait fixé sur tous les visages, il fut impossible au lecteur de retenir le sourire qui, malgré lui, se peignait sur ses traits, et il n'eut d'autre ressource, pour s'empêcher d'éclater de rire, que de louer de tems en tems, avec chaleur, la sublimité des vers, et surtout ceux qui commençaient ainsi: C'est ainsi que l'idiot goitreux des Alpes, ayant soin d'ajouter au bout de chaque éloge: «Je vous assure que, lorsque je faisais partie du comité de Drury-Lane, on nous a présenté de bien plus mauvaises choses.»

Après avoir passé une quinzaine sous le même toit que Lord Byron, à Sécheron, M. et Mme Shelley se transportèrent dans une petite maison sur le côté du Mont-Blanc qui borde le lac, et à environ dix minutes de marche de la villa, appelée Bellerive, que leur noble ami avait louée sur les bords élevés du lac, et qui était située directement derrière eux. Pendant les quinze jours que Lord Byron passa à Sécheron, après leur départ, quoique le tems eût changé et fût devenu sombre et orageux, il traversait tous les soirs le lac avec Polidori, pour aller les voir, et «pendant le retour (ajoute encore la personne de qui je tiens ces détails), lorsqu'il voguait encore sur les eaux du lac couvertes de ténèbres, le vent nous apportait de bien loin les accens de sa voix chantant un chant de liberté Tyrolien, que j'entendis alors pour la première fois, et qui, pour moi, est lié d'une manière inséparable avec son souvenir.»

Cependant Polidori était devenu jaloux de l'intimité croissante qui existait entre son patron et M. Shelley, et sa mortification fut complète quand il apprit qu'il avait projeté de faire tous deux sans lui le tour du lac. Dans l'irritation qu'il en éprouva, il se permit quelques reproches peu mesurés, que Lord Byron ressentit avec indignation, et chacun ayant dépassé les bornes ordinaires de la politesse, le renvoi de Polidori dut lui paraître à lui-même une chose inévitable. Avec cette perspective devant les yeux, qu'il considérait absolument comme sa ruine, le malheureux jeune homme fut, à ce qu'il paraît, sur le point de commettre l'action fatale qu'il accomplit effectivement deux ou trois ans plus tard. S'étant retiré dans sa chambre, il avait déjà sorti le poison de sa pharmacopée, et réfléchissait s'il n'écrirait pas une lettre avant de l'avaler, lorsque Lord Byron, quoique sans le moindre soupçon de ce dessein, frappa à sa porte, entra et lui présenta la main en signe de réconciliation. Le pauvre Polidori ne put supporter cette révolution soudaine; il fondit en larmes, et il a déclaré depuis, que rien ne peut surpasser la bonté et la douceur que Lord Byron employa pour calmer son esprit, et lui rendre sa tranquillité.

Peu de tems après, le noble poète alla habiter Diodati. En arrivant à Genève, dans l'intention bienveillante de produire Polidori dans le monde, il avait été dans quelques sociétés génevoises, mais cette tâche remplie, il s'en éloigna tout-à-fait, et ce ne fut même, comme nous l'avons vu, qu'à la fin de l'été qu'il alla à Coppet. Ses moyens pécuniaires étaient à cette époque très-bornés, et quoique son genre de vie ne fût nullement parcimonieux, cependant toute dépense inutile était évitée dans sa maison. Le jeune médecin, dès le principe, lui avait occasionné de grands frais, ayant l'habitude de louer une voiture, à un louis par jour, pour aller en soirée, car Lord Byron alors n'entretenait pas de chevaux, et il se passa quelque tems avant que son patron eût le courage de lui faire renoncer à ce luxe.

 

Les libertés que ce jeune homme prenait attirèrent même une fois au poète l'accusation de manquer d'hospitalité et de savoir vivre, accusation qui, comme tant d'autres, vraies ou fausses, tendant à noircir son caractère, fut mise en circulation avec le zèle le plus actif. Sans l'aveu du maître de la maison, Polidori s'était permis d'inviter quelques Génevois à dîner à Diodati (c'était MM. Pictet, je crois, et Bonstetten), et le châtiment que Lord Byron jugea à propos de lui infliger pour cette indiscrétion, fut que le docteur recevrait lui-même ses hôtes, puisqu'il les avait invités. Il ne fut pas difficile de convertir cette action, qui n'était que le résultat de la légèreté du jeune médecin, en une accusation sérieuse de caprice et de grossièreté contre le noble lord lui-même.

Il n'est pas étonnant que ces actes fréquens de légèreté (pour ne pas employer un terme plus dur), aient fini par inspirer à Lord Byron un sentiment d'éloignement pour son compagnon dont il disait un jour, que c'était exactement un de ces hommes auxquels, s'ils tombaient dans l'eau, on jetterait une paille pour essayer s'il y a de la vérité dans l'adage qui dit: «que les gens qui se noient, s'attachent à un brin de paille.»

Quelques autres anecdotes, relatives à ce jeune homme, pendant son séjour chez Lord Byron, serviront à jeter du jour sur le caractère de ce dernier, et ne seront peut-être pas déplacées ici. Un jour que toute la société était en bateau, Polidori, en ramant, frappa par accident, mais avec violence, Lord Byron, à la rotule du genou, et celui-ci sans parler se détourna pour lui cacher la douleur qu'il en ressentait. Un moment après il lui dit: «Ayez la bonté, Polidori, de faire un peu plus d'attention, car vous m'avez fait beaucoup de mal. – J'en suis bien aise, répondit Polidori; je suis bien aise de voir que vous savez supporter la douleur.» Lord Byron lui répondit d'un ton contenu et calme: «Laissez-moi vous donner un conseil, Polidori; une autre fois, quand vous aurez fait mal à quelqu'un, évitez d'en exprimer votre satisfaction. On n'aime pas à entendre dire à quelqu'un qui nous a fait souffrir, qu'il en est bien aise, et on ne peut pas toujours commander à sa colère. J'ai eu de la peine à m'empêcher de vous jeter dans l'eau, et sans la présence de M. et Mme Shelley, j'aurais probablement fait quelqu'acte de violence de ce genre.» Tout ceci fut dit sans humeur, et ce nuage se dissipa bientôt.

Une autre fois, la dame dont nous venons de parler montait la colline qui mène à Diodati. Il venait de tomber une averse. Lord Byron, qui la vit de son balcon, dit à Polidori qui était à côté de lui: «Maintenant, vous qui voulez faire le galant, vous devriez sauter cette petite élévation, et aller offrir votre bras.» Polidori choisit le point le plus facile de la colline et sauta; mais la terre étant mouillée, son pied glissa, et il se donna une entorse. Lord Byron s'empressa d'aider à le transporter dans la maison, et de lui faire mettre le pied dans l'eau froide; et lorsque le docteur fut étendu sur le sopha, s'apercevant qu'il paraissait mal à son aise, il alla lui-même en haut lui chercher un oreiller, quoique monter lui fût une chose pénible à cause de l'infirmité de son pied. «Eh bien! je ne vous aurais pas cru tant de sensibilité,» lui dit Polidori, et cette aimable observation, comme on le pense bien, ne rembrunit pas médiocrement le front du poète.

Lord Byron lui-même rappelait un dialogue qui avait eu lieu entre eux pendant leur voyage sur le Rhin, et qui caractérise d'une manière très-amusante les deux interlocuteurs. «Après tout, lui disait le médecin, que faites-vous donc que je ne puisse faire aussi? – Eh bien, puisque vous m'obligez à vous le dire, lui répondit le poète, je fais trois choses qui vous sont impossibles.» Polidori le défia de les lui nommer. – «Je puis, dit Lord Byron, traverser cette rivière à la nage; je puis éteindre cette chandelle d'un coup de pistolet, à la distance de vingt pas, et enfin j'ai fait un poème dont quatorze mille exemplaires ont été vendus en un jour 37.»

Note 37: (retour) Le Corsaire.

La jalousie du docteur contre Shelley éclatait continuellement, et à l'occasion d'une victoire que ce dernier avait remportée sur lui dans une joute sur l'eau, il se mit dans la tête que son antagoniste l'avait traité avec mépris; et malgré les sentimens bien connus de Shelley contre le duel, il alla jusqu'à lui faire une espèce de défi, dont, comme on l'imagine bien, celui-ci ne fit que rire. Lord Byron cependant, craignant que l'impétueux médecin ne cherchât à se prévaloir encore davantage de cette singularité de son ami, lui dit: «Rappelez-vous que si Shelley a quelques scrupules au sujet du duel, je n'en ai aucun, moi, et qu'en tout tems je serai prêt à le remplacer.»

La vie qu'il menait à Diodati offrait une routine d'habitudes et d'occupations dans laquelle il retombait toujours de lui-même lorsqu'il vivait seul. Il déjeunait tard, après quoi il allait faire une visite à Shelley et une excursion sur le lac; à cinq heures, il dînait 38, et ordinairement seul par préférence; ensuite, si le tems le permettait, il faisait une nouvelle excursion. Lui et Shelley s'étaient réunis pour acheter une barque qui leur avait coûté vingt-cinq louis: c'était un petit bâtiment à voiles, construit pour résister aux ouragans habituels au climat, et le seul du lac qui eût une quille. Quand le tems ne leur permettait pas leur excursion de l'après-dîner, ce qui arriva fréquemment pendant cet été qui fut très-pluvieux, M. et Mme Shelley passaient la soirée à Diodati; et lorsque la pluie leur rendait désagréable de s'en retourner chez eux, ils restaient à coucher. «Souvent, me disait quelqu'un qui n'était pas le moindre ornement de ce petit cercle, nous restions à causer jusqu'au point du jour. La conversation ne languissait jamais faute de sujets, graves ou gais, mais toujours intéressans.»

Note 38: (retour) Son régime était réglé par une abstinence presqu'incroyable. À déjeuner une tranche de pain fort mince avec du thé, et à dîner des légumes et une bouteille ou deux d'eau de Seltz, teinte de vin de Grave; le soir une tasse de thé vert, sans sucre et sans lait, voilà ce qui composait toute sa nourriture. Il apaisait les douleurs de la faim en mâchant secrètement du tabac et fumant des cigares.(Note de Moore.)

Pendant une semaine de pluie, s'étant amusés à lire des contes de revenans allemands, ils finirent par convenir qu'ils écriraient quelque chose dans ce genre-là. «Vous et moi, dit Lord Byron à Mme Shelley, publierons ensemble ce que nous aurons fait.» Ce fut alors qu'il commença son conte du Vampire, et qu'ayant arrangé le tout dans sa tête, il leur fit un soir l'esquisse de cette histoire 39; mais la narration étant en prose, il ne mit pas beaucoup d'ardeur à s'en occuper. Le résultat le plus mémorable de cette convention d'écrire des contes, fut le Frankenstein de Mme Shelley, roman plein d'imagination et d'énergie, et du nombre de ces conceptions originales qui s'emparent tout d'abord et pour jamais de l'esprit du public.

Note 39: (retour) C'est d'après le souvenir de cette esquisse que Polidori fabriqua ensuite son étrange roman du Vampire, qui, dans la supposition que lord Byron en était l'auteur, fut accueilli en France avec tant d'enthousiasme. S'il est vrai, comme le disent quelques écrivains français, que ce fut ce conte extravagant qui attira d'abord l'attention de nos voisins sur le génie de Lord Byron, il y aurait, dans cette circonstance, de quoi affaiblir sensiblement le prix que nous attachons à la célébrité étrangère.(Note de Moore.)

Vers la fin de juin, comme nous l'avons vu dans une des lettres précédentes, Lord Byron, accompagné de son ami Shelley, fit le tour du lac dans son bateau, et visita, avec l'Héloïse devant les yeux, tous les lieux qui entourent Meillerie et Clarens, lieux à jamais consacrés par une passion idéale, et par cette puissance qui n'appartient qu'au génie, de donner la vie à ses rêves, au point de les faire passer pour des réalités. Dans l'ouragan qu'ils essuyèrent à Meillerie, et dont il parle, ils coururent un danger sérieux 40. S'attendant à tout moment à se jeter à la nage pour échapper à la mort, Lord Byron avait déjà ôté son habit; et comme Shelley ne savait pas nager, il persistait à vouloir le sauver par un moyen quelconque. Shelley cependant se refusait positivement à cette offre, il s'assit tranquillement sur un coffre dont il saisit les anneaux de chaque bout, et les tenant fortement serrés, déclara sa résolution d'aller au fond dans cette position sans faire un effort pour échapper 41.