Kostenlos

Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours. Tome IV

Text
0
Kritiken
iOSAndroidWindows Phone
Wohin soll der Link zur App geschickt werden?
Schließen Sie dieses Fenster erst, wenn Sie den Code auf Ihrem Mobilgerät eingegeben haben
Erneut versuchenLink gesendet

Auf Wunsch des Urheberrechtsinhabers steht dieses Buch nicht als Datei zum Download zur Verfügung.

Sie können es jedoch in unseren mobilen Anwendungen (auch ohne Verbindung zum Internet) und online auf der LitRes-Website lesen.

Als gelesen kennzeichnen
Schriftart:Kleiner AaGrößer Aa

L'élection ne changea point le caractère de la chambre. Dans aucun pays du monde le suffrage populaire n'est plus indépendant ni plus pur qu'en Canada, où la presque totalité des électeurs est propriétaire et indépendante du pouvoir. Les membres qui avaient montré de l'indécision ou de la faiblesse furent remplacés par des hommes plus assurés et plus fermes. Les représentans retournèrent à la législature avec les mêmes idées et les mêmes convictions plutôt raffermies qu'ébranlées et avec la résolution de ne point les abandonner.

Cependant l'Angleterre crut devoir réparer un peu le mauvais effet de la vivacité de son agent; elle lui envoya des instructions touchant l'éligibilité des juges, et lui ordonna de sanctionner toute loi passée par les deux chambres ayant pour but de les priver d'un droit disputé depuis si longtemps.

L'ordre de la métropole et le résultat de l'élection ne durent pas être du goût de Craig; mais il fallut les subir en silence, se promettant bien de ne pas laisser échapper la première occasion pour déployer sa mauvaise humeur, occasion qui malheureusement dans l'état des esprits ne devait pas se faire attendre longtemps.

Le parlement s'assembla à la fin, de janvier 1810. Les relations diplomatiques entre l'Angleterre et les Etats-Unis continuaient toujours d'être fort indécises. Le gouverneur y fit allusion dans son discours, et assura qu'en cas d'hostilités l'on recevrait assez de troupes pour opposer avec les milices une résistance heureuse. Quant au sujet des débats de l'intérieur, à la question des juges enfin, il était autorisé à sanctionner toute loi ayant pour but de les exclure de l'assemblée.

Celle-ci accueillit avec une satisfaction secrète, cette dernière déclaration de l'Angleterre qui désapprouvait ainsi l'opposition pour ainsi dire personnelle du gouverneur; mais elle voulut en même temps repousser par une forte expression de blâme, la liberté qu'il avait prise en la prorogeant de censurer sa conduite. Elle s'empressa, et ce fut son premier acte, de déclarer à une grands majorité, que toute tentative de la part du gouvernement exécutif et des autres branches de la législature contre elle, soit en dictant ou censurant ses procédés, soit en approuvant la conduite d'une partie de ses membres et désapprouvant la conduite des autres, était une violation de ses privilèges et de la loi qui la constituait, contre laquelle elle ne pouvait se dispenser de réclamer, et une atteinte dangereuse portée aux droits et aux libertés du pays.

Après avoir ainsi protesté contre le langage du gouverneur, elle songea à se rabattre sur ses inférieurs.

Depuis longtemps la chambre voulait amener sous son contrôle les fonctionnaires publics, qui la narguaient par leur insolence et qui se croyaient fort au-dessus d'elle comme le marquaient leur conduite et leur langage. Ce mal qui a duré jusqu'à ces derniers temps, a puissamment contribué aux événemens politiques qui ont eu lieu plus tard. Les fonctionnaires se regardaient comme indépendans; et les gouverneurs sans expérience politique pour la plupart, laissaient courir des remarques offensantes qui devaient revenir par contre coup sur l'exécutif lui-même. L'assemblée pensa que le moyen le plus efficace de porter les officiers publics à mieux respecter l'une des sources dont ils tenaient leurs pouvoirs, était de les amener sous son contrôle pour leur salaire comme ils étaient en Angleterre. Elle déclara que le pays était maintenant capable de payer toutes les dépenses civiles, et elle vota une adresse au parlement anglais pour l'informer que le Canada était prêt à s'en charger et en même temps pour le remercier de ce qu'il avait fait jusque là.

Les fonctionnaires tremblèrent de tomber sous le contrôle du corps qu'ils avaient insulté tant de fois dans leurs propos. Ils s'agitèrent pour faire repousser la mesure et communiquèrent leur zèle à leurs ami, qui s'efforcèrent de gagner le gouverneur à leur vue. Celui-ci surpris de la démarche de la chambre dans laquelle on voulait lui faire voir quelqu'embûche, ne put dissimuler son embarras. Il répondit que cette adresse lui paraissait d'une nature si nouvelle qu'il avait besoin d'y réfléchir; que l'usage du parlement anglais voulait que les octrois d'argent fussent recommandés par le gouvernement avant d'être votés par la chambre basse, où ils devaient il est vrai prendre leur origine, mais non sans le concours de l'autre chambre; qu'il était sans exemple, à sa connaissance, qu'une seule branche d'une législature coloniale eût présenté une adresse au parlement impérial; que pour ces raisons il trouvait que l'adresse était sans précédent, imparfaite dans sa forme et fondée sur une résolution qui devait rester sans effet tant qu'elle ne recevrait pas le concours du conseil législatif; qu'il ne pourrait conséquemment la transmettre aux ministres; mais qu'il la transmettrait au roi comme un témoignage de la gratitude et des dispositions généreuses du Bas-Canada, qui voulait faire connaître qu'il était capable de payer ses dépenses quand on le désirerait, et qu'au surplus l'expression si vive et si franche de son affection et de sa gratitude envers l'Angleterre ne laissait point de doute sur sa sincérité.

Cette réponse fort longue et mélangée de reproches et de louanges, montrait la faiblesse de sa position et son inaptitude aux affaires. Il le sentait lui-même et c'est ce qui lui fit dire en terminant, qu'il regrettait excessivement d'avoir été obligé de s'exprimer de manière à faire croire bien malgré lui qu'il voulait empêcher l'expression des sentimens qui les animaient. Néanmoins il était intérieurement irrité de cette offre inattendue, qui ne pouvait manquer d'être bien accueillie de l'Angleterre, et qui déroutait en même temps toutes les prévisions de l'oligarchie coloniale.

Sans perdre de temps la chambre le pria de lui faire transmettre le budget de toute la dépense civile, et elle nomma, sur la proposition de M. Bedard, un comité de sept membres pour s'enquérir des usages parlementaires mentionnés dans la réponse du gouverneur.

Ces mesures dénotaient l'intention de faire voir que les suppositions et les doutes de l'exécutif n'avaient aucun fondement, et qu'il avait trahi son ignorance ou sa mauvaise intention. Cette démarche aurait été frivole en d'autres circonstances, mais les ennemis de la chambre avaient presque seuls l'oreille de l'Angleterre et par suite l'influence de son représentant, qui les craignait bien plus que nos députés inconnus ou regardés à peu près comme des étrangers au bureau colonial; il fallait montrer par une expression formelle que l'on connaissait ses droits et que l'on s'appuyait dans ce que l'on faisait sur des textes que l'on tenait à main, et qui étaient sans réplique.

L'on résolut d'aller encore plus loin. Depuis longtemps l'on sentait le grand inconvénient qui résultait de l'ignorance réciproque des sentimens de l'Angleterre et du Canada l'un pour l'autre. L'Angleterre ne connaissait les Canadiens que par les rapports calomnieux que leurs adversaires lui en faisaient journellement; les Canadiens ne connaissaient l'Angleterre que par les aventuriers qui paraissaient au milieu d'eux pour chercher fortune, et qui s'emparant des emplois et des autres avantages du gouvernement, s'y conduisaient de manière à aliéner l'affection du peuple. Il fallait tâcher d'établir des rapports qui pussent détruire l'effet des préjugés et des calomnies chez l'un et chez l'autre. La nomination d'un agent résidant à Londres parut le moyen le plus propre pour parvenir à ce but, et l'on préparait un bill à ce sujet lorsqu'un autre incident amena une prorogation soudaine. Le conseil ayant voulu amender le bill pour exclure les juges de la chambre, celle-ci s'en offensa et déclara le siège du juge de Bonne vacant à la majorité de trois contre un.

Le gouverneur qui s'était contenu à peine jusque là devant les actes de la chambre, ne fut plus maître de lui à cette dernière audace. Il se rend au conseil et la mande devant lui: «Je suis venu, dit-il, proroger le parlement. Après mure délibération sur les circonstances qui ont eu lieu, je dois vous informer que j'ai pris la résolution de dissoudre la chambre et d'en appeler au peuple. Elle a pris sur elle sans la participation des autres branches de la législature, de décider qu'un juge ne peut siéger ni voter dans son enceinte.

«Il m'est impossible de regarder ce que vous avez fait autrement que comme une violation directe d'un statut du parlement impérial, du parlement qui vous a donné la constitution à laquelle vous devez, suivant votre propre aveu, votre prospérité actuelle. Je ne puis regarder l'acte de la chambre que comme une violation inconstitutionnelle de la franchise élective d'une grande partie des citoyens et du droit d'éligibilité d'une autre classe assez considérable de la société.

«Je me sens obligé par tous les liens du devoir de m'opposer à une telle prétention… et je ne vois d'autre moyen pour sortir d'embarras que celui que je prends.»

Ses lui présentèrent aussitôt pour l'appuyer de Québec, de Montréal et de partout où il s'en trouvait quelques-uns, de nouvelles adresse de félicitations et d'assurance de confiance dans son gouvernement. Il répondit qu'il espérait toujours être soutenu par ceux qui savaient apprécier les bienfaits de la constitution lorsqu'il résisterait à des efforts qui tendraient à la troubler.

En même temps leurs émissaires commencèrent une grand agitation en se répandant dans toutes les campagnes et en y répandant à leur tour partout des adresses et des écrits pour prévenir le peuple contre les derniers actes du ses représentans. Mais le peuple qui ne voyait au plus qu'une colère de fonctionnaires ou qu'une joie d'antagonistes dans ces manifestations empressées, sortit à peine de son calme ordinaire devant tout ce bruit, et attendit tranquillement l'urne électorale pour se prononcer sur le débat du jour.

 

Mais l'exécutif était résolu d'employer tous les moyens pour désarmer ses adversaires, neutraliser leur influence et frapper les électeurs de terreur afin de s'assurer aux prochaines élections d'une chambre qu'il put mener à sa guise. Le premier coup qu'il fallait porter pour parvenir à ce but était contre le journal lui-même qui avait défendu la chambre et ensuite contre les principaux représentans.

Le conseil exécutif s'assembla et scruta le Canadien pour trouver matière ou prétexte à quelque démonstration propre à faire un grand effet. Le gouverneur lui-même demanda l'emprisonnement de l'imprimeur. Deux aubergistes nommés Stilling et Stiles, après s'être procurés les numéros du 3, du 10 et du 14 mars du journal répudié, allèrent faire leur déposition le 17 devant le juge en chef Sewell, qui donna l'ordre d'en exécuter la saisie.

Une horde de soldats conduits par un magistrat s'empara des presses et emprisonna l'imprimeur après qu'on lui eut fait subir mystérieusement un examen devant le conseil exécutif. Les gardes de de ville furent en même temps augmentées et des patrouilles parcoururent les rues comme si l'on avait été menacé d'une insurrection. La malle fut détenue pour saisir, disait-on, tous les fils de la conspiration avant que la nouvelle de ce qui venait d'avoir lieu fut répandue. On passa trois jours à examiner les papiers saisis à l'imprimerie du Canadien, au bout desquels le conseil s'assembla de nouveau. C'étaient le gouverneur, le juge Sewell, l'évêque protestant et MM. Dunn, Baby, Young, Williams et Irvine. On y lut les dépositions de M. Lefrançois, arrêté sous accusation de haute trahison, et de quatre autres personnes ayant des rapporta avec l'imprimerie. Le gouverneur communiqua un numéro de la feuille, tiré en présence du magistrat Mure, de la presse qu'on transporta au bureau des juges de paix.

Trois articles de cette feuille servaient de prétexte à ce petit coup d'état; mais celui surtout qui portait ce titre singulier: «Prenez-vous par le bout du nez.» C'était une récapitulation abrégée de quelques faits passés dans le pays depuis la conquête, et qui se terminait par des observations qui n'avaient que le défaut de respirer un amour exagéré de la constitution anglaise. Dans ces articles, comme dans tous les autres, il n'y avait rien qu'on pût traduire on trahison et qui fût de nature à troubler l'assiette d'un gouvernement tel que celui d'Angleterre. L'on s'étonne aujourd'hui en les lisant des frayeurs et de l'irritation qu'ils aient pu causer, ou plutôt l'on voit trop que ce n'était qu'un prétexte.

Après avoir ordonné l'entrée au long dans son procès-verbal de l'article dont nous venons de donner le titre, comme pour mieux montrer à l'histoire la passion ou la bassesse de ses membres, le conseil ordonna l'arrestation de MM. Bedard, Taschereau et Blanchot. 10

Note 10:(retour) Procès-verbal du conseil exécutif du 19 mars 1810.

L'ordre fut en même temps transmis à Montréal d'arrêter MM. Laforce, Papineau (de Chambly,) Corbeil (de l'Ile Jésus,) et des mandats furent décernés ou projetés contre MM. D. B. Viger, Joseph Blanchot et plusieurs autres citoyens notables de Montréal, sans être mis cependant à exécution.

On ne s'arrêta pas encore là. Pour frapper davantage l'imagination populaire et faire croire que la société dormait sur un abîme prêt à s'ouvrir sous ses pas, le gouverneur adressa une longue proclamation au peuple, écrite dans un style qui annonçait une intime conviction de la réalité du danger, ou une dissimulation non moins profonde. Mais le caractère de l'homme, la faiblesse croissante de son intelligence, due à l'état de sa santé qui dépérissait de jour en jour, portent à croire qu'il était de bonne foi, et que son imagination fiévreuse changeait en danger réel, un danger imaginaire, excité qu'il était par les gens qui l'entouraient, et qui profitaient de son état pour lui monter la tête et lui faire croire à l'organisation d'une vaste conspiration couvrant le pays et prête à prendre les armes.

Ce singulier document dressé avec une exagération de langage propre à effrayer les gens paisibles et crédules, portait que vu qu'il avait été imprimé et répandu des écrits séditieux et pleins de trahison; que ces écrits étaient destinés à séduire les bons sujets de sa Majesté, à leur remplir l'esprit de défiance et de jalousie, à aliéner leur affection, en avançant avec audace les faussetés les plus grossières, il avait été impossible au gouverneur de passer plus longtemps sous silence des pratiques qui tendaient si directement au renversement du gouvernement, et qu'en conséquence il avait, de l'avis de son conseil, pris les mesures nécessaires pour y mettre fin. Il exposait ensuite quelle avait été sa bienveillance envers les Canadiens, les mettait en garde contre les traîtres, leur rappelait les progrès qu'avait fait le pays, et la liberté sans bornes dont il jouissait. Avaient-ils vu, observait-il, depuis cinquante ans un seul acte d'oppression? un emprisonnement arbitraire? une violation du droit de propriété? ou du libre exercice de leur religion? Comment pouvait-on espérer d'aliéner les affections d'un peuple brave et loyal? Il démentait le bruit qu'il avait dissous la chambre parcequ'elle lui avait refusé la faculté de lever un corps de 12,000 hommes et d'imposer une taxe sur les terres, enfin qu'il voulait opprimer les habitans. Viles et téméraires fabricateurs de mensonges, continuait-il, sur quelle partie ou sur quelle action de ma vie, fondez-vous une telle assertion? Que savez-vous de moi ou de mes intentions? Canadiens, demandez à ceux que vous consultiez autrefois avec attention et respect; demandez aux chefs de votre église qui ont occasion de me connaître. Voilà des hommes d'honneur et de lumières. Voilà les hommes chez lesquels vous devriez aller chercher des avis; les chefs de faction, les démagogues ne me voient point et ne peuvent me connaître.

Pourquoi vous opprimerais-je? Serait-ce pour servir le roi?

Serait-ce par ambition? Que pouvez-vous me donner? Serait-ce pour acquérir de la puissance? Hélas mes bons amis, avec une vie qui décline rapidement vers la tombe, accablé de maladies contractées au service de mon pays, je ne désire que de passer ce qu'il plaira à Dieu de m'en laisser, dans les douceurs de la retraite avec mes amis. Je ne reste parmi vous qu'en obéissance à des ordres supérieurs.

Sir James Craig terminait sa proclamation par les exhorter à être en garde contre les artifices des traîtres qui cherchaient à aliéner leur fidélité et à les porter à des actes de trahison, par requérir les curés de se servir de leur influence pour prévenir leurs menées, et les magistrats et les officiers de milice d'user de toute la diligence nécessaire pour en découvrir les auteurs et les faire punir.

Le gouverneur en parlant, comme il faisait, d'oppression, d'emprisonnement arbitraire, de violation des droits de propriété, s'il ne le faisait pas par ironie, oubliait l'histoire et ce qu'il venait de commettre lui-même.

Cette longue proclamation, sur son désir, fut lue au prône de la cathédrale de Québec, et dans plusieurs autres églises du pays. L'évêque adressa en même temps de la chaire une allocution aux fidèles, dans laquelle tout en protestant de la loyauté des Canadiens, il rappelait l'obligation qui leur était imposée d'être soumis aux lois et à l'autorité constituée.

A l'ouverture de la cour criminelle, le juge Sewell l'un des instigateurs de ce système d'intimidation, lut la proclamation et fit un discours politique sur l'agitation qui régnait et sur la tendance pernicieuse des principes mis au jour par ses auteurs. Le grand jury, choisi par le gouvernement et formé en majorité de ses partisans, blâma le journal abattu, qui avait mis la paix et la sûreté du pays en danger, disait-il, et déclara qu'il avait vu aussi avec regret certaines productions du Mercury, propres à faire naître de la jalousie et de la méfiance dans l'esprit des Canadiens, subterfuge adopté pour couvrir d'un semblant d'impartialité les affections de son coeur. Enfin toutes les mesures avaient été prises pour faire un grand effet. Des messagers avaient été envoyés partout pour répandre la proclamation parmi les habitans étonnés, qui apprirent pour la première fois qu'une conspiration profonde avait été ourdie pour renverser le gouvernement.

Maintenant qu'allait-il résulter d'un si grand bruit. Il fallait prouver devant l'opinion publique que le gouvernement avait eu raison dans tout ce qu'il avait fait, et que les projets des rebelles et des conspirateurs allaient être dévoilés au grand jour pour appeler sur la tête des coupables le châtiment qu'ils méritaient. Mais le public attendit en vain. Le château n'avait rien contre les accusés. Si les lois avaient été violées, c'est l'exécutif lui-même qui s'était rendu coupable. Les prisonniers demandèrent leur procès, et l'on recula; ils demandèrent leur élargissement et les cours esclaves de la volonté de l'exécutif, refusèrent jusqu'à ce qu'il plut enfin à celui-ci de leur faire ouvrir les portes de leur prison. La maladie de quelques uns des accusés fournit un prétexte au bout de quelque temps pour les mettre dehors les uns après les autres, en leur faisant donner caution de comparution à première demande pour sauver les apparences. Corbeil ne fut élargi que pour aller mourir au sein de sa famille d'une maladie qu'il avait contractée dans son cachot. Bédard, le chef du parti, ne voulut point profiter de la liberté donnée aux autres; il refusa de quitter sa prison avant d'avoir subi son procès et mis sa réputation hors de toute atteinte par le jugement d'un jury. Il resta inflexible dans sa résolution, protestant sans cesse de l'intégrité de sa conduite et de ses opinions politiques, et répudiant avec hauteur toute imputation de déloyauté ou de désaffection envers le gouvernement ou la personne du souverain. Cette persistance devint bientôt un embarras grave pour l'exécutif qu'elle compromettait. Sir James Craig lui-même fut obligé de reconnaître l'estime que méritaient la fermeté et l'indépendance de sa victime. Le pays n'avait pas été longtemps sans reconnaître dans ce qui venait de se passer un complot formé par les fonctionnaires et les intrigans pour perdre la représentation aux yeux du peuple lui-même et de la métropole. Partout les électeurs soutinrent leurs mandataires, et presque tous les anciens membres furent réélus à de vastes majorités ou sans opposition. M. de Bonne la cause première de ces difficultés ne se présenta point aux suffrages des électeurs. On rapporte qu'on avait promis de le nommer au conseil législatif et qu'on ne le fit pas. Quelque temps après il se démit de sa charge de juge.

Les chambres furent convoquées pour le 10 décembre. On avait hâte de voir de quelle manière le gouverneur allait exposer la situation et parler des événemens qui venaient d'avoir lieu. Son discours détrompa tout le monde, et semblait venir d'un homme qui sortait d'un long rêve. Il ne dit pas un mot de ce qui venait de se passer. Il déclara au contraire qu'il n'avait jamais douté de la loyauté et du zèle des différens parlemens qu'il avait convoqués; qu'il espérait trouver les mêmes principes dans celui-ci et les mêmes dispositions dans ses délibérations; qu'il le priait de croire qu'il verrait régner l'harmonie avec une grande satisfaction, parce qu'elle ferait le bonheur du pays et qu'il s'empresserait de concourir à toute mesure ayant cette fin pour objet; que la règle de sa conduite était de maintenir un juste équilibre entre les droits de chaque branche de la législature.

Ce discours parut étrange dans la bouche d'un homme qui prétendait réunir en lui et le sceptre et le ministère, et qui après les actes de violence qu'il venait de commettre, violences nécessaires, disait-on, pour la sûreté du gouvernement contre les attentats d'une rébellion, ne disait pas un mot des dangers que ce gouvernement avait courus ni des mesures qu'il avait été obligé de prendre pour les faire échouer.

Nous concourrons, répondit la chambre, avec le plus grand empressement dans toutes les mesures qui tendront vers la paix, but d'autant plus difficile à atteindre en cette province que ceux qui l'habitent ont des idées, des habitudes et des préjugés difficiles à concilier. Nous voyons avec peine les efforts qui se font pour représenter sous des couleurs fausses et très éloignées de la vérité, les opinions et les sentimens des habitans du pays.

Il est difficile de dire si sir J. Craig s'attendait à une allusion aussi légère aux événemens qui venaient de se passer; mais il devait croire qu'il en serait fait une si la chambre n'était pas infectée des doctrines révolutionnaires, dont on l'accusait, parce qu'elle était tenue par respect pour elle-même et pour se dégager de tous les soupçons que l'on voulait faire peser sur elle, de repousser les accusations sans cesse renouvelées par ses ennemis. Elle ne devait pas montrer la moindre crainte d'entrer en discussion avec l'exécutif sur ce point; elle devait rechercher au contraire cette discussion parcequ'elle devait savoir que son silence aurait été aussitôt représenté en Angleterre comme un aveu de sa culpabilité.

 

La situation du gouverneur était telle qu'il fallait même à cette lointaine allusion de la chambre, reconnaître sa faute ou maintenir la position qu'il avait prise. Il se crut obligé de justifier les violences commises pour ne pas passer pour s'être abandonné à une vengeance aveugle et sans but, et par conséquent indigne d'un homme d'état. Ainsi pressé par ses pensées, l'agent métropolitain ne trouva dans une intelligence qui d'un jour à l'autre ne pouvait voir la portée de ses paroles ni de ses actes, que des motifs offensans pour tout le monde.

Il observa que les craintes manifestées par la réponse de l'assemblée touchant l'exécution de l'acte pour la conservation du gouvernement, n'étaient pas justifiées par les renseignemens qu'il avait reçus; qu'il n'y avait que ceux qu'il pouvait affecter qui le redoutaient, et que leurs clameurs pouvaient avoir trompé la chambre sur leur nombre; mais que l'acte avait apaisé les craintes du peuple depuis qu'il était en force; que tout simple et tout dépourvu de lumières qu'était le peuple il s'en rapportait à son bon sens, qui voyait le gouvernement armé du pouvoir nécessaire et prêt à l'exercer s'il le fallait pour écraser les artifices des factieux et combattre les intrigues de la trahison; qu'il voyait par l'adresse de la chambre qu'il avait été mal compris, que l'harmonie dont il parlait était celle qui devait exister entre lui et les deux autres branches de la législature et non celle qui devait exister dans la masse de la société.

Cette réplique voulait dire qu'il persistait dans une ligne politique réprouvée par les faits et condamnée par le peuple à la dernière élection. Mais pour montrer de la bonne fois, il fallait non seulement faire juger les chefs du peuple, il fallait encore faire juger les principaux membres de la chambre emprisonnés depuis la dernière session.

M. Bedard toujours en prison demandait qu'on lui fit son procès. Cette voix sortant des cachots était la condamnation la plus complète de la réplique du gouverneur. Lui-même reconnaissait qu'il ne pouvait punir le prisonnier. Il disait à son conseil que son incarcération était nécessaire pour arrêter le mal dont on était menacé, car le conseil ne devait pas oublier que la détention de M. Bedard était une mesure de précaution non de châtiment, et qu'il ne pouvait être puni que suivant les lois du pays; qu'il l'aurait fait mettre en liberté comme les autres s'il l'avait démandé. La chambre vota une adresse pour le faire élargir. Une copie des résolutions fut transmise d'avance au gouverneur, qui s'attendait à voir arriver la députation d'un moment à l'autre, lorsque M. Papineau se présenta au château et eut une longue conférence avec lui. Le gouverneur qui croyait peut-être que le prisonnier commençait à chanceler dans sa résolution, lui fit part de sa décision finale. Aucune considération, Monsieur, lui dit-il, ne pourra m'engager à consentir à la libération de M. Bedard, à la demande de la chambre, soit comme matière de droit soit comme matière de faveur; et je ne consentirai maintenant à aucune condition qu'il soit libéré pendant la session actuelle. Je n'ai aucune hésitation à vous faire connaître les motifs qui m'ont porté à cette résolution. Je sais que le langage général des membres a répandu l'idée qui existe partout que la chambre d'assemblée va ouvrir les portes de la prison de M. Bedard; et cette idée est si bien établie que l'on n'en a pas le moindre doute dans la province. Le temps est venu où je crois que la sécurité comme la dignité du gouvernement, commande impérieusement que le peuple apprenne quelles sont les vraies limites des droits des diverses parties du gouvernement; et que ce n'est pas celui de la chambre de gouverner le pays.

Cette réponse était flétrissante pour l'administration de la justice: ce n'était pas la loi qui régnait puis qu'elle se taisait devant la voix qui disait: «Je ne consentirai pas qu'il soit mis en liberté.»

Le gouverneur qui voulait forcer M. Bedard à reconnaître l'erreur dans laquelle il disait qu'il était tombé, et à justifier à la fois par là les autres arrestations qu'il avait fait faire, avait envoyé son secrétaire, M. Foy, pour avoir une entrevue avec lui, afin de le sonder. A la suite de ce tête à tête, le gouverneur apprenant que M. Bedard, curé de Charlesbourg et frère du prisonnier, était en ville, l'avait mandé au château pour le charger de faire part à son frère des motifs de son emprisonnement, et l'informer que le gouvernement n'avait en vue que sa sécurité et la tranquillité publique; que s'il voulait reconnaître sa faute, il prendrait sa parole comme une garantie suffisante, et qu'il proposerait aussitôt à son conseil de le faire mettre en liberté. Le représentant détenu répondit en termes respectueux mais positifs, qu'il ne pouvait admettre une faute dont il ne se croyait pas coupable, parole digne de toute la vie politique de ce noble citoyen.

M. Papineau cependant, malgré le langage décidé du gouverneur, avait pu découvrir que M. Bedard serait rendu à la liberté après la session, et qu'il ne résulterait aucun bien de la persistance de la chambre dans les démarches qu'elle avait commencées. L'ajournement de cette affaire fut en conséquence proposé et agréé après quelques discussions.

Le reste de la session se passa avec assez d'unanimité. La fameuse loi pour l'exclusion des juges de la chambre fut adoptée et reçut la sanction royale. L'Angleterre avait fait connaître ses intentions. Le conseil législatif avait aussitôt abandonné son opposition et s'était incliné devant ses ordres. En prorogeant les chambres le gouverneur leur dit: «Parmi les actes auxquels je viens de donner l'assentiment du roi, il y en a un que j'ai vu avec satisfaction, c'est l'acte pour disqualifier les juges de siéger à la chambre d'assemblée. Non seulement je crois la mesure bonne en elle-même, mais j'en considère la passation comme une renonciation complète d'un principe erroné, qui m'a mis pour le suivre dans la nécessité de dissoudre le dernier parlement.

«Maintenant, messieurs, je n'ai plus qu'à vous recommander comme vous l'avez fait observer vous-mêmes au commencement de la session, d'employer tous vos efforts pour faire disparaître toute défiance et toute animosité parmi vous. Tant qu'il y en aura, elles paralyseront tout ce que l'on entreprendra pour le bien public. Il ne peut y avoir aucun obstacle à cette union. Il n'existe aucunes dissensions religieuses: l'intolérance n'est point la disposition des temps actuels; vivant sous un seul gouvernement, jouissant également de sa protection sous ses soins fructifians dans des rapports mutuels de bienveillance et de bonté, l'on trouverait tout le reste idéal. Je suis sérieux en vous donnant cet avis, messieurs. C'est probablement le dernier leg d'un homme qui vous veut du bien sincèrement, d'un homme qui, s'il vit assez pour atteindre la présence de son souverain, se présentera avec la certitude glorieuse d'obtenir son approbation…»