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Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours. Tome IV

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Note 6:(retour) Procès-verbal du Conseil exécutif.

Un américain, enthousiaste insensé, nommé McLane, ajoutant foi aux soupçons que l'on semait ainsi contre la population, qui ne songeait plus alors certainement à se soustraire à la domination britannique, se laissa attirer à Québec par un charpentier de navire, nommé Black, qui avait su acquérir assez de popularité pour se faire élire l'année précédente à la chambre d'assemblée. Lorsque McLane qui se faisait passer pour un général français agissant d'après les ordres de M. Adet fut en son pouvoir, Black feignit de sortir pour quelque affaire et alla avertir l'autorité qui avait été prévenue d'avance. McLane fut saisi et livré aux tribunaux sous prévention de haute-trahison. Le choix des jurés, les témoignages, le jugement et le châtiment, tout fut extraordinaire. Il fut condamné à mort et exécuté avec un grand appareil militaire sur les glacis des fortifications dans un endroit élevé et visible des campagnes environnantes. Le corps après quelque temps de suspension au gibet, fut descendu au pied de l'échafaud, et le bourreau en ayant tranché la tête, la prit par les cheveux et la montra au peuple en disant: «Voici la tête du traître.» Il ouvrit ensuite le cadavre, en arracha les entrailles, les brûla, et fit des incisions aux quatre membres, sans les séparer du tronc. 7 Jamais pareil spectacle ne a'était encore vu en Canada. L'objet de ces barbaries était de frapper de terreur l'imagination populaire. Mais ce qu'il y eut de plus hideux dans cette tragédie, ce furent les récompenses que l'on jeta aux accusateurs et aux témoins à charge, lesquels acceptèrent sans rougir des terres considérables pour prix de leur complaisance eu de leur délation. 8 Black lui-même reçut des gratifications, qui ne lui portèrent pas bonheur, car tout le monde ne voulut plua voir en lui qu'un traître; repoussé par ses concitoyens, couvert du mépris public, il finit par tomber dans une profonde misère, et on le vit quelques années après, rongé de vermine, mendier son pain dans la ville où il avait siégé autrefois comme législateur. Cette exécution, fruit des frayeurs des autorités coloniales, toujours plus impitoyables que celles des métropoles, ne fit que mettre davantage au jour l'esprit de l'administration et la dépendance honteuse des tribunaux, qui avaient fermé les yeux sur les violations les plus flagrantes des régies imposées par la sagesse des lois pour la protection de l'innocence.

Note 7:(retour) Procès de David McLane.

Note 8:(retour) Gazette de Québec.

Plus le pouvoir devenait absolu moins la représentation nationale avait d'empire. Une grande retenue caractérisait depuis un an ou deux toutes les démarches de l'assemblée, qu'on s'était mis à accuser de révolte chaque fois qu'elle voulait montrer un peu d'indépendance. Quoique l'on fut loin du théâtre de la guerre, les gouverneurs représentaient constamment les ennemis comme à nos portes, comme au milieu de nous. C'était la politique que le gouvernement, entre les mains de l'aristocratie, suivait en Angleterre pour faire repousser les idées républicaines de la France. La mission des chambres semblait devoir se borner à passer des lois pour augmenter les subsides et les pouvoirs de l'exécutif rempli d'appréhensions vraies ou simulées. Parmi ces lois exceptionnelles, il s'échappa quelquefois des délibérations législatives, des décrets d'une utilité pratique. Tels furent l'établissement pour la première fois dans les prisons de ce pays, des salles de correction ou de travail forcé, institution favorable à la régénération du condamné, et le règlement des poids et mesures, objet qui devenait de plus en plus nécessaire par l'accroissement du commerce.

Pendant ce temps-là, le revenu public augmentait toujours avec les anciens impôts. De 14,000 louis qu'il était en 97, il monta en 1801 à 27,000 louis. Mais les dépenses du gouvernement civil qui étaient encore de 25 ou 26 mille louis en 99, furent portées tout à coup l'année suivante à 36,000 louis sans que l'on eût même demandé la sanction de la colonie pour cet accroissement fait par ordre du ministre, le duc de Portland.

Cette usurpation de pouvoir ne put troubler le calme du peuple; mais les esprits commençaient à s'agiter même là où la concorde n'avait jamais cesser de régner, entre le gouverneur et son conseil.

Il paraît que le bureau chargé de la régie des terres, composé d'une section de ce conseil, se rendait coupable d'abus et de prévarications dont le public ne connaissait pas encore toute l'étendue. Le juge en chef Osgoode en était le président. Les membres sous divers prétextes et sous des noms empruntés, s'étaient fait accorder à eux-mêmes, ou avaient fait accorder à leurs amis de vastes étendues de terres en diverses parties du pays. Dans tous les temps les plus grands abus s'étaient commis dans ce département, et l'on avait vu des membres de l'ancien conseil législatif s'entendre avec des officiers publics à Londres, qui avaient l'entrée des bureaux du ministère, pour s'en faire accorder sur le lac S. – François, sur le chemin postal ouvert entre Québec et Halifax et dans tous les endroits où ils pouvaient en avoir. 9 Ces abus allaient toujours en augmentant. Ceux qui en profitaient, mettaient en même temps tous les obstacles possibles à ce qu'on en accordât aux Canadiens sous le prétexte qu'ils allaient y porter leur langue leurs usages et leur religion; ce qui était alors un motif suffisant d'exclusion, sinon ouvertement avoué du moins tacitement reconnu; mais dans la conviction secrète qu'en les conservant, ils obtiendraient plus tard des prix plus élevés. Ces terres avaient été divisées en townships, et on avait donné aux nouvelles divisions des noms anglais, chose indifférente en elle-même en apparence, et qui cependant contribuait à en éloigner les cultivateurs canadiens, qui n'en comprenaient pas bien la tenure avec le système de quit-rents qui y était attaché. Ces entraves artificielles dépassèrent le but. Des Canadiens, surtout des Américains pénétrèrent dans les forêts de la rive droite du St. – Laurent, près de la frontière des Etats-Unis, et s'y choisirent des fermes sur lesquelles ils s'établirent sans titre. Le gouverneur auquel ces derniers s'étaient plaints de la conduite du bureau, transmit dès la première année de son administration, une dépêche à Londres dans laquelle il blâmait tout le système comme contraire à l'honneur et à l'intérêt de l'empire, et comme nul sous le rapport fiscal, puisqu'il ne produisait rien. Il embrassa avec chaleur surtout la cause de ces émigrés qu'on nommait loyalistes dès qu'ils mettaient le pied sur le territoire canadien. Ses représentations firent effet. Il revint d'Angleterre en 98 des instructions fort amples pour remédier au mal qu'il avait signalé, et qui déplurent extrêmement au bureau des terres. De là la brouille de ce bureau avec le gouverneur et du gouverneur avec le conseil exécutif, l'âme et le nerf de l'oligarchie qui commençait à peser de tout son poids sur le pays, et qui se crut obligé de soutenir en cette circonstance un département formé de ses principaux membres. Il s'était déjà établi une communauté d'opinions et d'intérêts entre les fonctionnaires publics et la majorité de ce conseil, communauté qui a fini ensuite par maîtriser complètement la marche de l'administration en s'emparant de l'esprit des gouverneurs et en influençant continuellement les ministres, dont cette oligarchie employait toute son habileté à nourrir les craintes et les antipathies nationales contre la masse de la population. Le conseil exécutif, qui avait ignoré jusque là la dépêche du gouverneur, se tint pour offensé par son silence; il fut froid d'abord à son égard et ensuite il lui fit une opposition ouverte et redoutable sous la direction de son président, M. Osgoode, fils naturel de George II, dit-on, qui avait des talens, et ce qui était mieux dans, la circonstance des amis puissans à la cour. Entraîné par ses inspirations, le conseil refusa de publier les nouvelles instructions et compléta ainsi la rupture entre ces deux hommes. L'Angleterre, pour éviter les conséquences de leur désunion dans la colonie où chacun avait son parti, jugea nécessaire de les rappeler tous deux, ce dernier conservant ses appointemens.

Note 9:(retour) Correspondance manuscrite du conseiller Finlay, etc.

Cette querelle fit peu de sensation dans le public parce que la presse étant muette et les débats s'étant passés dans les hauts lieux de l'administration enveloppés comme à l'ordinaire dans les nuages du mystère, le peuple n'en connaissait pas bien le sujet ni les motifs. En outre, quoique ce gouverneur fût en difficulté avec les principaux fonctionnaires, il n'avait point cherché d'appui dans la population. Au contraire, il se montrait fort hostile à son égard, et soit mauvaise interprétation donnée à ses instructions, soit toute autre raison, il accueillit très mal la demande des catholiques d'ériger de nouvelles paroisses pour répondre à l'augmentation de leurs établissemens qui se formaient de proche en proche tout autour de la partie habitée du pays. Ni les réclamations du peuple, ni celles du clergé, ni même celles de l'assemblée ne parurent le faire revenir du refus qu'il avait donné à ce sujet contrairement à l'ordonnance de 91. Il fallut que les catholiques recourussent au régime insuffisant des missions comme aux premiers jours de la colonie.

Une pareille conduite n'était pas de nature à augmenter sa popularité. Aussi vit-on sa retraite avec plaisir, et sir Robert Shore Milnes prendre en 99 les rênes de l'administration en qualité de lieutenant-gouverneur. Celui-ci en ouvrant les chambres dans le mois de mars remercia dans son discours le Canada des témoignages de fidélité qu'il venait de donner au roi et aux intérêts des sociétés civilisées on souscrivant généreusement des sommes assez considérables pour le soutien de la guerre contre la révolution française.

 

Cette Souscription avait été commencée par le parti anglais dans le but de capter exclusivement la bienveillance du gouvernement en montrant un zèle plus empressé que celui des Canadiens. La chose s'était faite rapidement, et les auteurs du projet s'étaient donnés peu de peine pour la rendre générale parmi la population. M. de Bonne voulut faire ajouter, lorsque la partie de l'adresse relative à ce sujet, fut soumise aux voix, que l'on regrettait que, par le peu de moyens de la majorité des habitans, les contributions eussent été si modiques, et par le mode adopté pour les recueillir, si peu générales; mais son amendement fut écarté, la majorité ne pensant pas qu'il fut de sa dignité de donner des explications à ce sujet. Les Canadiens du reste se rappelaient que le gouvernement n'avait pas pris tant de précaution contre les révolutionnaires américains à la suite des événemens de 75, quoique le danger fût bien plus imminent. Mais ils ne purent plus avoir de doute lorsqu'ils virent ceux qui n'avaient jamais cessé de chercher à les dominer, oubliant leurs écarts de 75, commencer à se donner le nom de «loyaux» par excellence et de donner aux Canadiens celui de «rebelles.» Ce machiavélisme sur lequel l'Angleterre ferma complaisamment les yeux, a duré jusqu'à nos jours qu'il a été flétri par lord Durham et par lord Sydenham. Il paraît que l'esprit de querelle qu'on venait de voir éclater entre le dernier gouverneur et son conseil, se répandit jusqu'aux chambres. L'assemblée montra dans cette session moins de calme et d'unanimité que de coutume. La question des biens des jésuites et une question de privilèges touchant un membre condamné pour escroquerie à une sentence emportant flétrissure, et qu'elle voulut exclure de son siège, excitèrent de vifs débats, dans lesquels les deux partis manifestèrent la même ardeur que dans les discussions de 92 sur l'usage de la langue française.

La question des biens des jésuites étaient d'une bien plus haute importance. Le dernier membre de cette société religieuse, le P. Casot, venait de mourir. Sa mort fournit une nouvelle occasion de réclamer les biens de son ordre pour les conserver à leur destination primitive. Lorsqu'un membre, M. Planté, voulut en faire la proposition, M. Young, l'un des conseillers exécutifs, se leva et annonça qu'il était chargé de déclarer que le gouverneur avait donné les instructions nécessaires pour en faire prendre possession au nom de la couronne. On affectait alors ce ton de commandement absolu, et l'on aurait cru déroger en donnant les motifs de ses résolutions. Celle du gouverneur pourtant était fondée sur des instructions récentes et sur d'autres plus anciennes données à lord Dorchester et qui lui enjoignaient de supprimer cette société et de prendre possession de ce qu'elle avait pour en faire l'usage que la couronne jugerait à propos plus tard. De grands débats s'élevèrent sur la proposition de M. Planté, qui fut adoptée finalement par une majorité de 17. Un seul Canadien catholique vota contre, le solliciteur-général Foucher. La chambre passa ensuite à la majorité des deux tiers, une adresse au gouverneur pour demander copie des titres de la fondation de l'ordre, adresse à laquelle celui-ci répondit affirmativement tout en faisant observer que c'était sur les instructions du roi transmises dans le mois d'avril précédent, qu'il avait agi, et que c'était à la chambre à considérer s'il était compatible avec le respect qu'elle avait toujours montré pour le trône de persister dans sa demande.

Pendant la discussion, M. Grant avait proposé de présenter une adresse pour exposer au roi l'état déplorable dans lequel était tombée l'éducation depuis la conquête, et pour le prier, tout en reconnaissant la légitimité de son droit, d'approprier les biens des jésuites à l'éducation de la jeunesse. Mais cette motion avait été écartée sur un amendement de M. Planté portant que l'on devait remettre à un autre temps l'examen des prétentions de la province sur ces biens. La répugnance de reconnaître la légitimité du droit de la couronne à leur propriété, et la crainte de les voir placer sous l'administration de l'Institution royale, commission protestante alors en projet et entre les mains de laquelle on songeait à placer l'instruction publique, motivèrent le vote des catholiques dans cette occasion. La question de l'éducation se trouva par là ajournée à un temps indéfini.

CHAPITRE II.
ADMINISTRATION DE SIR JAMES CRAIG.
1801-1811

Elections de 1800. – Institution royale. – Principe de la taxation. – La nationalité canadienne. – Etablissement du Canadien. – Affaire de la Chesapeake-Situation de nos relations avec les Etats-Unis. – Premières difficultés avec cette république. – Arrivée de sir James Craig en Canada. – Ordre militaire. – Proclamation politique. – Ouverture des chambres. – Projet de loi pour exclure les juges de l'assemblée. – M. Bedard et autres officiers de milice cassés. – Ministère responsable. – Dissolution du Parlement. – Discours insultant de Craig. – Les idées du Canadien sur la constitution et la responsabilité ministérielle. – Subsides. – Agent à Londres. – Exclusion des juges de la chambre. – Dissolution subite du parlement. – Saisie du Canadien et emprisonnement de M. Bedard, Taschereau et Blanchet. – Proclamation du gouverneur. – Election. – Ouverture des chambres. – Elargissement des prisonniers. – Affaires religieuses. – Entrevues de sir James Craig et de M. Plessis au sujet de l'église catholique. – Nomination des curés par le gouvernement. – Fin de l'administration de Craig.

De 1800 à 1805 il y eut un instant de calme. L'élection de 1800 porta à la chambre quatre conseillers exécutifs, trois juges et trois autres officiers du gouvernement, ou le cinquième de la représentation. C'était une garantie de sa soumission. Aussi dès que la législature fut réunie, s'empressa-t-elle de renouveler l'acte pour la sûreté du gouvernement et de sanctionner par une loi l'établissement de «l'Institution royale» destinée à servir de base dans l'esprit de ses auteurs, à l'anglification du pays par un système général d'instruction publique en langue anglaise. Cette loi mettait l'enseignement entre les mains de l'exécutif. Le gouvernement nommait les syndics et le président qui devait diriger, sous son veto, cette importante administration; il désignait les paroisses où l'on devait ouvrir des écoles et nommait les instituteurs. L'évêque protestant en étant appelé à la présidence tua le projet dès son début, malgré l'argent que l'on vota pendant plusieurs années pour le maintenir. Les Canadiens qui ne voulaient abjurer ni leur langue, ni leurs autels, finirent par le repousser à l'unanimité; et il ne servit pendant un quart de siècle qu'à mettre obstacle à un système plus en harmonie avec leurs voeux.

Malgré l'unanimité de la législature et l'activité que la reprise des hostilités en 1801 entre la France et l'Angleterre, donna au commerce et à la construction des vaisseaux qui commençait à devenir une branche importante de l'industrie canadienne, plusieurs sujets fournissaient matière à des discussions dans les avant-gardes des partis politiques. L'usurpation des biens des jésuites, les obstacles mis à l'octroi des terres, la composition du conseil législatif de plus en plus hostile à la majorité du peuple, l'opposition à l'établissement légal des nouvelles paroisses, l'exclusion systématique des Canadiens des charges publiques, les tentatives faites pour changer la tenure des terres et le désir d'asseoir la taxe sur la propriété foncière et conséquemment sur l'agriculture, toutes ces questions s'agitaient les unes après les autres ou simultanément, et suivant le degré de méfiance ou de jalousie, de crainte ou d'espoir, qui régnait, elles donnaient plus ou moins d'énergie à l'opinion publique qui commençait à se former et qui devait se manifester bientôt dans la législature et parmi le peuple.

L'élection de 1804 changea peu la nature des partis. Mais il ne fallait qu'une occasion pour amener le commencement d'une lutte. Une question en apparence peu importante souleva des discussions sur le principe de la taxation. Il s'agissait de bâtir des prisons. La chambre imposa une taxe sur les marchandises pour subvenir à cette dépense, malgré les efforts de la minorité composée en partie de marchands et qui voulait une taxe foncière. Elle soutenait que c'était faire tort au commerce que de lui faire supporter les dépenses publiques, et que l'on devait adopter un principe différent si l'on voulait avancer le développement du pays. On lui répondit que quelque fut le système adopté, la taxe était payée par le consommateur, et qu'imposer l'agriculture serait funeste dans un pays nouveau, où l'on devait favoriser par tous les moyens ce premier des arts, base la plus solide de la prospérité publique et du commerce lui-même.

Une fois le combat engagé, il ne manqua pas de sujets pour le nourrir malgré la réserve que l'on gardait encore. L'augmentation du salaire du traducteur français refusée par le gouverneur, blessa vivement la chambre qui l'avait demandée. Elle regarda ce refus comme une marque des mauvaises dispositions de l'exécutif contre la langue du peuple; car la question d'argent en elle-même ne méritait pas que l'on brisât la bonne entente qui existait. Elle venait de nommer un comité pour s'occuper de cette question lorsque le parlement fut prorogé.

Sir Robert Shore Milnes déposa les rênes du gouvernement entre les mains de M. Dunn, qui convoqua les chambres pour la fin de février. L'humeur que les représentans avaient montrée vers la fin de la session ne s'était pas calmée dans l'intervalle. Ils voulurent sévir contre les journaux qui avaient critiqué leur vote au sujet de l'impôt, et décrétèrent de prise de corps, l'éditeur de la Gazette de Montréal. Celui du Mercury, journal établi à Québec l'année précédente, ayant voulu prendre sa défense, n'échappa à la prison qu'en reconnaissant sa faute. Aucune de ces infractions de privilèges ne méritait le châtiment qu'elles avaient provoqué et qui frappait au coeur la sauvegarde des droits populaires comme l'indépendance de la chambre elle-même en portant atteinte à la liberté de la presse. Mais à cette époque cette liberté était encore à naître, et ce n'était pas la faute du peuple s'il en était ainsi comme on aura bientôt occasion de le voir.

Cependant le parti mercantile qui connaissait l'influence considérable qu'il avait exercé de tout temps sur la métropole, pria le roi de désavouer le bill des prisons; ce qu'apprenant, la chambre résolut aussitôt, sur la proposition de M. Bédard, de le prier de le maintenir, et transmit à Londres un mémoire explicatif de ses motifs. «Elle considérait, disait-elle, qu'il n'y avait aucun parallèle à faire entre les anciens pays de l'Europe et le Canada quant à la convenance de taxer les terres. Dans la mère-patrie et les pays où l'agriculture avait rendu les terres à peu-près d'égale valeur, une taxe territoriale pesait également sur toutes; mais en Canada où l'agriculture laissait tant d'inégalité, une taxe par arpent comme celle qui était proposée, serait inégale et sans proportion, car celui dont le fonds ne vallait que six deniers cent payerait autant que celui dont le fonds vallait soixante livres l'arpent. La taxe pèserait conséquemment plus sur ceux qui commençaient à défricher que sur les autres, et par là les nouveaux colons seraient chargés de la plus forte partie du fardeau, tandis qu'ils ne devaient recevoir que des encouragemens.

«Une taxe sur la valeur estimée de chaque terre serait pareillement impraticable. Les frais d'estimation et de perception seraient plus à charge que la taxe elle-même.

«Du reste une taxe foncière serait injuste, en ce que les habitans des villes, dont les richesses sont en effets mobiliers, en seraient exempts.

«L'assemblée considérait qu'un impôt sur le commerce en général et surtout sur les articles taxés par la loi en particulier, serait moins senti, et plus également réparti; que le consommateur payait en dernier lieu; que bien qu'il eût été objecté que les marchands étaient ici dans des circonstances plus désavantageuses qu'ailleurs, parcequ'ils n'avaient pas la facilité de réexporter leurs marchandises, cette circonstance au lieu d'être désavantageuse était favorable, parcequ'elle leur permettait de régler le commerce et de faire payer l'impôt par le consommateur, vu qu'ils n'étaient en concurrence qu'avec les marchands qui payaient les mêmes droits qu'eux.»

En vain l'opposition dirigée par M. Richardson, qui fit un discours de près d'une heure et demie, voulut faire tomber la proposition par un amendement, elle fut adoptée par une majorité de plus des deux tiers. Ainsi fut confirmée après de longs débats, la décision adoptée précédemment sur la grande question du principe de l'impôt, principe qui n'a pas cessé depuis de servir de base au système financier du pays. Elle le fut conformément à l'intérêt de ces nouvelles contrées dont le premier besoin est le changement des immenses forêts qui les couvrent en champs fertiles et bien cultivés. La loi ne fut point désavouée.

 

Les discussions sur cette question augmentèrent encore l'aigreur des esprits, dont le chef du gouvernement lui-même ne fut pas exempt. Elles prirent comme de coutume une teinte de jalousie nationale. Le parti mercantile, ne pouvant se contenir après le nouvel échec qu'il venait d'éprouver, éleva de nouveau la voix contre l'origine de ses adversaires et essaya de ramener la discussion sur le terrain de la nationalité. «Cette province est déjà trop française, disait le Mercury, pour une colonie anglaise… Que nous soyons en guerre ou en paix, il est absolument nécessaire que nous fassions tous nos efforts par tous les moyens avouables, pour opposer l'accroissement des Français et leur influence… Après avoir possédé Québec quarante-sept ans, il est temps que la province soit anglaise.» Ce cri jeté par les hommes les plus violens du parti en opposition aux plus modérés qui s'élevèrent aussitôt contre, était excité par le bruit qui courait que les Canadiens allaient établir un journal dans leur langue pour défendre leurs intérêts nationaux et politiques. Jusqu'à ce moment la presse, comme on l'a déjà dit, avait gardé un silence profond, rarement interrompu par des débats, sur les affaires intérieures, politiques ou religieuses. Ce silence n'était pas tant peut-être encore le fruit du despotisme que de l'intérêt bien entendu des gouvernans. Maîtres du pouvoir, ils possédaient avec lui tous les avantages qui en découlent pour les individus. Mais l'apparition d'un journal indépendant, proclamant qu'il venait défendre les droits politiques des Canadiens et revendiquer en leur faveur tous les avantages de la constitution, effraya ceux qui jouissaient de son patronage. Ils accueillirent le nouveau journal avec une hostilité très prononcée. Ils s'efforcèrent de faire croire que c'était un agent français, M. Turreau, alors aux Etats-Unis, qui en était le principal auteur. «C'est un fait incontestable, disait le Mercury qu'il a offert 900 dollars pour établir une gazette française à New-York. N'avons nous pas raison d'être jaloux de voir établir un journal français à Québec; lorsque nous apprenons que l'on parle déjà d'en publier un second, et que l'on va ouvrir une nouvelle imprimerie. Si dans le temps où nous sommes nous n'en éprouvons pas d'alarmes, c'est que nous sommes insensibles à tous les symptômes des malheurs qui nous menacent. Peu d'Anglais connaissent les intrigues et les cabales qui se passent au milieu de nous.»

Malgré les soupçons qu'on tâchait ainsi de faire naître, le Canadien parut dans le mois de novembre 1806. «Il y a déjà longtemps disait son prospectus que des personnes qui aiment leur pays et leur gouvernement, regrettent que le rare trésor que nous possédons dans notre constitution, demeure si longtemps caché, la liberté de la presse… Ce droit qu'à un peuple anglais, d'exprimer librement ses sentimens sur tous les actes publics de son gouvernement, est ce qui en fait le principal ressort… C'est cette liberté qui rend la constitution anglaise si propre à faire le bonheur des peuples qui sont sous sa protection. Tous les gouvernemens doivent avoir ce but, et tous désireraient peut pour l'obtenir; mais tous n'en ont pas les moyens. Le despote ne connaît le peuple que par le portrait que lui en font les courtisans, et n'a d'autres conseillers qu'eux. Sous la constitution d'Angleterre, le peuple a le droit de ce faire connaître lui-même par le moyen de la presse; et par l'expression libre de ses sentimens, toute la nation devient pour ainsi dire le conseiller privé du gouvernement.

«Le gouvernement despotique toujours mal informé, est sans cesse exposé à heurter les sentimens et les intérêts du peuple qu'il ne connaît pas, et à lui faire sans le vouloir des maux et des violences dont il ne s'aperçoit qu'après qu'il n'est plus temps d'y remédier; d'où vient que ces gouvernemens sont sujets à de si terribles révolutions. Sous la constitution anglaise où rien n'est caché, où aucune contrainte n'empêche le peuple de dire librement ce qu'il pense et où le peuple pense pour ainsi dire tout haut, il est impossible que de pareils inconvéniens puissent avoir lieu, et c'est là ce qui fait la force étonnante de cette constitution qui n'a reçu aucune atteinte, quand toutes celles de l'Europe ont été bouleversées les unes après les autres.

«Les Canadiens comme les plus nouveaux sujets de l'Empire ont surtout intérêt de n'être pas mal représentés.

«Il n'y a pas bien longtemps qu'on les a vus en butte à de noires insinuations dans un papier publié en anglais, sans avoir la liberté de répondre. Ils ont intérêt de dissiper les préjugés, ils ont intérêt surtout d'effacer les mauvaises impressions que les coups secrets de la malignité pourraient laisser dans l'esprit de l'Angleterre et du roi lui-même. On leur a fait un crime de se servir de leur langue maternelle pour exprimer leurs sentimens et se faire rendre justice; mais les accusations n'épouvantent que les coupables, l'expression sincère de la loyauté est loyale dans toutes les langues.»

L'apparition de ce journal marqua l'ère de la liberté de la presse en Canada. Avant lui aucune feuille n'avait encore osé discuter les questions politiques comme on le faisait dans la métropole. La polémique que souleva le Canadien fut conduite presqu'entièrement sous forme de correspondance anonyme. Il donna cependant un grand élan aux idées de liberté pratique, et à ce titre son nom mérite d'être placé à la tête de l'histoire de la presse du pays.

Ces discussions malgré l'agitation momentanée qu'elles causèrent de temps à suit autre, n'interrompaient point encore les bons rapports qui existaient entre le gouvernement et la chambre; et d'ailleurs la situation de nos relations avec les Etats-Unis allait bientôt appeler pour quelque temps du moins, l'attention publique d'un autre côté.

Les guerres terribles occasionnées en Europe par la révolution française, que les rois tremblant sur leurs trônes, s'étaient conjurés pour abattre, avaient excité de vives sympathie dans la république américaine en faveur de la France. On avait vu avec mécontentement la nation la plus libre de l'Europe après la Suisse, se liguer avec les despotes les plus absolus pour écraser la liberté qui avait tant de peine à naître et à se répandre; et le gouvernement des Etats-Unis avait la plus grande peine à arrêter chez une portion très nombreuse de ses habitans l'explosion de sentimens qui auraient amené une guerre avec l'Angleterre, et conséquemment une lutte sur mer, où sa marine n'était pas en état de lutter avec aucune espèce de chance de succès. Depuis quelque temps les rapports entre les deux nations avaient perdu de cette cordialité que l'on essayait en vain du conserver, et qui allait disparaître plus tard avec le parti whig de l'Union.

La révolution française et les guerres qui en avaient été la suite avaient fini par la destruction de toutes les marines des nations continentales, incapables de lutter à la fois sur les deux élément. L'Angleterre était restèe seule maîtresse des mers et voulait en retirer tous les avantages. Les Etats-Unis au contraire prétendaient à la faveur de leur neutralité, trafiquer librement avec les différentes nations belligérantes. Sans tenir compte des prétentions de la nation nouvelle, la Grande-Bretagne déclara en 1806 les côtes d'une partie du continent européen depuis Brest jusqu'à l'Elbe en état de blocus, et captura une foule de navires américains qui s'y rendaient. Napoléon en fit autant de son côté par représailles, et déclara les côtes de l'Angleterre bloquées. Celle-ci pour surenchérir prohiba l'année suivante tout commerce avec la France. Ces mesures extraordinaires et qui violaient les lois des nations et les droits des neutres reconnus jusqu'à ce moment, causèrent un grand mécontentement dans la république américaine, où les marchands demandèrent à grands cris la protection de leur gouvernement. Dans le même temps l'Angleterre, en vertu du droit de visite, qu'elle venait aussi d'introduire dans son code maritime, c'est-à dire le droit de rechercher et de prendre tous les matelots de sa nation qu'elle trouverait sur les vaisseaux étrangers, et qui était dirigé contre les Etats-Unis, qui employaient beaucoup de matelots anglais, attaqua la frégate la Chesapeake, tua et blessa plusieurs hommes de son équipage et en emmena quatre qu'elle réclamaient comme déserteurs. Le gouvernement des Etats-Unis ferma aussitôt ses ports aux vaisseaux de guerre anglais jusqu'à ce que l'Angleterre eût donné satisfaction pour l'attaque de la Chesapeake et des garanties contre toute agression future. Cela fut suivi d'une part des fameux ordres en conseil du gouvernement britannique défendant tout commerce avec la France et ses alliés, et de l'autre du décret de Milan promulgué par Napoléon prohibant tout commerce avec l'Angleterre et ses colonies. Les Etats-Unis de leur côté dans le but de se protéger, mirent un embargo qu'ils révoquèrent cependant l'année suivante parce qu'il faisait plus de mal encore à leur commerce qu'à celui des autres nations; mais ils interdirent tout trafic avec la France et l'Angleterre jusqu'à ce que ces deux nations eussent donné satisfaction pour les griefs dont ils se plaignaient. En même temps, ils prenaient des mesures pour mettre le pays en état de défense et se préparer à la guerre.