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Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours. Tome III

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La capitulation fut signée à 11 heures du matin. Le colonel Littlehales, qui avait remplacé le colonel Mercer, resta prisonnier avec la garnison des deux forts et les équipages des navires formant 1,100 soldats, 300 marins et ouvriers, 80 officiers et une centaine de femmes et enfans. Les troupes posèrent les armes. On prit 7 bâtimens de 8 à 18 canons, 200 bateaux, 107 pièces de canon, 14 mortiers, 730 fusils, une immense quantité de munitions de guerre et de bouche, la caisse militaire renfermant 18,000 francs, et 5 drapeaux. Cette belle conquête, ne coûta que quelques hommes aux vainqueurs. Les vaincus y perdirent, environ 150 tués on blessés, y compris plusieurs soldats qui voulurent se sauver dans les bois pendant la capitulation, et qui tombèrent sous la hache des Indiens.

Ces barbares, se voyant frustrés du pillage de la place conquise, qu'un assaut leur aurait livrée, voulaient à toute force faire un butin. Ils se jetèrent sur les prisonniers isolés, les pillèrent ou les massacrèrent. Ils envahirent ensuite les hôpitaux et levèrent la chevelure à une partie des malades qu'ils y trouvèrent. Une centaine d'hommes devinrent ainsi leurs victimes. Le général Montcalm, à la première alarme, s'était empressé de prendre des mesures pour faire cesser ces sanglans désordres; mais il ne put réussir qu'avec beaucoup de difficulté, et encore, pour satisfaire ces sauvages excités par la soif du sang qu'ils venaient de verser, il avait été obligé de leur promettre de riches présens. «Il en coûtera au roi 8 à 10 mille livres, écrivit-il au ministre, qui nous conserveront plus que jamais l'affection de ces nations; et il n'y a rien que je n'eusse accordé plutôt que de faire une démarche contraire à la lionne loi française.»

Toutes les fortifications d'Oswégo furent rasées, suivant les ordres du gouverneur, en présence des chefs iroquois, qui virent tomber avec la satisfaction la plus vive ces forts élevés au milieu de leurs cantons, et qui offusquaient à la fois leur amour-propre national et excitaient leur jalousie. Cette détermination était d'une politique prévoyante et sage, attendu surtout que l'on manquait de forces pour y laisser une garnison suffisante.

L'époque de la moisson appelait déjà depuis quelque temps le retour des Canadiens dans leurs foyers. Le gros de l'armée se rembarqua avec les prisonniers pour retourner en Canada, où la victoire de Montcalm causa une joie universelle, et fut l'occasion de réjouissances publiques. Un Te Deum fut chanté dans les principales églises des villes, où l'on suspendit les drapeaux pris sur l'ennemi comme des trophées propres à entretenir le zèle des habitans. Mais si l'on ajoutait en Canada un grand prix à la conquête que l'on venait de faire, les regrets des Anglais, qui la regardaient comme l'événement le plus désastreux qui put leur arriver, comme un malheur national, montraient qu'on ne l'avait pas exagéré. En effet ils suspendirent aussitôt toutes leurs opérations offensives. Le général Abercromby accusa le général Schuyler de ne pas l'avoir mis au fait de l'état de cette place. Le général Winslow reçut ordre de ne point marcher sur Carillon, et de se retrancher de manière à Surveiller la route du lac Champlain et celle d'Oswégo. Le général Webb fut placé au portage de la tête du lac St. – Sacrement avec 1,400 hommes, et sir William Johnson, avec 1000 miliciens, à German Flatts sur la rivière Hudson. L'expédition par la rivière Chaudière fut abandonnée ou changée en course de maraudeurs; et celle qu'on avait projetée contre le fort Duquesne, fut ajournée à un temps plus heureux. Ces mesures de précautions occupèrent l'ennemi le reste de la campagne.

L'attaque d'Oswégo, dont la conception était due à M. de Vaudreuil et l'exécution au général Montcalm, fit le plus grand honneur à ces deux hommes; mais le succès qui l'avait couronnée ne rétablit point une amitié franche et cordiale entre eux. Montcalm parut mécontent et morose; et comme s'il eût regretté une victoire obtenue contre ses prévisions, il écrivit à Paris: «C'est la première fois qu'avec 3,000 hommes et moins d'artillerie qu'eux, on en a assiégé 1,800, qui pouvaient promptement être secourus par 2,000, et qui pouvaient s'opposer à notre débarquement, ayant une supériorité de marine sur le lac Ontario. Le succès a été au-delà de toute attente. La conduite que j'ai tenue à cette occasion, et les dispositions que j'avais arrêtées sont si fort contre les règles ordinaires, que l'audace qui a été mise dans cette entreprise doit passer pour de la témérité en Europe; aussi je vous supplie, monseigneur, pour toute grâce d'assurer sa majesté que si jamais elle veut, comme je l'espère, m'employer dans ses armées, je me conduirai sur des principes différens.» Il se plaignit encore dans l'automne de plusieurs petits désagrémens que le gouverneur lui aurait fait souffrir; que lui et M. de Levis recevaient des lettres et des ordres écrits avec duplicité, et qui feraient retomber le blâme sur eux en cas d'échec; que les Canadiens n'avaient ni discipline, ni subordination, etc. Les louanges que le gouverneur donnait dans ses dépêches à leur bravoure, avaient excité, à ce qu'il paraît, la jalousie des troupes régulières et de leurs officiers; et le général Montcalm qui n'aurait pas dédaigné d'être le chef du parti militaire, et qui portait peut-être déjà les yeux sur un poste plus élevé que le sien, devint vis-à-vis de la mère-patrie l'organe d'un système de dénigrement, symptôme lointain de la désorganisation sourde qui s'introduisait déjà dans tous les élémens de l'ancienne monarchie.

Comme nous venons de le dire, la perte d'Oswégo fit suspendre aux Anglais toutes leurs opérations pour le reste de la campagne, tant sur le lac Ontario que du côté de l'Acadie. Sur le lac St. – Sacrement les hostilités se bornèrent à quelques escarmouches jusqu'à l'automne, où les troupes françaises rentrèrent dans l'intérieur pour prendre leurs quartiers d'hiver, laissant quelques centaines d'hommes en garnison à Carillon et à St. – Frédéric sous les ordres de MM. de Lusignan et de Gaspé.

Du côté de l'Ohio, il ne se passa non plus rien de remarquable. Mais les irruptions dévastatrices avaient continué dans la Pennsylvanie, le Maryland et la Virginie. Plus de soixante lieues de pays furent encore abandonnées cette année avec les récoltes et les bestiaux par les habitons, qui s'enfuirent au-delà des Montagnes-Bleues. Les milices américaines, habillées et tatouées à la manière des Indiens, n'avaient pu arrêter qu'un instant ces invasions passagères, mais sanglantes. On eut même des craintes pour la sûreté de la ville de Winchester. Le colonel Washington, qui commandait sur cette frontière, écrivit dans les termes les plus pressans au gouverneur de la Virginie pour lui peindre l'extrême désolation qui y régnait: «Je déclare solennellement, ajoutait-il, que je m'offrirais volontiers en sacrifice à nos barbares ennemis, si cela pouvait contribuer au soulagement du peuple.»

M. Dumas avait fait enlever aussi, dans le mois d'août, le fort Grenville situé seulement à 20 lieues de Philadelphie. Quelque temps auparavant, Washington avait voulu surprendre, avec 3 ou 400 hommes, Astigué, grosse bourgade des Sauvages-Loups; et il avait déjà réussi à mettre cette tribu en fuite, lorsque, ramenée à la charge par M. de la Rocquetaillade et quelques Canadiens, elle mit à son tour les Anglais en déroute, et les dispersa dans les bois.

Telles furent les opérations militaires de cette année. Tout l'honneur en appartint aux armes françaises. Avec moins de 6,000 hommes on avait paralysé les mouvemens de près de 12,000, rassemblés par l'ennemi entre l'Hudson et le lac Ontario; et l'on s'était emparé de sa plus forte place de guerre. Pour récompenser le zèle et le courage des troupes, Louis XV promut à un grade supérieur ou décora de la croix de St. – Louis plusieurs officiers de l'armée canadienne.

Il faut dire néanmoins que, si l'on avait lieu d'être satisfait des services de cette armée, la situation intérieure du pays ne permettait guère de se réjouir de ses succès, qui retenaient, il est vrai, la guerre au-delà des frontières, mais qui étaient inutiles pour soulager les maux du peuple. Toute l'attention du gouvernement se portait alors sur la disette qui régnait, et qui était encore plus redoutable que le fer de l'ennemi. Le tableau de la misère et des souffrances qui s'offraient partout dans l'automne, frappait de pressentimens sinistres les hommes les plus résolus. La petite vérole venait de faire des ravages terribles, qui s'étaient étendus aux tribus indiennes. Les Abénaquis, cette nation si brave et si fidèle à la France et au catholicisme, furent presqu'entièrement détruits par le fléau. Il n'en resta que quelques débris, qui s'attachèrent à la cause des Anglais, leurs plus proches voisins. Les récoltes avaient encore manqué, et, sans les vivres trouvés à Oswégo, on ne sait ce que seraient devenus les postes de Frontenac, Niagara et de l'Ohio. L'intendant fut obligé de faire distribuer du pain au peuple des villes chez les boulangers, à qui l'on fournissait de la farine des magasins du roi. Les habitans affamés accouraient en foule et se l'arrachaient à la distribution. Dans le même temps, les bâtimens envoyés à Miramichi pour porter des provisions aux Acadiens, revenaient chargés de ces malheureux, qui périssaient de misère et qui ne demandaient que des armes et la nourriture pour prix de leur dévoûment. Leur arrivée ne fit qu'empirer le mal. On avait plus de combattans que l'on était capable d'en nourrir, et l'on fut obligé de donner de la chair de cheval à ces émigrés. Une partie mourut de la petite vérole, une autre fut acheminée dans quelques seigneuries de Montréal et des Trois-Rivières, où elles fondèrent les paroisses de l'Acadie, St. – Jacques, Nicolet et Bécancour; le reste traîna une existence misérable dans les villes et dans les campagnes, où il finit par se disperser. Enfin, dans le mois de mai suivant (1757), le mal augmentant toujours, il fallut réduire les habitans de la capitale, depuis quelque temps déjà à la ration, à 4 onces de pain par jour. Tel était déjà à cette époque de la guerre l'état du pays.

 

On adressa de toutes parts des lettres à la France pour y appeler son attention la plus sérieuse. Le gouverneur, les officiers généraux, l'intendant, tous demandaient des secours pour triompher et de la famine et des ennemis. Le succès de la prochaine campagne dépendra surtout, disait-on, des subsistances qu'on y enverra, car il serait triste que, faute de cette prévoyance, le Canada fût en danger; toutes les opérations y seront subordonnées. Quant aux renforts de soldats, M. de Vaudreuil demandait 2,000 hommes si l'Angleterre ne faisait pas passer de nouvelles troupes en Amérique, sinon un nombre proportionné à ce qu'elle enverrait. Les réguliers qui restaient à la fin de la campagne, sans compter les troupes de la colonie, ne formaient guère plus de 2,400 bayonnettes.

Ces demandes continuelles effrayaient le gouvernement de la métropole. Engagé dans une fausse route, il voyait ses finances s'abîmer dans la guerre d'Allemagne et d'Italie, où il n'avait rien à gagner, et ses coffres rester vides pour faire face aux dépenses nécessaires à la conservation du Canada et à l'intégrité de ses possessions américaines. Il sentait le vice de sa position, et il n'en pouvait sortir, car le Canada était sacrifié à la politique de la Pompadour. Il chicanait sur chaque article de la dépense coloniale, dont la liquidation était un embarras qui, chaque jour, se dressait devant lui plus menaçant et plus redoutable. C'était un cauchemar qui l'oppressait sans cesse, et qui finit en 59 par épuiser le reste de ses forces. On observait que dans les temps ordinaires le Canada ne coûtait à la France que 10 à 12 cent mille livres par année, et que depuis le commencement des hostilités, cette dépense avait monté graduellement à 6, puis à 7, puis à 8 millions; que dès 1756 la caisse des colonies se trouvait débitrice, par suite de ces exercices extraordinaires, de 14 millions, dont près de 7 millions en lettres de change payables l'année suivante. L'intendant Bigot mandait que l'armée avait épuisé les magasins de tout à la fin de 56, que les dépenses des postes de l'Ohio iraient jusqu'à 2 ou 3 millions, et que celles de 57 monteraient, pour tout le Canada, à 7 millions au moins. Ces demandes faisaient redouter au ministère un surcroît encore bien plus énorme. Les politiques à vues courtes, les favoris du prince, qui participaient à ses débauches et profitaient de ses prodigalités, s'écriaient que le Canada, ce pays de forêts et de déserts glacés, coûtait infiniment plus qu'il ne valait. On ne voyait qu'une question d'argent, là où se trouvait une question de puissance maritime et de grandeur nationale. La France ou plutôt ses ministres oubliaient jusqu'à l'héroïsme de ses soldats sur cette terre lointaine, pour ne se rappeler que les excès scandaleux des maîtresses royales.

Tout en enjoignant l'économie la plus sévère, la cour ordonna d'envoyer à Québec les renforts et les secours en vivres et en munitions qui avaient été demandés. C'est après cet envoi que l'approvisionnement des armées qui, jusque-là, s'était fait par régie, c'est-à-dire par des employés qui faisaient les achats, fut mis en entreprise (1757), sur les suggestions présentées par Bigot pendant qu'il était en France en 55. Cadet, riche boucher de Québec, devint l'adjudicataire des fournitures de l'armée et de tous les postes pour 9 ans. Ce système qui prévalait en France, et qui était adopté pour prévenir les abus, aurait contribué au contraire à les multiplier de ce côté-ci de l'océan, comme on le verra plus tard.

Cependant le général Montcalm avait suggéré aux ministres, au lieu d'attaquer les forts William-Henry et Édouard dans la prochaine campagne comme l'avait proposé M. de Vaudreuil, deux entreprises qu'il considérait, l'une comme difficile et l'autre comme impossible, de faire plutôt une diversion sur l'Acadie avec une escadre et des troupes de France, auxquelles on joindrait 2,500 Canadiens. Ce projet, qui avait sans doute de l'audace, ne fut point goûté, soit parce que l'on crut le succès inutile ou trop douteux, soit parce qu'il était dangereux, ainsi que le fit observer M. de Lotbinière, de diviser les forces du Canada, déjà si faibles, pour en porter une partie au loin dans un temps où ce pays était toujours sérieusement menacé.

Dans la réponse que reçut le général Montcalm, on lui recommandait particulièrement de faire tout ce qui dépendrait de lui pour ramener la bonne intelligence entre les troupes et les habitans; et on lui rappelait qu'il était également essentiel de bien traiter les alliés indiens, et de rendre à leur bravoure les témoignages dont ils étaient si jaloux. Les rapports parvenus à Paris sur la conduite des militaires, dont la tendance et les prétentions se manifestaient assez, du reste, dans leurs propres lettres à la cour, firent sans doute motiver ces sages instructions. Quant au projet de M. de Vaudreuil sur les forts William-Henry et Édouard, on n'adopta aucune décision définitive pour le moment.

Pendant que la France ne songeait ainsi qu'à prendre des mesures défensives pour l'Amérique du nord, l'Angleterre, honteuse de ses défaites de la dernière campagne dans les deux mondes, prenait la résolution de les venger dans celle qui allait s'ouvrir. Pour se réhabiliter dans l'opinion publique, le ministère admit dans son sein M. Pitt, devenu fameux sous le nom de lord Chatham, et M. Legge, deux hommes regardés comme les plus illustres citoyens du royaume, et dont l'énergie n'était égalée que par leur intégrité. Il fut décidé aussitôt de pousser la guerre avec la plus grande vigueur. Des escadres et des troupes de renfort considérables furent envoyées en Amérique; et afin d'empêcher les colonies françaises de recevoir les provisions dont on savait qu'elles avaient un besoin pressant, le parlement anglais passa une loi pour défendre l'exportation des vivres hors des plantations britanniques.

Le bruit se répandit aussi en France qu'il était question à Londres d'attaquer Louisbourg ou le Canada du côté de la mer, et que Pitt voulait obtenir à quelque prix que ce fût, la supériorité dans le Nouveau-Monde; on ajoutait qu'il devait y envoyer 10 mille hommes, et qu'il triplerait ces forces, s'il le fallait, pour accomplir son dessein. Cela ne fit point changer les résolutions du ministère français au sujet du chiffre de l'envoi de troupes; et c'est en vain que le maréchal de Belle-Isle voulut en représenter le danger dans un mémoire qu'il soumit au conseil d'état: «Il y a plusieurs mois que j'insiste, disait-il, pour que nous fassions passer en Amérique, indépendamment des recrues nécessaires pour compléter les troupes de nos colonies et de nos régimens français, les 4,000 hommes du sieur Fischer!.. Il a un corps distingué d'officiers, presque tous gentilshommes, dont la plus grande partie se propose de ne jamais revenir en Europe, non plus que les soldats, ce qui fortifierait beaucoup, pour le présent et l'avenir, les parties de ces colonies où ces troupes seraient destinées… Je crois ne pouvoir trop insister. L'on se repentira peut-être trop tard, ajoutait-il, de ne l'avoir pas fait, lorsqu'il n'y aura plus de remède. Je conviens que la dépense de transport est excessivement chère; mais je pense qu'il vaudrait encore mieux avoir quelques vaisseaux de ligne de moins et se mettre en toute sûreté pour la conservation des colonies.»

On ne sait quelle influence ce renfort eût exercé sur le résultat des opérations militaires en 59; mais il est déplorable de penser que le sort du Canada ait tenu peut-être à la chétive somme que le transport de ces troupes en Amérique aurait coûté! Le conseil se contenta d'envoyer, pour protéger Louisbourg, une escadre dans les parages du Cap-Breton sous les ordres de M. d'Aubigny, et d'en détacher quelques vaisseaux sous le commandement de M. de Montalais, pour croiser dans le bas du St. – Laurent. L'événement prouva, du moins pour cette année, que cette escadre qui couvrait à la fois Louisbourg et le Canada, était le meilleur secours que l'on pût nous envoyer, si l'on ne pouvait en effet, comme on le disait, en envoyer que d'une sorte.

Dans cette situation, le Canada dut rester sur la défensive pour attendre les événemens, se tenant prêt toutefois à profiter des moindres circonstances favorables qui pourraient se présenter, et ne détachant point ses regards de tous les mouvemens que faisaient ses ennemis.

Par suite du nouveau système adopté par la Grande-Bretagne pour pousser la guerre avec énergie, lord Loudoun assembla à Boston, en janvier 57, les gouverneurs des provinces du Nord, y comprise la Nouvelle-Ecosse, afin de s'entendre sur le plan des opérations de la prochaine campagne. Le plan d'attaque suivi en 55 et 56 fut abandonné, et il fut résolu, au lieu de diviser ses forces, de les réunir pour les porter sur un seul point à la fois. Louisbourg qui était le point le plus saillant des possessions françaises sur la mer, dut attirer le premier l'attention des Anglais, qui l'avaient vu élever, comme on l'a rapporté ailleurs, avec une extrême jalousie. Des levées de troupes furent ordonnées dans les différentes provinces, qui s'empressèrent de faire tous les autres préparatifs nécessaires; et afin que rien du projet ne transpirât au dehors, un embargo fut mis sur les navires qui se trouvaient dans les ports; et même des parlementaires de Louisbourg qui se trouvaient à Boston y furent retenus. La garde des frontières fut confiée aux milices. Washington commandait toujours celle des Apalaches. Deux ou trois mille réguliers seulement furent laissés en garnison dans le fort William-Henry à la tête du lac St. – Sacrement. Au mois de juillet l'armée anglaise se montait, tel qu'il avait été projeté, à plus de 25,000 hommes, dont près de 15,000 réguliers, sans compter de nombreuses milices armées, qui pouvaient marcher au premier ordre.

Lord Loudoun partit de New-York le 20 juin avec 6,000 hommes de troupes régulières et 90 voiles pour Louisbourg. Il fut rejoint, le 9 juillet, à Halifax par la flotte de l'amiral Holburne et cinq autres mille hommes de vieilles troupes; ce qui portait l'armée de débarquement à 11,000. Pendant que l'on était encore dans ce port, l'on apprit de différentes sources à la fois que l'amiral Dubois de la Motthe, venant de Brest, était entré dans la rade de Louisbourg, c'était la flotte promise dans l'hiver; qu'il s'y trouvait alors réunis 17 vaisseaux et 3 frégates, et que la ville était détendue par 6,000 soldats, 3,000 miliciens et 1,300 sauvages, A cette nouvelle, lord Loudoun assembla un conseil de guerre, et il fut convenu d'un commun accord d'abandonner une entreprise qui ne promettait plus aucune chance de succès. En conséquence les troupes de débarquement retournèrent à New-York, et l'amiral Colborne cingla vers Louisbourg avec 15 vaisseaux, 4 frégates et un brûlot. Mais en approchant de cette forteresse, ayant vu l'amiral français donner à sa flotte le signal de lever l'ancre, il se hâta de rentrer à Halifax. Il revint encore en septembre, après avoir reçu un renfort de quatre vaisseaux; mais à son tour M. de la Motthe plus faible maintenant que son adversaire, ne bougea pas, en obéissance aux ordres positifs de la cour de ne pas risquer la plus belle flotte que la France eût mise sur pied depuis 1703. Peu de temps après une horrible tempête éclata sur la flotte anglaise et la mit dans le danger le plus imminent. Un des vaisseaux fut jeté à la côte et la moitié de l'équipage périt dans les flots, onze autres furent démâtés, d'autres furent obligés de jeter leurs canons à la mer, et tous rentrèrent dans les ports de la Grande-Bretagne dans l'état le plus pitoyable.

Malgré la disette qui régnait en Canada, les hostilités n'avaient pas cessé durant tout l'hiver, dont le froid fut aussi extrêmement rigoureux. Dans le mois de janvier un détachement, sorti du fort William-Henry, fut atteint vers Carillon, et détruit. Dans le mois suivant le général Montcalm forma le projet de détacher 850 hommes pour surprendre ce fort et l'emporter par escalade. Le gouverneur crut devoir porter ce détachement a 1,500 hommes, dont 800 Canadiens, 450 réguliers et 300 Indiens, et en donna le commandement à M. de. Rigaud, au grand mécontentement des officiers des troupes et de Montcalm lui-même, qui aurait désiré le voir conférer à M. de Bourlamarque. Ce corps se mit eu marche le 23 février, traversa les lacs Champlain et St. – Sacrement, fit 60 lieues la raquette aux pieds, portant ses vivres sur des traîneaux, couchant au milieu des neiges sur des peaux d'ours, à l'abri d'une simple toile. Le 18 mars l'on se trouva près de William-Henry, qu'après avoir reconnu, M. de Rigaud jugea impossible d'enlever d'un coup de main. On résolut cependant de détruire tout ce qu'il y avait à l'extérieur des ouvrages. Ce qui fut exécuté bous le feu de la place, mais avec peu de perte, dans les nuits du 18 au 22. 350 bateaux, 4 brigantins de 10 à 14 canons, et tous les moulin, magasins et maisons qui étaient palissadées, devinrent la proie des flammes. La garnison environnée pour ainsi dire par une mer de feu pendant 4 jours, ne chercha à faire aucune sortie, ni à s'opposer aux dévastations des Français, qui ne laissèrent debout que le corps nu de la place. La retraite de ceux-ci fut marquée par un événement qui s'est renouvelé à l'armée de Bonaparte en Egypte, par une cause peu différente. La blancheur éblouissante de la neige frappa d'une espèce d'ophtalmie le tiers du détachement, que l'on fut obligé de guider par la main le reste de la route. Mais deux jours après leur arrivée, tous les malades avaient recouvré la vue à l'aide de remèdes faciles.

 

Ces différens succès, et surtout la prise d'Oswégo dans la dernière campagne, maintenaient les tribus indiennes dans l'alliance de la France. La confédération iroquoise, malgré les efforts des Anglais, envoya pour la seconde fois une grande ambassade auprès du gouverneur à Montréal, afin de renouveler ses protestations d'amitié; et qui fut reçue en présence des députés des Nipissings, des Algonquins, des Poutouatamis et des Outaouais. Ces démonstrations étaient importantes en ce qu'elles tranquillisaient les esprits sur les frontières qui n'avaient pas encore été sensiblement troublées depuis le commencement de la guerre.

Les secours en hommes que le gouverneur avait demandés en France, et que, par de nouvelles dépêches voyant les préparatifs des Anglais, il avait prié de porter à 5,000 bayonnettes, n'arrivèrent en Canada que partiellement et fort tard. Le 11 juillet on n'avait encore reçu que 600 soldats et très peu de vivres. Il ne débarqua à Québec dans le cours de l'été qu'environ 1,500 hommes. Ces délais jetèrent des entraves dans les opérations. Après avoir envoyé 400 hommes de secours au fort Duquesne, pour la sûreté duquel il avait quelque crainte, M. de Vaudreuil fit acheminer, dès que la saison le permit, des troupes pour garnir la frontière du lac Champlain. M. de Bourlamarque y réunit 2,000 hommes à Carillon. Un bataillon fut stationné à St. – Jean, un second à Chambly; deux autres gardaient Québec et Montréal. Les Canadiens étaient occupés aux travaux des champs. Sur ces entrefaites la nouvelle du départ de lord Loudoun de New-York pour Louisbourg, détermina les chefs à profiter de l'absence d'une partie des forces de l'ennemi pour réaliser un projet que M. de Vaudreuil méditait depuis quelque temps, à savoir: la conquête du fort William-Henry, dont la situation mettait les Anglais à une petite journée de Carillon, et leur donnait le commandement du lac St. – Sacrement et les moyens de tomber sur nous à l'improviste. Pour se débarrasser d'un voisinage aussi dangereux, il fallait les rejeter sur l'Hudson; ce que l'on décida d'exécuter sans délai, et sans attendre plus longtemps les renforts et les vivres demandés en Europe.

A l'appel du gouverneur les Canadiens fournirent des soldats et des provisions; ils sentaient toute l'utilité de cette entreprise. Ils se dénantirent des petites réserves qu'ils avaient faites pour leurs familles, et se réduisirent à vivre de maïs et de légumes. «On ne trouverait chez eux, écrivit le gouverneur à la cour, ni farine, ni lard; ils se sont exécutés avec autant de générosité que de zèle pour le service du roi.» L'on travailla sans bruit aux préparatifs, et toute l'artillerie était rendue à Carillon à la fin de juillet En très peu de temps l'armée destinée à l'expédition fut réunie. Elle consistait en 3,000 réguliers, un peu plus de 3,000 Canadiens, et en 16 à 18 cents sauvages de 32 tribus différentes, en tout 7,626 hommes (Bougainville: Documens de Paris). Les succès des bandes qui tenaient la campagne, étaient d'un bon augure. Le lieutenant Marin avait fait des prisonniers et levé des chevelures jusque sous le fort Édouard, dont il provoqua une sortie de 2,000 hommes. M. de Rigaud, avec un détachement de 400 hommes, avait rencontré sur le lac St. – Sacrement le colonel Parker qui le descendait à la tête de 22 berges et de 350 à 400 Américains pour faire une reconnaissance; il l'attaqua, prit ou coula à fond 20 berges, lui tua ou noya 160 hommes et lui enleva un pareil nombre de prisonniers, dont 5 officiers. Après ces préludes, le général Montcalm donna le signal du départ.

L'avant-garde, composée de grenadiers, de trois brigades canadiennes et de 600 sauvages, formant 2,800 hommes, aux ordres du brigadier de Levis, prit la route de terre et remonta par le rive droite du lac St. – Sacrement, afin de protéger la marche et le débarquement du reste du corps expéditionnaire, qui suivait par eau en bateau avec le matériel du siège. Elle s'ébranla le 30 juillet et le reste de l'armée le 1 août.

Le 2 au soir, le général Montcalm débarqua avec ses troupes sous la protection de l'avant-garde dans une petite baie, à une lieue de William-Henry. L'artillerie n'arriva que le lendemain matin. Le chevalier de Levis s'avança sur le chemin du fort Édouard suivi par le reste de l'armée marchant sur trois colonnes par les montagnes, afin de reconnaître la position des ennemis et empêcher leurs secours d'arriver; mais la garnison, qui n'était que de 15 cents hommes, avait reçu la veille un renfort de 1,200 soldats, en sorte qu'elle se trouvait composée maintenant de 2,500 hommes environ. L'armée française défila par-derrière la place, et, en l'investissant ainsi que le camp retranché placé sous ses murs et trop fort pour être abordé l'épée à la main, elle appuya sa gauche au lac, à l'endroit où est aujourd'hui Caldwell et où devait débarquer l'artillerie, et sa droite sur les hauteurs du côté du chemin du fort Édouard, sur lequel elle jeta des découvreurs pour être instruite à temps des mouvemens du général Webb, qui était à 5 ou 6 lieues seulement avec 4,000 hommes.

Le colonel de Bourlamarque fut chargé de la direction du siège. Le colonel Monroe commandait le fort.

La tranchée fut ouverte le 4 août à 8 heures du soir à 350 toises, sous un feu de bombes et de boulets qui ne discontinua plus jusqu'au moment de la reddition, sauf quelques courts intervalles. Le lendemain, sur un rapport que le général Webb s'avançait avec 2,000 hommes, le chevalier de Levis eut ordre de marcher à sa rencontre, et Montcalm se préparait à le suivre pour le soutenir, lorsqu'il lui fut remis une lettre trouvée sur un courrier qui venait d'être tué, par laquelle le général Webb mandait au colonel Monroe que, vu la situation du fort Édouard, il ne lui paraissait pas prudent de marcher à son retours, ni de lui envoyer de renfort; que les Français étaient au nombre de 13,000; qu'ils avaient une artillerie considérable, et qu'il lui envoyait ces renseignemens afin qu'il en pût profiter pour obtenir la meilleure capitulation possible, s'il n'était pas capable de tenir jusqu'à l'arrivée des secours demandés d'Albany. L'erreur du général Webb sur le nombre des assiégeans fit précipiter la reddition. Le 6, au point du jour, la batterie de gauche de 8 pièces de canon et un mortier fut démasquée et ouvrit son feu. Celui des assiégés était toujours très vif. Le lendemain une nouvelle batterie commença à tirer. Le général français ayant alors fait suspendre la canonnade, chargea un de ses aides-de-camp, le jeune Bougainville, devenu si célèbre depuis par son voyage autour du monde, d'aller porter au colonel Monroe la lettre du général Webb. Le commandant anglais répondit qu'il était résolu de se défendre jusqu'à la dernière extrémité. A neuf heures le feu recommença aux acclamations des Indiens, qui poussaient de grands cris lorsque les projectiles frappaient les murailles des assiégés. Vers le soir ceux-ci firent une sortie avec 500 hommes pour s'ouvrir une communication avec le fort Édouard; mais M. de Villiers avec la compagnie franche et les sauvages les repoussa, après leur avoir tué une cinquantaine d'hommes et fait quelques prisonniers. Une troisième batterie fut commencée le 8. Dans l'après-midi l'on vit briller des armes sur le haut d'une montagne voisine et paraître des soldats; en même temps des troupes en bataille et beaucoup de mouvement furent observés dans le camp retranché du fort. Le rappel fut aussitôt battu; mais, après quelques coups de fusils, les soldats de la montagne rentrèrent dans le bois et disparurent, et le 9 au matin la place arbora le drapeau blanc et demanda à capituler. Les conférences ne furent pas longues. Il fut convenu que la garnison du fort et du camp au nombre de 2,372 hommes, sortirait avec les honneurs de la guerre, et se retirerait dans son pays avec armes et bagages et une pièce de canon; qu'elle ne servirait point de 18 mois contre les Français et leurs alliés, et que les Français et les sauvages retenus prisonniers dans les colonies anglaises, seraient renvoyés à Carillon dans les 4 mois. Le défaut de vivres fut la raison qui empêcha d'insister pour que la garnison restât prisonnière de guerre.