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Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours. Tome III

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Mazères, sachant que les ministres étaient contre l'octroi d'une assemblée représentative, et en faveur d'un conseil législatif, leur suggéra de le former de 31 membres inamovibles nommés par le gouverneur, de décréter qu'il ne pourrait être assemblé qu'après convocation publique, de donner aux membres le droit d'introduire des bills et de voter comme ils l'entendraient, mais non celui d'imposer des taxes, et enfin de n'y admettre toujours que les protestans. Ces suggestions ne faisaient que justifier les méfiances des Canadiens.

Mais tandis que le parti protestant réclamait ainsi le sceptre du pouvoir pour lui, et l'esclavage pour les catholiques, ceux-ci ne restaient pas inactifs. Ils ne cessaient point par tous les moyens qu'ils avaient à leur disposition, de tâcher de détruire les préjugés du peuple anglais contre eux, préjugés que ses nationaux en Canada cherchaient continuellement à envenimer par leurs écrits et par leurs discours. Ils avaient aussi les yeux sur tout ce qui se passait dans les provinces voisines. Ils ne manquaient pas d'hommes capables de juger sainement de leur situation et de celle des intérêts de la métropole dans ce continent, comme le prouve le mémoire prophétique mentionné dans le discours placé en tête de cet ouvrage, et qui exposait avec une si grande force de logique la nécessité pour l'Angleterre, si elle voulait se maintenir en Canada, d'accorder aux habitans de cette contrée tous les privilèges d'hommes libres, et de favoriser leur religion au lieu de la détruire, même parmi les gens riches, par le moyen sourd, mais infaillible des exclusions; et que ce ne serait pas avoir la liberté d'être catholique que de ne pouvoir l'être sans perdre tout ce qui peut attacher les hommes à la patrie. Ils tinrent des assemblées et signèrent, dans le mois de décembre (1773), une pétition dont voici les principaux passages: «Dans l'année 1764, Votre Majesté daigna faire cesser le gouvernement militaire dans cette colonie pour y introduire le gouvernement civil. Et dès l'époque de ce changement nous commençâmes à nous apercevoir des inconvéniens qui résultaient des lois britanniques, qui nous étaient jusqu'alors inconnues. Nos anciens citoyens, qui avaient réglé sans frais nos difficultés, furent remerciés: cette milice qui se faisait une gloire de porter ce beau nom sous votre empire, fut supprimée. On nous accorda, à la vérité, le droit d'être jurés; mais, en même temps, on nous fit éprouver qu'il y avait des obstacles pour nous à la possession des emplois. On parla d'introduire les lois d'Angleterre, infiniment sages et utiles pour la mère-patrie, mais qui ne pourraient s'allier avec nos coutumes sans renverser nos fortunes et détruire entièrement nos possessions…

«Daignez, illustre et généreux monarque, ajoutaient les Canadiens, dissiper ces craintes en nous accordant nos anciennes lois, privilèges et coutumes, avec les limites du Canada telles qu'elles étaient ci-devant. Daignez répandre également vos bontés sur tous vos sujets sans distinction… et nous accorder, en commun avec les autres, les droits et privilèges de citoyens anglais; alors… nous serons toujours prêts à les sacrifier pour la gloire de notre prince et le bien de notre patrie.»

Cette requête qui passa pour l'expression des sentimens de la généralité des Canadiens, ne fut signée cependant que par une très petite partie des seigneurs et de la classe bourgeoise des villes et leurs adhérens, lesquels pouvaient avoir raison d'espérer d'être représentés dans le corps législatif qui serait donné au pays. Il y a lieu de croire aussi que le clergé partagea les sentimens des pétitionnaires, quoique, suivant son usage, s'il fit des représentations, il les fit secrètement. Le peuple ne sortit point de son immobilité, et la croyance que les remontrances qui se firent alors venaient de lui, n'a aucun fondement. Il ne fit aucune démonstration publique; et dans sa méfiance, il présumait avec raison qu'il n'obtiendrait aucune concession de l'Angleterre, puisque le parti whig ou libéral d'alors dans le parlement britannique, auquel il aurait pu s'adresser, était celui-là même qui appelait avec le plus de force la proscription de tout ce qui était français en Canada, exceptant à peine la religion. Il laissa donc faire les seigneurs et leurs amis, qui demandaient du moins tout ce qu'il aurait demandé lui-même, s'ils ne demandaient pas autant, et qui avaient plus de chance de succès, en ce que leur cause devait exciter quelque sympathie parmi les torys anglais, qui possédaient le pouvoir et qui formaient les classes privilégiées de la métropole, dont ils pouvaient être regardés comme l'image dans la colonie.

Leur langage, du reste, empreint d'un profond respect pour le trône, contrastait avec celui de leurs adversaires. Ils ne demandaient point de dépouiller personne de ses droits tout en invoquant le saint nom de la liberté; ils ne demandaient point de proscrire toute une race d'hommes parce que sa croyance religieuse différait de la leur; ils demandaient seulement à jouir en commun avec les autres sujets du roi des droits et privilèges que leur donnait cette qualité. Cette requête fut accompagnée d'un mémoire dans lequel les pétitionnaires réclamaient également le droit de participer aux emplois civils et militaires, droit contre lequel Mazères, parlant au nom du parti anglais, se prononça ensuite fortement. Ils observaient encore que la limite du Canada fixée à la parallèle 45, à 15 lieues seulement de Montréal, resserrait trop le pays de ce côté, et leur enlevait les meilleures terres; que les pays d'en haut, embrassant le Détroit et Michilimackinac, devraient être restitués au Canada jusqu'au Mississipi, pour les besoins de la traite des pelleteries, de même que la côte du Labrador pour ceux de la pêche. Ils ajoutaient que la colonie, par les fléaux et les calamités de la guerre et les fréquens incendies qu'elle avait essuyés, n'était pas encore en état de payer ses dépenses, et conséquemment de former une chambre d'assemblée; qu'un conseil plus nombreux qu'il n'avait été jusque là, composé d'anciens et nouveaux sujets, serait beaucoup plus à propos… et, enfin, qu'ils espéraient d'autant plus cette grâce que les nouveaux sujets possédaient plus des dix douzièmes des seigneuries et presque toutes les terres en roture.

La déclaration relative à la chambre d'assemblée, a été invoquée depuis pour accuser les signataires canadiens de vues étroites et intéressées. Mais ceux-ci voyant qu'il était impossible d'obtenir une chambre élective où, contrairement à la constitution anglaise, les catholiques pussent être admis, préférèrent sagement assurer la conservation de leur religion et de leurs lois en demandant un simple conseil législatif à la nomination du roi, qu'une chambre populaire dont ils auraient été exclus, et qui aurait été formée d'ennemis déclarés de leur langue et de toutes leurs institutions sociales, d'hommes enfin qui, dans le moment même, voulaient les exclure des emplois publics, et qui auraient sans doute signalé l'existence du régime électif par la proscription de tout ce qu'il y a de plus cher et de plus vénérable parmi les hommes, la religion, les lois et la nationalité.

Les demandes des Canadiens furent accueillies comme elles devaient l'être dans les circonstances où se trouvait l'Angleterre par rapport à l'Amérique, et servirent de base à l'acte de 74, qui ne formait, du reste, qu'une partie d'un plan plus vaste embrassant toutes les colonies anglaises de ce continent, dont la puissance croissante effrayait de plus en plus la métropole, et dont l'attitude depuis la paix, exposée brièvement dans le chapitre suivant, fera connaître les vrais motifs de la politique de l'Angleterre à cette époque concernant le Canada. En même temps pour consoler de son échec le parti de la proscription, Mazères lui écrivait, «qu'il pensait que les habitans de la province seraient plus heureux de là à 7 ou 8 ans sous le gouvernement établi par l'acte de 74, que sous l'influence d'une assemblée où les papistes seraient admis,» paroles qui le font mieux connaître que tout ce que l'on pourrait dire.

CHAPITRE II.
RÉVOLUTION AMÉRICAINE.
1775

Difficultés entre l'Angleterre et ses anciennes colonies: leurs causes. – Divisions dans le parlement impérial à ce sujet. – Avènement de lord North au ministère. – Troubles à Boston. – Mesures coercitives de la métropole, qui cherche à s'attacher le Canada par des concessions. – Pétitions opposées des Canadiens et des Anglais: motifs des délais pour décider entre les deux partis. – Acte de 74 dit de Québec; débats dans la chambre des communes. – Congrès de Philadelphie; il met l'acte de Québec au nombre de ses griefs. – Ses adresses à l'Angleterre et aux Canadiens. – Le général Carleton revient en Canada. – Sentimens des Canadiens sur la lutte qui se prépare. – Premières hostilités. – Surprise de Carillon, St. – Frédéric et St. – Jean. – Guerre civile. – Bataille de Bunker's hill. – Envahissement du Canada. – Montgomery et Arnold marchent sur Québec au milieu des populations qui se joignent à eux ou restent neutres: Montréal et les Trois-Rivières tombent en leur pouvoir. – Le gouverneur rentre en fugitif dans la capitale devant laquelle les insurgés mettent le siège.

Toutes les colonies de l'Amérique septentrionale étaient en rupture ouverte avec l'Angleterre. Elles marchaient à grands pas vers la révolution qui devait assurer leur indépendance. Depuis celle de 1690, qui opéra de si grands changemens dans leurs constitutions, la métropole n'avait pas cessé de chercher à restreindre leurs privilèges, surtout ceux de leur commerce. Nous avons vu dans une autre partie de cette histoire quelle cause avait amené ces changemens, et quel était le caractère des habitans de ces anciennes provinces, unis de principes et de sentimens au parti républicain ou libéral de leur temps dans la mère-patrie. Il n'est donc pas étonnant de les voir aujourd'hui repousser les prétentions d'une métropole devenue beaucoup plus monarchique qu'elle S'avait été autrefois. Après l'acte de navigation passée pour restreindre la marine des colonies, elle avait défendu en 1732 l'exportation des chapeaux et des tissus de laine d'une province à l'autre, l'importation l'année suivante du sucre, du rum et de la mélasse sans payer des droits exorbitans, et en 1750 l'établissement d'usines de laminage des métaux, et la coupe des bois de pin et sapin dans les forêts, etc. Enfin elle prétendait avoir une autorité incontestable et illimitée sur les colonies, et il faut abuser étrangement de son intelligence pour refuser de reconnaître ce droit, disait un membre du parlement, qui ajoutait que la trahison et la révolte étaient des fruits propres et particuliers au sol du Nouveau-Monde. Les opinions avaient varié en Amérique sur ces grandes questions suivant les temps et les circonstances. La Nouvelle-Angleterre, pour ne point paraître soumise à la Grande-Bretagne, lorsqu'elle acquiesçait à un acte du parlement impérial, imprimait à cet acte un caractère particulier en le promulguant comme s'il venait d'elle-même. Les autres provinces de même avaient toujours vu avec répugnance les prétentions de la métropole, et si elles s'y étaient soumises quelquefois en silence, c'est parce qu'elles ne s'étaient pas crues en état de pouvoir y résister; mais leur force augmentait tous les jours. La population de ces colonies qui était de 262,000 âmes, vers 1700, s'élevait, en 1774, à 3 millions environ. Après le traité de Paris de 63, la politique de cette métropole devint encore plus restrictive et plus exigeante. Elle voulut rendre son pouvoir presqu'absolu sur ses provinces d'outre-mer, et en tirer un revenu direct pour l'aider à payer l'intérêt de la dette nationale qu'elle avait fort augmentée par la guerre du Canada, qui avait coûté aussi, dit-on, 2 millions et demi aux Américains. On avait déjà suggéré ce projet à Walpole qui avait répondu: «J'ai contre moi toute la vieille Angleterre, voulez-vous encore que la jeune Angleterre devienne mon ennemie?» Le ministre Grenville qui tenait plus à garder sa place que son prédécesseur, proposa en parlement, contre son propre jugement et pour complaire à George III, les résolutions qui devaient servir de base à l'acte du timbre: elles furent adoptées sans opposition dans le mois de mars 1764.

 

Toutes les colonies protestèrent contre la prétention de les taxer. Si cette prétention, disaient les hommes austères du Massachusetts, d'imposer les colonies à son profit et à sa convenance venait à réussir, il en résulterait un système d'oppression qui bientôt deviendrait insupportable, car une fois établi il serait presqu'impossible de s'en délivrer, ni même de le modifier. Ils n'étaient pas représentés, ajoutaient-ils, au parlement d'Angleterre: qui empêcherait la chambre des communes de chercher à se soulager à leurs dépens du poids des impôts? Et, du reste, en leur qualité de sujets anglais ils soutenaient qu'ils ne pouvaient être taxés que par leurs propres représentans.

Les Américains avaient d'ailleurs d'autres sujets de plainte. L'aspect d'une force militaire permanente dans leur pays les gênait beaucoup; l'augmentation des salaires accordés aux juges leur paraissait un moyen adroit de diminuer leur indépendance; les gouverneurs de provinces qui n'étaient plus nommés comme autrefois par les habitans, se montraient toujours disposés à prendre des mesures arbitraires. Malgré l'opposition que le projet de les taxer souleva, les résolutions de Grenville furent incorporées dans un acte que le parlement impérial passa l'année suivante (1765) pour établir en Amérique les mêmes droits de timbre que dans la Grande-Bretagne. Franklin, agent du Massachusetts à Londres, écrivit aux colonies: «Le soleil de la liberté est passé sous l'horison, il faut que vous allumiez les flambeaux de l'industrie et de l'économie.» Les colons résolurent de ne faire aucun usage des marchandises anglaises, ce qui effraya les marchands de la métropole et les rallia aux partisans de la cause américaine. La Virginie, sous l'inspiration du célèbre patriote Patrick Henry, commença l'opposition à l'acte du timbre. Par les résolutions qu'il présenta à la chambre et qui passèrent après de longs débats, il fut déclaré que le peuple n'était pas tenu d'obéir aux lois d'impôt qui n'étaient pas votées par ses représentais, et que tout homme qui soutiendrait le contraire était l'ennemi des colonies. Dans la chaleur de la discussion, il parla avec la plus grande hardiesse. Faisant allusion au sort des tyrans: «César, dit-il, a eu son Brutus, Charles I son Cromwell, et George III… Ici il s'arrêta au milieu des cris de trahison! trahison!.. et George III, continua-t-il, pourra profiter de leur exemple. Si c'est là de la trahison, qu'on me le fasse voir.» Il y eut des émeutes en plusieurs endroits et surtout à Boston, où la population démolit le bureau du timbre. A Philadelphie, lorsque le vaisseau qui apportait le papier timbré entra dans le port, les navires hissèrent leurs pavillons à mi-mât, et les cloches, enveloppées de crêpe noir, sonnèrent lugubrement jusqu'au soir. Enfin, un congrès, composé des députés de la plus grande partie des provinces, s'assembla à New-York et vota une déclaration de leurs droits, et des pétitions au parlement impérial contre, la prétention de la métropole. L'opposition devint si formidable que les préposés du timbre furent partout contraints de renoncer publiquement à leurs fonctions ou de retourner en Europe. Les officiers de la justice, les avocats, etc., s'engagèrent à suspendre tout exercice de leurs charges plutôt que de se soumettre au nouvel impôt. La populace brûlait les marchandises estampillées sur le rivage au milieu des cris de joie. Les marchands cessèrent tout commerce avec l'Angleterre. En même temps que ces mesures donnaient l'impulsion à l'industrie locale, le commerce de la métropole tombait dans une stagnation ruineuse, qui jettait le gouvernement impérial dans le plus grand embarras, quelques ministres penchant pour la coercition, les autres pour les tempéramens.

Le parlement anglais s'ouvrit en 1766 sous les auspices les plus sombres. La misère et le mécontentement agitaient tout l'empire. Menacé d'une révolution, le ministère proposa lui-même, appuyé par Pitt et par Burke, de rapporter, en stipulant une réserve de droits, l'acte qui avait allumé la colère des colonies. Les débats où les orateurs des deux partis se surpassèrent par la hauteur et la beauté de l'éloquence, portée alors à son comble dans le sénat anglais, furent très longs; mais ils se terminèrent à l'avantage des ministres. Pour se populariser davantage, ils firent passer plusieurs lois toutes favorables au commerce colonial, et obtinrent de la France la liquidation des papiers du Canada dûs depuis la cession. Le rapport de la loi du timbre, reçu avec joie en Amérique, y suspendit quelque temps l'opposition hostile qui s'y était formée; mais bientôt d'autres difficultés s'élevèrent entre le gouverneur et l'assemblée du Massachusetts. Le ministère Grenville était tombé, et Pitt, devenu lord Chatham, était remonté aux affaires. Par une de ces inconséquences qui ne s'expliquent que par l'ambition ou la faiblesse des hommes, les nouveaux ministres, dont plusieurs s'étaient exprimés avec tant de force contre le droit de taxer les colonies, surtout lord Chatham, proposèrent en 67 d'imposer le verre, le thé, le papier, etc., importés en Amérique. Leur proposition fut convertie en loi; et afin de se faire craindre des colons, le parlement impérial suspendit par le même acte l'assemblée représentative de la Nouvelle-Yorke, parce qu'elle refusait de reconnaître sur ce point la juridiction de la Grande-Bretagne; preuve, du reste, que les prétendus amis qu'ont les colons dans les métropoles sont souvent mus moins par un sentiment de justice en leur faveur, que par un esprit d'opposition aux ministres du jour.

Bientôt après le ministère Grafton, composé, suivant Junius, de déserteurs de tous les partis, remplaça celui de lord Chatham, qui conserva lui-même cependant son poste dans ce remaniement, mais qui avait déjà perdu toute sa popularité. Le nouveau projet de taxation éprouva encore plus d'opposition en Amérique que l'acte du timbre. Le Massachusetts donna le premier l'exemple de la résistance, et forma une convention générale. L'arrivée du général Gage avec 4 régimens et un détachement d'artillerie fit suspendre un instant ces démonstrations; mais le feu couvait sous la cendre, et était entretenu par les associations qui s'étaient formées dans toutes les provinces. Les nouvelles mesures de la métropole précipitaient les événemens. Le parlement passa une adresse au roi pour l'autoriser à envoyer une commission spéciale à Boston, afin d'y juger les opposans comme coupables de haute trahison. Les colons résolurent encore une fois de suspendre les relations commerciales avec l'Angleterre, dont les exportations en Amérique diminuèrent cette seule année (1769) de 740,000 louis. Ce résultat alarma de nouveau les marchands anglais, et le ministère se vit contraint d'annoncer qu'il allait proposer la révocation de la nouvelle loi d'impôt sur tous les articles qui y étaient mentionnés, excepté le thé conservé comme marque du droit de souveraineté. C'était à la fois annoncer sa faiblesse et laisser subsister le germe des discordes.

Sur ces entrefaites, en 1770, lord North prit en main la direction des affaires. Il fit passer la proposition de son prédécesseur en loi. Dans le même temps des troubles sérieux avaient éclaté à Boston entre les citoyens et les soldats, et l'on n'avait pu les appaiser qu'en faisant sortir ceux-ci de la ville. L'alarme gagnait toutes les provinces et toutes les classes, qui jettaient les yeux sur l'avenir avec inquiétude; mais la grande majorité des colons était décidée de défendre ses droits à main armée s'il était nécessaire. Ils organisaient partout leur résistance. Devenus plus modérés dans la forme, ils ne voulaient rien abandonner du fond, et ils étaient prêts à subir tous les sacrifices pour assurer le triomphe de leur cause. Le Massachusetts donnait l'exemple, dirigé par Otis, Adam et Hancock. Il fut aisé bientôt de prévoir que ni l'Angleterre, ni l'Amérique ne céderaient rien de leurs prétentions, et que de la plume on en appellerait à l'épée. En 73 le parlement impérial passa un acte pour autoriser la compagnie des Indes orientales à importer le thé en Amérique à la charge de payer les droits imposés par l'acte de 67. Dans plusieurs provinces on força les cosignataires de cette denrée à renoncer à leurs entrepôts. A Boston l'on se saisit de plusieurs des entreposeurs, et on promena dans les rues les plus rebelles, le corps enduit de goudron et couvert de plumes; on détruisit ou l'on jeta à l'eau les cargaisons de thé de trois navires. En d'autres endroits l'on commit les mêmes désordres. Lord North, impatienté de l'audace des Bostonnais, voulut les punir. Il introduisit un bill dans la chambre des communes pour tenir leur ville rebelle comme en état de blocus: il aurait été détendu de prendre terre dans le port, d'y charger ou décharger des navires, d'y recevoir ou apporter des marchandises. Ce bill suscita une vive opposition, mais il passa. «Détruisez, détruisez, disait un de ses défenseurs, ce repaire d'insectes malfaisans.» Deux autres bills de coercition, dirigés contre toutes les provinces do l'Amérique, furent encore présentés par le ministère. Dans l'un on restreignait spécialement les libertés du Massachusetts, et déclarait contraires aux lois, toutes les assemblées publiques non spécialement autorisées par le gouverneur; dans l'autre on mettait à l'abri de toutes recherches judiciaires les officiers qui se serviraient de la force et même qui tueraient soit en exécutant la loi, soit en apaisant les émeutes. C'était ce qu'on appelait en Canada, après les troubles de 1838, un bill d'indemnité, ingénieuse fiction inventée pour légaliser la tyrannie. La passation de ces deux derniers bills n'éprouva pas moins d'opposition que le premier. Fox, le colonel Barré, Burke, Chatham s'élevèrent contre ces mesures. «Nous avons passé le Rubicon, dit-on, dans la chambre haute; le mot d'ordre autour de nous, c'est: Delenda Carthago. Eh bien! prenez-y garde, s'écriait Barré. Les finances de la France sont aujourd'hui dans un état florissant; vous la verrez intervenir dans nos querelles avec l'Amérique, en faveur des Américains.» En effet, Choiseul avait habilement préparé à sa patrie les moyens de tirer une vengeance éclatante de la perte du Canada. Un autre orateur mit encore plus de véhémence dans ses paroles:

«J'espère, dit-il, que les Américains résisteront de tout leur pouvoir à ces lois de destruction; je le désire au moins. S'ils ne le font pas, je les regarderai comme les plus vils de tous les esclaves.» Enfin, le ministère proposa un quatrième bill, l'acte de 74, pour réorganiser le gouvernement du Canada, nommé alors province de Québec. C'était le complément du plan général d'administration imaginé pour l'Amérique. Ce bill qui imposait un gouvernement absolu à cette province, acheva de persuader les anciennes colonies des arrière-pensées de l'Angleterre contre leurs libertés, à en juger d'après sa politique rétrograde depuis 1690. C'était à leurs yeux l'exemple le plus dangereux et le plus menaçant. Elles se récrièrent, et protestèrent surtout contre la reconnaissance du catholicisme comme religion établie en Canada, plus probablement par politique, connaissant les vieux préjugés de l'Angleterre contre cette religion, que par motif de conscience, puisqu'elles admirent peu après les catholiques au droit de citoyenneté dans leur révolution.

 

L'on connaît tous les plans qui ont été successivement proposés depuis 63 pour gouverner le Canada; les tentatives avortées pour en mettre quelques-uns à exécution, les investigations et les nombreux rapports présentés sur cette importante matière par les principaux fonctionnaires de cette colonie, ainsi que par le Bureau du Commerce et des Plantations et les officiers de la couronne en Angleterre; enfin les requêtes des colons eux-mêmes, français et anglais, pour demander un meilleur gouvernement, et la prétention mise en avant par ces derniers d'exclure les catholiques des emplois publics et des chambres; prétention qui a été, comme nous l'avons déjà observé, la cause de la lutte et de la rivalité de races qui existe en ce pays, et qui n'a fait que donner plus de vitalité à la nationalité franco-canadienne. Toutes ces pièces avaient été soumises aux délibérations du conseil d'état. Dès 67 la chambre des lords avait déclaré qu'il était nécessaire d'améliorer le système gouvernemental du Canada. Le Bureau du Commerce avait même appelé auprès de lui le gouverneur Carleton pour s'aider de ses lumières et de ses pensées dans la nouvelle voie qu'il voulait prendre. En 1764 l'esprit du gouvernement anglais était complètement hostile aux Canadiens; en 74, les choses avaient changé; ses préjugés s'étaient tournés contre les Américains et les chambres d'assemblées coloniales. L'intérêt triomphait de l'ignorance et de la passion. L'abolition permanente des anciennes institutions du Canada devait avoir infailliblement l'effet de réunir ses habitans aux mécontens des autres colonies anglaises; on le savait, on retarda conséquemment le règlement de la question canadienne d'année en année jusqu'à ce que l'on se vît obligé de sévir contre le Massachusetts et d'autres provinces du sud. Le rétablissement des lois françaises dépendit long-temps du résultat de la tentative de taxer les colonies. L'opposition invincible de celles-ci contribua à décider le ministère à écouter les remontrances des Canadiens. Et en se rendant à leurs voeux, il servait doublement sa politique; il attachait le clergé et la noblesse à la cause de la métropole, et il amenait le peuple à reconnaître sa suprématie en matière de taxation; car dans l'opinion des Canadiens cette reconnaissance était un faible dédommagement pour leur conservation et pour entrer dans le partage des droits politiques accordés aux autres sujets anglais, qui voulaient les en exclure.

Le comte de Dartmouth, secrétaire des colonies, introduisit donc le bill en question dans la chambre des lords, qui l'adopta sans opposition. Ce bill reculait de toutes parts les limites de la province de Québec telles que fixées dix ans auparavant, de manière à les étendre d'un côté à la Nouvelle-Angleterre, à la Pennsylvanie, à la Nouvelle-Yorke, à l'Ohio et à la rive gauche du Mississipi, et de l'autre jusqu'au territoire de la Compagnie de la baie d'Hudson. 53 Il conservait aux catholiques les droits que leur avait assurés la capitulation, et les dispensait du serment du test; il rétablissait les anciennes lois civiles avec la liberté de tester de tous ses biens, et confirmait les lois criminelles anglaises. Enfin il donnait à la province un conseil de 17 membres au moins et de 23 au plus catholiques ou protestans, qui exercerait, au nom du prince et sous son veto, tous les droits d'une administration supérieure moins celui d'imposer des taxes, si ce n'est pour l'entretien des chemins et des édifices publics. Le roi se réservait au surplus le privilège d'instituer les cours de justice civiles, criminelles ou ecclésiastiques. Si ce projet de loi passa à l'unanimité dans la chambre des lords, il n'en fut pas ainsi dans celle des communes, où il souleva une violente opposition. Les débats durèrent plusieurs jours. Les marchands de Londres, poussés par leurs compatriotes d'outre-mer, firent des remontrances et employèrent un avocat pour défendre leur cause devant la chambre, qui voulut entendre aussi des témoins. Le gouverneur Carleton qui rendit un excellent témoignage des Canadiens, le juge-en-chef Hey, M. de Lotbinière, Mazères et Marriott furent interrogés. Ce dernier se trouva dans une situation singulière. Ne pouvant pas, à cause de sa charge d'avocat du roi, s'opposer au bill du ministère, il dut éluder toutes les questions qu'on lui posa, pour ne pas contredire son rapport au conseil d'état dont nous avons parlé ailleurs, et qui était sur plusieurs points contraire au projet de loi; il se tira de ce mauvais pas avec une présence d'esprit admirable, mais en montrant que le sort d'un peuple colonial peut être le jouet d'un bon mot.

Note 53:(retour) En 1775 un projet de pacification des colonies fut proposé par Franklin au ministère. Il y demandait que l'acte de Québec fut rapporté, et qu'un gouvernement libre fut établi en Canada. Les ministres répondirent que cet acte pourrait être amendé de manière à réduire la province à ses anciennes limites, e'est-à-dire à celles fixées par la proclamation de 1764. – (Ramsay, History of the American Revolution).

Parmi les membres qui s'opposèrent au bill, se trouvaient Townshend, Burke, Fox et le colonel Barré. La plupart s'élevèrent contre le rétablissement des lois françaises et le libre exercice de la religion catholique. Ils auraient voulu une chambre représentative; mais à la manière dont ils s'exprimaient et à leurs réticences étudiées, on ne devait pas espérer d'y voir admettre de catholiques. C'était la liberté de tyranniser les Canadiens qu'ils voulaient donner à une poignée d'aventuriers. Telles sont les contradictions des hommes que les amis de la cause des libertés anglo-américaines dans le parlement impérial, étaient précisément ceux qui demandaient avec le plus d'ardeur l'asservissement politique des Canadiens. Fox fut le seul dont la noble parole s'éleva au-dessus des préjugés vulgaires et nationaux. «Je suis porté à croire, dit-il, d'après toutes les informations que j'ai obtenues, qu'il convient d'établir une chambre représentative en Canada… Je dois dire que les Canadiens sont le premier objet de mon attention, et je maintiens que leur bonheur et leurs libertés sont les objets propres qui doivent former le premier principe du bill; mais de quelle manière leur assurer ces avantages sans une chambre, je n'en sais rien… Jusqu'à présent je n'ai pas entendu donner une seule raison contre l'établissement d'une assemblée. Nous avons ouï dire beaucoup de choses sur le danger qu'il y aurait de remettre une portion du pouvoir entre les mains des Canadiens; mais comme des personnes de la plus grande conséquence dans la Colonie sont, dit-on, attachées aux lois et aux coutumes françaises, en préférant un conseil législatif à une assemblée, ne mettons-nous pas le pouvoir dans les mains de ceux qui chérissent le plus le gouvernement français. Personne n'a dit que la religion des Canadiens put être un obstacle à l'octroi d'une assemblée représentative, et j'espère ne jamais entendre faire une pareille objection; car celui qui a conversé avec des catholiques, ne voudra jamais croire qu'il y a quelque chose dans leurs vues d'incompatible avec les principes de la liberté politique. Les principes de la liberté politique, quoique inusités dans les pays catholiques, y sont aussi chéris et révérés par le peuple que dans les pays protestans. S'il y avait du danger, je le craindrais plus des hautes classes que des classes inférieures.» Fox fut presque le seul qui réclama en faveur des catholiques dans la chambre des communes. Le premier ministre, lord North, répliqua aussitôt: «Est-il sûr pour l'Angleterre, car c'est l'Angleterre que nous devons considérer, de mettre le principal pouvoir entre les mains d'une assemblée de sujets catholiques? Je conviens avec l'honorable monsieur que les catholiques peuvent être honnêtes, capables, dignes, intelligens, avoir des idées très justes sur la liberté politique; mais je dois dire qu'il y a quelque chose dans cette religion qui fait qu'il ne serait pas prudent pour un gouvernement protestant d'établir une assemblée composée entièrement de catholiques.» (Cavendish's Debates). Il est certain que la religion fut l'un des motifs ostensibles qui empêchèrent le gouvernement de nous donner alors une chambre élective, comme la crainte de voir les Canadiens joindre leur cause à celle des Américains, l'engagea à leur restituer leurs lois.