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Ainsi Parlait Zarathoustra

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LA VIEILLE ET LA JEUNE FEMME

"Pourquoi te glisses-tu furtivement dans le crépuscule, Zarathoustra? Et que caches-tu avec tant de soin sous ton manteau?

"Est-ce un trésor que l'on t'a donné? Ou bien un enfant qui t'est né? Où vas-tu maintenant toi-même par les sentiers des voleurs, toi, l'ami des méchants?"

En vérité, mon frère! répondit Zarathoustra, c'est un trésor qui m'a été donné: une petite vérité, voilà ce que je porte.

Mais elle est espiègle comme un petit enfant; et si je ne lui fermais la bouche, elle crierait à tue-tête.

Tandis que, solitaire, je suivais aujourd'hui mon chemin, à l'heure où décline le soleil, j'ai rencontré une vieille femme qui parla ainsi à mon âme: "Maintes fois déjà Zarathoustra a parlé, même à nous autres femmes, mais jamais il ne nous a parlé de la femme."

Je lui ai répondu: "Il ne faut parler de la femme qu'aux hommes."

"A moi aussi tu peux parler de la femme, dit-elle; je suis assez vieille pour oublier aussitôt tout ce que tu m'auras dit."

Et je condescendis aux désirs de la vieille femme et je lui dis:

Chez la femme tout est une énigme: mais il y a un mot à cet énigme: ce mot est grossesse.

L'homme est pour la femme un moyen: le but est toujours l'enfant. Mais qu'est la femme pour l'homme?

L'homme véritable veut deux choses: le danger et le jeu. C'est pourquoi il veut la femme, le jouet le plus dangereux.

L'homme doit être élevé pour la guerre, et la femme pour le délassement du guerrier: tout le reste est folie.

Le guerrier n'aime les fruits trop doux. C'est pourquoi il aime la femme; une saveur amère reste même à la femme la plus douce.

Mieux que l'homme, la femme comprend les enfants, mais l'homme est plus enfant que la femme.

Dans tout homme véritable se cache un enfant: un enfant qui veut jouer. Allons, femmes, découvrez-moi l'enfant dans l'homme!

Que la femme soit un jouet, pur et menu, pareil au diamant, rayonnant des vertus d'un monde qui n'est pas encore!

Que l'éclat d'une étoile resplendisse dans votre amour! Que votre espoir dise: "Oh! que je mette au monde le Surhumain!"

Qu'il y ait de la vaillance dans votre amour! Armée de votre amour vous irez au-devant de celui qui vous inspire la peur.

Qu'en votre amour vous mettiez votre honneur. La femme du reste sait peu de choses de l'honneur. Mais que ce soit votre honneur d'aimer toujours plus que vous êtes aimées, et de ne jamais venir en seconde place.

Que l'homme redoute la femme, quand elle aime: c'est alors qu'elle fait tous les sacrifices et toute autre chose lui paraît sans valeur.

Que l'homme redoute la femme, quand elle hait: car au fond du coeur l'homme n'est que méchant, mais au fond du coeur la femme est mauvaise.

Qui la femme hait-elle le plus? – Ainsi parlait le fer à l'aimant: "Je te hais le plus parce que tu attires, mais que tu n'es pas assez fort pour attacher à toi."

Le bonheur de l'homme est: je veux; le bonheur de la femme est: il veut.

"Voici, le monde vient d'être parfait!" – ainsi pense toute femme qui obéit dans la plénitude de son amour.

Et il faut que la femme obéisse et qu'elle trouve une profondeur à sa surface. L'âme de la femme est surface, une couche d'eau mobile et orageuse sur un bas-fond.

Mais l'âme de l'homme est profonde, son flot mugit dans les cavernes souterraines: la femme pressent la puissance de l'homme, mais elle ne la comprend pas. -

Alors la vieille femme me répondit: "Zarathoustra a dit mainte chose gentille, surtout pour celles qui sont assez jeunes pour les entendre.

Chose étrange, Zarathoustra connaît peu les femmes, et pourtant il dit vrai quand il parle d'elles! Serait-ce parce que chez les femmes nulle chose n'est impossible?

Et maintenant, reçois en récompense une petite vérité! Je suis assez vieille pour te la dire!

Enveloppe-la bien et clos-lui le bec: autrement elle criera trop fort, cette petite vérité."

"Donne-moi, femme, ta petite vérité!" dis-je. Et voici ce que me dit la vieille femme:

"Tu vas chez les femmes? N'oublie pas le fouet!" -

Ainsi parlait Zarathoustra.

LA MORSURE DE LA VIPÈRE

Un jour Zarathoustra s'était endormi sous un figuier, car il faisait chaud, et il avait ramené le bras sur son visage. Mais une vipère le mordit au cou, ce qui fit pousser un cri de douleur à Zarathoustra. Lorsqu'il eut

enlevé le bras de son visage, il regarda le serpent: alors le serpent reconnut les yeux de Zarathoustra, il se tordit maladroitement et voulut s'éloigner. "Non point, dit Zarathoustra, je ne t'ai pas encore remercié! Tu m'as éveillé à temps, ma route est encore longue." "Ta route est courte encore, dit tristement la vipère; mon poison tue." Zarathoustra se prit à sourire. "Quand donc un dragon mourut-il du poison d'un serpent? – dit-il. Mais reprends ton poison! Tu n'en pas assez riche pour m'en faire hommage." Alors derechef la vipère s'enroula autour de son cou et elle lécha sa blessure.

Un jour, comme Zarathoustra racontait ceci à ses disciples, ceux-ci lui demandèrent: "Et quelle est la morale de ton histoire, ô Zarathoustra?" Zarathoustra leur répondit:

Les bons et les justes m'appellent le destructeur de la morale: mon histoire est immorale.

Mais si vous avez un ennemi, ne lui rendez pas le bien pour le mal; car il en serait humilié. Démontrez-lui, au contraire, qu'il vous a fait du bien.

Et plutôt que d'humilier, mettez-vous en colère. Et lorsque l'on vous maudit, il ne me plaît pas que vous vouliez bénir. Maudissez plutôt un peu de votre côté!

Et si l'on vous inflige une grande injustice, ajoutez-en vite cinq autres petites. Celui qui n'est opprimé que par l'injustice est affreux à voir.

Saviez-vous déjà cela? Injustice partagée est demi-droit. Et celui qui peut porter l'injustice doit prendre l'injustice sur lui!

Il est plus humain de se venger un peu que de s'abstenir de la vengeance. Et si la punition n'est pas aussi un droit et un honneur accordés au transgresseur, je ne veux pas de votre punition.

Il est plus noble de se donner tort que de garder raison, surtout quand on a raison. Seulement il faut être assez riche pour cela.

Je n'aime pas votre froide justice; dans les yeux de vos juges passe toujours le regard du bourreau et son couperet glacé.

Dites-moi donc où se trouve la justice qui est l'amour avec des yeux clairvoyants.

Inventez-moi donc l'amour qui porte non seulement toutes les punitions, mais aussi toutes les fautes!

Inventez-moi donc la justice qui acquitte chacun sauf celui qui juge!

Voulez-vous que je vous dise encore cela? Chez celui qui veut être juste au fond de l'âme, le mensonge même devient philanthropie.

Mais comment saurais-je être juste au fond de l'âme? Comment pourrais-je donner à chacun le sien?. Que ceci me suffise: je donne à chacun le mien.

Enfin, mes frères, gardez-vous d'être injustes envers les solitaires. Comment un solitaire pourrait-il oublier? Comment pourrait-il rendre?

Un solitaire est comme un puits profond. Il est facile d'y jeter une pierre; mais si elle est tombée jusqu'au fond, dites-moi donc, qui voudra la chercher?

Gardez-vous d'offenser le solitaire. Mais si vous l'avez offensé, eh bien! tuez-le aussi!

Ainsi parlait Zarathoustra.

DE L'ENFANT ET DU MARIAGE

J'ai une question pour toi seul, mon frère. Je jette cette question comme une sonde dans ton âme, afin de connaître sa profondeur.

Tu es jeune et tu désires femme et enfant. Mais je te demande: es-tu un homme qui ait le droit de désirer un enfant?

Es-tu le victorieux, vainqueur de lui-même, souverain des sens, maître de ses vertus? C'est ce que je te demande.

Ou bien ton voeu est-il le cri de la bête et de l'indigence? Ou la peur de la solitude? Ou la discorde avec toi-même?

Je veux que ta victoire et ta liberté aspirent à se perpétuer par l'enfant. Tu dois construire des monuments vivants à ta victoire et à ta délivrance.

Tu dois construire plus haut que toi-même. Mais il faut d'abord que tu sois construit toi-même, carré de la tête à la base.

Tu ne dois pas seulement propager ta race plus loin, mais aussi plus haut. Que le jardin du mariage te serve à cela.

Tu dois créer un corps d'essence supérieure, un premier mouvement, une roue qui roule sur elle-même, – tu dois créer un créateur.

Mariage: c'est ainsi que j'appelle la volonté à deux de créer l'unique qui est plus que ceux qui l'ont créé. Respect mutuel, c'est là le mariage, respect de ceux qui veulent d'une telle volonté.

Que ceci soit le sens et la vérité de ton mariage. Mais ce que les inutiles appellent mariage, la foule des superflus! – comment appellerai-je cela?

Hélas! cette pauvreté de l'âme à deux! Hélas! cette impureté de l'âme à deux! Hélas, ce misérable contentement à deux!

Mariage, c'est ainsi qu'ils appellent tout cela; et ils disent que leurs unions ont été scellées dans le ciel.

Eh bien, je n'en veux pas de ce ciel des superflus! Non, je n'en veux pas de ces bêtes empêtrées dans le filet céleste!

Loin de moi aussi le Dieu qui vient en boitant pour bénir ce qu'il n'a pas uni!

Ne riez pas de pareils mariages! Quel est l'enfant qui n'aurait pas raison de pleurer sur ses parents?

Cet homme me semblait respectable et mûr pour saisir le sens de la terre: mais lorsque je vis sa femme, la terre me sembla une demeure pour les insensés.

Oui, je voudrais que la terre fût secouée de convulsions quand je vois un saint s'accoupler à une oie.

Tel partit comme un héros en quête de vérités, et il ne captura qu'un petit mensonge paré. Il appelle cela son mariage.

Tel autre était réservé dans ses relations et difficile dans son choix. Mais d'un seul coup il a gâté à tout jamais sa société. Il appelle cela son mariage.

 

Tel autre encore cherchait une servante avec les vertus d'un ange. Mais soudain il devint la servante d'une femme, et maintenant il lui faudrait devenir ange lui-même.

Je n'ai vu partout qu'acheteurs pleins de précaution et tous ont des yeux rusés. Mais le plus rusé lui-même achète sa femme comme chat en poche.

Beaucoup de courtes folies – c'est là ce que vous appelez amour. Et votre mariage met fin à beaucoup de courtes folies, par une longue sottise.

Votre amour de la femme et l'amour de la femme pour l'homme: oh! que ce soit de la pitié pour des dieux souffrants et voilés! Mais presque toujours c'est une bête qui devine l'autre.

Cependant votre meilleur amour n'est qu'une métaphore extasiée et une douloureuse ardeur. Il est un flambeau qui doit éclairer pour vous les chemins supérieurs.

Un jour vous devrez aimer par delà vous-mêmes! Apprenez donc d'abord à aimer! C'est pourquoi il vous fallut boire l'amer calice de votre amour.

Il y a de l'amertume dans le calice, même dans le calice du meilleur amour. C'est ainsi qu'il éveille en toi le désir du Surhumain, c'est ainsi qu'il éveille en toi la soif, ô créateur!

Soif du créateur, flèche et désir du Surhumain: dis-moi, mon frère, est-ce là ta volonté du mariage?

Je sanctifie telle volonté et un tel mariage. -

Ainsi parlait Zarathoustra.

DE LA MORT VOLONTAIRE

Il y en a beaucoup qui meurent trop tard et quelques-uns qui meurent trop tôt. La doctrine qui dit: "Meurs à temps!" semble encore étrange.

Meurs à temps: voilà ce qu'enseigne Zarathoustra.

Il est vrai que celui qui n'a jamais vécu à temps ne saurait mourir à temps. Qu'il ne soit donc jamais né! – Voilà ce que je conseille aux superflus.

Mais les superflus eux-mêmes font les importants avec leur mort, et la noix la plus creuse prétend être cassée.

Ils accordent tous de l'importance à la mort: mais pour eux la mort n'est pas encore une fête. Les hommes ne savent point encore comment on consacre les plus belles fêtes.

Je vous montre la mort qui consacre, la mort qui, pour les vivants, devient un aiguillon et une promesse.

L'accomplisseur meurt de sa mort, victorieux, entouré de ceux qui espèrent et qui promettent.

C'est ainsi qu'il faudrait apprendre à mourir; et il ne devrait pas y avoir de fête, sans qu'un tel mourant ne sanctifie les serments des vivants!

Mourir ainsi est la meilleure chose; mais la seconde est celle-ci: mourir au combat et répandre une grande âme.

Mais haïe tant par le combattant que par le victorieux et votre mort grimaçante qui s'avance en rampant, comme un voleur – et qui pourtant vient en maître.

Je vous fait l'éloge de ma mort, de la mort volontaire, qui me vient puisque je veux.

Et quand voudrais-je? – Celui qui a un but et un héritier, veut pour but et héritier la mort à temps.

Et, par respect pour le but et l'héritier, il ne suspendra plus de couronnes fanées dans le sanctuaire de la vie.

En vérité, je ne veux pas ressembler aux cordiers: ils tirent leur fils en longueur et vont eux-mêmes toujours en arrière.

Il y en a aussi qui deviennent trop vieux pour leurs vérités et leurs victoires; une bouche édentée n'as plus droit à toutes les vérités.

Et tous ceux qui cherchent la gloire doivent au bon moment prendre congé de l'honneur, et exercer l'art difficile de s'en aller à temps.

Il faut cesser de se faire manger, au moment où l'on vous trouve le plus de goût: ceux-là le savent qui veulent être aimés longtemps.

Il y a bien aussi des pommes aigres dont la destinée est d'attendre jusqu'au dernier jour de l'automne. Et elles deviennent en même temps mûres jaunes et ridées.

Chez les uns le coeur vieillit d'abord, chez d'autres l'esprit. Et quelques-uns sont vieux dans leur jeunesse: mais quand on est jeune très tard, on reste jeune très longtemps.

Il y en a qui manquent leur vie: un ver venimeux leur ronge le coeur. Qu'ils tâchent au moins de mieux réussir dans leur mort.

Il y en a qui ne prennent jamais de saveur, ils pourrissent déjà en été. C'est la lâcheté qui les retient à leur branche.

Il y en a beaucoup trop qui vivent et trop longtemps ils restent suspendus à leur branche. Qu'une tempête vienne et secoue de l'arbre tout ce qui est pourri et mangé par le ver?

Viennent les prédicateurs de la mort rapide! Ce seraient eux les vraies tempêtes qui secoueraient l'arbre de la vie! Mais je n'entends prêcher que la mort lente et la patience avec tout ce qui est "terrestre".

Hélas! vous prêchez la patience avec ce qui est terrestre? C'est le terrestre qui a trop de patience avec vous, blasphémateurs!

En vérité, il est mort trop tôt, cet Hébreu qu'honorent les prédicateurs de la mort lente, et pour un grand nombre, depuis, ce fut une fatalité qu'il mourût trop tôt.

Il ne connaissait encore que les larmes et la tristesse de l'Hébreu, ainsi que la haine des bons et des justes, – cet Hébreu Jésus: et voici que le désir de la mort le saisit à l'improviste.

Pourquoi n'est-il pas resté au désert, loin des bons et des justes! Peut-être aurait-il appris à vivre et à aimer la terre – et aussi le rire!

Croyez-m'en, mes frères! Il est mort trop tôt; il aurait lui-même rétracté sa doctrine, s'il avait vécu jusqu'à mon âge! Il était assez noble pour se rétracter!

Mais il n'était pas encore mûr. L'amour du jeune homme manque de maturité, voilà pourquoi il hait les hommes et la terre. Chez lui l'âme et les ailes de la pensée sont encore liées et pesantes.

Mais il y a de l'enfant dans l'homme plus que dans le jeune homme, et moins de tristesse: l'homme comprend mieux la mort et la vie.

Libre pour la mort et libre dans la mort, divin négateur, s'il n'est plus temps d'affirmer: ainsi il comprend la vie et la mort.

Que votre mort ne soit pas un blasphème sur l'homme et la terre, ô mes amis: telle est la grâce que j'implore du miel de votre âme.

Que dans votre agonie votre esprit et votre vertu jettent encore une dernière lueur, comme la rougeur du couchant enflamme la terre: si non, votre mort vous aura mal réussi.

C'est ainsi que je veux mourir moi-même, afin que vous aimiez davantage la terre à cause de moi, ô mes amis; et je veux revenir à la terre pour que je retrouve mon repos en celle qui m'a engendré.

En vérité, Zarathoustra avait un but, il a lancé sa balle; maintenant, ô mes amis, vous héritez de mon but, c'est à vous que je lance la balle dorée.

Plus que toute autre chose, j'aime à vous voir lancer la balle dorée, ô mes amis! Et c'est pourquoi je demeure encore un peu sur la terre: pardonnez-le-moi!

Ainsi parlait Zarathoustra.

DE LA VERTU QUI DONNE

1

Lorsque Zarathoustra eut pris congé de la ville que son coeur aimait, et dont le nom est "la Vache multicolore", – beaucoup de ceux qui s'appelaient ses disciples l'accompagnèrent et lui firent la reconduite. C'est ainsi qu'ils arrivèrent à un carrefour: alors Zarathoustra leur dit qu'il voulait continuer seul la route, car il était ami des marches solitaires. Ses disciples, cependant, en lui disant adieu, lui firent hommage d'un bâton dont la poignée d'or était un serpent s'enroulant autour du soleil. Zarathoustra se réjouit du bâton et s'appuya dessus; puis il dit à ses disciples:

Dites-moi donc, pourquoi l'or est-il devenu la plus haute valeur? C'est parce qu'il est rare et inutile, étincelant et doux dans son éclat: il se donne toujours.

Ce n'est que comme symbole de la plus haute vertu que l'or atteignit la plus haute valeur. Luisant comme de l'or est le regard de celui qui donne. L'éclat de l'or conclut la paix entre la lune et le soleil.

La plus haute vertu est rare et inutile, elle est étincelante et d'un doux éclat: une vertu qui donne est la plus haute vertu.

En vérité, je vous devine, mes disciples: vous aspirez comme moi à la vertu qui donne. Qu'auriez-vous de commun avec les chats et les loups?

Vous avez soif de devenir vous-mêmes des offrandes et des présents: c'est pourquoi vous avez soif d'amasser toutes les richesses dans vos âmes.

Votre âme est insatiable à désirer des trésors et des joyaux, puisque votre vertu est insatiable dans sa volonté de donner.

Vous contraignez toutes choses à s'approcher et à entrer en vous, afin qu'elles rejaillissent de votre source, comme les dons de votre amour.

En vérité, il faut qu'un tel amour qui donne se fasse le brigand de toutes les valeurs; mais j'appelle sain et sacré cet égoïsme.

Il y a un autre égoïsme, trop pauvre celui-là, et toujours affamé, un égoïsme qui veut toujours voler, c'est l'égoïsme des malades, l'égoïsme malade.

Avec les yeux du voleur, il garde tout ce qui brille, avec l'avidité de la faim, il mesure celui qui a largement de quoi manger, et toujours il rampe autour de la table de celui qui donne.

Une telle envie est la voix de la maladie, la voix d'une invisible dégénérescence; dans cet égoïsme l'envie de voler témoigne d'un corps malade.

Dites-moi, mes frères, quelle chose nous semble mauvaise pour nous et la plus mauvaise de toutes? N'est-ce pas la dégénérescence? – Et nous concluons toujours à la dégénérescence quand l'âme qui donne est absente.

Notre chemin va vers les hauteurs, de l'espèce à l'espèce supérieure. Mais nous frémissons lorsque parle le sens dégénéré, le sens qui dit: "Tout pour moi."

Notre sens vole vers les hauteurs: c'est ainsi qu'il est un symbole de notre corps, le symbole d'une élévation. Les symboles de ces élévations portent les noms des vertus.

Ainsi le corps traverse l'histoire, il devient et lutte. Et l'esprit – qu'est-il pour le corps? Il est le héraut des luttes et des victoires du corps, son compagnon et son écho.

Tous les noms du bien et du mal sont des symboles: ils n'exprimaient point, ils font signe. Est fou qui veut leur demander la connaissance!

Mes frères, prenez garde aux heures où votre esprit veut parler en symboles: c'est là qu'est l'origine de votre vertu.

C'est là que votre corps est élevé et ressuscité; il ravit l'esprit de sa félicité, afin qu'il devienne créateur, qu'il évalue et qu'il aime, qu'il soit le bienfaiteur de toutes choses.

Quand votre coeur bouillonne, large et plein, pareil au grand fleuve, bénédiction et danger pour les riverains: c'est alors l'origine de votre vertu.

Quand vous vous élevez au-dessus de la louange et du blâme, et quand votre volonté, la volonté d'un homme qui aime, veut commander à toutes choses: c'est là l'origine de votre vertu.

Quand vous méprisez ce qui est agréable, la couche molle, et quand vous ne pouvez pas vous reposer assez loin de la mollesse: c'est là l'origine de votre vertu.

Quand vous n'avez plus qu'une seule volonté et quand ce changement de toute peine s'appelle nécessité pour vous: c'est là l'origine de votre vertu.

En vérité, c'est là un nouveau "bien et mal"! En vérité, c'est un nouveau murmure profond et la voix d'une source nouvelle!

Elle donne la puissance, cette nouvelle vertu; elle est une pensée régnante et, autour de cette pensée, une âme avisée: un soleil doré et autour de lui le serpent de la connaissance.

2

Ici Zarathoustra se tut quelque temps et il regarda ses disciples avec amour. Puis il continua à parler ainsi, – et sa voix s'était transformée:

Mes frères, restez fidèles à la terre, avec toute la puissance de votre vertu! Que votre amour qui donne et votre connaissance servent le sens de la terre. Je vous en prie et vous en conjure.

Ne laissez pas votre vertu s'envoler des choses terrestres et battre des ailes contre des murs éternels! Hélas! il y eut toujours tant de vertu égarée!

Ramenez, comme moi, la vertu égarée sur la terre – oui, ramenez-la vers le corps et vers la vie; afin qu'elle donne un sens à la terre, un sens humain!

L'esprit et la vertu se sont égarés et mépris de mille façons différentes. Hélas! dans notre corps habite maintenant encore cette folie et cette méprise: elles sont devenues corps et volonté!

L'esprit et la vertu se sont essayés et égarés de mille façons différentes. Oui, l'homme était une tentative. Hélas! combien d'ignorances et d'erreurs se sont incorporées en nous!

Ce n'est pas seulement la raison des millénaires, c'est aussi leur folie qui éclate en nous. Il est dangereux d'être héritier.

Nous luttons encore pied à pied avec le géant hasard et, sur toute l'humanité, jusqu'à présent le non-sens régnait encore.

Que votre esprit et votre vertu servent le sens de la terre, mes frères: et la valeur de toutes choses se renouvellera par vous! C'est pourquoi vous devez être des créateurs.

 

Le corps se purifie par le savoir; il s'élève en essayant avec science; pour celui qui cherche la connaissance tous les instincts se sanctifient; l'âme de celui qui est élevé se réjouit.

Médecin, aide-toi toi-même et tu sauras secourir ton malade. Que ce soit son meilleur secours de voir, de ses propres yeux, celui qui se guérit lui-même.

Il y a mille sentiers qui n'ont jamais été parcourus, mille santés et mille terres cachées de la vie. L'homme et la terre des hommes n'ont pas encore été découverts et épuisés.

Veillez et écoutez, solitaires. Des souffles aux essors secrets viennent de l'avenir; un joyeux messager cherche de fines oreilles.

Solitaires d'aujourd'hui, vous qui vivez séparés, vous serez un jour un peuple. Vous qui vous êtes choisis vous-mêmes, vous formerez un jour un peuple choisi – et c'est de ce peuple que naîtra le Surhumain.

En vérité, la terre deviendra un jour un lieu de guérison! Et déjà une odeur nouvelle l'enveloppe, une odeur salutaire, – et un nouvel espoir!

3

Quand Zarathoustra eut prononcé ces paroles, il se tut, comme quelqu'un qui n'a pas dit son dernier mot. Longtemps il soupesa son bâton avec hésitation. Enfin il parla ainsi et sa voix était transformée:

Je m'en vais seul maintenant, mes disciples! Vous aussi, vous partirez seuls! Je le veux ainsi.

En vérité, je vous conseille: éloignez-vous de moi et défendez-vous de Zarathoustra! Et mieux encore: ayez honte de lui! Peut-être vous a-t-il trompés.

L'homme qui cherche la connaissance ne doit pas seulement savoir aimer ses ennemis, mais aussi haïr ses amis.

On n'a que peu de reconnaissance pour un maître, quand on reste toujours élève. Et pourquoi ne voulez-vous pas déchirer ma couronne?

Vous me vénérez; mais que serait-ce si votre vénération s'écroulait un jour? Prenez garde à ne pas être tués par une statue!

Vous dites que vous croyez en Zarathoustra? Mais qu'importe Zarathoustra! Vous êtes mes croyants: mais qu'importent tous les croyants!

Vous ne vous étiez pas encore cherchés: alors vous m'avez trouvé. Ainsi font tous les croyants; c'est pourquoi la foi est si peu de chose.

Maintenant je vous ordonne de me perdre et de vous trouver vous-mêmes; et ce n'est que quand vous m'aurez tous renié que je reviendrai parmi vous.

En vérité, mes frères, je chercherai alors d'un autre oeil mes brebis perdues; je vous aimerai alors d'un autre amour.

Et un jour vous devrez être encore mes amis et les enfants d'une seule espérance: alors je veux être auprès de vous, une troisième fois, pour fêter, avec vous, le grand midi.

Et ce sera le grand midi, quand l'homme sera au milieu de sa route entre la bête et le Surhumain, quand il fêtera, comme sa plus haute espérance, son chemin qui mène à un nouveau matin.

Alors celui qui disparaît se bénira lui-même, afin de passer de l'autre côté; et le soleil de sa connaissance sera dans son midi.

"Tous les dieux sont morts: nous voulons, maintenant, que le surhumain vive!" Que ceci soit un jour, au grand midi, notre dernière volonté! -

Ainsi parlait Zarathoustra.