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Ainsi Parlait Zarathoustra

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DU PÂLE CRIMINEL

Vous ne voulez point tuer, juges et sacrificateurs, avant que la bête n'ait hoché la tête? Voyez, le pâle criminel a hoché la tête: dans ses yeux parle le grand mépris.

"Mon moi est quelque chose qui doit être surmonté: mon moi, c'est mon grand mépris des hommes." Ainsi parlent les yeux du criminel.

Ce fut son moment suprême, celui où il s'est jugé lui-même: ne laissez pas le sublime redescendre dans sa bassesse!

Il n'y a pas de salut pour celui qui souffre à ce point de lui-même, si ce n'est la mort rapide.

Votre homicide, ô juges, doit se faire par compassion et non par vengeance. Et en tuant, regardez à justifier la vie!

Il ne suffit pas de vous réconcilier avec celui que vous tuez. Que votre tristesse soit l'amour du Surhumain, ainsi vous justifierez votre survie!

Dites "ennemi" et non pas "scélérat"; dites "malade" et non pas "gredin"; dites "insensé" et non pas "pécheur".

Et toi, juge rouge, si tu disais à haute voix ce que tu as déjà fait en pensées: chacun s'écrierait: "Otez cette immondice et ce venin!"

Mais autre chose est la pensée, autre chose l'action, autre chose l'image de l'action. La roue de la causalité ne roule pas entre ces choses.

C'est une image qui fit pâlir cet homme pâle. Il était à la hauteur de son acte lorsqu'il commit son acte: mais il ne supporta pas son image après l'avoir accompli.

Il se vit toujours comme l'auteur d'un seul acte. J'appelle cela de la folie, car l'exception est devenue la règle de son être.

La ligne fascine la poule; le trait que le criminel a porté fascine sa pauvre raison – c'est la folie après l'acte.

Écoutez, juges! Il y a encore une autre folie: et cette folie est avant l'acte. Hélas! vous n'avez pas pénétré assez profondément dans cette âme!

Ainsi parle le juge rouge: "Pourquoi ce criminel a-t-il tué? Il voulait dérober." Mais je vous dis: son âme voulait du sang, et ne désirait point le vol: il avait soif du bonheur du couteau!

Mais sa pauvre raison ne comprit point cette folie et c'est elle qui décida le criminel. "Qu'importe le sang! dit-elle; ne veux-tu pas profiter de ton crime pour voler? pour te venger?"

Et il écouta sa pauvre raison: son discours pesait sur lui comme du plomb, – alors il vola, après avoir assassiné. Il ne voulait pas avoir honte de sa folie.

Et de nouveau le plomb de sa faute pèse sur lui, de nouveau sa pauvre raison est engourdie, paralysée et lourde.

Si du moins il pouvait secouer la tête, son fardeau roulerait en bas: mais qui secouera cette tête?

Qu'est cet homme? Un monceau de maladies qui, par l'esprit, agissent sur le monde extérieur: c'est là qu'elles veulent leur butin.

Qu'est cet homme? Une grappe de serpents sauvages entrelacés, qui rarement se supportent tranquillement – alors ils s'en vont, chacun de son côté, pour chercher leur butin de par le monde.

Voyez ce pauvre corps! Ses souffrances et ses désirs, sa pauvre âme essaya de les comprendre, – elle crut qu'ils étaient le plaisir et l'envie criminelle d'atteindre le bonheur du couteau.

Celui qui tombe malade maintenant est surpris par le mal qui est le mal de ce moment: il veut faire souffrir avec ce qui le fait souffrir. Mais il y a eu d'autres temps, il y a eu un autre bien et un autre mal.

Autrefois le doute et l'ambition personnelle étaient des crimes. Alors le malade devenait hérétique et sorcier; comme hérétique et comme sorcier il souffrait et voulait faire souffrir.

Mais vous ne voulez pas m'entendre: ce serait nuisible pour ceux d'entre vous qui sont bons, dites-vous. Mais que m'importe vos hommes bons!

Chez vos hommes bons, il y a bien des choses qui me dégoûtent et ce n'est vraiment pas le mal. Je voudrais qu'ils aient une folie dont ils périssent comme ce pâle criminel!

Vraiment, je voudrais que cette folie s'appelât vérité, ou fidélité, ou justice: mais leur vertu consiste à vivre longtemps dans un misérable contentement de soi.

Je suis un garde-fou au bord du fleuve: que celui qui peut me saisir me saisisse! Je ne suis pas votre béquille. -

Ainsi parlait Zarathoustra.

LIRE ET ÉCRIRE

De tout ce qui est écrit, je n'aime que ce que l'on écrit avec son propre sang. Écris avec du sang et tu apprendras que le sang est esprit.

Il n'est pas facile de comprendre du sang étranger: je haïs tous les paresseux qui lisent.

Celui qui connaît le lecteur ne fait plus rien pour le lecteur. Encore un siècle de lecteurs – et l'esprit même sentira mauvais.

Que chacun ait le droit d'apprendre à lire, cela gâte à la longue, non seulement l'écriture, mais encore la pensée.

Jadis l'esprit était Dieu, puis il devint homme, maintenant il s'est fait populace.

Celui qui écrit en maximes avec du sang ne veut pas être lu, mais appris par coeur.

Sur les montagnes le plus court chemin va d'un sommet à l'autre: mas pour suivre ce chemin il faut que tu aies de longues jambes. Les maximes doivent être des sommets, et ceux à qui l'on parle des hommes grands et robustes.

L'air léger et pur, le danger proche et l'esprit plein d'une joyeuse méchancheté: tout cela s'accorde bien.

Je veux avoir autour de moi des lutins, car je suis courageux. Le courage qui chasse les fantômes se crée ses propres lutins, – le courage veut rire.

Je ne suis plus en communion d'âme avec vous. Cette nuée que je vois au-dessous de moi, cette noirceur et cette lourdeur dont je ris – c'est votre nuée d'orage.

Vous regardez en haut quand vous aspirez à l'élévation. Et moi je regarde en bas puisque je suis élevé.

Qui de vous peut en même temps rire et être élevé?

Celui qui plane sur les plus hautes montagnes se rit de toutes les tragédies de la scène et de la vie.

Courageux, insoucieux, moqueur, violent – ainsi nous veut la sagesse: elle est femme et ne peut aimer qu'un guerrier.

Vous me dites: "La vie est dure à porter." Mais pourquoi auriez-vous le matin votre fierté et le soir votre soumission?

La vie est dure à porter: mais n'ayez donc pas l'air si tendre! Nous sommes tous des ânes et des ânesses chargés de fardeaux.

Qu'avons-nous de commun avec le bouton de rose qui tremble puisqu'une goutte de rosée l'oppresse.

Il est vrai que nous aimons la vie, mais ce n'est pas parce que nous sommes habitués à la vie, mais à l'amour.

Il y a toujours un peu de folie dans l'amour. Mais il y a toujours un peu de raison dans la folie.

Et pour moi aussi, pour moi qui suis porté vers la vie, les papillons et les bulles de savon, et tout ce qui leur ressemble parmi les hommes, me semble le mieux connaître le bonheur.

C'est lorsqu'il voit voltiger ces petites âmes légères et folles, charmantes et mouvantes – que Zarathoustra est tenté de pleurer et de chanter.

Je ne pourrais croire qu'à un Dieu qui saurait danser.

Et lorsque je vis mon démon, je le trouvai sérieux, grave, profond et solennel: c'était l'esprit de lourdeur, – c'est par lui que tombent toutes choses.

Ce n'est pas par la colère, mais par le rire que l'on tue. En avant, tuons l'esprit de lourdeur!

J'ai appris à marcher: depuis lors, je me laisse courir. J'ai appris à voler, depuis lors je ne veux pas être poussé pour changer de place.

Maintenant je suis léger, maintenant je vole, maintenant je me vois aud-dessous de moi, maintenant un dieu danse en moi.

Ainsi parlait Zarathoustra.

DE L'ARBRE SUR LA MONTAGNE

Zarathoustra s'était aperçu qu'un jeune homme l'évitait. Et comme il allait un soir seul par la montagne qui domine la ville appelée "la Vache multicolore", il trouva dans sa promenade ce jeune homme, appuyé contre un arbre et jetant sur la vallée un regard fatigué. Zarathoustra mit son bras autour de l'arbre contre lequel le jeune homme était assis et il parla ainsi:

"Si je voulais secouer cet arbre avec mes mains, je ne le pourrais pas.

Mais le vent que nous ne voyons pas l'agite et le courbe comme il veut. De même nous sommes courbés et agités par des mains invisibles.

Alors le jeune homme se leva stupéfait et il dit: "J'entends Zarathoustra et justement je pensais à lui." Zarathoustra répondit:

"Pourquoi t'effrayes-tu? – Il es est de l'homme comme de l'arbre.

Puis il veut s'élever vers les hauteurs et la clarté, plus profondément aussi ses racines s'enfoncent dans la terre, dans les ténèbres et l'abîme, – dans le mal?"

" Oui, dans le mal! s'écria le jeune homme. Comment est-il possible que tu aies découvert mon âme?"

Zarathoustra se prit à sourire et dit: "Il y a des âmes qu'on ne découvrira jamais, à moins que l'on ne commence par les inventer."

"Oui, dans le mal! s'écria derechef le jeune homme.

Tu disais la vérité, Zarathoustra. Je n'ai plus confiance en moi-même, depuis que je veux monter dans les hauteurs, et personne n'a plus confiance en moi, – d'où cela peut-il donc venir?

Je me transforme trop vite: mon présent réfute mon passé. Je saute souvent des marches quand je monte, – c'est ce que les marches ne me pardonnent pas.

Quand je suis en haut je me trouve toujours seul. Personne ne me parle, le froid de la solitude me fait trembler. Qu'est-ce que je veux donc dans les hauteurs?

Mon mépris et mon désir grandissent ensemble; plus je m'élève, plus je méprise celui qui s'élève. Que veut-il donc dans les hauteurs?

Comme j'ai honte de ma montée et de mes faux pas! Comme je ris de mon souffle haletant! Comme je hais celui qui prend son vol! Comme je suis fatigué lorsque je suis dans les hauteurs!"

Alors le jeune homme se tut. Et Zarathoustra regarda l'arbre près duquel ils étaient debout et il parla ainsi:

"Cet arbre s'élève seul sur la montagne; il a grandi bien au-dessus des hommes et des bêtes.

 

Et s'il voulait parler, personne ne pourrait le comprendre: tant il a grandi.

Dès lors il attend et il ne cesse d'attendre, – quoi donc? Il habite trop près du siège des nuages: il attend peut-être le premier coup de foudre?"

Quand Zarathoustra eut dit cela, le jeune homme s'écria avec des gestes véhéments: "Oui, Zarathoustra , tu dis la vérité. J'ai désiré ma chute en voulant atteindre les hauteurs, et tu es le coup de foudre que j'attendais! Regarde-moi, que suis-je encore depuis que tu nous es apparu? C'est la jalousie qui m'a tué!" – Ainsi parlait le jeune homme et il pleurait amèrement. Zarathoustra, cependant, mit son bras autour de sa taille et l'emmena avec lui.

Et lorsqu'ils eurent marché côte à côte pendant quelques minutes, Zarathoustra commença à parler ainsi:

J'en ai le coeur déchiré. Mieux que ne le disent tes paroles, ton regard me dit tout le danger que tu cours.

Tu n'es pas libre encore, tu cherches encore la liberté. Tes recherches t'ont rendu noctambule et trop lucide.

Tu veux monter librement vers les hauteurs et ton âme a soif d'étoiles. Mais tes mauvais instincts, eux aussi, ont soif de la liberté.

Tes chiens sauvages veulent être libres; ils aboient de joie dans leur cave, quand ton esprit tend à ouvrir toutes les prisons.

Pour moi, tu es encore un prisonnier qui aspire à la liberté: hélas! l'âme de pareils prisonniers devient prudente, mais elle devient aussi rusée et mauvaise.

Pour celui qui a délivré son esprit il reste encore à se purifier. Il demeure en lui beaucoup de contrainte et de bourbe: il faut que son oeil se purifie.

Oui, je connais le danger que tu cours. Mais par mon amour et mon espoir, je t'en conjure: ne jette pas loin de toi ton amour et ton espoir!

Tu te sens encore noble, et les autres aussi te tiennent pour noble, ceux qui t'en veulent et qui te regardent d'un mauvais oeil. Sache qu'ils ont tous quelqu'un de noble dans leur chemin.

Les bons, eux aussi, ont tous quelqu'un de noble dans leur chemin: et quand même ils l'appelleraient bon, ce ne serait que pour le mettre de côté.

L'homme noble veut créer quelque chose de neuf et une nouvelle vertu. L'homme bon désire les choses vieilles et que les choses vieilles soient conservées.

Mais le danger de l'homme noble n'est pas qu'il devienne bon, mais insolent, railleur et destructeur.

Hélas! j'ai connu des hommes nobles qui perdirent leur plus haut espoir. Et dès lors ils calomnièrent tous les hauts espoirs.

Dès lors ils vécurent, effrontés, en de courts désirs, et à peine se sont-ils tracé un but d'un jour à l'autre.

"L'esprit aussi est une volupté" – ainsi disaient-ils. Alors leur esprit s'est brisé les ailes: maintenant il ne fait plus que ramper et il souille tout ce qu'il dévore.

Jadis ils songeaient à devenir des héros: maintenant ils ne sont plus que des jouisseurs. L'image du héros leur cause de l'affliction et de l'effroi.

Mais par mon amour et par mon espoir, je t'en conjure: ne jette pas loin de toi le héros qui est dans ton âme! Sanctifie ton plus haut espoir! -

Ainsi parlait Zarathoustra.

DES PRÉDICATEURS DE LA MORT

Il y a des prédicateurs de la mort et le monde est plein de ceux à qui il faut prêcher de se détourner de la vie.

La terre est pleine de superflus, la vie est gâtée par ceux qui sont de trop. Qu'on les attire hors de cette vie, par l'appât de la "vie éternelle"!

"Jaunes": c'est ainsi que l'on désigne les prédicateurs de la mort, ou bien on les appelle "noirs". Mais je veux vous les montrer sous d'autres couleurs encore.

Ce sont les plus terribles, ceux qui portent en eux la bête sauvage et qui n'ont pas de choix, si ce n'est entre les convoitises et les mortifications. Et leurs convoitises sont encore des mortifications.

Ils ne sont pas encore devenus des hommes, ces êtres terribles: qu'ils prêchent donc l'aversion de la vie et qu'ils s'en aillent!

Voici les phtisiques de l'âme: à peine sont-ils nés qu'ils commencent déjà à mourir, et ils aspirent aux doctrines de la fatigue et du renoncement.

Ils aimeraient à être morts et nous devons sanctifier leur volonté! Gardons-nous de ressusciter ces morts et d'endommager ces cercueils vivants.

S'ils rencontrent un malade ou bien un vieillard, ou bien encore un cadavre, ils disent de suite "la vie est réfutée"!

Mais eux seuls sont réfutés, ainsi que leur regard qui ne voit qu'un seul aspect de l'existence.

Enveloppés d'épaisse mélancolie, et avides des petits hasards qui apportent la mort: ainsi ils attendent en serrant les dents.

Ou bien encore, ils tendent la main vers des sucreries et se moquent de leurs propres enfantillages: ils sont accrochés à la vie comme à un brin de paille et ils se moquent de tenir à un brin de paille.

Leur sagesse dit: "Est fou qui demeure en vie, mais nous sommes tellement fous! Et ceci est la plus grande folie de la vie!" -

"La vie n'est que souffrance" – prétendent-ils, et ils ne mentent pas: faites donc en sorte que vous cessiez d'être! Faites donc cesser la vie qui n'est que souffrance!

Et voici l'enseignement de votre vertu: "Tu dois te tuer toi-même! Tu dois t'esquiver toi-même!"

"La luxure est un péché, – disent les uns, en prêchant la mort – mettons-nous à l'écart et n'engendrons pas d'enfants!"

"L'enfantement est pénible, disent les autres, – pourquoi enfanter encore? On n'enfante que des malheureux!" Et eux aussi sont des prédicateurs de la mort.

"Il nous faut de la pitié – disent les troisièmes. Prenez ce que j'ai! Prenez ce que je suis! Je serai d'autant moins lié par la vie!"

Si leur pitié allait jusqu'au fond de leur être, ils tâcheraient de dégoûter de la vie leurs prochains. Être méchants – ce serait là leur véritable bonté.

Mais ils veulent se débarrasser de la vie: que leur importe si avec leurs chaînes et leurs présents ils en attachent d'autres plus étroitement encore! -

Et vous aussi, vous dont la vie est inquiétude et travail sauvage: n'êtes-vous pas fatigués de la vie? N'êtes-vous pas mûrs pour la prédication de la mort?

Vous tous, vous qui aimez le travail sauvage et tout ce qui est rapide, nouveau, étrange, – vous vous supportez mal vous-mêmes, votre activité est une fuite et c'est la volonté de s'oublier soi-même.

Si vous aviez plus de foi en la vie, vous vous abandonneriez moins au moment. Mais vous n'avez pas assez de valeur intérieure pour l'attente – et vous n'en avez pas même assez pour la paresse!

Partout résonne la voix de ceux qui prêchent la mort: et le monde est plein de ceux à qui il faut prêcher la mort.

Ou bien "la vie éternelle": ce qui pour moi est la même chose, – pourvu qu'ils s'en aillent rapidement!

Ainsi parlait Zarathoustra.

DE LA GUERRE ET DES GUERRIERS

Nous ne voulons pas que nos meilleurs ennemis nous ménagent ni que nous soyons ménagés par ceux que nous aimons du fond du coeur. Laissez-moi donc vous dire la vérité!

Mes frères en la guerre! Je vous aime du fond du coeur, je suis et je fus toujours votre semblable. Je suis aussi votre meilleur ennemi. Laissez-moi donc vous dire la vérité!

Je n'ignore pas la haine et l'envie de votre coeur. Vous n'êtes pas assez grands pour ne pas connaître la haine et l'envie. Soyez donc assez grands pour ne pas en avoir honte!

Et si vous ne pouvez pas être les saints de la connaissance, soyez-en du moins les guerriers. Les guerriers de la connaissance sont les compagnons et les précurseurs de cette sainteté.

Je vois beaucoup de soldats: puissé-je voir beaucoup de guerriers! On appelle "uniforme" ce qu'ils portent: que ce qu'ils cachent dessous ne soit pas uni-forme!

Vous devez être de ceux dont l'oeil cherche toujours un ennemi – votre ennemi. Et chez quelques-uns d'entre vous il y a de la haine à première vue.

Vous devez chercher votre ennemi et faire votre guerre, une guerre pour vos pensées! Et si votre pensée succombe, votre loyauté doit néanmoins crier victoire!

Vous devez aimer la paix comme un moyen de guerres nouvelles. Et la courte paix plus que la longue.

Je ne vous conseille pas le travail, mais la lutte. Je ne vous conseille pas la paix, mais la victoire. Que votre travail soit une lutte, que votre paix soit une victoire!

On ne peut se taire et rester tranquille, que lorsque l'on a des flèches et un arc: autrement on bavarde et on se dispute. Que votre paix soit une victoire!

Vous dites que c'est la bonne cause qui sanctifie même la guerre? Je vous dis: c'est la bonne guerre qui sanctifie toute cause.

La guerre et le courage ont fait plus de grandes choses que l'amour du prochain. Ce n'est pas votre pitié, mais votre bravoure qui sauva jusqu'à présent les victimes.

Qu'est-ce qui est bien? demandez-vous. Etre brave, voilà qui est bien. Laissez dire les petites filles: "Bien, c'est ce qui est en même temps joli et touchant."

On vous appelle sans-coeur: mais votre coeur est vrai et j'aime la pudeur de votre cordialité. Vous avez honte de votre flot et d'autres rougissent de leur reflux.

Vous êtes laids? Eh bien, mes frères! Enveloppez-vous du sublime, le manteau de la laideur!

Quand votre âme grandit, elle devient impétueuse, et dans votre élévation, il y a de la méchanceté. Je vous connais.

Dans la méchanceté, l'impétueux se rencontre avec le débile. Mais ils ne se comprennent pas. Je vous connais.

Vous ne devez avoir d'ennemis que pour les haïr et non pour les mépriser. Vous devez être fiers de votre ennemi, alors les succès de votre ennemi seront aussi vos succès.

La révolte – c'est la noblesse de l'esclave. Que votre noblesse soit l'obéissance! Que votre commandement lui-même soit de l'obéissance!

Un bon guerrier préfère "tu dois" à "je veux". Et vous devez vous faire commander tout ce que vous aimez.

Que votre amour de la vie soit l'amour de vos plus hautes espérances: et que votre plus haute espérance soit la plus haute pensée de la vie.

Votre plus haute pensée, permettez que je vous la commande – la voici: l'homme est quelque chose qui doit être surmonté.

Ainsi vivez votre vie d'obéissance et de guerre! Qu'importe la vie longue! Quel guerrier veut être ménagé!

Je ne vous ménage point, je vous aime du fond du coeur, mes frères en la guerre! -

Ainsi parlait Zarathoustra.

DE LA NOUVELLE IDOLE

Il y a quelque part encore des peuples et des troupeaux, mais ce n'est pas chez nous, mes frères: chez nous il y a des États.

État? Qu'est-ce, cela? Allons! Ouvrez les oreilles, je vais vous parler de la mort des peuples.

L'État, c'est le plus froid de tous les monstres froids: il ment froidement et voici le mensonge qui rampe de sa bouche: "Moi, l'État, je suis le Peuple."

C'est un mensonge! Ils étaient des créateurs, ceux qui créèrent les peuples et qui suspendirent au-dessus des peuples une foi et un amour: ainsi ils servaient la vie.

Ce sont des destructeurs, ceux qui tendent des pièges au grand nombre et qui appellent cela un État: ils suspendent au-dessus d'eux un glaive et cent appétits.

Partout où il y a encore du peuple, il ne comprend pas l'État et il le déteste comme le mauvais oeil et une dérogation aux coutumes et aux lois.

Je vous donne ce signe: chaque peuple a son langage du bien et du mal: son voisin ne le comprend pas. Il s'est inventé ce langage pour ses coutumes et ses lois.

Mais l'État ment dans toutes ses langues du bien et du mal; et, dans tout ce qu'il dit, il ment – et tout ce qu'il a, il l'a volé.

Tout en lui est faux; il mord avec des dents volées, le hargneux. Même ses entrailles sont falsifiées.

Une confusion des langues du bien et du mal – je vous donne ce signe, comme le signe de l'État. En vérité, c'est la volonté de la mort qu'indique ce signe, il appelle les prédicateurs de la mort!

Beaucoup trop d'hommes viennent au monde: l'État a été inventé pour ceux qui sont superflus!

Voyez donc comme il les attire, les superflus! Comme il les enlace, comme il les mâche et les remâche.

"Il n'y a rien de plus grand que moi sur la terre: je suis le doigt ordonnateur de Dieu" – ainsi hurle le monstre. Et ce ne sont pas seulement ceux qui ont de longues oreilles et la vue basse qui tombent à genoux!

Hélas, en vous aussi, ô grandes âmes, il murmure ses sombres mensonges. Hélas, il devine les coeurs riches qui aiment à se répandre!

Certes, il vous devine, vous aussi, vainqueurs du Dieu ancien! Le combat vous a fatigués et maintenant votre fatigue se met au service de la nouvelle idole!

 

Elle voudrait placer autour d'elle des héros et des hommes honorables, la nouvelle idole! Il aime à se chauffer au soleil de la bonne conscience, – le froid monstre!

Elle veut tout vous donner, si vous l'adorez, la nouvelle idole: ainsi elle s'achète l'éclat de votre vertu et le fier regard de vos yeux.

Vous devez lui servir d'appât pour les superflus! Oui, c'est l'invention d'un tour infernal, d'un coursier de la mort, cliquetant dans la parure des honneurs divins!

Oui, c'est l'invention d'une mort pour le grand nombre, une mort qui se vante d'être la vie, une servitude selon le coeur de tous les prédicateurs de la mort!

L'État est partout où tous absorbent des poisons, les bons et les mauvais: l'État, où tous se perdent eux-mêmes, les bons et les mauvais: l'État, où le lent suicide de tous s'appelle – "la vie".

Voyez donc ces superflus! Ils volent les oeuvres des inventeurs et les trésors des sages: ils appellent leur vol civilisation – et tout leur devient maladie et revers!

Voyez donc ces superflus! Ils sont toujours malades, ils rendent leur bile et appellent cela des journaux. Ils se dévorent et ne peuvent pas même se digérer.

Voyez donc ces superflus! Ils acquièrent des richesses et en deviennent plus pauvres. Ils veulent la puissance et avant tout le levier de la puissance, beaucoup d'argent, – ces impuissants!

Voyez-les grimper, ces singes agiles! Ils grimpent les un sur les autres et se poussent ainsi dans la boue et dans l'abîme.

Ils veulent tous s'approcher du trône: c'est leur folie, – comme si le bonheur était sur le trône! Souvent la boue est sur le trône – et souvent aussi le trône est dans la boue.

Ils m'apparaissent tous comme des fous, des singes grimpeurs et impétueux. Leur idole sent mauvais, ce froid monstre: ils sentent tous mauvais, ces idolâtres.

Mes frères, voulez-vous donc étouffer dans l'exhalaison de leurs gueules et de leurs appétits! Cassez plutôt les vitres et sautez dehors!

Évitez donc la mauvaise odeur! Éloignez-vous d'idolâtrie des superflus.

Évitez donc la mauvaise odeur! Éloignez-vous de la fumée de ces sacrifices humains!

Maintenant encore les grandes âmes trouveront devant elles l'existence libre. Il reste bien des endroits pour ceux qui sont solitaires ou à deux, des endroits où souffle l'odeur des mers silencieuses.

Une vie libre reste ouverte aux grandes âmes. En vérité, celui qui possède peu est d'autant moins possédé: bénie soit la petite pauvreté.

Là où finit l'État, là seulement commence l'homme qui n'est pas superflu: là commence le chant de la nécessité, la mélodie unique, la nulle autre pareille.

Là où finit l'État, – regardez donc, mes frères! Ne voyez-vous pas l'arc-en-ciel et le pont du Surhumain?

Ainsi parlait Zarathoustra.