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Histoire de la Guerre de Trente Ans

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Parmi les États héréditaires de l'Autriche, il n'en était pas de moins sûrs et de plus difficiles à défendre que la Hongrie et la Transylvanie. L'impossibilité de protéger ces deux pays contre la puissance voisine et supérieure des Turcs avait déjà amené Ferdinand à la détermination humiliante de reconnaître, par un tribut annuel, la suzeraineté de la Porte sur la Transylvanie: funeste aveu d'impuissance, et encore plus dangereuse amorce pour une inquiète noblesse, lorsqu'elle croirait avoir à se plaindre de son souverain. Les Hongrois ne s'étaient pas soumis sans réserve à la maison d'Autriche. Ils maintenaient la liberté d'élire leur roi, et ils réclamaient fièrement tous les droits constitutionnels inséparables de cette liberté. Le proche voisinage de l'empire turc et la facilité de changer de maître impunément fortifiaient encore les magnats dans leur insolence. Mécontents de l'Autriche, ils se jetaient dans les bras des Ottomans; peu satisfaits de ceux-ci, ils revenaient à la souveraineté allemande. Leur passage fréquent et rapide d'une domination à une autre avait influé sur leur caractère: de même que leur pays flottait entre les deux souverainetés allemande et ottomane, leur esprit balançait incertain entre la révolte et la soumission. Plus ces deux pays souffraient de se voir abaissés à l'état de provinces d'une monarchie étrangère, plus ils aspiraient invinciblement à obéir à un chef choisi parmi eux: aussi n'était-il pas difficile à un noble entreprenant d'obtenir leur hommage. Le pacha turc le plus voisin s'empressait d'offrir le sceptre et la couronne à un seigneur révolté contre l'Autriche; un autre avait-il enlevé quelques provinces à la Porte, l'Autriche lui en assurait la possession avec le même empressement, heureuse de conserver par là une ombre de souveraineté et d'avoir gagné un rempart contre les Turcs. Plusieurs de ces magnats, Bathori, Boschkai, Ragoczy, Bethlen, s'élevèrent ainsi successivement, en Hongrie et en Transylvanie, comme rois tributaires, et ils se maintinrent sans autre politique que de s'attacher à l'ennemi, pour se rendre plus redoutables à leur maître.

Ferdinand, Maximilien et Rodolphe, tous trois souverains de Transylvanie et de Hongrie, épuisèrent leurs autres États pour défendre ces deux pays contre les invasions des Turcs et les révoltes intérieures. A des guerres désastreuses succédaient sur ce sol de courtes trêves, qui n'étaient guère moins funestes. La contrée était au loin dévastée dans toutes les directions, et le sujet maltraité se plaignait également de son ennemi et de son protecteur. Dans ces provinces aussi, la réforme avait pénétré, et, à l'abri de leur liberté d'états, à la faveur du tumulte, elle avait fait de sensibles progrès. On l'attaqua alors aussi imprudemment, et l'exaltation religieuse rendit l'esprit de faction plus redoutable. La noblesse de Transylvanie et de Hongrie, conduite par un rebelle audacieux, nommé Boschkai, lève l'étendard de la révolte. Les insurgés hongrois sont sur le point de faire cause commune avec les protestants mécontents d'Autriche, de Moravie et de Bohême, et d'entraîner tous ces pays dans un même et formidable soulèvement. Dès lors, la ruine de la religion romaine y devenait inévitable.

Dès longtemps, les archiducs d'Autriche, frères de l'empereur, voyaient avec une indignation muette la chute de leur maison: ce dernier événement fixa leur résolution. Le deuxième fils de Maximilien, l'archiduc Matthias, héritier présomptif de Rodolphe et gouverneur de Hongrie, se leva pour soutenir la maison chancelante de Habsbourg. Dans ses jeunes années, entraîné par le désir d'une fausse gloire, ce prince avait, contre l'intérêt de sa famille, prêté l'oreille aux invitations de quelques rebelles des Pays-Bas, qui l'appelaient dans leur patrie, pour défendre les libertés de la nation contre son propre parent, Philippe II. Matthias, qui avait cru reconnaître dans la voix d'une faction isolée celle du peuple néerlandais tout entier, parut, à cet appel, dans les Pays-Bas. Mais le succès répondit aussi peu aux désirs des Brabançons qu'à son attente, et il abandonna sans gloire une imprudente entreprise. Sa seconde apparition dans le monde politique n'en eut que plus d'éclat.

Ses représentations redoublées à l'empereur étant demeurées sans effet, il appela à Presbourg les archiducs, ses frères et ses cousins, et délibéra avec eux sur le danger croissant de leur maison. Ses frères sont unanimes pour lui remettre, comme à l'aîné, la défense de leur héritage, que laissait périr un frère imbécile. Ils déposent dans les mains de cet aîné tout leur pouvoir et tous leurs droits, et l'investissent de la pleine autorité d'agir selon ses vues pour le bien commun. Matthias ouvre aussitôt des négociations avec la Porte et les rebelles hongrois. Il est assez habile pour sauver le reste de la Hongrie, au moyen d'une paix avec les Turcs, et les prétentions de l'Autriche sur les provinces perdues, par un traité avec les rebelles. Mais Rodolphe, aussi jaloux de sa puissance souveraine que négligent pour la soutenir, refuse de ratifier cette paix, qu'il regarde comme une atteinte coupable à sa suprématie. Il accuse l'archiduc d'intelligence avec l'ennemi et de projets criminels sur la couronne de Hongrie.

L'activité de Matthias n'était rien moins qu'exempte de vues intéressées, mais la conduite de l'empereur hâta l'exécution de ces vues. La reconnaissance lui assurait l'attachement des Hongrois, auxquels il venait de donner la paix; ses négociateurs lui promettaient le dévouement de la noblesse; en Autriche même, il pouvait compter sur un nombreux parti: il ose donc déclarer plus ouvertement ses desseins et contester, les armes à la main, avec l'empereur. Les protestants d'Autriche et de Moravie, préparés de longue main à la révolte et gagnés maintenant par l'archiduc, qui leur promet la liberté de conscience, prennent hautement et publiquement son parti, et effectuent leur réunion, depuis longtemps redoutée, avec les rebelles hongrois. Une formidable conjuration s'est formée tout à coup contre l'empereur. Il se résout trop tard à réparer la faute commise; en vain il essaye de dissoudre cette ligue funeste. Déjà tout le monde est en armes; la Hongrie, l'Autriche et la Moravie ont rendu hommage à Matthias, qui marche déjà sur la Bohême, où il va chercher l'empereur dans son château et trancher le nerf de sa puissance.

Le royaume de Bohême n'était pas pour l'Autriche une possession beaucoup plus tranquille que la Hongrie: la seule différence était que, dans celle-ci, c'étaient plutôt des causes politiques, et, dans celle-là, la religion qui entretenaient la discorde. La Bohême avait vu, un siècle avant Luther, éclater le premier feu des guerres de religion: la Bohême, un siècle après Luther, vit s'allumer la flamme de la guerre de Trente ans. La secte, à laquelle Jean Huss donna naissance, avait toujours subsisté depuis dans ce royaume, d'accord avec l'Église romaine pour les cérémonies de la doctrine, à l'exception du seul article de la cène, que les hussites prenaient sous les deux espèces. Le concile de Bâle avait accordé ce privilége aux adhérents de Huss, dans une convention particulière, les compactata de Bohême, et, quoique les papes eussent ensuite contesté cette concession, les hussites continuaient d'en jouir sous la protection des lois. L'usage du calice étant l'unique signe remarquable qui distinguât cette secte, on la désignait par le nom d'utraquistes (les communiants sous l'une et l'autre espèce), et elle se complaisait dans cette dénomination, parce qu'elle lui rappelait le privilége qui lui était si cher. Mais sous ce nom se cachait aussi la secte, beaucoup plus rigide, des «frères bohêmes et moraves,» qui s'écartaient de l'Église dominante en des points beaucoup plus importants et qui avaient beaucoup de rapports avec les protestants d'Allemagne. Chez les uns comme chez les autres, les nouveautés religieuses allemandes et suisses firent rapidement fortune, et le nom d'utraquistes, sous lequel ils surent cacher toujours leur changement de principes, les garantissait de la persécution.

Au fond, ils n'avaient plus de commun que le nom avec les anciens utraquistes; ils étaient, en réalité, de vrais protestants. Pleins de confiance dans la force de leur parti et la tolérance de l'empereur, ils osèrent, sous le règne de Maximilien, mettre au jour leurs véritables sentiments. A l'exemple des Allemands, ils rédigèrent une confession de foi, dans laquelle luthériens et calvinistes reconnurent leurs opinions, et ils demandèrent que tous les priviléges de l'Église utraquiste d'autrefois fussent transférés à cette nouvelle confession. Cette demande rencontra de l'opposition chez leurs collègues catholiques des états, et ils durent se contenter d'une assurance verbale de la bouche de l'empereur.

Tant que Maximilien vécut, ils jouirent, même sous leur nouvelle forme, d'une complète tolérance; mais, sous son successeur, les choses changèrent de face. Il parut un édit impérial qui enlevait aux soi-disant frères bohêmes la liberté de religion. Ces frères bohêmes ne se distinguaient en rien des autres utraquistes: la sentence de leur condamnation frappait donc nécessairement à la fois tous les associés à la confession de Bohême. Aussi s'opposèrent-ils unanimement dans la diète au mandat impérial, mais ce fut sans succès. L'empereur et les membres catholiques des états s'appuyèrent sur les compactata et sur le droit national de Bohême, où assurément il ne se trouvait rien encore en faveur d'une religion qui, au temps où cette ancienne législation naquit, n'avait pas encore pour elle la voix de la nation. Mais combien de changements s'étaient faits depuis! Ce qui n'était alors qu'une secte insignifiante était devenu l'Église dominante; et n'était-ce pas une véritable chicane de vouloir fixer par d'anciens pactes les limites d'une religion nouvelle? Les protestants de Bohême invoquèrent la garantie verbale de Maximilien et la liberté religieuse des Allemands, auxquels ils ne voulaient être inférieurs en aucun point. Efforts inutiles: on refusa tout.

 

Tel était en Bohême l'état des choses quand Matthias, déjà maître de la Hongrie, de l'Autriche et de la Moravie, parut devant Kollin, pour soulever aussi les états du pays contre l'empereur. L'embarras de Rodolphe fut à son comble. Abandonné de tous ses autres pays héréditaires, il fondait sa dernière espérance sur les états de Bohême, et il pouvait prévoir qu'ils abuseraient de sa détresse pour le forcer d'admettre leurs prétentions. Après tant d'années, il reparut enfin publiquement à la diète de Prague. Pour montrer, au peuple aussi, qu'il vivait encore, il fallut ouvrir tous les volets de la galerie, longeant la cour, par laquelle il passa. C'est assez dire où, quant à lui, l'on en était venu. Ce qu'il avait craint arriva. Les états, qui sentaient leur importance, ne voulurent entendre à rien, avant d'avoir obtenu pour leurs priviléges constitutionnels et pour la liberté de religion une pleine sûreté. Il était inutile de recourir maintenant encore aux anciens subterfuges; le sort de l'empereur était dans leurs mains: il dut se plier à la nécessité. Cependant, il ne céda que pour les autres demandes: il se réserva de régler à la prochaine diète les affaires de religion.

Alors les Bohêmes prirent les armes pour la défense de Rodolphe: une sanglante guerre civile entre les deux frères paraissait inévitable; mais l'empereur, qui ne craignait rien tant que de rester dans cette servile dépendance des états, n'en attendit pas l'explosion et s'empressa de s'accommoder par une voie pacifique avec l'archiduc son frère. Par un acte formel de renonciation, il abandonna à celui-ci, ce qu'il ne pouvait plus lui reprendre, l'Autriche et la Hongrie, et il le reconnut pour son successeur au trône de Bohême.

L'empereur n'avait payé si cher sa délivrance que pour s'engager immédiatement après dans un nouvel embarras. Les affaires de religion de la Bohême avaient été renvoyées à la prochaine diète: elle s'ouvrit en 1609. Les états demandaient la liberté du culte, telle qu'elle avait existé sous le dernier empereur, un consistoire particulier, la cession de l'université de Prague, et la permission de nommer dans leur sein des défenseurs, ou protecteurs de leur liberté. Rodolphe s'en tint à sa première réponse: le parti catholique avait enchaîné toutes les résolutions du timide empereur. Si réitérées et si menaçantes que fussent les représentations des états, il persista dans sa première déclaration de n'accorder rien au delà des anciennes conventions. La diète se sépara sans avoir rien obtenu, et ses membres, irrités contre l'empereur, convinrent entre eux de se réunir à Prague, de leur propre autorité, pour aviser eux-mêmes à leurs intérêts.

Ils parurent en grand nombre à Prague, et les délibérations suivirent leur cours, sans égard à la défense de l'empereur, et presque sous ses yeux. La condescendance qu'il commença à montrer ne fit que leur prouver combien ils étaient redoutés et accrut leur audace: sur l'article principal, Rodolphe resta inébranlable. Alors ils exécutèrent leurs menaces, et prirent sérieusement la résolution d'établir eux-mêmes en tous lieux le libre exercice de leur culte et d'abandonner l'empereur dans sa détresse, jusqu'à ce qu'il eût approuvé cette mesure. Ils allèrent plus loin, et se donnèrent eux-mêmes les défenseurs que l'empereur leur refusait. On en désigna dix de chacun des trois ordres; on résolut de mettre sur pied au plus tôt une force militaire, et le comte de Thurn, principal instigateur de cette révolte, fut nommé général major. Des actes si sérieux obligèrent enfin Rodolphe de céder: les Espagnols eux-mêmes le lui conseillèrent. Dans la crainte que les états, poussés à bout, ne se donnassent enfin au roi de Hongrie, il signa la fameuse lettre impériale ou de Majesté que les Bohêmes ont invoquée, sous les successeurs de Rodolphe, pour justifier leur soulèvement.

Par cette lettre, la confession de Bohême, que les états avaient présentée à Maximilien, acquérait absolument les mêmes droits que l'Église catholique. Les utraquistes (c'est par ce nom que les protestants de Bohême continuaient de se désigner) obtiennent l'université de Prague et un consistoire particulier, entièrement indépendant du siége archiépiscopal de Prague. Ils conservent toutes les églises qu'ils possèdent dans les villes, les villages et les bourgs, à la date de la publication de la lettre; et, s'ils veulent encore en bâtir de nouvelles, cette faculté ne sera interdite ni à l'ordre des seigneurs et chevaliers ni à aucune ville. C'est sur ce dernier article de la lettre impériale que s'éleva plus tard la querelle qui mit l'Europe en feu.

La lettre impériale faisait de la Bohême protestante une sorte de république. Les états avaient appris à connaître la force que leur donnaient la constance, l'union et le bon accord dans leurs mesures. Il ne restait guère plus à l'empereur qu'une ombre de sa puissance souveraine. L'esprit de révolte trouva un dangereux encouragement dans la personne des soi-disant protecteurs de la liberté. L'exemple et le succès de la Bohême étaient un signal séduisant pour les autres États héréditaires de l'Autriche, et tous se disposaient à arracher les mêmes priviléges par les mêmes moyens. L'esprit de liberté parcourait une province après l'autre, et, comme c'était surtout la discorde des princes autrichiens que les protestants avaient mise à profit si heureusement, on se hâta de réconcilier l'empereur avec le roi de Hongrie.

Mais cette réconciliation ne pouvait être sincère. L'offense était trop grave pour être pardonnée, et Rodolphe continua de nourrir dans son cœur une haine inextinguible contre Matthias. Il s'arrêtait avec douleur et colère à la pensée que le sceptre de Bohême devait aussi venir à la fin dans cette main détestée; et la perspective n'était guère plus consolante pour lui, si Matthias mourait sans héritier. Alors Ferdinand, archiduc de Grætz, qu'il aimait tout aussi peu, devenait le chef de la famille. Pour l'exclure, ainsi que Matthias, du trône de Bohême, il conçut le dessein de faire passer cet héritage au frère de Ferdinand, l'archiduc Léopold, évêque de Passau, celui de tous ses agnats qu'il aimait le plus et qui avait le mieux mérité de sa personne. Les idées des Bohêmes sur leur droit de libre élection au trône, leur penchant pour la personne de Léopold, semblaient favorables à ce projet, pour lequel Rodolphe avait consulté sa partialité et son désir de vengeance plus que l'intérêt de sa maison. Cependant, pour accomplir son dessein, il avait besoin de forces militaires, et il rassembla en effet des troupes dans l'évêché de Passau. Nul ne connaissait la destination de ce corps; mais une incursion soudaine qu'il fit en Bohême, par défaut de solde, et à l'insu de l'empereur, et les désordres qu'il y commit, soulevèrent contre Rodolphe tout le royaume. Vainement il protesta de son innocence auprès des états de Bohême: ils n'y voulurent pas croire. Vainement il essaya de réprimer la licence spontanée de ses soldats: il ne put s'en faire écouter. Supposant que ces préparatifs avaient pour objet la révocation de la lettre de Majesté, les défenseurs de la liberté armèrent toute la Bohême protestante, et Matthias fut appelé dans le pays. L'empereur, après que ses troupes de Passau eurent été expulsées, resta dans Prague, privé de tout secours. On le surveillait, comme un prisonnier, dans son propre château, et l'on éloigna de lui tous ses conseillers. Cependant, Matthias avait fait son entrée à Prague au milieu de l'allégresse, universelle, et, bientôt après, Rodolphe fut assez pusillanime pour le reconnaître roi de Bohême: sévère dispensation du sort, qui contraignit cet empereur de transmettre pendant sa vie, à son ennemi, un trône qu'il n'avait pas voulu lui laisser après sa mort! Pour comble d'humiliation, on le força de relever de toutes leurs obligations ses sujets de Bohême, de Silésie et de Lusace, par un acte de renonciation écrit de sa main. Il obéit, le cœur déchiré. Tous, ceux-là mêmes qu'il croyait s'être le plus attachés, l'avaient abandonné. Après avoir signé, il jeta par terre son chapeau, et brisa avec les dents la plume qui lui avait rendu ce honteux service.

Tandis que Rodolphe perdait l'un après l'autre ses États héréditaires, il ne soutenait pas beaucoup mieux sa dignité impériale. Chacun des partis religieux qui divisaient l'Allemagne s'efforçait toujours de gagner du terrain aux dépens de l'autre ou de se garantir contre ses attaques. Plus était faible la main qui tenait le sceptre impérial, et plus les protestants et les catholiques se sentaient abandonnés à eux-mêmes: plus devaient s'accroître la vigilance avec laquelle ils s'observaient réciproquement, et leur mutuelle défiance. Il suffisait que l'empereur fût gouverné par les jésuites, et dirigé par les conseils de l'Espagne, pour donner aux protestants un sujet d'alarmes et un prétexte à leurs hostilités. Le zèle inconsidéré des jésuites, qui, dans leurs écrits et du haut de leur chaire, jetaient du doute sur la validité de la paix de religion, excitait toujours plus la défiance des religionnaires, et leur faisait soupçonner dans la démarche la plus indifférente des catholiques des vues dangereuses. Tout ce qui était entrepris, dans les États héréditaires de l'empereur, pour limiter la religion évangélique éveillait l'attention de toute l'Allemagne protestante, et ce puissant soutien, que les sujets évangéliques de l'Autriche trouvaient ou se flattaient de trouver chez leurs coreligionnaires, contribuait beaucoup à leur audace et aux rapides succès de Matthias. On croyait dans l'Empire que la durée prolongée de la paix de religion n'était due qu'aux embarras où les troubles intérieurs de ses États héréditaires jetaient l'empereur: aussi ne se pressait-on nullement de le tirer de ces embarras.

Presque toutes les affaires de la diète de l'Empire demeuraient en suspens, soit par la négligence de Rodolphe, soit par la faute des princes protestants, qui s'étaient fait une loi de ne subvenir en rien aux besoins communs, tant qu'on n'aurait pas fait droit à leurs griefs. Ces griefs portaient principalement sur le mauvais gouvernement de l'empereur, sur la violation de la paix religieuse, et sur les nouvelles usurpations du conseil aulique de l'Empire, qui avait commencé sous ce règne à étendre sa juridiction aux dépens de la chambre impériale. Autrefois, les empereurs avaient prononcé souverainement par eux-mêmes dans les cas de peu d'importance, avec le concours des princes dans les cas graves, sur toutes les contestations qui s'élevaient entre les membres de l'Empire, et que le droit du plus fort n'avait pas terminées sans leur intervention; ou bien ils remettaient la décision à des juges impériaux, qui suivaient la cour. A la fin du quinzième siècle, ils avaient transféré cette juridiction souveraine à un tribunal régulier, permanent et fixe, la chambre impériale de Spire, et les membres de l'Empire, pour n'être pas opprimés par la volonté arbitraire de l'empereur, s'étaient réservé le droit d'en nommer les assesseurs et d'examiner les jugements par des révisions périodiques. Ce droit des membres de l'Empire, nommé le droit de présentation et de visitation, la paix de religion l'avait étendu aux membres luthériens, si bien que désormais les causes protestantes eurent aussi des juges protestants, et qu'une sorte d'équilibre parut exister entre les deux religions dans ce tribunal suprême de l'Empire.

Mais les ennemis de la réformation et des libertés germaniques, attentifs à tout ce qui pouvait favoriser leurs vues, trouvèrent bientôt un expédient pour détruire le bon effet de cette institution. Peu à peu, l'usage s'introduisit qu'un tribunal particulier de l'empereur, le conseil aulique impérial, établi à Vienne, et sans autre destination, dans l'origine, que d'assister l'empereur de ses avis dans l'exercice de ses droits personnels incontestés; un tribunal dont les membres, nommés arbitrairement par l'empereur seul et payés par lui seul, devaient prendre pour loi suprême l'intérêt de leur maître, pour unique règle l'avantage de la religion catholique, qu'ils professaient: que ce conseil, dis-je, exerçât la haute justice sur les membres de l'Empire. Beaucoup d'affaires litigieuses, entre des membres de différente religion, sur lesquelles la chambre impériale avait seule le droit de prononcer, ou qui, avant son institution, ressortissaient au conseil des princes, étaient maintenant portées devant le conseil aulique. Il ne faut pas s'étonner si les sentences de ce tribunal trahissaient leur origine, et si des juges catholiques et des créatures de l'empereur sacrifiaient la justice à l'intérêt de la religion catholique et de l'empereur. Quoique tous les membres de l'Empire semblassent intéressés à s'élever à temps contre un abus si dangereux, cependant les protestants, qu'il blessait plus sensiblement, se levèrent seuls (encore ne furent-ils pas unanimes) pour défendre la liberté allemande, qu'une institution si arbitraire attaquait dans ce qu'elle a de plus sacré, l'administration de la justice. Certes l'Allemagne n'aurait eu guère à se féliciter d'avoir aboli le droit du plus fort et institué la chambre impériale, si l'on eût encore souffert, à côté de ce tribunal, la juridiction arbitraire de l'empereur. Les membres de l'Empire germanique eussent fait bien peu de progrès, en comparaison des temps de barbarie, si la chambre impériale, où ils siégeaient à côté de l'empereur et pour laquelle ils avaient renoncé à leur ancien droit de princes souverains, avait dû cesser d'être une juridiction nécessaire. Mais, à cette époque, les esprits alliaient souvent les plus étranges contradictions. Alors, au titre d'empereur, légué par le despotisme romain, s'attachait encore une idée de pouvoir absolu, qui faisait avec le reste du droit public allemand le plus ridicule contraste, mais qui était néanmoins soutenue par les juristes, propagée par les fauteurs du despotisme et reçue par les faibles comme un article de foi.

 

A ces griefs généraux s'ajouta peu à peu une suite d'incidents particuliers, qui portèrent enfin les inquiétudes des protestants jusqu'à la plus vive défiance. A l'époque des persécutions religieuses exercées par les Espagnols dans les Pays-Bas, quelques familles protestantes s'étaient réfugiées dans la ville impériale catholique d'Aix-la-Chapelle, où elles s'établirent à demeure et augmentèrent insensiblement le nombre de leurs adhérents. Ayant réussi, par adresse, à faire entrer quelques personnes de leur croyance dans le conseil de la ville, les religionnaires demandèrent une église et l'exercice public de leur culte, et comme ils essuyèrent un refus, ils se firent raison par la force et s'emparèrent même de toute l'administration municipale. C'était pour l'empereur et tout le parti catholique un coup trop sensible de voir une ville si considérable au pouvoir des protestants. Toutes les représentations de Rodolphe et ses ordres de rétablir les choses sur l'ancien pied étant demeurés sans effet le conseil aulique mit la ville au ban de l'Empire, par une sentence qui ne reçut toutefois son exécution que sous le règne suivant.

Les protestants firent, pour étendre leur domaine et leur puissance, deux autres tentatives plus considérables. L'électeur de Cologne, Gebhard, né Truchsess de Waldbourg, conçut pour la jeune comtesse Agnès de Mansfeld, chanoinesse de Gerresheim, une violente passion, à laquelle Agnès ne fut pas insensible. Comme les yeux de toute l'Allemagne étaient fixés sur cette liaison, les deux frères de la comtesse, zélés calvinistes, demandèrent satisfaction de cette atteinte à l'honneur de leur maison, qui ne pouvait être sauvé par un mariage, tant que l'électeur demeurerait évêque catholique. Ils le menacèrent de laver cette tache dans son sang et celui de leur sœur, s'il ne renonçait aussitôt à tout commerce avec la comtesse ou ne lui rendait l'honneur devant les autels. L'électeur, indifférent à toutes les conséquences de sa démarche, n'écouta que la voix de l'amour. Soit qu'il eût déjà, en général, du penchant pour la religion réformée, soit que les charmes de son amante opérassent seuls ce miracle, il abjura la foi catholique et conduisit la belle Agnès à l'autel.

L'affaire était de la plus haute importance. D'après la lettre de la réserve ecclésiastique, l'électeur avait perdu par cette apostasie tous ses droits à l'archevêché; et, si les catholiques étaient jamais intéressés à faire exécuter la réserve, c'était surtout lorsqu'il s'agissait d'un électorat. D'un autre côté, il était bien dur de renoncer au pouvoir suprême, et cela coûtait plus encore à la tendresse d'un époux qui aurait tant désiré de donner plus de prix à l'offre de son cœur et de sa main par l'hommage d'une principauté. La réserve ecclésiastique était d'ailleurs un point litigieux du traité d'Augsbourg, et toute l'Allemagne protestante jugeait d'une extrême importance d'enlever au parti catholique ce quatrième électorat. Déjà l'exemple d'actes pareils avait été donne, et avec un heureux succès, dans plusieurs bénéfices ecclésiastiques de la basse Allemagne. Plusieurs chanoines de Cologne étaient dès lors protestants et tenaient pour l'électeur; dans la ville même, il pouvait compter sur de nombreux adhérents de la même religion. Tous ces motifs, auxquels les encouragements de ses amis et de ses proches, et les promesses de plusieurs cours allemandes donnaient encore plus de force, décidèrent l'électeur à garder son archevêché, même après son changement de religion.

Mais on vit bientôt qu'il avait entrepris une lutte au-dessus de ses forces. En permettant le libre exercice du culte évangélique dans le pays de Cologne, il avait déjà provoqué la plus violente opposition de la part des chanoines et des membres des états. L'intervention de l'empereur et l'anathème de Rome, qui l'excommuniait comme apostat et le dépouillait de toutes ses dignités ecclésiastiques et séculières, armèrent contre lui ses États et son chapitre. Gebhard leva des troupes; les chanoines en firent autant. Pour s'assurer promptement un puissant soutien, ils se hâtèrent de nommer un nouvel électeur, et le choix tomba sur l'évêque de Liége, prince de Bavière.

Alors commença une guerre civile, qui pouvait aisément aboutir à une rupture générale de la paix dans l'Empire, vu le grand intérêt que devaient prendre à cet incident les deux partis qui divisaient l'Allemagne. Les protestants s'indignaient surtout que le pape eût osé, en vertu d'un prétendu pouvoir apostolique, dépouiller de ses dignités impériales un prince de l'Empire. Même dans l'âge d'or de leur domination spirituelle, les papes s'étaient vu contester ce droit: combien plus dans un siècle où, au sein d'un parti, leur autorité était entièrement tombée et ne reposait chez l'autre que sur de très-faibles appuis! Toutes les cours protestantes d'Allemagne intervinrent énergiquement à ce sujet auprès de l'empereur. Henri IV, qui n'était encore alors que roi de Navarre, ne négligea aucune voie de négociations pour recommander avec instance aux princes allemands de maintenir leurs droits. Le cas était décisif pour la liberté de l'Allemagne. Quatre voix protestantes contre trois voix catholiques, dans le collége des électeurs, faisaient nécessairement pencher la balance en faveur des protestants et fermaient pour toujours à la maison d'Autriche l'accès du trône impérial.

Mais l'électeur Gebhard avait embrassé la religion réformée, et non la luthérienne: cette seule circonstance fit son malheur. L'animosité qui régnait entre ces deux Églises ne permit pas aux princes évangéliques de le regarder comme un des leurs et de l'appuyer comme tel avec énergie. Tous l'avaient encouragé, il est vrai, et lui avaient promis des secours; mais un prince apanagé de la maison palatine, le comte palatin Jean Casimir, zélé calviniste, fut le seul qui lui tint parole. Malgré la défense de l'empereur, il accourut, avec sa petite armée, dans le pays de Cologne; mais il ne fit rien de considérable, parce que l'électeur, qui manquait même des choses les plus nécessaires, le laissa absolument sans aide. L'électeur nouvellement élu fit des progrès d'autant plus rapides, qu'il était puissamment soutenu par ses parents bavarois et par les Espagnols, qui le secoururent des Pays-Bas. Les soldats de Gebhard, laissés sans paye par leur maître, livrèrent à l'ennemi une place après l'autre; d'autres furent obligées de capituler. Gebhard se maintint un peu plus longtemps dans ses États de Westphalie, jusqu'à ce qu'il fut contraint là aussi de céder devant des forces supérieures. Après avoir fait pour son rétablissement plusieurs tentatives inutiles en Hollande et en Angleterre, il se retira dans l'évêché de Strasbourg, où il mourut doyen du chapitre: première victime de la réserve ecclésiastique ou plutôt du défaut d'harmonie entre les protestants d'Allemagne!