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Histoire de la Guerre de Trente Ans

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LIVRE CINQUIÈME

La mort de Wallenstein rendait nécessaire un nouveau généralissime, et l'empereur céda enfin au conseil que lui donnaient les Espagnols d'élever à cette dignité son fils Ferdinand, roi de Hongrie. Sous lui commande le comte de Gallas, qui exerce les fonctions de général, tandis que le prince ne fait proprement que décorer ce poste de son nom et de l'autorité de son rang. Bientôt des forces considérables se rassemblent sous les drapeaux de Ferdinand. Le duc de Lorraine lui amène en personne des troupes auxiliaires, et le cardinal infant arrive d'Italie avec dix mille hommes pour renforcer son armée. Afin de chasser l'ennemi du Danube, le nouveau général entreprend le siége de Ratisbonne, ce qu'on n'avait pas pu obtenir de son prédécesseur. Vainement le duc Bernard de Weimar pénètre au cœur de la Bavière pour attirer les Impériaux loin de cette ville: Ferdinand pousse le siége avec une vigueur inébranlable, et, après la plus opiniâtre résistance, la ville lui ouvre ses portes. Donawert éprouve bientôt après le même sort; puis Nœrdlingen, en Souabe, est assiégé à son tour. La perte de tant de villes impériales devait être d'autant plus sensible au parti suédois que l'amitié de ces villes avait été jusqu'alors très-décisive pour le bonheur de ses armes; l'indifférence à leur sort aurait paru vraiment inexcusable. C'eût été pour les Suédois une ineffaçable honte d'abandonner leurs alliés dans le péril et de les livrer à la vengeance d'un vainqueur implacable. Déterminée par ces motifs, l'armée suédoise marche sur Nœrdlingen, sous la conduite de Horn et de Bernard de Weimar, résolue de délivrer cette ville, dût-il en coûter une bataille.

L'entreprise était difficile, car les forces de l'ennemi étaient de beaucoup supérieures à celles des Suédois, et, dans ces circonstances, la prudence conseillait d'autant plus de n'en pas venir aux mains que l'armée ennemie devait bientôt se diviser, et que la destination des troupes italiennes les appelait dans les Pays-Bas. On pouvait, en attendant, choisir une position telle que Nœrdlingen fût couvert et que les vivres fussent coupés à l'ennemi. Gustave Horn fit valoir toutes ces raisons dans le conseil de guerre; mais ses représentations ne purent trouver accès dans des esprits qui, enivrés par une longue suite de succès, ne croyaient entendre, dans les conseils de la prudence, que la voix de la crainte. Vaincu, quand on alla aux voix, par l'ascendant du duc Bernard, Gustave Horn dut se résoudre, malgré lui, à une bataille, dont ses noirs pressentiments lui présageaient l'issue malheureuse.

Tout le sort du combat semblait tenir à l'occupation d'une hauteur qui dominait le camp des Impériaux. La tentative faite pour s'en emparer pendant la nuit avait échoué, parce que le pénible transport de l'artillerie à travers des ravins et des bois ralentit la marche des troupes. Lorsqu'on parut devant la hauteur, vers minuit, l'ennemi l'avait déjà occupée et fortifiée par de solides retranchements. On attendit donc le point du jour pour l'emporter d'assaut. La bravoure impétueuse des Suédois s'ouvrit un passage à travers tous les obstacles: les demi-lunes sont enlevées heureusement par chacune des brigades commandées à cet effet; mais, comme elles pénètrent en même temps, des deux côtés opposés, dans les retranchements, elles se heurtent l'une l'autre et se mettent réciproquement en désordre. Dans ce moment malheureux, un baril de poudre vient à sauter et jette la plus grande confusion parmi les troupes suédoises. La cavalerie impériale pénètre dans les rangs rompus, et la déroute devient générale. Aucune exhortation de leur général ne peut décider les fuyards à renouveler l'attaque.

En conséquence, afin de rester maître de ce poste important, il se résout à faire avancer des troupes fraîches; mais, dans l'intervalle, quelques régiments espagnols l'ont occupé, et toute tentative pour l'enlever est rendue vaine par l'héroïque bravoure de ces troupes. Un régiment envoyé par Bernard attaque sept fois, et sept fois il est repoussé. On sent bientôt combien est grand le désavantage de ne s'être pas emparé de cette position. De la hauteur, le feu de l'artillerie ennemie fait d'affreux ravages dans l'aile des Suédois postée près de la colline, en sorte que Gustave Horn, qui la commande, doit se résoudre à la retraite. Au lieu de pouvoir couvrir cette manœuvre de son collègue et arrêter la poursuite de l'ennemi, le duc Bernard est repoussé lui-même, par des forces supérieures, dans la plaine, où sa cavalerie en déroute porte le désordre parmi les troupes de Horn et rend la défaite et la fuite générales. Presque toute l'infanterie est prise ou tuée; plus de douze mille hommes restent sur le champ de bataille; quatre-vingts canons, environ quatre mille chariots, et trois cents étendards ou drapeaux, tombent dans les mains des Impériaux. Gustave Horn lui-même est fait prisonnier avec trois autres généraux. Le duc Bernard sauve avec peine quelques faibles débris de l'armée, qui ne parviennent à se rassembler sous ses drapeaux que dans la ville de Francfort.

La défaite de Nœrdlingen coûta au chancelier suédois sa deuxième nuit d'insomnie en Allemagne. La perte qu'entraînait cette défaite était incalculable. Les Suédois avaient perdu d'un seul coup leur supériorité sur le champ de bataille, et avec elle la confiance de tous les alliés, qu'on n'avait due jusqu'alors qu'au seul bonheur des armes. Une dangereuse division menaçait de détruire toute l'alliance protestante. La crainte et l'effroi s'emparèrent de tout le parti, et celui des catholiques se releva avec un triomphant orgueil de sa profonde décadence. La Souabe et les cercles les plus voisins ressentirent les premières suites de la défaite de Nœrdlingen, et le Wurtemberg surtout fut inondé par les troupes victorieuses. Tous les membres de l'alliance de Heilbronn redoutaient la vengeance de l'empereur. Ce qui pouvait fuir se sauvait à Strasbourg, et les villes impériales, sans secours, attendaient leur sort avec angoisse. Un peu plus de modération envers les vaincus aurait ramené tous ces faibles États sous la domination de l'empereur; mais la dureté que l'on montra à ceux mêmes qui se soumirent volontairement porta les autres au désespoir et les excita à la plus vive résistance.

Dans ces circonstances critiques, tous cherchaient secours et conseil auprès d'Oxenstiern; Oxenstiern avait recours aux états allemands. On manquait de troupes, on manquait d'argent pour en lever de nouvelles et payer aux anciennes la solde arriérée, qu'elles réclamaient impétueusement. Oxenstiern se tourne vers l'électeur de Saxe, qui abandonne la cause suédoise, pour traiter de la paix avec l'empereur à Pirna. Il sollicite l'assistance des états de la basse Saxe: ceux-ci, fatigués depuis longtemps des demandes d'argent et des prétentions de la Suède, ne songent plus maintenant qu'à eux-mêmes; et le duc Georges de Lunebourg, au lieu de porter de prompts secours à la haute Allemagne assiége Minden afin de le garder pour lui. Laissé sans appui par ses alliés allemands, le chancelier implore le secours des puissances étrangères: il demande de l'argent et des soldats à l'Angleterre, à la Hollande, à Venise, et, poussé par l'extrême nécessité, il finit par se résoudre, démarche pénible qu'il a longtemps évitée, à se jeter dans les bras de la France.

Enfin était arrivé le moment que Richelieu attendait depuis longtemps avec une vive impatience. L'impossibilité absolue de se sauver par une autre voie pouvait seule déterminer les états protestants d'Allemagne à soutenir les prétentions de la France sur l'Alsace. Cette nécessité suprême existait maintenant: on ne pouvait se passer de la France, et elle se fit chèrement payer la part active qu'elle prit, à partir de ce moment, à la guerre d'Allemagne. Elle parut alors sur la scène politique avec beaucoup de gloire et d'éclat. Oxenstiern, à qui il en coûtait peu de livrer les droits et les territoires allemands, avait déjà cédé à Richelieu la forteresse de Philippsbourg et les autres places demandées. A leur tour, les protestants de la haute Allemagne envoient en leur nom une ambassade particulière, pour mettre sous la protection française l'Alsace, la forteresse de Brisach (dont il fallait d'abord s'emparer), et toutes les places du haut Rhin, qui étaient les clefs de l'Allemagne. Ce que signifiait la protection française, on l'avait vu pour les évêchés de Metz, de Toul et de Verdun, que la France protégeait depuis des siècles contre leurs possesseurs légitimes. Le territoire de Trèves avait déjà des garnisons françaises; la Lorraine était comme conquise, puisqu'elle pouvait à chaque moment être envahie par une armée, et qu'elle était hors d'état de résister par ses propres forces à sa puissante voisine. La France avait maintenant l'espérance la plus fondée d'ajouter encore l'Alsace à ses vastes possessions, et, comme elle se partagea bientôt après avec la Hollande les Pays-Bas espagnols, elle pouvait se promettre de faire du Rhin sa limite naturelle contre l'Empire germanique. C'est ainsi que les droits de l'Allemagne furent honteusement vendus, par des états allemands, à l'ambitieuse et perfide puissance qui, sous le masque d'une amitié désintéressée, ne visait qu'à son agrandissement, et, en prenant d'un front audacieux le titre honorable de protectrice, ne songeait qu'à tendre son filet et à travailler pour elle-même dans la confusion générale.

En retour de ces importantes cessions, la France s'engagea à faire une diversion en faveur des armes suédoises, en attaquant l'Espagne, et, s'il fallait en venir à une rupture ouverte avec l'empereur lui-même, à entretenir sur la rive droite du Rhin une armée de douze mille hommes, qui agirait de concert avec les Suédois et les Allemands contre l'Autriche. Les Espagnols fournirent eux-mêmes l'occasion souhaitée de leur déclarer la guerre. Ils fondirent, des Pays-Bas, sur la ville de Trèves, massacrèrent la garnison française qui s'y trouvait, et, contre le droit des gens, se saisirent de la personne de l'électeur, qui s'était mis sous la protection de la France, et l'emmenèrent prisonnier en Flandre. Le cardinal infant, comme gouverneur des Pays-Bas espagnols, ayant refusé au roi de France la satisfaction demandée et la mise en liberté du prince prisonnier, Richelieu lui déclara formellement la guerre à Bruxelles, par un héraut d'armes, selon l'antique usage; et elle fut réellement ouverte, par trois différentes armées, dans le Milanais, dans la Valteline et en Flandre. Le ministre français parut être moins sérieusement résolu à la guerre avec l'empereur, où il y avait moins d'avantages à recueillir et de plus grandes difficultés à vaincre; cependant une quatrième armée, sous les ordres du cardinal de la Valette, fut envoyée au delà du Rhin, en Allemagne, et, réunie au duc Bernard, elle entra, sans déclaration de guerre préalable, en campagne contre l'empereur.

 

Un coup beaucoup plus sensible encore pour les Suédois que la défaite même de Nœrdlingen fut la réconciliation de l'électeur de Saxe avec l'empereur. Après des tentatives répétées de part et d'autre pour l'empêcher et la favoriser, elle fut conclue enfin à Pirna, en 1634, et, au mois de mai de l'année suivante, confirmée à Prague par un traité de paix formel. L'électeur de Saxe n'avait jamais pu prendre son parti des prétentions des Suédois en Allemagne, et son antipathie pour cette puissance étrangère, qui dictait des lois dans l'Empire, s'était accrue à chaque nouvelle demande qu'Oxenstiern adressait aux états allemands. Ces mauvaises dispositions à l'égard de la Suède secondèrent de la manière la plus énergique les efforts faits par la cour d'Espagne pour établir la paix entre la Saxe et l'empereur. Lassé par les calamités d'une guerre si longue et si désastreuse, dont les provinces saxonnes étaient, plus que toutes les autres, le déplorable théâtre, ému des souffrances affreuses et générales que les amis, aussi bien que les ennemis, accumulaient sur ses sujets, et gagné par les offres séduisantes de la maison d'Autriche, l'électeur abandonna enfin la cause commune, et, montrant peu de souci pour le sort de ses co-états et pour la liberté allemande, il ne songea qu'à servir ses intérêts particuliers, fût-ce aux dépens de l'ensemble.

Et, en effet, la misère était arrivée en Allemagne à un si prodigieux excès, que des millions de voix imploraient la paix, et que la plus désavantageuse eût encore été considérée comme un bienfait du Ciel. On ne voyait que des déserts là où des milliers d'hommes heureux, diligents, s'agitaient autrefois, là où la nature avait répandu ses dons les plus magnifiques, où avaient régné le bien-être et l'abondance. Les champs, abandonnés par les mains actives du laboureur, restaient incultes et stériles, et, si çà et là de nouvelles semailles commençaient à lever, et promettaient une riante moisson, une seule marche de troupes détruisait le travail d'une année entière, la dernière espérance du peuple affamé. Les châteaux brûlés, les campagnes ravagées, les villages réduits en cendres, offraient au loin le spectacle d'une affreuse dévastation, tandis que leurs habitants, condamnés à la misère, allaient grossir le nombre des bandes incendiaires et rendre avec barbarie à leurs concitoyens épargnés ce qu'ils avaient eux-mêmes souffert. Nulle ressource contre l'oppression que de se joindre aux oppresseurs. Les villes gémissaient sous le fléau de garnisons effrénées et rapaces, qui dévoraient les biens des bourgeois, et faisaient valoir avec les plus cruels caprices les libertés de la guerre, la licence de leur état et les priviléges de la nécessité. Si le court passage d'une armée suffisait déjà pour changer en déserts des contrées entières, si d'autres étaient ruinées par des quartiers d'hiver ou épuisées par des contributions, elles ne souffraient néanmoins que des calamités passagères, et le travail d'une année pouvait faire oublier les douleurs de quelques mois; mais aucun relâche n'était accordé à ceux qui avaient une garnison dans leurs murs ou dans leur voisinage, et leur sort malheureux ne pouvait même être adouci par le changement de la fortune, car le vainqueur prenait la place et suivait l'exemple du vaincu, et les amis ne montraient pas plus de ménagements que les ennemis. L'abandon des campagnes, la destruction des cultures et le nombre croissant des armées qui se précipitaient sur les provinces épuisées, eurent la cherté et la famine pour suites inévitables, et, dans les dernières années, les mauvaises récoltes mirent le comble à la misère. L'entassement des hommes dans les camps et les cantonnements, la disette d'une part et l'intempérance de l'autre, produisirent des maladies pestilentielles, qui dépeuplèrent les provinces plus que le fer et le feu. Tous les liens de l'ordre se rompirent dans ce long bouleversement; le respect pour les droits de l'humanité, la crainte des lois, la pureté des mœurs se perdirent; la bonne foi et la foi disparurent, la force régnant seule avec son sceptre de fer. Tous les vices croissaient et florissaient à l'ombre de l'anarchie et de l'impunité, et les hommes devenaient sauvages comme le pays. Point de condition sociale que respectât la licence: pour le besoin et le brigandage, nulle propriété n'était sacrée. Le soldat (pour exprimer d'un seul mot la misère de ce temps), le soldat régnait, et il n'était pas rare que ce despote, le plus brutal de tous, fit sentir sa tyrannie même à ses chefs. Le commandant d'une armée était, dans le pays où il se montrait, un personnage plus important que le souverain légitime, qui était souvent réduit à se cacher devant lui dans ses châteaux. Toute l'Allemagne fourmillait de ces petits tyrans, et les provinces étaient également maltraitées par l'ennemi et par leurs défenseurs. Toutes ces blessures se faisaient sentir encore plus douloureusement, lorsqu'on songeait que c'étaient des puissances étrangères qui sacrifiaient l'Allemagne à leur avide ambition, et qui prolongeaient à dessein les calamités de la guerre afin d'accomplir leurs vues intéressées. Pour que la Suède pût s'enrichir et faire des conquêtes, il fallait que l'Allemagne saignât sous le fléau de la guerre; pour que Richelieu restât nécessaire en France, il fallait que la torche de la discorde ne s'éteignît pas dans l'Empire.

Mais ce n'étaient pas seulement des voix intéressées qui se déclaraient contre la paix, et ni la Suède, aussi bien que certains princes allemands, désirait, par des motifs peu louables, la continuation de la guerre, une saine politique la réclamait également. Pouvait-on, après la défaite de Nœrdlingen, attendre de l'empereur une paix équitable? Et, si on ne le pouvait pas, fallait-il avoir souffert durant dix-sept années toutes les calamités de la guerre, épuisé toutes ses forces, pour n'avoir enfin rien gagné, pour avoir même perdu? Pourquoi tant de sang versé, si tout restait dans le premier état? si l'on ne voyait dans ses droits et ses prétentions aucun changement favorable? si tout ce qu'on avait acquis si péniblement, il y fallait renoncer par un traité de paix? Ne valait-il pas mieux porter encore deux ou trois années le fardeau qu'on portait depuis si longtemps, pour recueillir enfin quelques dédommagements de vingt ans de souffrances? Et l'on ne pouvait pas douter qu'une paix avantageuse ne fût obtenue, pourvu que les Suédois et les protestants d'Allemagne se tinssent fermement unis en campagne comme dans le cabinet, travaillant pour leur intérêt commun avec une mutuelle sympathie et un zèle concerté. Leur division seule rendait l'ennemi puissant, reculait l'espérance d'une paix durable et heureuse pour tous. Or cette division, le plus grand de tous les maux, affligea la cause protestante, par le fait de l'électeur de Saxe se réconciliant avec l'Autriche dans une transaction séparée.

Il avait déjà ouvert les négociations avec l'empereur avant la bataille de Nœrdlingen; mais la malheureuse issue de cette journée hâta la conclusion de l'accommodement. La confiance en l'appui des Suédois s'était évanouie, et l'on doutait qu'ils se relevassent jamais de ce terrible coup. La division de leurs chefs, l'insubordination de l'armée et l'affaiblissement du royaume de Suède ne permettaient plus d'attendre d'eux de grands exploits. On crut devoir d'autant plus se hâter de mettre à profit la générosité de l'empereur, qui ne retira point ses offres, même après la victoire de Nœrdlingen. Oxenstiern, qui assembla les états à Francfort, demandait: l'empereur, au contraire, donnait; il n'était donc pas besoin de réfléchir longtemps pour savoir lequel des deux on devait écouter.

Cependant, l'électeur voulut éviter l'apparence d'avoir sacrifié la cause commune et de n'avoir songé qu'à ses propres intérêts. Tous les états de l'Empire, et même la Suède, reçurent l'invitation de concourir à cette paix et de s'y associer, quoique la Saxe électorale et l'empereur fussent seuls à la conclure, s'érigeant, de leur propre autorité, en législateurs de l'Allemagne. Les griefs des états protestants furent discutés dans cette négociation, leurs rapports et leurs droits décidés devant ce tribunal arbitraire, et le sort même des religions fut fixé sans la participation des parties intéressées. Ce devait être une paix générale, une loi de l'Empire, promulguée comme telle, et mise à exécution par une armée impériale, comme un décret formel de la diète. Celui qui se révolterait contre elle serait par cela même ennemi de l'Empire: c'était exiger que, contre tous les droits constitutionnels, on reconnût une loi à laquelle on n'avait pas coopéré. Ainsi la paix de Prague était déjà par sa forme l'œuvre de l'arbitraire; elle ne l'était pas moins par le fond.

L'édit de restitution avait plus que toute autre chose occasionné la rupture entre la Saxe électorale et l'empereur: il fallait donc avant tout y avoir égard dans la réconciliation. Sans l'abolir expressément et formellement, on arrêta, dans la paix de Prague, que toutes les fondations immédiates et, entre les médiates, celles qui avaient été confisquées et occupées par les protestants après le traité de Passau, resteraient encore quarante années, mais sans voix à la diète, dans le même état où l'édit de restitution les avait trouvées. Avant l'expiration de ces quarante années, une commission composée de membres des deux religions, en nombre égal, devait prononcer à l'amiable et légalement sur ce point. Si, même alors, on ne pouvait en venir à un jugement définitif, chaque parti rentrerait en possession de tous les droits qu'il avait exercés avant que parût l'édit de restitution. Cet expédient, bien loin d'étouffer le germe de la discorde, ne faisait donc qu'en suspendre pour un temps les pernicieux effets, et l'étincelle d'une nouvelle guerre était déjà recélée dans cet article de la paix de Prague.

L'archevêché de Magdebourg demeure au prince Auguste de Saxe, et Halberstadt à l'archiduc Léopold-Guillaume. Quatre bailliages sont démembrés du territoire de Magdebourg et donnés à l'électeur de Saxe; l'administrateur de Magdebourg, Christian-Guillaume de Brandebourg, est apanagé d'une autre manière; les ducs de Mecklembourg, s'ils adhèrent à cette paix, sont réintégrés dans leurs États, dont ils sont heureusement en possession depuis longtemps déjà, grâce à la générosité de Gustave-Adolphe; Donawert recouvre sa liberté impériale. L'importante réclamation des héritiers palatins, si intéressant qu'il fût pour la partie protestante de l'Empire de ne pas perdre cette voix électorale, est entièrement passée sous silence, parce qu'un prince luthérien ne doit aucune justice à un prince réformé. Tout ce que les états protestants, la Ligue et l'empereur ont conquis les uns sur les autres durant la guerre, est restitué; tout ce que les puissances étrangères, la Suède et la France, se sont approprié, leur est repris par un effort commun. Les armées de toutes les parties contractantes sont réunies en une seule, qui, entretenue et soldée par l'Empire, est chargée de faire exécuter cette paix les armes à la main.

La paix de Prague devant avoir force de loi générale pour tout l'Empire, les points qui ne concernaient en rien l'Empire furent annexés dans une convention particulière. Dans cette convention, la Lusace fut adjugée à l'électeur de Saxe comme un fief de Bohême, et en outre l'on y traita spécialement de la liberté religieuse de ce pays et de la Silésie.

Tous les états évangéliques furent invités à recevoir la paix de Prague, et, sous cette condition, compris dans l'amnistie. On n'excluait que les princes de Wurtemberg et de Bade, dont on occupait les États, qu'on n'était pas disposé à leur rendre absolument sans conditions; les propres sujets de l'Autriche qui avaient pris les armes contre leur souverain; enfin les états qui, sous la direction d'Oxenstiern, formaient le conseil des cercles de la haute Allemagne: cette exclusion avait moins pour objet de continuer contre eux la guerre que de leur vendre plus cher la paix devenue nécessaire. On retenait leurs domaines pour gages jusqu'au moment où tout serait restitué et tout rétabli dans son premier état. Une justice égale envers tous eût peut-être ramené la confiance mutuelle entre le chef et les membres, entre protestants et catholiques, entre luthériens et réformés, et les Suédois, abandonnés de tous leurs alliés, auraient été réduits à sortir honteusement de l'Empire. Mais ce traitement inégal affermit dans leur défiance et leur opposition les états plus durement traités, et il aida les Suédois à nourrir le feu de la guerre et à conserver un parti en Allemagne.

 

La paix de Prague trouva, comme il fallait s'y attendre, un accueil très-divers en Allemagne. En s'efforçant de rapprocher les deux partis, on s'était attiré les reproches de l'un et de l'autre. Les protestants se plaignaient des restrictions que ce traité leur imposait. Les catholiques trouvaient cette secte damnable beaucoup trop favorablement traitée aux dépens de la véritable Église: à les entendre, on avait disposé de ses droits inaliénables en accordant aux évangéliques la jouissance pendant quarante années des biens ecclésiastiques. Selon leurs adversaires, on avait commis une trahison envers l'Église protestante en n'obtenant pas pour ses membres dans les États autrichiens la liberté de croyance. Mais personne ne fut plus amèrement blâmé que l'électeur de Saxe, que l'on cherchait à représenter dans des écrits publics comme un perfide transfuge, un traître à la religion et à la liberté allemande, et comme un complice de l'empereur.

Lui, cependant, se consolait, et triomphait de voir une grande partie des états évangéliques contraints d'accepter la paix qu'il avait faite. L'électeur de Brandebourg, le duc Guillaume de Weimar, les princes d'Anhalt, les ducs de Mecklembourg, les ducs de Brunswick-Lunebourg, les villes anséatiques et la plupart des villes impériales y accédèrent. Le landgrave Guillaume de Hesse parut quelque temps irrésolu, ou peut-être feignit seulement de l'être afin de gagner du temps et de prendre ses mesures selon l'événement. Il avait conquis, l'épée à la main, de beaux domaines en Westphalie, d'où il tirait ses meilleures forces pour soutenir la guerre, et il les devait tous rendre aux termes de la paix. Le duc Bernard de Weimar, dont les États n'existaient encore que sur le papier, n'était point intéressé au traité comme puissance belligérante; mais, par cela même, il l'était d'autant plus comme général portant les armes, et il ne pouvait à tous égards que rejeter avec horreur la paix de Prague. Toute sa richesse était sa bravoure, et tous ses domaines reposaient sur son épée. La guerre faisait seule sa grandeur et son importance; la guerre seule pouvait amener à maturité les projets de son ambition.

Mais, entre tous ceux qui élevèrent la voix contre la paix de Prague, les Suédois se prononcèrent avec le plus de violence, et personne n'en avait plus sujet. Appelés en Allemagne par les Allemands eux-mêmes, sauveurs de l'Église protestante et de la liberté des membres de l'Empire, qu'ils avaient rachetée au prix de tant de sang, au prix de la vie sacrée de leur roi, ils se voyaient tout à coup honteusement abandonnés, tout à coup déçus dans tous leurs plans, chassés sans salaire, sans reconnaissance, du pays pour lequel ils avaient répandu leur sang, et livrés à la risée de l'ennemi par les mêmes princes qui leur devaient tout. De quelque dédommagement pour eux, d'un remboursement de leurs dépenses, d'un équivalent pour les conquêtes qu'ils devraient abandonner, la paix de Prague n'en disait pas le moindre mot! On les congédiait plus pauvres qu'ils n'étaient venus, et, s'ils regimbaient, ils devaient être expulsés de l'Allemagne par les mains de ceux mêmes qui les avaient appelés! A la fin, l'électeur de Saxe laissa, il est vrai, échapper quelques mots d'une satisfaction qui consisterait en argent et se monterait à la faible somme de deux millions et demi de florins. Mais les Suédois avaient mis du leur beaucoup plus; un si honteux dédommagement en argent devait blesser leur intérêt et soulever leur orgueil. «Les électeurs de Bavière et de Saxe, répondit Oxenstiern, se sont fait payer par le don d'importantes provinces l'appui qu'ils ont prêté à l'empereur et qu'ils lui devaient comme vassaux; et nous, Suédois, nous qui avons sacrifié notre roi pour l'Allemagne, on veut nous renvoyer chez nous avec la misérable somme de deux millions et demi de florins!» Ils étaient d'autant plus ulcérés de voir leur espérance déçue, qu'ils avaient compté avec plus de certitude se payer par l'acquisition du duché de Poméranie, dont le possesseur actuel était vieux et sans héritiers. Mais l'expectative de ce duché était assurée, dans la paix de Prague, à l'électeur de Brandebourg, et toutes les puissances voisines se révoltaient contre l'établissement des Suédois sur cette frontière, de l'Empire.

Jamais, dans tout le cours de cette guerre, les Suédois ne s'étaient trouvés dans une plus fâcheuse situation qu'en cette année 1635, immédiatement après la publication de la paix de Prague. Beaucoup de leurs alliés, surtout parmi les villes impériales, quittèrent leur parti pour être admis à jouir du bienfait de la paix; d'autres y furent contraints par les armes victorieuses de l'empereur. Augsbourg, vaincu par la famine, se rendit sous de dures conditions; Würtzbourg et Cobourg tombèrent au pouvoir des Autrichiens. L'alliance d'Heilbronn fut formellement dissoute. Presque toute la haute Allemagne, le siége principal de la puissance suédoise, reconnut la domination de l'empereur. La Saxe, s'appuyant sur la paix de Prague, demandait l'évacuation de la Thuringe, de Halberstadt, de Magdebourg. Philippsbourg, la place d'armes des Français, avait été surpris par les Autrichiens avec tous les approvisionnements qu'on y avait déposés, et cette grande perte avait ralenti l'activité de la France. Pour mettre le comble à la détresse des Suédois, il fallut que l'armistice avec la Pologne touchât justement à sa fin. Soutenir la guerre à la fois contre la Pologne et l'Empire surpassait de beaucoup les forces de la Suède, et il fallait choisir celui de ces deux ennemis dont on se délivrerait. La fierté et l'ambition décidèrent pour la continuation de la guerre d'Allemagne, quelques durs sacrifices qu'il en dût coûter envers la Pologne; dans tous les cas, il en coûtait une armée, si l'on voulait se faire respecter des Polonais et ne pas perdre absolument sa liberté dans les négociations entamées avec eux pour une trêve ou une paix.

A tous ces malheurs qui fondaient en même temps sur la Suède, Oxenstiern opposa la fermeté et les inépuisables ressources de son génie, et, avec son esprit pénétrant, il sut tourner à son avantage les obstacles même qu'il rencontrait. La défection de tant d'États allemands le privait, à la vérité, d'une grande partie de ses précédents alliés, mais elle le dispensait aussi de tout ménagement envers eux, et plus le nombre de ses ennemis augmentait, plus aussi ses armées avaient de pays sur lesquels elles pouvaient s'étendre, plus il s'ouvrait à lui de magasins. La criante ingratitude des membres de l'Empire et l'orgueilleux mépris que lui avait témoigné l'empereur, qui n'avait pas même daigné traiter avec lui directement de la paix, allumèrent dans son sein le courage du désespoir et la noble audace de pousser les choses à la dernière extrémité. Une guerre, si malheureuse qu'elle fût, ne pouvait empirer les affaires des Suédois, et, s'il fallait évacuer l'Empire d'Allemagne, il était du moins plus digne et plus glorieux de le faire l'épée à la main, de céder à la force et non à la peur.