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Le roman bourgeois: Ouvrage comique

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Je ne puis donc raconter autre chose de cette histoire; car toutes les particularitez que j'en pourrois sçavoir, si j'en estois curieux, ce seroit d'apprendre combien un tel jour on a mangé de dindons à Saint-Cloud chez la Durier36, combien de plats de petits pois ou de fraises on a consommés au logis de petit Maure à Vaugirard, parce qu'on pourroit encore trouver les parties de ces collations chez les hostes où elles ont esté faites, quoy qu'elles ayent esté acquitées peu de tems apres par le marquis, qui payoit si bien que cela faisoit tort à la noblesse. Ils furent mesme si discrets qu'on ne s'avisa point qu'il y eust plus de privauté qu'auparavant, et cela n'empescha pas qu'il n'y eust plusieurs personnes du second ordre qui entretinssent Lucrece et qui en fissent les amoureux et les passionnez. Mais c'estoit toûjours avec quelque espece de respect pour le marquis, et sous son bon plaisir. Ils prenoient leur avantage quand il n'y estoit pas, et ils luy cedoient la place quand il arrivoit; car chacun sait que ces nobles sont un peu redoutables aux bourgeois, et par conséquent nuisent beaucoup aux filles, à cause qu'ils écartent les bons partis.

Lucrece avoit accoustumé son amant à souffrir qu'elle entretinst, comme elle avoit toujours fait, tous ceux qui viendroient chez elle. Particulierement depuis sa faute, que le remords de sa conscience luy faisoit encore plus publique qu'elle n'estoit, elle les traita encore plus favorablement. Peut-estre aussi que par adresse elle en usoit de la sorte; car, quoiqu'elle se flattast toujours de l'esperance d'estre Madame la marquise, neantmoins comme la chose n'estoit pas faite et qu'il n'y a rien de si asseuré qui ne puisse manquer, elle estoit bien aise d'avoir encore quelques autres personnes en main pour s'en servir en cas de necessité. Outre qu'il est fort naturel aux coquettes d'aymer à se faire dire des douceurs par toutes sortes de gens, quoiqu'elles n'ayent pour eux ny amour ny estime.

Parmy ce corps de reserve de galands assez nombreux se trouva Nicodeme, qui estoit un grand diseur de fleurettes, et, comme j'ay dit, un amoureux universel. Il s'engagea si avant dans cette amour, qu'un jour, apres avoir prosné sa passion avec les plus belles Marguerites françoises37 qu'il pust trouver, Lucrece, pour s'en défaire, dit qu'elle n'adjoustoit point de foy à ses parolles, et qu'elle en voudroit voir de plus puissans témoignages. Il luy respondit serieusement qu'il luy en donneroit de telle nature qu'elle voudroit; elle luy repliqua qu'elle se raportoit à luy de les choisir. Aussi-tost Nicodeme, pour luy monstrer qu'il la vouloit aymer toute sa vie, lui dit qu'il luy en donneroit tout à l'heure une promesse par écrit. Tout en riant elle l'en deffia, et un peu de temps apres, Nicodeme, s'estant retiré expressément dans une antichambre, luy apporta en effet une promesse de mariage qu'il luy mit en main. Elle la prit en continuant sa raillerie, et luy demanda seulement: La quantième est-ce d'aujourd'huy? (Car c'estoit un homme sujet à de telles foiblesses.) En mesme temps, pour monstrer qu'elle n'en faisoit pas grand estat, elle s'en servit à envelopper une orange de Portugal qu'elle tenoit en sa main. Neantmoins elle ne laissa pas de la serrer proprement pour les besoins qu'elle en pourroit avoir, quand ce n'eust esté que pour faire voir un jour qu'elle avoit eu des amans.

Cela s'estoit passé auparavant que Nicodeme fust engagé avec Javotte. Quelque temps après, il arriva qu'un procureur de l'officialité, nommé Villeflatin, qui estoit amy et voisin de l'oncle de Lucrece, le vint voir et le trouva dans sa chambre au coin du feu. Par hasard, Lucrece estoit à fouiller dans un buffet qu'elle avoit dans la mesme chambre. Comme c'est la première cajolerie des vieillards de demander aux jeunes filles quand elles seront mariées, ce fut aussi le premier compliment de ce procureur. Hé bien! lui dit-il, mademoiselle, quand est-ce que nous danserons à vostre nopce! Je ne sçay pas quand ce sera, répondit Lucrece en riant; au moins ce ne sera pas faute de serviteurs: voilà une promesse; si j'en veux, il ne tient qu'à moy de l'accepter. Elle dit cela en monstrant un papier plié, qui estoit cette promesse qu'elle avoit trouvée fortuitement sous sa main, sur quoy neantmoins elle ne faisoit pas grand fondement, car elle mettoit toutes ses esperances en celle du marquis, dont elle n'avoit garde de faire alors mention. Le procureur, par curiosité, jetta la main dessus sans qu'elle y prist garde, et, faisant semblant de la vouloir arracher, elle fut obligée de la lascher de peur de la rompre. Il la lut exactement, et il luy dit qu'il connaissoit celuy qui l'avoit souscrite, qu'il avoit du bien; il n'en fit point d'autre éloge, car il croyoit bien par ce mot avoir dit tout ce qui s'en pouvoit dire. Il luy demanda si la promesse estoit reciproque, et si elle en avoit donné une autre; mais Lucrece, sans dire ny ouy, ny non, lui répondit tousjours en bouffonnant. Il luy recommanda serieusement de la bien garder, luy offrant de la servir en cette occasion et de faire une exacte enqueste du bien que Nicodeme pouvoit avoir.

A quelques jours de là il avint que, Villeflatin estant allé au Châtelet pour quelques affaires, y trouva Vollichon, pere de Javotte; et comme il le connoissoit de longue main, Vollichon lui fit part de la joyeuse nouvelle du mariage prochain de sa fille. Villeflatin s'en rejouyt d'abord avec luy, disant qu'il faisoit fort bien de la marier ainsi jeune; qu'une fille est de grande garde; qu'un pere en est déchargé et n'est plus responsable de ses fredaines quand elle est entre les mains d'un mary, qui est obligé d'en avoir le soin. Qu'à la vérité sa petite Javotte estoit bien sage; mais que le siecle estoit si corrompu, et la jeunesse si dépravée, qu'on ne faisoit non plus de scrupule de surprendre une pauvre innocente que de boire un verre d'eau. Et apres d'autres discours de cette nature que j'obmets à dessein, non pas faute de les sçavoir (car je les ay ouy dire mille fois), il luy demanda qui estoit celuy qu'il avoit choisi pour faire entrer en son alliance, et quand se feroit la solemnité du mariage. Vollichon luy répondit que les bans estoient desja jettez à Saint-Nicolas et à Saint-Severin, les parroisses des futurs espoux; que les fiançailles se devoient faire dans deux jours, et que c'estoit Nicodeme qui devoit estre son gendre. Comment! (s'écria Villeflatin) et on disoit qu'il devoit épouser mademoiselle Lucrece, nostre voisine! J'ai veu, leu et tenu une promesse de mariage à son profit, et qui est bien signée de luy. Vous me surprenez (dit Vollichon), je vous prie de m'en faire sçavoir des nouvelles certaines, et de me dire s'il… Et, sans achever, il le quitta avec furie, en criant: Qui appelle Vollichon? C'estoit le guichetier de la porte du presidial, qui appelloit Vollichon pour venir parler sur la montée à une partie qu'on ne vouloit pas laisser entrer. Son avidité, qui ne vouloit rien laisser perdre, ne luy permit pas de faire reflexion qu'il quittoit une affaire tres importante pour une autre qui estoit peut-estre de neant, comme elle estoit en effet. Si-tost qu'il eut expédié cette partie, il retourna au lieu où il avoit laissé Villeflatin, pour luy demander s'il se souvenoit des termes ausquels la promesse de mariage estoit conçue, puisqu'il l'avoit eue entre ses mains; mais il ne le trouva plus: car, comme celuy-cy estoit fort zelé pour le service de Lucrece et de toute sa famille, voyant le brusque départ de Vollichon, il s'imagina qu'il estoit allé promptement faire avertir sa femme et sa fille qu'on vouloit aller sur son marché et qu'une autre personne avoit surpris une promesse de mariage de Nicodeme. Enfin il crut qu'il estoit allé donner ordre d'achever le mariage avant qu'on y pust former opposition, de peur de laisser échapper ce party, qui en effet lui estoit avantageux. Il eut peur que ce qu'il avoit découvert à Vollichon ne le poussast encore plustost à precipiter l'affaire. C'est ce qui l'obligea d'aller tout de ce pas et de son propre mouvement (sans parler de rien à Lucrece, ny à son oncle, ny à sa tante), afin de ne perdre point de temps, former une opposition au mariage entre les mains des curez de Saint-Nicolas et de Saint-Severin. Et non content de cela, il obtint du lieutenant civil et de l'official des deffenses de passer outre, qu'il fit signifier aux mesmes curez et à Vollichon, car, quand à Nicodeme, il ne sçavoit où il demeuroit. Puis il vint tout en sueur, sur les trois heures apres midy, dire à Lucrece qu'il y avoit bien des nouvelles, qu'elle luy avoit bien de l'obligation, qu'il n'avoit ny bu ni mangé de tout le jour, qu'il avoit toujours couru pour son service. Et apres plusieurs autres prologues, il lui raconta la rencontre qu'il avoit faite de Vollichon et tous les exploits qu'il avoit fait depuis.

 

Lucrece fut fort surprise de ce recit, et il lui monta au visage une rougeur plus forte qu'aucune qu'elle eust jamais eue. Pour tout remerciment de la bonne volonté de ce procureur, elle luy dit qu'il la servoit vraiment avec beaucoup de chaleur, puisqu'il n'avoit pas mesme pris le temps d'en parler à son oncle ny à sa tante; qu'en son particulier, elle n'avoit point dessein d'épouser Nicodeme, et encore moins par l'ordre de la justice. Ha, ha (dit alors le procureur), il faut apprendre à cette jeunesse éventée à ne se moquer pas des filles d'honneur: nous avons sa signature, il faudra au moins qu'il paye des dommages et interests; laissez-moi seulement faire. Et avec un «Nous nous verrons tantost plus amplement; je n'ay ny bu ny mangé d'aujourd'huy», il enfila l'escalier, et tira la porte de la chambre apres luy; il la ferma mesme à double tour pour empescher qu'on ne courust apres luy pour le reconduire.

Lucrece, que par bon-heur il avoit trouvée seule, demeura en grande perplexité. Son marquis s'en estoit allé il y avoit quelque temps et luy avoit laissé des marques de son amour. Peu avant son départ, elle s'estoit apperceue d'un certain mal qui avoit la mine de luy gaster bien-tost la taille. Cela mesme l'avoit obligée de le presser de l'épouser; mais lorsqu'elle le conjuroit si vivement qu'il ne s'en pouvoit presque plus deffendre, il luy vint un ordre de la cour d'aller joindre son regiment: à quoi il obeyt en apparence avec regret, et en lui faisant de grandes protestations de revenir au plustost satisfaire à sa promesse. Il partit bien, mais je ne sçay quel terme il prit pour son retour, tant y a qu'il n'est point encore revenu. Lucrece luy écrivit force lettres, mais elle n'en reçeut point de réponse. Elle vit bien alors, mais trop tard, qu'elle estoit abusée, et ce qui la confirma dans cette pensée, c'est que, depuis le départ du marquis, elle n'avoit plus trouvé la promesse de mariage qu'il luy avoit donnée. Elle ne pouvoit pas mesme s'ymaginer comme elle l'avoit perdue, veu le grand soin qu'elle avoit eu de la serrer dans son cabinet. Or, voicy comme la chose estoit arrivée:

La passion du marquis estant un peu refroidie par la jouyssance, il fit reflexion sur la sottise qu'il alloit faire s'il executoit la parolle qu'il avoit donnée à Lucrece. Outre le tort qu'il faisoit à sa maison en se mésalliant, il voyoit tous ses parens animez contre luy, qui luy feroient perdre les grands biens sans lesquels il ne pouvoit soustenir l'éclat de sa naissance. Il voyoit, d'un autre costé, que, si Lucrece playdoit contre luy en vertu de sa promesse de mariage, cela luy feroit une tres-fâcheuse affaire: car, outre que ces sortes de procés laissent tousjours quelque tache à l'honneur d'un honneste homme, à cause qu'il est accusé en public de trahison et de manquement de parolle, les evenemens en sont quelquefois douteux, et avec quelque avantage qu'on en sorte, ils coustent toujours tres-cher. Il se résolut donc d'user de stratagéme pour se tirer de ce mauvais pas où son amour trop violent l'avoit engagé. Pour cet effet il mena sa maistresse à la foire Saint-Germain, et, luy disant qu'il luy vouloit donner le plus beau cabinet d'ébeine qui s'y trouveroit, il la pria de le choisir et d'en faire le prix. Elle fit l'un et l'autre, et de plus elle le remercia de sa liberalité. Le marquis prit le soin de le luy faire porter chez elle; mais auparavant il commanda secrettement au marchand d'y faire des clefs doubles, dont il garda les unes par devers luy et il fit livrer les autres à Lucrece avec le cabinet. Soudain qu'elle eut ce present, elle y serra avec joie ses plus précieux bijoux, et ne manqua pas surtout d'y mettre sa promesse de mariage qu'elle avoit du marquis.

Quand il fut sur son départ, ayant dessein de retirer sa promesse, il alla chez Lucrece à une heure où il sçavoit qu'elle n'estoit pas au logis; il y entra familierement comme il avoit accoustumé, et, feignant d'avoir quelque chose d'importance à luy dire, il demanda permission de l'attendre dans sa chambre. Estant là, il se trouva bien-tost seul, et alors, avec la clef qu'il avoit par devers luy, il ouvrit le cabinet, et, trouvant la promesse, s'en saisit, sans que Lucrece, quand elle fut arrivée, s'apperceût d'aucune chose. Elle n'avoit mesme reconnu ce vol que peu de jours avant ce procés que venoit de former Villeflatin contre Nicodeme, et n'en avoit pas encore soubçonné le marquis; mais quand elle vid que son absence duroit, qu'il ne luy écrivoit point et que sa promesse estoit perdue, elle ne douta plus de sa perfidie. Dans son déplaisir elle ne trouva point de meilleur remede à son affliction que d'entretenir avec plus de soin ses autres conquestes. Or comme il falloit qu'elle se mariast avant qu'on s'apperceust de ce qu'elle avoit tant de sujet de cacher, elle commença à s'affliger moins du zele indiscret de son voisin, qui luy cherchoit un mary malgré elle par les voyes de la justice.

Elle attendit donc avec patience le succés de cette affaire, raisonnant ainsi en elle-mesme, que si elle gagnoit sa cause, elle gagnoit un mary dont elle avoit grand besoin, et si elle la perdoit, elle pourroit dire (comme il estoit vray) qu'elle n'avoit point approuvé cette procedure, et qu'on l'avoit commencée à son insceu, ce qu'elle croyoit estre suffisant pour mettre son honneur à couvert. Aussi bien il n'estoit plus temps de deliberer; la promptitude du procureur avoit fait tout le mal qui en pouvoit arriver; la matiere estoit desja donnée aux caquets et aux railleries; il falloit voir seulement où cela aboutiroit. Villeflatin, la revenant voir le soir, luy dit qu'elle luy donnast sa promesse. La honte ne l'ayant pas encore fait resoudre, elle fit semblant de l'avoir égarée et luy dit mesme qu'elle craignoit qu'elle ne fust perduë. Vous auriez fait là (reprit-il) une belle affaire. Or sus, trouvez là au plustost, cependant que ce mariage est arresté; il ne peut passer outre au prejudice de nos deffenses; mais la faudra bien avoir pour la faire reconnoistre. Dites-moi cependant: n'a-t-il point eu d'autres privautez avec vous? n'y a-t-il point eu de copule? Dites hardiment, cela peut servir à vostre cause? Dame, en ces occasions il faut tout dire; on n'y seroit pas receu par apres.

Lucrece rougit alors avec une confusion qui n'est pas imaginable et qui l'empescha de faire aucune réponse. Elle fut tellement surprise de cette grosse parolle, qu'elle fut toute preste à luy advoüer son malheur, dont elle croyait qu'il se fust desja apperceu, de la sorte qu'il la traitoit. Elle l'alloit prier en mesme temps de s'entremettre auprés de son oncle et de sa tante pour obtenir le pardon de sa faute. Ville-flattin crût que sa rougeur venoit de ce qu'il luy avoit demandé assez cruement une chose dont un homme plus civil que luy se seroit informé avec plus d'honnesteté; de sorte que, sans la presser davantage, il la loua de sa pudeur, luy disant: Soyez aussi sage à l'advenir comme vous avez esté jusqu'icy, et vous reposez sur moi de cette affaire.

Cependant Nicodeme qui ne sçavoit rien de ces nouveaux incidens, alla le soir mesme voir Javotte, sa vraye maistresse, et ayant mis des canons blancs, s'estant bien frisé et bien poudré, il y arriva en chaise, fort gay, retroussant sa moustache et gringottant un air nouveau. Il rencontra dans la salle la mere et la fille, toutes deux bourgeoisement occupées à ourler quelque linge pour achever le trousseau de l'accordée. Le froid accueil qu'elles luy firent le surprit un peu, et, commençant la conversation par l'ouvrage qu'elles tenoient: Certes, ma bonne maman (luy dit-il), vostre fille vous aura bien de l'obligation, car je me doute bien que ce linge à quoy vous travaillez est pour elle. La prétenduë belle-mere luy répondit assez brusquement: Ouy, monsieur, c'est pour elle; mais il vous passera bien loin du nez. Je vous trouve bien hardy de venir encore ceans, apres nous avoir voulu affronter. Là, là, ma fille est jeune et ne manquera pas de partis; nous ne sommes pas des personnes à aller playder à l'officialité pour avoir un gendre. Allez trouver vostre maistresse à qui vous avez promis mariage; nous ne voulons pas estre cause qu'elle soit dés-honorée. Nicodeme, encore plus estonné, jura qu'il n'avoit aucun engagement qu'avec sa fille. Vrayment (reprit aussi-tost la procureuse), il nous en feroit bien accroire si nous n'avions de quoy le convaincre; et, appelant la servante, elle luy dit: Julienne, allez querir un papier là haut sur le manteau de la cheminée, que je luy fasse voir son bec-jaune. Quand il fut apporté: Tenez (dit-elle), voyez si je parle par cœur! Nicodeme pensa tomber de son haut en le lisant, car il connoissoit le cœur de Lucrece, et il ne pouvoit concevoir qu'une si fiere personne voulust playder à l'officialité pour avoir un mary. Il sçavoit qu'elle n'avoit receu la promesse qu'en riant et sans fonder sur cela aucune esperance ny dessein de mariage; aussi n'en avoit-elle point parlé depuis, de sorte qu'il s'imagina que cela n'estoit point fait par son ordre; il dit donc à sa belle mere: Voilà une piece que quelque ennemy me jouë; s'il ne tient qu'à cela, je vous apporte dés demain une main-levée de cette opposition pardevant notaires.

Je n'ay que faire (répondit-elle) de notaires ni d'advocats; je ne veux point donner ma fille à ces débauchez et à ces amoureux des onze mille vierges. Je veux un homme qui soit bon mary et qui gagne bien sa vie.

Nicodeme, qui ne trouvoit pas là grande satisfaction, d'ailleurs impatient de sçavoir la cause de cette broüillerie, prit congé d'elle peu de temps apres. Il ne fut pas assez hardy pour saluer, en sortant, sa maistresse de la maniere qu'il est permis aux amans declarez. Pour Javotte, elle se contenta de luy faire une reverence muette; mais en se levant elle laissa tomber un peloton de fil et ses ciseaux, qui estoient sur sa juppe. Nicodeme se jette aussi-tost avec precipitation à ses pieds pour les relever; Javotte se baisse, de son costé, pour le prévenir; et, se relevant tous deux en mesme temps, leurs deux fronts se heurtèrent avec telle violence, qu'ils se firent chacun une bosse. Nicodeme, au desespoir de ce malheur, voulut se retirer promptement; mais il ne prit pas garde à un buffet boiteux qui estoit derrière luy, qu'il choqua si rudement qu'il en fit tomber une belle porcelaine, qui estoit une fille unique fort estimée dans la maison. Là dessus, la mère éclate en injures contre luy. Il fait mille excuses, et en veut ramasser les morceaux pour en renvoyer une pareille; mais en marchant brusquement avec des souliers neufs sur un plancher bien frotté et tel qu'il devoit estre pour des fiançailles, le pied luy glissa, et comme, en ces occasions, on tâche à se retenir à ce qu'on trouve, il se prit aux houppes des cordons qui tenoient le miroir attaché; or, le poids de son corps les ayant rompus, Nicodeme et le miroir tombèrent en mesme temps. Le plus blessé des deux, neantmoins, ce fut le miroir, car il se cassa en mille pièces, Nicodème en fut quitte pour deux contusions assez légères. La procureuse, s'ecriant plus fort qu'auparavant, luy dit: Qui m'amène ici ce ruine-maisons, ce brise-tout? et se met en estat de le chasser avec le manche du ballay. Nicodeme, tout honteux, gagne la porte de la salle; mais, estant en colere, il l'ouvrit avec tant de violence, qu'elle alla donner contre un theorbe qu'un voisin avoit laissé contre la muraille, qui fut entierement brisé. Bien luy en prit qu'il estoit tard, car en plein jour, au bruit que faisoit la procureuse, la huée auroit fait courir les petits enfans apres luy. Il s'en alla donc egalement rouge de honte et de colere; et, à cause de l'heure, ne pouvant rien faire ce soir-là, il se resolut d'attendre au jour d'apres à voir Lucrece.

 

Le lendemain donc, voulant y aller en bon ordre, il demanda sa belle garniture de dentelle, qui luy fut apportée, à la reserve du rabat, qui se trouva manquer. Il envoya son laquais pour le chercher chés sa blanchisseuse, qui répondit par ce trucheman qu'elle ne l'avoit point. Comme Nicodeme estoit bon bourgeois et bon ménager, il alla le chercher luy-mesme; il foüilla et renversa tout son linge sale, et il trouva à la fin ce qu'il cherchoit et même ce qu'il ne cherchoit pas. Car il faut sçavoir que cette blanchisseuse, nommée dame Roberte, blanchissoit aussi la maison de Lucrece et y estoit fort familiere. Or, comme il remuoit ce linge sale, voyant une chemise de femme assez haute en couleur, il luy demanda en riant si c'estoit une chemise de mademoiselle Lucrece. Dame Roberte luy répondit avec une grande naïveté: Vrayement nenny, ce n'en est pas; mademoiselle Lucrece est maintenant la plus propre fille qu'il y ait à Paris; depuis plus de trois mois je ne vois pas la moindre tache à son linge, il est presque aussi blanc quand je le prends que quand je le reporte. Et comment se porte-t'elle? luy dit Nicodeme. Dame Roberte luy repondit avec la mesme ingenuité: La pauvre fille est toute mal bastie; quand je vais chés elle le matin, je la trouve qui a des vomissemens et de si grands maux de cœur et d'estomac, qu'elle ne peut durer lassée dans son corps de juppe; elle est tousjours avec ses brassieres de satin blanc. Toutefois cette pauvre fille ne se plaint pas, et cache si bien son mal qu'on ne sçait pas mesme au logis qu'elle soit malade; l'apres-disnée elle recoit son monde comme si de rien n'estoit: c'est la meilleure ame et la plus patiente creature qui se puisse voir. Nicodeme remarqua ces parolles ingenuës, et, changeant de dessein, au lieu d'aller voir Lucrece il alla consulter un medecin et un de ses amis du barreau; enfin il se douta de la verité, et son imagination alla encore au delà; car il s'imagina que, pour remedier au mal de Lucrece, ses parens avoient formé cette action afin de la luy faire épouser. Il crut aussi que, pour couvrir sa faute, elle leur avoit fait entendre qu'il avoit abusé d'elle sous la promesse de mariage qu'il luy avoit sottement donnée. Il avoit appris de ses amis qu'il avoit consulté, et il le pouvoit sçavoir luy-mesme, puisque c'estoit son mestier, que son affaire estoit mauvaise; qu'une fille enceinte fondée en promesse de mariage seroit plustost cruë en justice que luy, et que, quelques sermens qu'il fist du contraire, il ne détruiroit point la presomption qu'on auroit que ce ne fust de ses œuvres. D'ailleurs Lucrece estoit belle et avoit beaucoup d'amis de gens de robbe, qui luy pouvoient faire gagner sa cause, quelque mauvaise qu'elle fust, outre qu'elle estoit si discrette en apparence qu'il ne la pouvoit pas convaincre d'aucune débauche, quoy que sa coquetterie fust publique. Il resolut donc de sortir de cette affaire à quelque prix que ce fust avant qu'elle éclatast tout à fait; car il s'imaginoit que si-tost qu'il auroit conjuré cet orage et levé cette opposition, il renoüeroit aisément avec les parens de Javotte, de laquelle il estoit amoureux au dernier point, et certainement, si on eust connu son foible, il luy en eust coûté bon. Il employa quelque temps à chercher des connoissances pour faire parler sous main à l'oncle de Lucrece, n'osant pas y aller en personne, de peur d'un amené sans scandale. Il y trouva quelque accés par le moyen d'un amy qui connoissoit Villeflattin, le plenipotentiaire et le grand directeur de cette affaire, qui écouta volontiers ses propositions.

Cependant Lucrece estoit demeurée dans un grand embarras; elle craignoit tous les jours de plus en plus que son mal secret ne devint public, et, voyant bien qu'il ne falloit plus avoir d'espérance au marquis, elle se résolut tout de bon de ménager l'affaire que le hazard et la promptitude de ce procureur luy avoit preparée. Ce qui la fit encore plustost resoudre, c'est qu'elle avoit presté l'oreille à une consultation qui s'estoit faite chez son oncle sur une pareille espece, où l'affaire avoit esté decidée en faveur d'une fille qui estoit en une semblable agonie. Elle prit donc en main sa promesse pour la porter à son oncle, et le prier, en luy demandant pardon de sa faute, de luy faire reparer son honneur. Mais, hélas! en ce moment, elle avoit deux estranges repugnances: l'une de decouvrir sa faute, et l'autre d'en charger un innocent, ce qui estoit pourtant necessaire en cette occasion.

Trois fois elle monta en la chambre de son oncle, et trois fois elle en descendit sans rien faire. Enfin, y étant retournée avec une bonne resolution, elle commença à luy dire: Mon oncle… et, se repentant d'avoir commencé, elle s'arresta aussi-tost. Son oncle luy ayant demandé ce qu'elle desiroit, elle luy demanda s'il n'avoit point veu ses ciseaux, qu'elle avoit laissez sur la table. A la fin pourtant, apres avoir longuement tournoyé, elle luy dit tout de bon: Mon oncle, je voudrois bien vous entretenir d'une affaire en laquelle je vous prie de m'estre favorable. Mais comme elle commençoit à s'expliquer et en mesme temps à rougir, on vint dire à son oncle qu'on le demandoit en bas pour une affaire fort pressée. Il descendit promptement, et un peu apres envoya querir ses gants et son manteau. Lucrece alors tint à bonheur de n'avoir pas commencé le recit de son adventure, car elle auroit esté faschée de s'y voir interrompue. Or cette affaire estoit que Villeflattin avoit envoyé querir cet oncle, pour luy parler de l'affaire qu'il avoit poursuivie à son insçeu et de son propre mouvement, dans la confiance qu'il avoit qu'il ne seroit point desavoué, à cause du grand soin qu'il prenoit des intérêts de toute la famille. Ce bon homme fut fort surpris de cette nouvelle, et dit qu'il s'estonnoit fort de ce que sa niece ne lui en avoit rien dit. Mais il fut encore plus surpris quand Villeflattin, luy ayant fait le recit de tout ce qui s'y estoit passé dans le peu de jours que l'affaire avoit duré, luy dit que le proces estoit terminé s'il vouloit; qu'on luy offroit de gros dommages et interêts, et qu'en effet, l'entremetteur de Nicodeme estoit chés luy, qui faisoit une proposition de donner deux mille ecus d'argent comptant à Lucrece, à la charge de terminer l'affaire sur le champ. Il leur faisoit entendre que Nicodeme ne craignoit pas l'évenement de cette opposition en justice, et qu'il monstreroit bien qu'elle estoit sans fondement, mais qu'il vouloit seulement lever l'ombrage qu'elle donnoit aux parens de Javotte, qu'il estoit prest d'épouser, et particulierement à cause que l'Avent qui approchoit ne luy permettoit pas de laisser tirer l'affaire en longueur; qu'enfin il sacrifioit cette somme d'argent à son plaisir, afin de ne perdre point de temps, ce qu'il n'eust pas fait en autre saison. Villeflattin, à qui on avoit promis en particulier une bonne paraguante38, sçeut si bien cajoller le bon homme, qu'il le fit resoudre d'accepter cette proposition, dans la menace qui leur estoit faite de révoquer le lendemain ces offres pour en playder tout de bon. Et ce qui l'y porta encore plustost fut que Villeflattin luy dit que Lucrece avoit égaré la promesse qu'il falloit produire, ce qui la mettoit en danger d'estre debouttée au premier jour de sa demande. Il luy fit considerer aussi que, n'y ayant qu'une simple promesse de mariage, sans autre suitte ny engagement avec Lucrece, et y ayant d'ailleurs un contract solemnel fait avec Javotte, cette action ne se pourroit resoudre qu'en quelques dommages et interests, qu'on n'arbitre pas tousjours fort grands, et qui dépendent purement du caprice des juges.

Il passa donc aussi-tost une transaction, en laquelle il ne fut pas besoin de faire parler Lucrece, qui estoit mineure, et dont l'oncle, qui estoit son tuteur, crut bien procurer l'avantage. Il receut donc les deux mille écus, qui luy servirent bien depuis. Aussi-tost on vint annoncer cette bonne nouvelle à Lucrece, et Villeflattin luy cria dès la porte: Ne vous avois-je pas bien dit que je vous ferois avoir des dommages et interests? Tenez, voilà deux mille écus que j'en ay tiré, et si je n'avois pas la promesse en main; regardez ce que c'eust esté si vous ne l'eussiez point perdue. Hé bien! si on vous eust creue, vous alliez laisser tout perdre. Vous m'en remercierez si vous voulez, mais c'est comme si je vous les donnois en pur don.

Lucrece, surprise de ce compliment, et encore plus de cet accord qu'elle n'avoit esté du commencement du procès, ne répondit qu'avec une action qui témoignoit un genereux mépris des richesses. Elle feignit qu'elle n'attendoit pas à vivre apres cela, et qu'elle n'avoit jamais approuvé tout ce procedé. Elle le remercia pourtant de la bonne volonté qu'il avoit témoignée pour elle. Dès le soir elle luy envoya une somme d'argent pour le payer de ses peines, qu'il refusa genereusement, et le lendemain elle luy envoya le triple en presens qu'il receut fort bien.

Lucrece n'eut plus besoin alors de découvrir son mal secret, mais de chercher de nouvelles adresses pour le cacher et pour le couvrir, et elle en vint à bout à la fin, comme vous verrez dans la suitte; mais je veux la laisser un peu reposer, car il ne faut pas tant travailler une personne enceinte.

Nicodeme, sorty de cette fascheuse affaire, et joyeux d'avoir la main-levée de cette opposition, alla aussi-tost trouver le père de Javotte, apres avoir neantmoins appaisé la mere, en lui renvoyant un autre miroir, un autre theorbe, et une autre porcelaine. Vollichon lui fit un accueil plus froid qu'il ne croyoit, car il ne fit pas grand cas de la main-levée de cette opposition, et, sous pretexte que, s'il avoit fait cette sottise-là, il en pourroit bien avoir fait d'autres, dont il desiroit s'informer, il luy demanda du temps pour ne rien precipiter, et il remit le mariage au lendemain des roys, à cause que l'advent estoit fort proche. Ce que Nicodeme fut obligé de souffrir, en regrettant neantmoins l'argent qu'il avoit donné dans l'esperance de se marier deux jours apres. Or ce n'estoit pas ce qui arrestoit Vollichon, mais c'est que, deux jours auparavant, on luy avoit parlé d'un autre party pour sa fille, qui estoit plus avantageux, et voulant avoir (comme il disoit) deux cordes à son arc, il ne vouloit differer qu'afin de voir s'il pourroit s'engager avec le plus riche, pour rompre aussi-tost avec celuy qui l'estoit le moins.

36C'étoit, sous Louis XIII, la plus fameuse cabaretière des environs de Paris. On trouve dans Tallemant (édit. in-12, t. 9, p. 223-226) une longue et curieuse historiette sur elle, sur son vaste cabaret de Saint-Cloud, sur les longs crédits qu'elle faisoit à la noblesse, etc. Il y est aussi parlé de ses amours avec Saint-Preuil, et de la belle conduite qu'elle tint quand, aux instigations du duc de la Meilleraye, ce gouverneur d'Arras fut jugé et décapité à Amiens. «Elle reçut sa tête dans un tablier, dit Tallemant, et lui fit faire un magnifique service à ses dépens.» Dans les notes curieuses qu'il a données sur ce passage des Historiettes, M. Monmarqué omet de dire qu'en décembre 1803, lors des fouilles qu'on fit dans l'enclos des Feuillans d'Amiens, on a eu la preuve des soins pieux que prit la Durier pour l'inhumation de Saint-Preuil; on retrouva le corps et la tête embaumés. Le détail de cette découverte et du bruit qu'elle fit à Amiens se lit tout entier au t. 2, p. 198-199, des Essais historiques sur Paris, publiés en 1812, in-12, par le neveu de Saint-Foix, pour faire suite à ceux publiés par son oncle. – Quelques auteurs du temps ont aussi parlé de la Durier, entre autres Sarrazin, qui, dans la préface de son Ode à Calliope, se fait dire par sa muse: «Je quitteray pour vous la table des dieux si vous quittez pour moi celle de la Durier.» (Les Œuvres de M. Sarrazin, etc., Paris, 1696, in-8, p. 283.)
37Il est fait allusion ici au livre de François Desrues: Les Marguerites françoises, ou fleurs de bien dire, contenant plusieurs belles et rares sentences morales recueillies des meilleurs auteurs, et mises en ordre alphabètique. Rouen, Behourt, 1625, in-12. Cette édition, décrite par Brunet, Manuel, II, 65, n'est pas la plus ancienne de ce recueil, qui s'appeloit auparavant: Fleurs de bien dire, recueillies des cabinets des plus rares esprits de ce temps, pour exprimer les passions amoureuses de l'un comme de l'autre sexe, etc. Il y en a sous ce titre une édition de 1598, Paris, Guillemot, pet. in-12.
38C'est proprement une expression espagnole qui veut dire pour les gants, et qui fait allusion à la paire de gants qui étoit alors le seul droit de commission, le seul pot-de vin de certains services; les locutions avoir les gants, se donner les gants d'une chose, viennent de là. Molière, dans l'Etourdi, a employé le mot paraguante, et Le Sage, dans Gil Blas (liv. 7, ch. 2), a dit, parlant d'un secrétaire du duc de Lerme: «Pourvu qu'il tire des paraguantes d'une affaire, il se soucie fort peu des épilogueurs.» Le mot nous étoit venu d'Espagne au XVIIe siècle; nous avions l'usage auparavant. Ainsi, dans le Roman de la Rose (édit. Lenglet Dufresnoy, t. 2, p. 158), il est parlé d'une paire de gants ainsi donnée, et dans le Perceforest, le roi dit au valet qui lui amène le cheval de sa maîtresse: «Passavant, je vous doibs vos gants.»

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