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Jacques Ortis; Les fous du docteur Miraglia

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LES FOUS DU DOCTEUR MIRAGLIA

A MON BON AMI LE DOCTEUR CASTLE

I

Permettez-moi de vous rendre compte d'un des spectacles les plus extraordinaires que j'aie jamais vus, et je puis même dire que l'on ait jamais vus:

Une représentation dramatique jouée par des fous.

Et remarquez-le bien, c'est la troisième fois que ces mêmes fous, sous la direction du docteur Miraglia, donnent à Naples des représentations, et avec un succès tel, qu'à Naples, où les comédiens, même ceux qui ont du talent, ne font pas un sou, nos fous, toutes les fois qu'ils jouent, font salle comble.

Une fois, – la première, – ils ont joué le Brutus d'Alfieri; les deux autres fois, ils ont joué le Bourgeois de Gand8.

Le Bourgeois de Gand! entendez-vous, mon cher Romand, vous que je n'ai pas vu depuis vingt-cinq ans peut-être? votre Bourgeois de Gand, oublié à Paris par des acteurs qui se croient sages, des fous le jouent ici, et le font applaudir avec frénésie!

C'est qu'en vérité je ne conseillerais pas à de vrais acteurs de lutter avec eux.

Maintenant, comment vous raconter cette représentation? J'ai bien envie de commencer par la fin, c'est-à dire de vous parler de M. Miraglia d'abord, de son admirable établissement ensuite, et enfin de la représentation du Bourgeois de Gand.

J'ai été voir le Bourgeois de Gand, sans connaître M. Miraglia, et encore moins ses fous. Après la représentation, émerveillé de ce que j'avais vu, j'ai couru après M. Miraglia; mais on m'a dit qu'on ne pouvait pas lui parler, attendu qu'il était en train de calmer l'exaltation de ses artistes, avec lesquels il partait le même soir pour Aversa. Si je voulais l'aller voir à Aversa, il m'attendrait le lendemain toute la journée, et je pourrais tout à mon aise faire mes compliments aux artistes que j'avais applaudis la veille et à leur habile directeur.

M. Miraglia m'attendait et m'exposa son système avec la plus complète bienveillance. Vous faire connaître toutes les observations de M. Miraglia n'est pas chose possible.

Je me bornerai donc à vous dire que M. Miraglia, après avoir douté du système de Gall et de Spurzheim, l'étudia et, après l'avoir étudié, en devint fanatique. Dès lors, se sentant entraîné par une vocation irrésistible vers le traitement des fous, il comprit que la phrénologie devait être surtout appliquée à la folie. Et, en effet, du développement des organes dépend le développement des facultés de l'esprit; de l'excitation de ces mêmes organes naissent l'exaltation et le désordre de ces facultés, et de leur dépression, au contraire, naît l'abolition de ces facultés. La manie, la folie et la démence sont les trois degrés du dérangement de la raison. On passe de la manie à la folie, de la folie à la démence; au delà, rien; car la démence, c'est l'atrophie du cerveau, et, dans ce cas, les cavités du cerveau sont diminuées au profit de la partie osseuse, qui est insensible et inintelligente.

*
* *

La plupart des fous que contient l'établissement de M. Miraglia, sont devenus fous par religiosité. Il est remarquable combien chez eux est développé jusqu'à l'exagération, c'est-à-dire jusqu'à la manie, l'organe de la vénération.

La religiosité exagérée est un des organes qui mènent le plus facilement aux crimes les plus impies.

En 1860, on eut un terrible exemple d'aberration religieuse, à Tratta-Maggiore, petit pays situé à cinq milles au-dessus de Naples. Dans la nuit du 25 mai, un fils tua sa mère, âgée de quatre-vingts ans, tandis qu'elle dormait.

Il se nommait Raphaël Del Prete; il était âgé de trente-six à trente-huit ans, de tempérament bilieux, mélancolique, d'intelligence limitée; il était dominé par des sentiments ascétiques, passait pour avoir un bon caractère, était respectueux pour sa vieille mère qu'il paraissait adorer.

Jamais on n'avait remarqué en lui le moindre trouble cérébral.

Il tomba malade, fit vœu, s'il guérissait, de quêter pour faire dire des messes, et recueillit de quoi en faire dire quatre ou cinq cents.

Dans le procès, Del Prete dit que le conseil de faire des quêtes lui avait été donné par son confesseur, – qui espérait être chargé de dire ces messes, et, par conséquent, en toucher l'argent.

Mais, au lieu de donner cet argent au prêtre, raconte toujours Del Prete, il le donne à un ermite; ce que, apprenant le prêtre, il lui dit avec emportement qu'il était damné.

Après cette menace, Del Prete devint pensif, il ne quitta plus la maison, et, se regardant d'avance comme damné, il ne baisa plus les images saintes pour lesquelles il avait une si grande dévotion autrefois.

Sa mère l'invitait à sortir, et, comme son oisiveté amenait la gêne dans la maison, elle le poussait à reprendre son métier, qu'il avait complétement abandonné. Cette insistance de la pauvre femme l'irritait; il répondait qu'il avait des dettes partout, et que personne ne lui voulait plus faire crédit.

Enfin, une nuit, son frère, qui couchait dans le même lit que lui, se réveilla et ne le sentit plus à ses côtés. En même temps, il entendit un bruit de coups sourds dans la chambre voisine: il se leva, alluma une chandelle, entra dans la chambre où il entendait ce singulier bruit, et il trouva son frère écrasant à coups de masse la tête de sa mère.

– Que fais-tu, malheureux? lui demanda-t-il.

– J'ai entendu, répondit l'assassin, ma mère qui était tombée à bas du lit, je suis accouru pour l'y remettre.

Le frère sortit pour appeler du secours, rentra, accompagné de plusieurs personnes, et trouva le meurtrier en extase près du corps de sa mère.

Incarcéré et interrogé, le malheureux répondit que c'était le démon qui, pendant toute la journée précédente, lui avait soufflé à l'oreille de tuer sa mère. Son frère s'étant endormi, et la voix du démon ayant continué à le pousser au meurtre, il avait cédé à la tentation.

Les juges ayant peine à croire à ce matricide, pendant un état de libre arbitre de l'assassin, appelèrent en consultation M. Miraglia et le docteur Barbarisi.

M. Miraglia examina la tête du prévenu et déclara qu'il était atteint de ce genre de folie que l'on appelle lypémanie ascétique, laquelle peut, par des hallucinations fantasques, entraîner aux actes les plus désespérés celui qui est sous son empire. Il déclara donc que le coupable avait agi, non pas dans l'exercice de son libre arbitre, mais sous la pression d'une terreur religieuse à laquelle il n'avait pas pu résister.

– Inutile de le tuer, dit M. Miraglia aux juges: dans un an, il sera mort.

Le coupable, en effet, fut sauvé de la guillotine, mais non de la mort. Dieu l'avait déjà condamné quand les hommes s'occupaient de rendre son jugement.

Un an après, comme l'avait prédit M. Miraglia, Del Prete mourut; l'autopsie du cerveau présenta un crâne double d'épaisseur, comparé à un autre crâne, et transparent au sinciput antérieur; les méninges étaient engorgées de sang; le sectum falciforme était devenu plus volumineux et avait fait adhésion avec les circonvolutions immédiates; ces circonvolutions présentaient des suppurations gélatineuses dans la substance grise; les lobes médiaux comme les méninges, étaient engorgés de sang et ramollis; le reste de la substance cérébrale était dans l'état ordinaire.

Parmi les viscères, le foie était très-volumineux et présentait des traces inflammatoires.

*
* *

Maintenant, voici les raisons que, dans la conviction de la culpabilité matérielle, mais de l'innocence morale de Del Prete, M. Miraglia fit valoir près des juges.

Les actes antérieurs au crime de Del Prete, ou du moins ceux qui le précédèrent de quelques jours, démontraient clairement la lypémanie ascétique, presque toujours accompagnée d'hallucinations qui font croire au patient qu'il est possédé. C'est sous l'empire de cet état morbide que le crime fut consommé; mais Del Prete n'était pas fou seulement du jour où il commença à donner des signes de folie; l'infirmité, quoique n'étant pas extérieurement reconnue, avait une date bien antérieure dans le cerveau. La folie, nous l'avons dit, est un trouble moral qui a sa cause dans les désordres fonctionnels des organes cérébraux par des modifications physiques. C'est un fait incontestable que tous les aliénés, et particulièrement ceux qui sont atteints de lypémanie ascétique avec hallucinations, sont sujets à des visions qui, suscitées par des motifs extérieurs, vrais ou imaginaires, les poussent à l'homicide ou au suicide, surtout lorsqu'ils sont contrariés, attendu que la monomanie homicide est causée par l'exaltation indomptable de l'organe destructeur, excité par un autre sens intérieur, malade, comme il l'était, par exemple, dans Del Prete, où le sentiment ascétique était profondément attaqué; et c'est pour cela que l'on put constater en lui un certain sens moral, suffisamment développé. Cette lutte intérieure qui, tout à la fois, le poussait au crime quoique le crime lui fît horreur, c'est ce que les phrénologues appellent la double conscience, phénomène morbide qui, nous l'avons dit, conduit inévitablement les aliénés au désespoir, et, du désespoir, aux actes les plus insensés et les plus féroces.

Je vais, maintenant, vous raconter l'histoire de quatre crânes séparés du tronc depuis soixante-deux ans, et qui viennent de me raconter à moi, par l'organe de M. Miraglia, leur interprète, un des plus terribles drames que j'aie jamais entendus.

 

Voyons d'abord où étaient ces crânes, et comment ils tombèrent au pouvoir du docteur Miraglia.

En 1855, au moment où l'on eut l'assez triste idée de restaurer le Castel-Capouano, – magnifique forteresse dont, selon Thomas de Catane, Roger fut le fondateur, tandis que d'autres attribuent cette fondation à Guillaume le Mauvais, – le docteur Miraglia soignait la fille du préfet de Naples, et, tout en la soignant, poursuivait ses études phrénologiques. Il demanda au père de la jeune malade de lui faire cadeau de quelques crânes de malfaiteurs exposés dans des cages clouées aux murailles du Castel-Capouano. Il s'appuyait sur ce que cette exposition était un reste de barbarie qui devait disparaître avec les autres. Le préfet fit quelques difficultés, disant que ce reste de barbarie, deux gouvernements français, celui de Joseph et celui de Murat, l'avaient laissé subsister; mais enfin, séduit par l'idée de faire mieux que n'avaient fait Joseph et Murat, il donna l'ordre de faire disparaître des murailles du Castel-Capouano les cages et les têtes qu'elles renfermaient. L'architecte hérita des cages, le docteur Miraglia des têtes.

Heureux de posséder enfin le trésor qu'il ambitionnait depuis si longtemps, M. Miraglia s'enferma avec ses crânes, les tria et les divisa en catégories.

Quatre cages rapprochées les unes des autres, portant la même date, annonçaient que les quatre têtes, séparées du tronc le même jour, appartenaient aux fauteurs et aux complices du même crime.

M. Miraglia étudia les quatre crânes.

Il reconnut que le premier était celui d'une femme de trente-deux à trente-quatre ans;

Le second, celui d'un vieillard de soixante à soixante et dix ans;

Le troisième, celui d'un homme de vingt-huit à trente ans;

Le quatrième, celui d'un jeune homme de vingt-deux à vingt-quatre ans.

Cette première étude n'était pas sans difficulté. Ces têtes, exposées depuis cinquante-cinq ans au soleil, à la pluie, à la poussière, présentaient une croûte qu'il fallut enlever; la couleur des os avait foncé; les uns étaient gris, les autres presque noirs.

Voici les caractères différents que présentaient ces quatre crânes:

CRANE DE LA FEMME

Le docteur reconnut que le crâne était celui d'une femme, à sa face étroite, au peu de largeur de l'arcade dentaire, à la très-grande distance existant entre le trou de l'oreille et la partie supérieure de l'os occipital, à laquelle correspond l'organe de la philogéniture, qui présentait une saillie de plus de six lignes.

Il reconnut que cette femme n'avait pas plus de trente-deux à trente-quatre ans, au peu d'épaisseur des os, aux sutures non effacées et faciles à désarticuler, à l'état d'intégrité des dents, condition de jeunesse que l'on ne trouve plus passé cet âge.

D'après les dimensions générales du crâne, il observa que les parties postérieures et latérales dépassaient en volume les parties supérieures et antérieures: ce qui indiquait que, chez l'individu auquel il avait appartenu, les tendances animales l'emportaient sur les sentiments moraux et les facultés intellectuelles; de telle sorte que, n'étant pas contre-balancées par ces dernières, elles se trouvèrent détournées du but moral, vers lequel, dans les conditions d'un organisme moins brutal, le pouvoir de la volonté eût pu les diriger, et entraînèrent l'individu à satisfaire ses instincts.

Ce crâne, confronté à ceux des plus terribles criminels, pouvait soutenir la comparaison. L'organe de la destructivité ne rencontrait son pareil que dans celui d'une tête de femme, conservé au musée de Versailles, et qu'on montre comme étant celui de la marquise de Brinvilliers; – chose qui nous paraît impossible, puisque la marquise de Brinvilliers, décapitée en 1676, fut ensuite brûlée et réduite en cendres, jetée au vent; mais qui, à défaut du crâne de celle-ci, serait probablement celui de la fameuse madame Tiquet, qui tua son mari en 1699.

Donc, ce crâne était celui d'une personne entraînée vers l'homicide par des instincts brutaux, que les sentiments moraux et les facultés intellectuelles étaient insuffisants à combattre.

CRANE DU VIEILLARD

Ce crâne, dont il n'existait que le côté droit, fut reconnu par M. Miraglia pour celui d'un homme de soixante à soixante et dix ans, à l'épaisseur des os, qui dépassait trois lignes, à la presque disparition des sutures effacées sur une grande étendue, quoique facile à désarticuler, à cause de la fragilité amenée par le temps et les intempéries; à l'épaisseur anormale des os occipitaux, avec aplatissement de leurs cavités, à cause de l'atrophie du cervelet; à l'engorgement des alvéoles à l'endroit des dents tombées par l'âge; en outre, l'extension de l'arcade dentaire, l'ampleur de la face, l'extension des lobes antérieurs, indiquaient une tête d'homme.

L'examen du crâne démontra que celui auquel il avait appartenu était un de ces hommes qui vivent entre la vertu et le vice, n'ayant reçu de leur organisation qu'un esprit faible, se pliant facilement aux circonstances, et agissant et opérant selon les impulsions qu'ils reçoivent. Une ligne, tirée du trou acoustique au sommet de la tête, fait ressortir un médiocre développement des parties antérieures du cerveau, et les régions cérébrales, qui représentent les sentiments moraux, sont suffisamment développées, quoique la base et les côtés de l'encéphale, siéges des tendances animales, soient larges et étendus au delà de la mesure ordinaire.

Les organes de la philogéniture, de la destructivité, de la sécrétivité et de l'acquisivité étaient énormes; la combattivité, la circonspection et l'estime de soi étaient grandes; la fermeté, la vénération, la bienveillance et la conscienciosité peu développées. Tous les autres organes étaient plutôt petits que grands, moins cependant quelques-uns qui présentaient les indices d'un développement normal. Avec cette organisation, ne pas savoir être vertueux était une faute entraînant aux plus grands vices et aux plus grands crimes.

CRANE DE L'HOMME

Les os de la face manquaient à ce crâne. Ce fut donc par la non-ossification des sutures, par la largeur de l'occiput, par la compactivité élastique des os, quoique suffisamment épais, que le docteur Miraglia put fixer l'âge de l'homme auquel avait appartenu ce crâne, entre vingt-cinq et trente ans.

La conformation vicieuse de cette tête était remarquable par l'ampleur des parties de l'encéphale placées derrière le trou acoustique: la hauteur et la largeur des organes des tendances y dominent monstrueusement, tels que ceux de l'amativité, de la destructivité, de la sécrétivité et de la fermeté; toute la région antérieure était petite et déprimée, surtout à l'endroit des organes de la vénération et de la bienveillance. Cet homme devait nécessairement être lascif et follement féroce.

CRANE DU JEUNE HOMME

Ce crâne était monstrueusement défectueux. L'énorme extension de la région animale et la petitesse et la dépression de celle des sentiments des facultés intellectuelles dénotaient un esprit brutalement féroce.

Les conditions matérielles de ce crâne indiquaient que c'était un jeune homme de vingt à vingt-cinq ans, quoique les os en fussent épais et pesants.

Les dimensions du crâne étaient presque semblables à celles du crâne de la femme; même l'étroitesse encore plus grande du front et l'extension encore plus grande de la région rétro-auriculaire indiquaient la lourdeur d'esprit et la témérité. Quant aux instincts, la combattivité était très-développée, ainsi que la destructivité; la sécrétivité venait ensuite. Quant aux sentiments, l'approbativité était grande, la circonspection grande, la fermeté enfin plus développée encore que ces deux derniers organes.

Ces différents crânes étudiés, le sexe, l'âge et les instincts de ceux à qui ils appartenaient reconnus, restait à savoir si M. Miraglia avait deviné juste. On ne pouvait avoir de certitude sur ce point qu'en exhumant le crime commis par les quatre justiciés, dont on ignorait encore les noms et même le crime, et le plus ou moins d'action ou de complicité dans la perpétration du crime.

A force de chercher, M. Miraglia trouva dans les Archives criminelles de la Vicaria, sous le nº 6154, cahier 340, à la date correspondant à celle de l'exposition des têtes, le procès d'une femme et de trois hommes accusés de meurtre.

II

Les détails du procès, trouvé par M. Miraglia dans les Archives criminelles de la Vicaria, ne laissaient pas de doute sur l'identité des quatre prévenus avec les quatre justiciés dont M. Miraglia possédait les crânes.

Ces quatre prévenus étaient:

Giuditta Guastamacchia, âgée de trente-trois ans;

Nicolas Guastamacchia, son père, âgé de soixante-six ans;

Pietro de Sandoli, médecin, âgé de vingt-neuf ans;

Michel Sorbo, sbire, âgé de vingt ans.

De l'acte d'accusation ressortaient les faits suivants.

Une jeune fille, née à Terlizzi dans les Pouilles, s'était fait remarquer dès sa première jeunesse par la férocité de son caractère. Sa constante occupation, son plus grand plaisir étaient de mettre en morceaux de jeunes chats, de déchirer vivants de petits oiseaux, de faire mal enfin à tout être plus faible qu'elle; de sorte que ses douze premières années s'étaient passées sans que l'on pût lui apprendre aucun des travaux de son sexe et sans qu'on eût pu lui faire entrer dans la tête même l'ombre d'une idée religieuse.

Néanmoins, au fur et à mesure qu'elle grandissait, Judith devenait belle, les lignes de sa physionomie étaient gracieuses, ses yeux beaux et brillants; mais leur regard altier et présomptueux révélait une âme disposée à suivre la tendance effrénée des sens.

L'amour, qui est un sentiment noble chez les personnes heureusement douées, devient une impulsion purement bestiale dans les cœurs pervertis. Jeune, elle s'abandonna donc à la débauche, et, parmi ses nombreux amants, en revint toujours de préférence à un certain Stefano Daniello, son parent à un degré éloigné, jeune homme de mœurs complétement dissolues.

Elle se nommait Judith Guastamacchia.

Son père, Nicolas Guastamacchia, chercha vainement à réprimer les tendances vicieuses de sa fille, et, dans l'espoir que le mariage serait un frein à ses passions, il la maria à un pauvre diable de notaire, nommé Francesco Rubino, qui, perdu lui-même de vices, consentait aux débauches de sa femme avec son amant de cœur. Le malheureux père voulut s'interposer; mais les deux amants se moquèrent de lui et continuèrent le même genre de vie, jusqu'à ce que le mari, ayant commis un faux, s'enfuît à Rome, où il mourut dans l'hôpital du Saint-Esprit. Judith, redevenue libre, retombait sous l'autorité de son père. Pour échapper à cette autorité, elle s'enfuit à Naples, où, quelques mois après, son amant vint la rejoindre.

Nicolas Guastamacchia l'y poursuivit, bien résolu à mettre fin à cette vie de débauche, qu'il regardait pour lui comme un déshonneur. Il retrouva sa trace avec grande peine, et l'accusa devant le juge, lequel la fit venir en présence de son père et commença à lui faire des reproches. Mais l'étonnement du magistrat fut grand, lorsque Judith déclara que Guastamacchia n'était pas son père, mais un homme qu'elle savait être partisan enragé des Français et de la Révolution. Une pareille accusation, en 1796, c'est-à-dire au milieu des plus horribles réactions bourboniennes, c'était la mort. Par bonheur, et par hasard, le juge était un honnête homme qu'une pareille accusation, de la part d'une fille, fit frissonner. Au lieu de faire arrêter Nicolas Guastamacchia, il fit arrêter Judith, et l'enferma d'abord à la prison de Santa-Maria, ensuite à la Vicaria.

Les deux amants, furieux d'être séparés, imaginèrent un plan qui devait leur rendre, avec la liberté de Judith, la faculté de leurs premières amours.

Daniello avait un neveu nommé Dominique-Léonard Altamura. Il avait seize ans; il était beau de sa personne, mais, par malheur, dissipé et abhorrant le travail. Celui-ci, séduit par la dot promise par son oncle, épousa Judith, et, pour, la seconde fois, celle-ci eut le voile du mariage pour couvrir ses désordres.

Cependant, Altamura s'aperçut bientôt lui-même du piége où il était tombé; la beauté de sa femme le rendit jaloux. Il se lassa de voir son oncle sans cesse à ses côtés: il lui reprocha sa conduite. Judith, irritée, en vint aux querelles, et, fatiguée de ce joug auquel elle ne s'attendait pas, elle arrêta dans sa pensée la mort de son mari. Elle en parla sérieusement à Daniello; mais celui-ci, d'instinct moins féroce qu'elle, s'effraya d'un pareil projet; il proposa des moyens moins cruels. Il voulait pousser son neveu à quelque délit qui le fît condamner à la prison ou à l'exil; mais ce moyen terme ne satisfaisait pas la haine de Judith. – Femme de toutes les luxures, elle avait aussi celle du sang. Elle continua donc de proposer à son amant de se débarrasser de son mari, soit par le poison, soit en le précipitant d'une grande hauteur, soit en l'étranglant elle-même au moment où il accomplirait avec elle l'acte conjugal.

 

Dans ces incertitudes, et au milieu de ces projets toujours repoussés par Daniello, on atteignit l'année 1800, sans qu'il arrivât malheur à Altamura, non point parce que Judith s'était relâchée de sa haine contre lui, mais parce que, s'étant relâché de sa jalousie contre elle, il avait fermé les yeux sur ses amours avec son oncle.

Cependant, un autre ennemi allait se réunir aux deux premiers contre le pauvre Altamura. Cet ennemi, c'était le père de Judith, emprisonné pour dettes, et qui, tiré de prison par Daniello, habitait maintenant dans la maison de sa fille, en compagnie du mari et de l'amant. Là, cette nature variable se laissa influencer. Judith arriva à rejeter toutes ses fautes sur Altamura, et, par ses plaintes continuelles, finit par exaspérer son père contre lui.

Tous nos acteurs faisaient une espèce de halte au milieu des doutes et de l'incertitude: Judith entraînait son père au crime, et essayait d'y entraîner son amant, lorsque, pour leur malheur, un cinquième personnage, entrant dans leur intimité, rendit, vers le crime, leur mouvement plus rapide. Ce personnage se nommait Pierre de Sandoli; il était âgé de vingt-six à vingt-sept ans; il était chirurgien, partageait les faveurs de Judith, et était à la fois l'objet de la jalousie du mari et de l'amant. Judith s'inquiéta peu du mari, mit tous ses soins à réconcilier les amants, y parvint, introduisit Pierre de Sandoli dans la maison, et trouva en lui une facilité à conspirer la mort du mari qu'elle n'aurait pas trouvée dans Daniello. Sandoli était un de ces hommes qui naissent pour être un outrage à la nature et un procès au bourreau.

La mort d'Altamura fut donc décidée. Les coupables, ayant arrêté le crime, cherchèrent les moyens de l'exécuter.

La confession des prévenus eux-mêmes révèle les discussions qui eurent lieu avant d'en arriver à l'un ou à l'autre de ces moyens, qui tous avaient pour but la mort du malheureux Altamura. On flottait d'un expédient à l'autre, non que cette mort ne fût pas résolue, mais pour chercher celle qui paraîtrait la moins compromettante; Judith seule, méprisant la faiblesse de ses deux complices, Sandoli et Guastamacchia, – Daniello avait refusé de prendre part au meurtre, tout en le laissant s'accomplir; – Judith seule décida que l'on chercherait un sbire, et que, le sbire trouvé, on s'unirait à lui pour exécuter en commun le crime.

Le chirurgien se chargea de ce soin; un sbire n'est pas difficile à trouver à Naples; d'ailleurs, il n'eut qu'à passer en revue ses anciennes connaissances, et son choix s'arrêta sur un certain Michele Sorbo, de Cirignola, jeune homme de vingt-deux ans, expert dans le crime, et qui, même sans espoir de récompense, avait plus d'une fois taché ses mains de sang.

On expédia le vieux Guastamacchia vers Cirignola, d'où il devait ramener Michele Sorbo, lorsque le hasard fit qu'il le rencontra aux environs de Naples. Il lui raconta la chose dont il était question; Sorbo accepta la proposition comme il eût accepté une partie de plaisir. Il fut conduit à la maison, accueilli et caressé par Judith, et reçu avec indifférence par le stupide mari. L'avis du sbire fut pour la strangulation: Sandoli et Guastamacchia se rangèrent à cet avis, et Judith en devint presque folle de joie.

Les circonstances qui accompagnèrent l'assassinat indiquent sur quelles bases irréfragables repose le système phrénologique du docteur Miraglia, en montrant avec quelle froide et impitoyable férocité procéda, pour sa part, Judith.

Le crime devait être exécuté par Judith, son père et le sbire, la présence de Sandoli étant inutile et Daniello ayant déclaré qu'il ne voulait point y prendre part.

Pendant la soirée où l'assassinat devait avoir lieu, Judith envoya son mari chercher plusieurs choses pour le souper. On voulait, en son absence, prendre les dispositions nécessaires à la perpétration du meurtre.

On plaça quatre siéges devant le feu. Seulement, on scia aux trois quarts le pied d'un de ces siéges, afin que celui qui s'assoirait dessus tombât à la renverse.

Ce siége fut réservé pour Altamura.

Le sbire reçut des mains de Judith une cordelette, et, pour rendre la strangulation plus prompte et plus facile, il l'enduisit de suif et y prépara un nœud coulant.

De retour vers les neuf heures du soir, Altamura s'assit, sans aucun soupçon, sur le siége qu'il trouva vide. Judith et le sbire échangèrent alors un regard. Judith, pour occuper Altamura, vint lui jeter les bras autour du cou. Pendant ce temps, Michele Sorbo se leva, passa derrière lui, lui glissa le lacet et le renversa, en essayant de l'étrangler.

Altamura était jeune, il était vigoureux, il comprenait le dessein de ses adversaires, il aimait la vie: il lutta avec toute l'énergie du désespoir; mais Judith se cramponna à lui comme une goule, lui appuyant ses genoux sur la poitrine et fixant au sol ses pieds convulsifs et ses mains crispées. Le père concourut au meurtre en appuyant le pied sur la gorge du patient, qui, étranglé, du reste, par Michele Sorbo, rendit bientôt le dernier soupir.

Le meurtre accompli, Daniello entra et désapprouva complétement ce qui venait de se passer. Après lui vint le chirurgien, qui, au contraire, manifesta une satisfaction stupide; mais, de tous, Judith était la plus joyeuse et la plus intrépide, comme elle fut la plus acharnée à l'horrible boucherie qui allait suivre.

Le cadavre fut posé dans un pétrin de bois; le chirurgien prit alors un bistouri, détacha du tronc les bras, les jambes, les cuisses et la tête; il lui ouvrit le ventre, en tira les viscères et les mit dans un vase de grès.

Judith repue, mais non pas fatiguée de ce spectacle, s'empara de la tête coupée, alluma le feu, mit la tête dans une marmite et la fit bouillir, et, cela, plutôt par une insatiable luxure de sang que pour la rendre méconnaissable. Il avait été convenu d'avance que les membres coupés seraient dispersés dans la ville. En conséquence, Guastamacchia et Michele Sorbo prirent d'abord les jambes et les cuisses, les cachèrent sous leurs habits et allèrent les jeter dans les cloaques de Sant'Angelo à Nilo. Revenus sans avoir été inquiétés dans leurs opérations, Guastamacchia resta à la maison, et le sbire sortit de nouveau, emportant dans un sac ensanglanté les bras, que Judith avait préparés en son absence et qu'il devait aller jeter dans un autre endroit.

Pendant ce temps, Judith continuait de faire bouillir la tête de son mari, dont la chair se détacha peu à peu. Alors, elle la tira de la chaudière et s'amusa à la regarder avec la même indifférence qu'elle eût fait d'une tête de veau. Elle attendait ainsi, et dans cette étrange distraction, le retour du sbire; mais le sbire se faisait attendre, Guastamacchia et Sandoli tremblèrent qu'il ne fût arrivé quelque chose. Judith seule resta gaie, impassible et rassurant les autres.

Et, en effet, le sbire avait rencontré, dans la rue de Sainte-Catherine-de-la-Couronne-d'Épines, une patrouille de police; en se sauvant, il avait laissé tomber le sac qui contenait les bras coupés: la patrouille le poursuivit, le vit tout couvert de sang et l'arrêta.

La nuit s'écoulait, et à chaque minute s'envolait une chance du retour de Michele Sorbo. La crainte de quelque dénonciation commença à entrer dans l'âme des coupables, qui s'occupèrent de faire disparaître les traces du crime. Le père et le chirurgien firent deux paquets du reste du corps, entrailles comprises, et allèrent les jeter vers la Pignasecca. Ils revinrent aussi vite que possible, et, alors, ce fut Judith qui sortit avec son père, emportant la tête cachée sous son châle et qui alla la jeter sur la place de Monte-Calvario.

Le jour venu, on vit à la Pignasecca un chien qui rongeait un crâne d'homme; le bruit se répandit en même temps que l'on avait trouvé des membres mutilés aux environs et particulièrement aux cloaques de Sant'Angelo à Nilo.

La ville se soulevait tumultueusement. On ne savait pas si c'était un seul cadavre ou beaucoup de cadavres qui avaient été retrouvés mutilés. On était au jour des assassinats sombres et secrets; chacun craignait pour sa vie; les crimes du jour étant à la politique.

8Deux autres représentations de Brutus furent données au théâtre royal de Caserte.