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Les belles-de-nuit; ou, les anges de la famille. tome 5

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Nawn, la servante de Mirze, était venue, de son plein gré, offrir son aide aux deux jeunes filles.

Cette Nawn faisait une garde-malade attentive et souverainement adroite. C'était un secours précieux que Diane et Cyprienne acceptaient avec reconnaissance.

Tout en veillant au chevet de Blanche, les deux jeunes filles songeaient, et, bien qu'elles ne pussent se communiquer leurs pensées de peur d'éveiller la pauvre malade, leurs pensées étaient les mêmes.

Elles se demandaient comment Madame et René de Penhoël avaient pu fuir dans l'état où ils étaient; elles les avaient laissés mourants tous les deux! Pourquoi quitter leur retraite justement à cette heure?

Où étaient-ils allés?

A ces questions nulle réponse n'était possible. Cyprienne et Diane entrevoyaient un mystère, sans pouvoir même essayer de l'éclaircir.

– Demain, se disaient-elles, nous retournerons…

Et leur esprit, abandonnant cette énigme insoluble, revenait à d'autres idées. Diane songeait à Étienne, Cyprienne à Roger.

Qu'avaient-ils dû penser la veille? Ils aimaient encore; ils n'avaient pas oublié. Oh! on les aimait aussi…

Diane se réjouissait d'avoir retrouvé le cœur d'Étienne tout entier à elle; Cyprienne pardonnait à Roger son inconstance folle, pour les bonnes larmes qu'elle avait vues dans ses yeux.

Elle l'aimait comme il était.

Un regard échangé disait aux deux sœurs ce qu'elles avaient dans l'âme; c'était une conversation muette, et parfois toutes deux se prenaient à sourire en rougissant, comme si elles eussent mis leur cœur de vierge à nu dans des paroles trop hardies.

Puis elles faisaient un détour encore dans les sentiers perdus de la rêverie. On ne peut pas toujours parler d'amour, même avec son âme, et il y avait un sujet de réflexion qui revenait frapper incessamment au seuil de leur pensée.

Cet homme, qui était maintenant leur hôte, et qui leur avait dit d'une voix si douce, avec un sourire si bon: «Je suis votre père;» cet homme dont l'aspect seul avait clos, comme par enchantement, leurs jours de misère, ce bon génie de leurs anciens rêves! il était là, toujours, devant leurs yeux…

Elles le voyaient avec sa noble beauté, avec ce charme fier qui rayonnait de son sourire.

Ses moindres paroles restaient gravées tout au fond de leurs cœurs.

Il avait commencé par être bien cruel pour devenir ensuite si généreux!..

Diane et Cyprienne ne trouvaient personne à qui le comparer, même de loin: les hommes qu'elles avaient vus jusqu'alors n'étaient point faits ainsi.

Elles ne le connaissaient pas, mais elles le devinaient plus complétement peut-être que ceux-là mêmes qui vivaient avec lui depuis des années.

Leur bonheur était de penser qu'il leur serait donné peut-être de mettre un baume sur les blessures envenimées de ce grand cœur.

Depuis le matin, il ne leur avait pas donné signe de vie, mais elles n'avaient point d'inquiétude encore, parce que toute la maison était à leurs ordres. Séid avait parlé; chacun, dans l'hôtel, leur obéissait comme au nabab lui-même.

Elles attendaient; quelque chose leur disait que Montalt ne les avait point oubliées. Et il n'y avait point d'impatience dans leur attente, parce qu'un secret sentiment de crainte se mêlait à leur affection reconnaissante.

Les heures de l'absence avaient encore grandi le nabab à leurs yeux; elles tremblaient presque à l'idée de le revoir.

Mais il n'y avait pas là l'ombre d'une pensée de défiance. Depuis douze heures qu'elles avaient amené l'Ange dans la maison du nabab, l'idée ne leur était pas venue qu'il pût y avoir danger ou seulement inconvenance.

L'ordre de Montalt les trouva préparées. Elles laissèrent Nawn auprès de Blanche, et s'éloignèrent en se tenant par la main.

Ce fut ainsi qu'elles entrèrent dans la chambre de Montalt.

Elles demeurèrent auprès du seuil, les yeux baissés, le front rougissant et le sourire aux lèvres.

Montalt était toujours assis auprès de son bureau.

Il les regarda un instant en silence et avec admiration comme s'il se fut étonné de les retrouver si jolies.

– Approchez… dit-il enfin.

Diane et Cyprienne s'avancèrent. Mais l'entrevue était loin de se renouer à ce point de familiarité intime où le sommeil de Montalt l'avait interrompu, la nuit précédente, et la gentille joue de Cyprienne serait devenue bien plus vermeille encore si quelqu'un lui eût rappelé qu'elle avait osé mettre un baiser sur le front de cet homme.

Montalt avait l'air grave, presque sévère.

– Bonsoir, Berthe… dit-il en prenant les mains des deux sœurs; bonsoir, Louise… Il y a bien longtemps que je ne vous ai vues… Avez-vous pensé à moi, aujourd'hui?

– Oh! oui, milord!.. répliqua Cyprienne.

– Grâce à vous, ajouta Diane, nous avons porté secours à ceux que nous aimons.

Montalt les regardait en face tour à tour.

– Et vous n'avez point eu regret de m'avoir menti?.. murmura-t-il.

– Menti?.. balbutièrent les deux jeunes filles en échangeant un regard furtif.

Le nabab souriait tristement.

– Laquelle de vous s'appelle Diane?.. demanda-t-il; et laquelle a nom Cyprienne?..

Les deux sœurs étaient devenues toutes pâles.

– Oh! monsieur!.. monsieur!.. s'écria Diane, je vous en prie, pardonnez-nous!.. Le désespoir nous a poussées à venir… et quelque chose nous disait que nous bravions, en venant, les blâmes du monde… Nous avons menti, c'est vrai… mais c'est que nous songions à notre vieux père.

– C'est vous qui êtes Diane, n'est-ce pas?.. dit le nabab; et c'est vous qui aimez Étienne?

– Étienne?.. répéta encore la jeune fille.

Il lui semblait qu'un pouvoir surnaturel pouvait seul lire ainsi au fond de son cœur.

– Et vous, Cyprienne, reprit le nabab, vous aimez Roger de Launoy?.. Que Dieu vous donne du bonheur, mes pauvres enfants!.. L'amour fait bien souffrir… et quand deux cœurs se donnent l'un à l'autre, il y en a toujours un qui ment ou qui se trompe…

– Étienne est un honnête homme, répliqua Diane en relevant la tête.

– Je le crois… dit Montalt.

– Et Roger m'aime!.. ajouta Cyprienne.

– Comment ne pas vous aimer, ma fille?.. Qui sait?.. j'ai tort, peut-être… Dieu le veuille!

Sa physionomie changea, comme s'il eût fait effort pour secouer sa tristesse. Il rappela sur sa lèvre son beau sourire, et prit les mains des deux jeunes filles, qu'il serra contre son cœur.

– Pourquoi ne m'appelez-vous plus votre père? dit-il presque gaiement.

Diane ne répondit pas, mais Cyprienne, plus hardie par moments, secoua la tête en prenant un petit air mutin:

– Parce que vous nous grondez… dit-elle, et parce que vous avez deviné notre secret!

– Et si je vous pardonne?..

– Alors, nous vous pardonnerons.

Montalt les attira vers lui et réunit leurs têtes charmantes sous un même baiser.

– Merci, mes filles… dit-il.

– Merci, père… répondirent en même temps les voix caressantes des deux sœurs.

Montalt resta quelque temps à les contempler en silence. Il n'était plus forcé de feindre pour cacher sa tristesse; une expression de joie recueillie éclairait son visage.

– C'est vrai, pourtant, dit-il; j'ai deviné un secret, moi!.. moi qui laisse toujours sommeiller mon esprit!.. Je vous aime si bien, mes enfants chéries, que j'ai fait une fois comme tout le monde… J'ai oublié que j'étais mort et qu'il n'y avait plus en moi ni curiosité ni désir… J'ai travaillé, j'ai tâché de lire dans le regard… et j'ai réussi.

– N'avez-vous appris que cela?.. demanda Cyprienne en jouant l'indifférence.

– Rien que cela, mademoiselle Berthe… répliqua le nabab. Soyez tranquille… Je ne sais pas le nom de votre vieux père, qui est un gentilhomme!.. Je ne sais rien, sinon que je vous aime et que je suis heureux de vous avoir là toutes deux contre mon cœur…

– Nous aussi, nous vous aimons! murmura Diane émue, comme un ami et comme un père.

Les yeux de Montalt se perdirent un instant dans le vide.

– Sais-je pourquoi?.. pensa-t-il tout haut; on dit que je suis l'homme du caprice… je le crois quelquefois… Et pourtant, s'il y a un Dieu, c'est lui qui vous a mises sur mon chemin, pauvres enfants, afin que je sois bon à quelque chose ici-bas… Oh! je ne jouerai plus… Ce qui me reste est à vous, mes filles, et vous serez riches!

Il se prit à sourire tout à coup.

– Vous souvenez-vous que je vous ai poursuivies longtemps? dit Montalt. Le monde me croit fou de galanteries et d'aventures amoureuses… Pauvre monde! qui prend le désespoir pour l'ardeur et le découragement pour la fièvre!.. En courant après vous, mes enfants, ce n'était pas à moi que je pensais… Vous allez bien m'en vouloir… Étienne et Roger, que j'aimais en ce temps-là, me parlaient de vous sans cesse, et je voulais leur donner un remède contre l'amour…

– Oh! fit Diane avec reproche, vous vouliez les rendre infidèles!..

– L'amour est un si cruel malheur, ma fille!.. En vous voyant jolies comme des anges, je m'étais dit: «Voilà ce qu'il me faut…» Et, sans vous connaître, je vous opposais à vous-mêmes… Je prenais les deux pauvres petites chanteuses pour en faire les rivales des deux nobles filles de Bretagne… Vous me ferez croire à Dieu avant de mourir, mes enfants, car sa main est là, et c'est elle qui vous a défendues contre moi.

– Père, dit Cyprienne qui lui baisa la main avec un petit frisson de crainte, quand je pense que nous aurions pu vous haïr!..

Le nabab baissa les yeux, et un nuage descendit sur son front.

– Cela eût peut-être mieux valu ainsi… murmura-t-il; demain, qui sait ce que seront nos cœurs?.. Quand je vous vois, je crois mon âme guérie;… quand je vous entends m'appeler mon père, je suis heureux, et il me semble que je n'ai jamais connu la souffrance… Mais tout cela n'est que mensonge!.. ajouta-t-il en se levant brusquement, vous n'êtes pas mes filles! Un autre a droit à l'amour que je voudrais tout seul.

 

Les deux sœurs le regardaient tristement et ne trouvaient point de réponse.

Montalt parcourait la chambre à grands pas.

Au bout de quelques minutes, il se laissa retomber sur son siége.

– Père… dit Diane en prenant sa main timidement, est-ce que vous êtes fâché contre nous?

Le nabab la pressa contre sa poitrine avec un geste passionné.

– Deux! s'écria-t-il; oh! ce serait trop, c'est vrai!.. je n'ai pas mérité tant de bonheur!.. Mais si Dieu m'avait donné seulement une fille comme toi, Diane… ou comme toi, ma Cyprienne chérie!.. que ma vie serait changée et belle!.. et comme je désapprendrais vite à désirer le néant qui suit la mort!..

– Vous qui êtes si bon… murmura Diane, comment ne croyez-vous plus au ciel?..

– Parce que, si le ciel existe, il est impitoyable!.. Ne vaut-il pas mieux douter que de haïr?..

Cyprienne écoutait, saisie par cette vague terreur que le blasphème inspire à la foi naïve.

– Oh!.. fit Diane avec compassion, vous avez donc bien souffert?

– Si j'ai souffert!.. prononça le nabab d'une voix sourde et avec un accent d'amertume si déchirant que les deux sœurs eurent froid jusqu'au fond de l'âme; pauvre enfants! puissiez-vous ne savoir jamais ce qu'est une pareille souffrance!..

Il essaya de sourire, et cet effort rendit plus douloureuse l'expression de profonde angoisse qui était sur ses traits.

Cyprienne et Diane s'étaient rapprochées, attentives.

– Mais je pense bien, reprit Montalt avec une nuance de fatigue et de sarcasme, que j'ai eu tort de souffrir… beaucoup de gens me prendraient pour un fou s'ils savaient mon histoire… Et ces gens seraient sages, peut-être… Que m'a-t-on fait?.. M'ont-ils assassiné, dépouillé?.. M'ont-ils seulement trahi?.. Non. J'avais un ami et j'avais une maîtresse… J'aimais la jeune fille au point de lui donner mille fois ma vie… L'autre… qui était mon ami depuis que je sentais mon cœur, je l'aimais jusqu'à lui sacrifier mon amour!

«Il était faible; je me croyais fort… nous étions presque des enfants tous les deux… Je le vis malheureux, parce qu'il aimait en secret ma fiancée…

«Peut-être eus-je tort, mes filles, car il y a des dévouements injustes et cruels. La jeune fille avait droit à mon amour, et devant Dieu, moi, je n'avais plus le droit de fuir…

«Et pourtant, je quittai la maison de mon père, avec des larmes dans les yeux, moi, qui ne savais encore que sourire!

«J'emportai dans l'exil mon amitié enthousiaste et l'amour qui devait emplir ma vie.

«De quoi faut-il me plaindre?.. Mon ami épousa la femme que je lui avais cédée… Et un jour que je revenais de bien loin, un jour que je m'approchais en tremblant de la maison de mon père, et que je me disais: «Il faudra sourire en voyant leur bonheur,» je rencontrai mon ami sur le chemin…

«Il me refusa sa main froide. Il se mit entre moi et la porte de sa maison. Je repartis; mon âme était morte…»

Cyprienne et Diane avaient des larmes dans les yeux.

– Pauvre père!.. dirent-elles en couvrant ses mains de caresses.

– De quoi faut-il me plaindre? répéta le nabab avec un élan d'amertume; et que venais-je faire chez cet homme?.. Je lui avais cédé mon bonheur; peut-être croyait-il que je venais le reprendre… Oh! mais je l'aimais tant!..

«Et la jeune fille qui était maintenant sa femme?.. Celle-là, je l'avais abandonnée, presque trahie!.. De quel droit pouvais-je lui demander un souvenir?

«N'était-ce pas moi-même et moi seul qui avais brisé ma vie?

«Savaient-ils seulement qu'ils avaient tué mon âme, sinon mon corps: lui, parce qu'il me chassait dans sa défiance jalouse; elle, parce que je lui avais jeté le cri suprême de mon repentir et de ma douleur, et qu'elle avait gardé le silence?..»

Il appuya ses deux mains contre son front tout pâle. La pente de ses souvenirs l'entraînait.

– Oh! je l'aimais!.. murmura-t-il d'une voix tremblante; vingt années se sont écoulées depuis lors, et je n'ai jamais aimé une autre femme!.. J'ai supplié Dieu de m'envoyer l'oubli!.. Dieu ne m'a point exaucé… Je l'aime encore… je l'aime!.. Cette nuit, je suis devenu fou rien qu'en écoutant une histoire où je ne sais quelle femme jouait un rôle qui pouvait ressembler à sa vie…

«Et maintenant que je vous parle, j'attends comme un pauvre insensé… J'ai entrevu un vague espoir dans la nuit de mon avenir… Si je m'étais trompé!.. si elle avait souffert, elle aussi, comme j'ai souffert!..

«J'attends pour savoir si je dois vivre, ou m'endormir dans la fatigue qui m'accable…»

Il se tut. Cyprienne et Diane l'écoutaient encore.

Il y avait en elles une émotion puissante et grave qui les faisait muettes.

L'un des noirs entr'ouvrit la porte de la chambre.

– Une lettre pour milord, dit-il.

Le sang remonta violemment à la joue du nabab.

– D'où vient cette lettre?.. demanda-t-il d'une voix mal assurée, tandis que le noir s'avançait vers lui.

– De l'hôtel des Quatre Parties du monde, répondit le nègre.

Montalt redevint plus pâle. Sa main tremblait en saisissant la lettre. Il la regarda longtemps: on eût dit qu'il n'osait point l'ouvrir.

– Ceci est mon arrêt… murmura-t-il en souriant avec tristesse.

Il glissa la lettre fermée dans son sein.

– Ne voulez-vous donc point savoir?.. demanda Diane.

– Plus tard… répliqua le nabab; si mon désir est satisfait, j'ai toute une vie pour me réjouir… Si mon dernier espoir me trompe, j'ai toute une longue nuit à souffrir… Parlons de vous, mes filles, car il faut au moins que j'aie fait, ici-bas, quelqu'un d'heureux. Je vous ai fait hier une promesse… Je ne l'ai pas oubliée… et je vais l'accomplir.

Il se dirigea vers son secrétaire, dont la tablette restait baissée.

Il prit dans l'un des tiroirs la clef du petit meuble, qui se trouvait au pied de son lit.

– Regardez bien tout ce que je fais… dit-il; vous pourrez avoir besoin de vous en souvenir.

Dans le meuble, il prit la boîte de sandal, et revint auprès des deux jeunes filles.

– Voilà toute ma fortune… poursuivit-il; je n'ai rien au monde, sinon cette boîte qui renferme une boucle de cheveux blonds… Je les regarde parfois, quand je suis seul, et je vois sourire alors toutes les belles joies de ma jeunesse… Cette boucle est là, gardée par les diamants qui l'entourent… Pour me la ravir, il faudrait me prendre aussi mes diamants, dont la perte me laisserait plus pauvre qu'un mendiant… Cela me plaît à penser… Et, vous savez, chacun pare son idole… Moi, je n'ai ni femme, ni enfant, ni famille… J'ai voulu faire un asile brillant à mon cher souvenir.

Il porta la boîte de sandal à ses lèvres, pour la baiser d'abord, puis pour arracher, à l'aide de ses dents, quelques-uns des diamants enchâssés dans le couvercle.

Il en prit quatre et les examina durant quelques secondes.

– C'est là une monnaie que je me suis faite… reprit-il en continuant son examen; je sais la valeur de ces pierres tout comme si j'étais joaillier… Ne m'avez-vous pas dit qu'il vous fallait cinq cent mille francs?

Cyprienne et Diane ne purent pas trouver de réponse, tant la surprise et l'émotion agissaient fortement sur elles.

– Il m'en reste encore cinq ou six fois autant… poursuivit le nabab, qui sembla compter de l'œil les vides nombreux marqués sur le couvercle de la boîte: et qui sait si j'aurai besoin désormais de cette fortune? Voici toujours quatre pierres qui valent chacune cinquante mille écus, à peu près… Je vous les donne, mes filles.

– Est-il possible?.. s'écrièrent à la fois Diane et Cyprienne.

– Ne me remerciez pas… dit le nabab en les baisant au front tour à tour; je vous suis encore redevable… Mon cœur était mort depuis vingt ans, et vous l'avez ressuscité pour un jour… Oui, ajouta-t-il en fixant sur elles ses yeux attendris, j'avais oublié la joie d'aimer… Soyez bénies, mes filles, car vous prierez pour moi, j'en suis sûr, quand vous ne me verrez plus.

Les deux sœurs tressaillirent, et leur regard s'emplit d'inquiétude.

Montalt arrêta la question qui se pressait sur leurs lèvres.

– Ne craignez rien, dit-il, Dieu a enfin pitié de moi, puisque je vous ai trouvées… Vous m'aimez, n'est-ce pas?..

– Oh! notre bon père!.. s'écrièrent les deux jeunes filles qui tâchaient de sourire à travers leurs larmes, nous vous aimerons toujours!..

Montalt souriait aussi et ses yeux étaient humides.

– Chères… chères enfants! murmura-t-il, je vous crois… et je crois que nous serons tous heureux…

Il avait mis les quatre diamants dans la main de Diane.

Il retourna vers le meuble, afin d'y replacer la boîte de sandal.

Tandis qu'il refermait le meuble à double tour, la pendule sonna: il était minuit.

Montalt revint vers les deux jeunes filles, mais il n'y avait plus de sourire sur ses lèvres.

– Diane, dit-il, je vous confie cette clef, ma fille… J'avais encore bien des choses à vous dire, mais j'ai besoin d'être seul… Écoutez seulement mes dernières paroles… Je vous reverrai demain vers huit heures… peut-être à neuf heures… Si je n'étais pas revenu à dix heures, vous vous serviriez de cette clef, Diane; vous prendriez la boîte de sandal… les diamants qui la couvrent seraient votre héritage…

– Oh! père!.. interrompirent les deux jeunes filles effrayées en se serrant contre lui.

– Laissez-moi poursuivre… reprit Montalt qui parlait d'une voix triste, mais ferme; cette fortune que je vous lègue, vous n'aurez de compte à en rendre à personne… Seulement, dans le cas où je ne devrais point revenir, ma volonté est que la boucle de cheveux renfermée dans cette boîte soit détruite… Promettez-moi de la brûler, mes filles, et d'en jeter les cendres au vent…

Diane et Cyprienne promirent. Elles voulaient parler et décharger le poids qui était sur leur cœur; mais le nabab les conduisit lui-même jusqu'à la porte.

Elles se jetèrent dans ses bras; il les repoussa doucement.

– A demain, mes filles!.. dit-il.

Il était seul.

Un instant, il resta auprès de la porte, écoutant les pas légers des deux sœurs qui s'éloignaient dans le corridor.

Sa main se posa sur sa bouche, comme pour leur envoyer un dernier baiser.

Puis il tira précipitamment de son sein la réponse de Robert.

Il la considéra durant plus d'une minute avant de l'ouvrir. Il n'osait pas.

Sa respiration soulevait péniblement sa poitrine, et il y avait de grosses gouttes de sueur à son front.

Enfin il rompit le cachet.

La lettre était ainsi conçue:

«Le chevalier de las Matas a l'honneur de présenter ses respects à lord Berry Montalt, et le prie de remettre à demain, dans la soirée, l'affaire dont il est question.»

La tête de Montalt tomba sur sa poitrine.

– Demain! murmura-t-il.

Puis il ajouta en déchirant la lettre:

– Je mourrai sans savoir…